L'auberge Espagnole : Cédric Klapisch nous raconte la folle histoire autour de ce film mythique et spoiler alerte : c'était un peu improvisé
La série Salade grecque sort le 14 avril sur Amazon Prime Video
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00:00 Le chiffre qu'on m'a donné, c'est qu'il y a eu deux fois plus de demandes d'étudiants Erasmus l'année après l'Auberge Espagnole en France.
00:05 Il y a une fois un couple qui m'a arrêté dans la rue.
00:07 Elle était italienne et son mari était suédois.
00:10 Et ils avaient un enfant qui avait un ou deux ans.
00:12 Et ils m'ont dit "cet enfant c'est à cause de vous".
00:14 Encore aujourd'hui, ça me donne des frissons.
00:16 Bonjour, je suis Cédric Clapiche.
00:18 Je suis le réalisateur de l'Auberge Espagnole et de tous les films qui ont suivi derrière.
00:22 Et je vais vous raconter cette folle histoire-là.
00:24 [Musique]
00:30 L'Auberge Espagnole, en fait...
00:34 C'est quand même une drôle d'histoire.
00:35 Je devais faire un film qui s'appelle Ni pour ni contre, bien au contraire.
00:38 Et en fait, ça a pris du retard.
00:40 Je ne sais plus si c'était à cause du chef opérateur ou de l'un des acteurs.
00:42 Et du coup, j'avais quatre mois sans rien faire.
00:44 Et avec Bruno Lévy, mon producteur, on s'est dit "est-ce qu'on pourrait pas faire un film ?"
00:48 J'ai écrit un scénario en deux, trois semaines.
00:51 Et l'idée de l'Auberge Espagnole est née du fait d'avoir du temps
00:54 et de se dire "est-ce qu'on ferait pas un petit film improvisé ?"
00:56 L'autre point de départ, c'est que Romain Duris avait 27 ans à l'époque.
01:01 Et je me suis dit "si je veux parler d'un étudiant,
01:04 c'est un peu le dernier moment où Romain peut avoir l'air d'être un étudiant,
01:07 après il sera trop âgé."
01:09 Donc c'était un peu ça qui m'a poussé à accélérer les choses
01:11 et à faire ce scénario très rapidement.
01:13 C'était même compliqué pour lui parce qu'il a fallu qu'il se coupe les cheveux,
01:16 qu'il a détesté le look qu'il avait avec Xavier,
01:18 il détestait son prénom si je me rappelle.
01:20 - Ah ! Xavier !
01:23 Et donc il y avait vraiment un peu de tout qui était fait
01:25 pour aller loin de ce qu'il avait fait auparavant,
01:27 avec le côté un peu cool, cheveux longs, rebelle, tout ça.
01:31 Et donc du coup, là c'était vraiment un étudiant en écho, un peu normal.
01:34 C'était une façon de le déplacer, disons, de ce qu'il connaissait.
01:37 Je crois que Erasmus existait depuis 7 ans.
01:41 Et je me souviens que juste au moment de la sortie de l'Auberge Espagnole,
01:43 ils ont fêté le millionnième étudiant Erasmus.
01:46 Et donc quand on tournait, personne connaissait le mot.
01:49 En fait, il n'y avait que les étudiants Erasmus qui connaissaient le programme,
01:52 mais sinon les gens du grand public,
01:54 ils ne savaient pas ce que c'était le programme Erasmus.
01:56 - Erasmus ?
01:58 - Ouais.
01:58 L'autre influence, c'est ma sœur qui a 7 ans de moins que moi.
02:01 J'ai été la voir à Barcelone, elle partageait un appartement avec 5 personnes
02:05 qui chacun parlaient une langue différente.
02:07 Et je me suis beaucoup inspiré de son appartement
02:10 pour écrire l'Auberge Espagnole.
02:11 À l'époque, je crois qu'il y a eu 5 directeurs de casting à travers l'Europe.
02:16 Et donc on a été à Berlin, au Danemark, en Italie, en Espagne, en Angleterre.
02:21 Et du coup, dans chaque pays, il y avait un directeur de casting
02:23 qui choisissait 20 ou 30 acteurs.
02:25 En Angleterre, j'ai vu beaucoup de bons acteurs et actrices,
02:28 et donc j'ai ramené 3 acteurs, 2 garçons et 1 fille.
02:30 Et donc Kelly Riley, c'est comme ça que je l'ai rencontrée.
02:32 Le scénario a continué de s'écrire pendant la préparation,
02:35 les repérages à Barcelone et pendant le casting.
02:37 En fait, le casting était une façon de continuer à écrire.
02:40 Du coup, j'ai inventé des choses en fonction des acteurs ou des actrices que je trouvais.
02:44 Tout a commencé là, quand mon avion a décollé.
02:46 Non, non, c'est pas une histoire d'avion qui décolle.
02:48 C'est pas une histoire de décollage.
02:49 Comment dire ?
02:50 Ouais, en fait, le début, c'est plutôt ça.
02:52 L'utilisation de la voix off, qui est assez particulière
02:54 et qui a vraiment créé un truc, notamment dans l'hommage espagnol.
02:57 On est dans la tête du personnage
02:59 et il y a une distance par rapport à ce qu'il est en train de vivre.
03:01 Et donc, la voix off n'est pas du tout descriptif par rapport à ce qu'il vit,
03:04 mais elle a un peu soit poétique, soit philosophique, soit enfantine.
03:08 Ça, c'est vraiment quelque chose qui se retrouve dans les 3 films.
03:10 Avec le fait, je dirais, de faire de la BD au cinéma.
03:13 Ce personnage de Xavier, je l'ai conçu un peu immature, je dirais.
03:16 Donc, du coup, je joue avec le fait qu'il est toujours un peu en décalage,
03:20 il est toujours un peu naïf, il est toujours un peu en retard par rapport aux situations qu'il vit.
03:23 Je sais que je m'étais beaucoup inspiré de Goscinny, en fait, dans l'hommage espagnol.
03:26 Sur à la fois Astérix et à la fois le petit Nicolas.
03:29 Avant, on avait un rapport direct aux choses.
03:31 Dans le monde de Martine, on avait des animaux.
03:33 Petit Nicolas, c'est un faux langage d'enfant.
03:35 Et je me suis dit, bah tiens, je vais créer un faux langage de quelqu'un de 25 ans
03:39 qui est un petit peu pas à l'aise et qui est un peu brouillon.
03:42 Donc, j'utilisais ce procédé là pour donner un style, en fait,
03:46 et qui est devenu le style des 3 films.
03:48 Le tournage a duré, je crois que c'est 8 semaines, donc 2 mois.
03:53 C'était assez court.
03:55 Par contre, c'était un des tournages les plus épuisants que j'ai fait.
03:57 J'ai vu récemment des photos de moi le dernier jour du tournage et je fais peur.
04:01 La dernière semaine, je n'ai pas dormi.
04:02 J'ai dormi 2 heures par nuit, je crois.
04:04 Et j'étais dans une espèce d'état un peu de démence.
04:06 C'est à dire que comme justement j'ai inventé le film,
04:09 j'avais très peu écrit le scénario,
04:11 donc le scénario, je le réécrivais tout le temps pendant le tournage.
04:14 Du coup, j'étais vraiment dans un état de...
04:18 bizarre, quoi.
04:19 Alors, oui, il y avait une grande ambiance de fête.
04:22 Ce n'était pas vraiment volontaire.
04:23 C'était que si vous mettez, je crois que c'était entre 10 et 12 personnes
04:27 du même âge, genre 25 ans, qui viennent chacun d'un pays différent,
04:31 assez rapidement, ça part en fête.
04:33 Donc, en plus à Barcelone, en plus, il faisait beau.
04:36 Il y a tout de suite un côté convivial, collectif.
04:40 Et donc, c'était un peu difficile de les arrêter.
04:42 C'était le contraire.
04:43 C'était qu'il y a des fois, il fallait leur dire,
04:45 c'était un peu une colonie de vacances, quoi.
04:47 Il y a eu pas mal de scènes qui sont inspirées de ce qu'on vivait le soir
04:50 quand on est allé au restaurant et qu'ils faisaient tous les cons.
04:53 Le lendemain, bizarrement, on tournait ça, quoi.
04:54 En fait, il s'est passé un peu la même chose que pour le Péril Jeune.
04:57 Ce n'est pas tout de suite qu'on comprend ce qui s'est passé, en fait.
05:00 C'est aussi la sortie internationale.
05:02 On a compris qu'il y avait un truc qui se passait autour de ce film
05:04 qui était un peu surnaturel et c'était bizarre.
05:07 J'ai eu l'impression, ce n'était pas tellement la qualité du film.
05:08 Je trouve, c'était vraiment le fait qu'il tombait au bon moment.
05:11 Il y avait une espèce de concordance avec les gens d'Europe, les jeunes d'Europe.
05:15 Il y avait quelque chose qui faisait que c'était le film qui tombait bien.
05:19 Je crois qu'il est sorti dans une cinquantaine de pays,
05:21 ce qui était énorme à l'époque.
05:23 Et du coup, oui, il a été beaucoup vu ailleurs.
05:25 Et ça m'est arrivé encore cette semaine.
05:27 J'étais à Lille, puis à Bruxelles, à la Commission européenne à Bruxelles,
05:31 où des gens m'arrêtent et me disent
05:33 "c'est à cause de vous que j'ai fait Erasmus,
05:35 qu'il travaille actuellement au Parlement européen".
05:37 Le truc est assez fou à quel point ce film a servi de publicité
05:39 pour que les gens partent en voyage en Erasmus.
05:42 Les deux ans qu'on suivit l'Auberge espagnole,
05:45 beaucoup de gens m'ont demandé "est-ce qu'il y aura une suite ?"
05:46 Et pendant deux ans, j'ai dit non.
05:48 Donc pendant deux ans, j'ai menti.
05:50 C'est deux ou trois ans plus tard, même, où j'ai eu l'idée des Poupées russes.
05:53 Et je me suis dit "tiens, en fait, on pourrait faire se réunir
05:56 les gens de la colocation de Barcelone".
05:58 Et du coup, l'idée des Poupées russes, c'était une façon de retrouver les acteurs.
06:01 En fait, il y a cinq ans, je suis parti vivre à Barcelone.
06:04 J'ai fini mes études d'économie là-bas.
06:06 Voilà, en tout cas, c'est là que j'ai connu tout cela.
06:08 J'ai partagé un appartement avec eux pendant un an.
06:10 C'est ça qui a été assez joyeux.
06:11 À partir du moment où j'ai parlé aux acteurs,
06:13 notamment de faire une suite de l'Auberge espagnole,
06:16 ils étaient ultra enthousiastes.
06:17 C'est comme s'ils attendaient, en fait, que je leur demande,
06:19 ce qui était assez étrange parce que je leur avais dit qu'il n'y aurait pas de suite.
06:21 Kelly Riley était assez en attente,
06:23 Odreto Touat est assez en attente,
06:24 Cécile Dufrance était en attente,
06:26 et Romain Duris aussi, et Kevin Bishop, je n'en parle même pas.
06:29 Et là, quand ils se sont revus à Saint-Pétersbourg,
06:31 c'était super émouvant parce que, mine de rien, c'était trois, quatre ans plus tard.
06:34 Et ils étaient contents de se retrouver, juste d'être ensemble.
06:37 C'était fou.
06:37 J'aimais bien l'idée que ce soit à la frontière de l'Europe.
06:40 L'idée est venue en étant à Saint-Pétersbourg.
06:42 J'ai vu un mariage et je me suis dit, tiens, il pourrait y avoir un mariage ici.
06:45 Donc, j'ai inventé cette histoire entre Kevin Bishop et une Russe.
06:49 William, lui, se marie demain avec une Russe.
06:52 Ce qui était drôle, c'est que dans l'Auberge Espagnole,
06:54 j'avais dit à Kelly Riley, tu craques sur Xavier,
06:57 mais jamais tu lui diras quoi.
06:59 Et donc, du coup, tout ce qu'elle fait,
07:02 quand elle décide de ne pas aller en boîte avec lui,
07:04 c'est parce que les autres y vont et du coup, elle est jalouse,
07:06 notamment de Cécile Dufrance, donc du coup, elle ne veut pas y aller.
07:08 On va sortir cette nuit.
07:10 Ah oui ? Qui va ?
07:11 Isabelle et tout le monde.
07:13 Non, je pense que je vais la laisser.
07:15 Et donc, du coup, c'était drôle que trois, quatre ans plus tard,
07:19 là, on construisait l'histoire entre Xavier et Wendy.
07:23 Non, non, détendez-vous.
07:25 Je suis juste...
07:27 Elle fait quelque chose comme ça.
07:29 J'ai écrit pendant sept mois, je crois, le scénario de Castel Chinois.
07:33 Ça a été plus long, plus difficile.
07:34 En plus, le truc qui a beaucoup changé, c'est que les acteurs, ils avaient changé.
07:37 Moi, quand je tourne l'Auberge Espagnole, Audrey Tautou, elle n'est pas connue.
07:40 Armand Duris, il n'est pas très connu.
07:41 Cécile Dufrance, elle n'est pas connue.
07:43 Kevin Bishop, Kelly Renner, personne n'est connu.
07:45 Dix ans plus tard, c'est des stars, quoi.
07:47 Et donc, ça, ça change.
07:49 Rapprochez-vous.
07:50 Souriez.
07:51 Non, un vrai sourire.
07:52 Il y avait toujours l'entente, il y avait toujours l'envie de travailler ensemble et tout ça,
07:56 mais leur statut a changé.
07:57 Et du coup, c'est plus compliqué à manipuler.
08:01 Et ça, je l'ai ressenti pendant le tournage, où c'était moins facile,
08:04 moins spontané, moins joyeux.
08:06 Puis c'était presque dix ans plus tard, donc c'est aussi pas pareil.
08:09 Les deux premiers marchaient sur des espèces d'impulsion
08:11 et avec un truc de spontanéité.
08:13 Alors, l'Auberge espagnole, c'était vraiment très spontané.
08:16 Les Poupées russes, un peu moins spontanés,
08:18 mais j'ai écrit en deux, trois mois le scénario,
08:19 donc ça a été quand même assez rapide à écrire.
08:21 Et celui-là, alors, il était beaucoup plus compliqué à écrire
08:24 parce que c'était vraiment, c'était vraiment plus comme écrire une série.
08:27 J'étais dans la logique du feuilleton, de qui est devenu Martine,
08:31 qui est devenu Xavier.
08:32 Eh, coucou.
08:34 Eh Martine, j'ai eu ton message pour ta fête, là.
08:36 Oui, alors ?
08:37 Ouais, mais je suis à New York, là, moi.
08:38 Du coup, il y avait quelque chose où la conséquence
08:40 des deux premiers épisodes et des deux premiers films
08:44 était, il fallait imbriquer plus les choses
08:46 et ça demandait vraiment de réfléchir plus.
08:48 C'est d'ailleurs de là qu'est venue l'idée que Xavier retourne avec Martine,
08:52 c'est qu'il fallait boucler un peu un destin intéressant à jouer
08:56 pour Audrey Tautou, pour Romain Duris, pour Cécile Lefrance.
08:59 Là, il y a le côté arche du personnage.
09:01 Ça me fait drôle quand même de te revoir ici.
09:05 J'ai l'impression d'être à Barcelone.
09:07 Ouais.
09:08 Tourner à New York est un bordel absolu
09:10 et j'ai assez mal vécu ça, à vrai dire,
09:12 parce que j'ai vu à quel point,
09:14 quand on tourne en France dans une logique de travail française,
09:17 on a une liberté certainement héritée de la nouvelle vague
09:21 et que quand on est à New York, c'est pas du tout la même histoire.
09:23 C'est à dire qu'il y a ce qu'on appelle les unions, les syndicats,
09:26 les corporations, disons, de techniciens qui sont un frein.
09:30 Et c'est pas un hasard, d'ailleurs, si beaucoup de réalisateurs quittent New York.
09:33 Alors, évidemment, l'ouragan Sandy n'a pas amélioré les choses,
09:36 mais c'était à la toute fin du tournage.
09:37 Je pense que c'était la dernière semaine du tournage.
09:39 Donc, on s'est arrêté pendant deux, trois jours
09:41 parce que la ville était bloquée.
09:42 Il n'y avait plus d'électricité dans Manhattan,
09:44 ce qui est quand même assez ahurissant.
09:45 Pendant trois jours, il n'y a pas d'électricité.
09:46 Mais étrangement, toute la fin du film,
09:49 ce qui concerne un peu les parties avec Benoît Jacot,
09:51 avec la présence du père de Xavier dans Manhattan.
09:53 C'est incroyable que ça a changé par ici, je ne le connais rien.
09:56 Ça nous a permis de tourner autrement.
09:57 C'est à dire qu'en fait, j'ai tourné à la française.
09:59 Les jours qui ont suivi l'ouragan,
10:01 plein de choses que je n'aurais pas pu tourner,
10:03 j'ai pu les tourner parce que la ville était dévastée
10:05 et qu'il n'y avait plus d'autorisation de tournage.
10:07 On pouvait, grosso modo, faire ce qu'on voulait.
10:09 Et au lieu d'avoir 150 personnes dans l'équipe,
10:11 j'avais 10 personnes et une camionnette.
10:13 Donc, je me sentais beaucoup plus à l'aise avec cette façon de filmer.
10:15 Par exemple, le générique de début,
10:17 quand Romain arrive avec ses deux enfants dans les rues de New York.
10:20 Ça s'est filmé ces jours-là.
10:21 J'ai envie de dire merci à l'ouragan Sandy.
10:29 Il y a une chose dont on n'a pas parlé,
10:30 c'est que c'est quand même trois films
10:32 qui sont en relation avec ma vie à moi.
10:35 Moi, je suis parti aux États-Unis,
10:36 donc il y a quelque chose qui correspond à ma vie
10:38 en tant qu'étudiant français qui est parti à l'étranger.
10:41 Ensuite, il y a le fait de...
10:44 J'ai quitté une femme, je suis parti avec une autre femme.
10:46 Donc, il y a des choses qui ressemblent à ça dans les Poupées russes.
10:49 Et puis, il y a la continuation de ça en ayant des enfants
10:52 et en se séparant d'une femme dans un casse-tête chinois.
10:54 Et donc, de parler de qu'est-ce que c'est quand on est un papa
10:57 qui a deux enfants et on vit avec les enfants
11:00 qui sont une semaine chez l'un, une semaine chez l'autre.
11:02 Il y a des vrais rapports avec ma vie,
11:04 même si je ne me sens pas du tout comme Xavier.
11:06 Les enfants qui sont décrits ne sont pas du tout comme mes enfants.
11:08 Mais voilà, il y a une espèce de situation de miroir
11:10 qui est quand même assez particulière avec ces trois films.
11:12 C'est devenu une espèce de jeu avec les titres.
11:14 Il fallait que je trouve une continuité.
11:16 Il y avait quelqu'un qui était en train de tourner un film
11:18 qui s'appelait Casse-tête chinois.
11:19 Donc, on leur a demandé
11:20 "Est-ce que vous ne voulez pas changer de titre ?"
11:21 Et par bonheur, ils étaient...
11:22 "Ah oui, justement, on voulait changer de titre."
11:24 Donc, on les a poussés, disons, à changer de titre.
11:26 Donc, ça, c'était plutôt heureux
11:28 parce que c'était vraiment tourner autour du titre.
11:30 C'est-à-dire que j'avais conçu toute l'histoire.
11:32 Pendant un moment, je pensais tourner en Chine, d'ailleurs,
11:34 puisque dans mon principe, c'était vraiment d'échapper à l'Europe.
11:38 Justement, j'étais au cœur de l'Europe, aux frontières de l'Europe.
11:41 Et puis là, c'était l'idée d'aller plus loin dans le monde.
11:44 Et en fait, je voulais tourner en Chine.
11:45 Puis c'était compliqué de raconter l'histoire que je voulais raconter en Chine.
11:49 Et du coup, on l'a placée à Chinatown.
11:51 Moi, c'était une façon de tourner à New York.
11:53 Et puis de parler justement des échelles différentes.
11:58 On peut trouver la Chine en Amérique
12:01 et de voir que finalement, le reste du monde est un peu partout.
12:04 L'Auberge espagnole, il y a un truc jeté.
12:06 Et du coup, il y a un côté un peu brouillon de ça.
12:09 Et donc, le film, il est bien,
12:11 mais il y a un côté où je n'étais pas complètement fier de ce que j'avais fait.
12:14 Les Poupées russes, c'est plus le fait de retravailler ça
12:17 et de l'approfondir. Et du coup, c'est mieux fait.
12:19 Casse-tête chinois, il y a des parties que j'aime beaucoup,
12:22 mais il y a ce que je raconte sur New York et sur le fait que c'était plus compliqué.
12:25 Donc, je suis moins content du résultat.
12:27 Mais les Poupées russes, en plus, je pense que le discours sur l'amour,
12:31 il est plus intéressant.
12:32 C'est un vrai film sur l'amour.
12:33 Et là, il y a un rapport, je dirais, entre le fond et la forme dans les Poupées russes.
12:36 Donc, c'est peut-être le plus réussi.
12:38 La fierté, c'est que les films résonnent pour les gens.
12:40 Je disais que je n'arrête pas de croiser des gens qui me disent
12:44 que ça a été important pour eux, ce film-là ou ces films-là.
12:48 Il y a une fois, un couple qui m'a arrêté dans la rue.
12:50 Je crois qu'elle était italienne et son mari était suédois.
12:56 Ils avaient un enfant dans une poussette qui avait un ou deux ans.
12:58 Et ils m'ont dit "Cet enfant, c'est à cause de vous".
13:00 Et donc, ils se sont rencontrés en Erasmus.
13:02 Ils ont eu un enfant et ils avaient tous les deux été voir l'Auberge espagnole.
13:05 Ils étaient partis en Erasmus à cause du film.
13:08 Et c'est un peu bizarre quand on entend cette phrase-là.
13:10 C'est-à-dire que, encore aujourd'hui, ça me donne des frissons.
13:14 Je pense que les films, ils sont des photographies d'une époque.
13:16 Donc, du coup, ils ont les problèmes de leur époque.
13:18 Donc, je ne reviens pas là-dessus.
13:20 Là, j'ai parlé récemment avec notamment des filles féministes
13:22 qui parlent des histoires de consentement dans l'Auberge espagnole.
13:25 Il y a le fait qu'une fille dit non, puis du coup, Xavier insiste.
13:30 Et puis, finalement, elle dit oui.
13:31 Non, mais qu'est-ce que vous faites ?
13:33 Je n'ai plus juste envie de toi.
13:35 Cette scène, elle ne serait plus possible à tourner aujourd'hui
13:39 parce que le rapport aux femmes a changé,
13:42 le rapport à l'idée du consentement a changé.
13:44 Mais je ne reviens pas sur ce que c'était à l'époque.
13:46 C'est-à-dire que, justement, c'est descriptif de ce qu'était la drague à cette époque-là,
13:50 qui n'est pas du tout la même chose qu'aujourd'hui.
13:52 Je trouve que c'est intéressant en tant que document,
13:53 justement, en tant que témoignage de la logique d'une époque.
13:56 C'est vrai que dans les trois films, il y a un rapport entre les gens et l'urbanisme, je dirais.
14:01 Clairement, dans "Castle-Head chinois",
14:03 je compare Xavier avec New York, avec les rues de New York.
14:06 Dans l'Auberge espagnole, effectivement,
14:08 je décris quand il arrive dans une ville, il dit voilà, les rues sont inconnues.
14:11 Quand on arrive dans une ville, on voit des rues en perspective,
14:14 des suites de bâtiments vides de sens.
14:16 Tout est inconnu, vierge.
14:17 Elles sont vierges et ensuite, on va les emprunter tous les jours
14:20 et puis du coup, ça va devenir son quotidien, tout ça.
14:22 Enfin, il y a une espèce de contact avec la ville qui se crée.
14:25 Dans Saint-Pétersbourg, il y a effectivement le fait de parler de la rue parfaite, la rue idéale.
14:30 Célia, c'est l'équivalent en femmes de la rue aux dimensions idéales.
14:32 De l'architecture très spéciale de Saint-Pétersbourg,
14:35 parce que ça a été construit beaucoup par des Français et des Italiens, en fait, Saint-Pétersbourg.
14:39 Donc, c'est une ville qui est copiée sur l'Europe de l'Ouest avec une espèce d'idéalisation.
14:43 À chaque fois, dans les trois films, il y a vraiment, je dirais, un discours sur qu'est-ce que c'est une ville
14:48 et pourquoi elle est en rapport avec les habitants de cette ville.
14:51 Moi, c'est ça qui m'intéressait, c'était une façon de décrire qu'est-ce que c'est Barcelone,
14:55 qu'est-ce que c'est Saint-Pétersbourg ou Londres.
14:57 Donc, je l'ai fait à New York, j'ai écrit pendant sept mois, je crois, le scénario de "Castelle Chinois".
15:02 J'ai fait ça à Barcelone, à Saint-Pétersbourg, à Londres aussi, que je connaissais mal comme ville.
15:05 Et puis là, récemment à Athènes, pareil, j'ai passé un an à Athènes pour à la fois écrire,
15:10 puis tourner la série et j'y ai été, je dirais, trois ans avant de tourner
15:14 pour vérifier si c'était bien dans cette ville qu'on allait tourner,
15:17 parce que je connaissais mal Athènes.
15:19 J'ai à chaque fois besoin à la fois de faire beaucoup de photos dans la ville
15:22 pour savoir comment filmer ça, comment photographier ça,
15:25 connaître la lumière de la ville, connaître les couleurs de la ville,
15:27 connaître les matières des bâtiments de la ville.
15:30 Et ensuite, ça influence comment j'écris le scénario
15:33 et qu'est-ce que je raconte sur cette ville et sur les Grecs à Athènes
15:37 ou les Russes à Saint-Pétersbourg.
15:39 Donc, à chaque fois, il y a vraiment un travail de documentation, disons, assez important.
15:43 Je m'étais dit que je ne ferais pas de quatrième film, en fait.
15:45 Donc, je m'étais mis dans cette idée-là, que j'aimais bien que ce soit une trilogie.
15:49 Par contre, parce qu'on me demande souvent, est-ce qu'il y aura une suite aux trois films ?
15:53 Je m'étais dit, en fait, ce qui est sûr, c'est que ça ne parlerait pas de Xavier.
15:57 Ça parlerait de ses enfants.
15:58 Si jamais je faisais une suite, ça serait ça.
16:00 Quand Amazon Prime Vidéo m'a proposé de faire l'adaptation de l'Auberge espagnole,
16:05 je leur ai dit, non, je ne vais pas faire la même chose que l'Auberge espagnole,
16:08 mais je peux faire la suite où je pars avec les enfants
16:11 qui ont le même âge que Xavier dans le premier épisode.
16:13 - Athènes, quoi ? - Ouais.
16:15 Donc, ils ont bien aimé l'idée.
16:17 Et en fait, du coup, moi, je me suis dit, ça, c'est intéressant,
16:19 parce que dans l'histoire du cinéma ou même des séries, des films,
16:24 on utilise les mêmes acteurs sur 30 ans.
16:26 Passé à Salade grecque, je change de génération.
16:30 Et du coup, il y a un truc que je trouve super intéressant
16:32 et qui n'est pas du tout dans l'histoire racontée par Salade grecque.
16:35 C'est juste qu'on a connu les parents à 25 ans
16:38 et qu'on les a vus sortir en boîte, se bourrer la gueule, être étudiants.
16:42 Et que là, on voit les enfants qui se rebellent
16:46 ou qui ont beaucoup de choses à reprocher à leurs parents.
16:48 Et en fait, on a vu les parents avec exactement la même attitude
16:51 vis-à-vis de leurs parents à eux.
16:52 J'ai pas le droit de te demander si t'es un amoureux.
16:56 Ce côté en étage et en cascade,
16:58 c'est ça que je trouvais intéressant dans le projet.
17:01 C'est qu'au lieu de repasser derrière l'Auberge espagnole
17:03 et de refaire le même film, je faisais complètement un autre film
17:06 en posant réellement plusieurs questions.
17:09 Qu'est-ce qui est différent à notre époque par rapport à il y a 20 ans ?
17:11 Qu'est-ce qui est différent dans la jeune génération
17:13 par rapport à la jeune génération d'il y a 20 ans ou d'il y a 30 ans ?
17:16 Ne serait-ce que ces deux questions-là, elles sont intéressantes.
17:18 Je pense qu'on peut tout à fait regarder Salade Grecque
17:21 sans avoir vu les trois films,
17:22 mais très souvent, là, je l'ai vu,
17:24 les gens qui n'ont pas vu les trois films regardent les trois films après coup.
17:27 Et en fait, c'est presque encore plus intéressant dans ce sens-là,
17:29 parce qu'on voit d'où viennent les enfants
17:32 et on voit qui sont leurs parents, c'est quoi leur famille.
17:35 Donc, avec effectivement les histoires de classe sociale,
17:38 on voit que c'est des gens privilégiés, que c'est des gens bourgeois.
17:41 On voit pourquoi ils ont cette espèce d'aisance,
17:44 même s'ils refusent le fait d'être des bourgeois
17:47 et qu'ils sont assez rebelles dans leur attitude.
17:48 Ce qui a changé entre l'Auberge Espagnole et Salade Grecque,
17:52 c'est que le soir, je sortais avec eux.
17:54 J'ai arrêté de sortir avec eux, parce que ça faisait bizarre.
17:57 Donc, je les ai laissés sortir et faire des fêtes entre eux.
18:01 Voilà, parce que j'ai 61 ans et que j'ai pas la même vie qu'eux
18:03 et je pense qu'ils sont plus à l'aise sans moi.
18:05 La grande histoire de Salade Grecque,
18:07 c'est que je travaille avec Lola Doyon, qui est ma femme,
18:09 et avec Antoine Garceau.
18:11 Lola était ma première assistante sur l'Auberge Espagnole
18:14 et Antoine était mon premier assistant sur Castelchenois.
18:16 Et c'est vrai que là, le fait de retravailler avec eux deux,
18:19 il y a quelque chose qui fait qu'on est une sorte de famille,
18:22 au sens très, très large.
18:24 Ils ont connu Cécile de France, Romain Duris à un autre âge.
18:27 Ça fait que les trois films plus cette série,
18:31 c'est une expérience de vie.
18:32 C'est presque plus des tournages.
18:34 C'est des films qui font partie de ma vie.
18:36 C'est ma vie, les films.
18:38 On ne sait plus dans quel sens prendre le truc.
18:41 Terminé !
18:42 Sous-titrage ST' 501
18:44 *Musique*