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Anne Fulda reçoit Avril Bénard pour son livre «À ceux qui ont tout perdu» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 Bienvenue à l'Heure des livres, Avril Bénard.
00:03 Alors, vous avez déjà écrit dans des revues littéraires.
00:06 Vous avez été le modèle, le visage de la grande photographe Sarah Moon.
00:10 Et là, vous publiez votre premier roman qui s'appelle "À ceux qui ont tout perdu".
00:15 C'est paru aux éditions des Instants.
00:17 Et c'est un roman, un très beau livre, très à la maturité, très surprenant pour un premier roman,
00:23 dépouillé, poétique, plein d'émotions,
00:26 et dans lequel on se croise plusieurs destins de façon simultanée.
00:31 Et en fait, on a envie de se dire, quel livre étonnant.
00:35 Comment vous est venue cette idée de ce sujet ?
00:38 C'est-à-dire, vous faites intervenir des gens qui, en une heure, doivent faire leur bagage,
00:44 suite à... Enfin, c'est des civils.
00:47 Donc, le bagage d'une vie.
00:49 C'est ça, le bagage d'une vie.
00:50 Comment vous est venue cette idée ?
00:52 Pour l'éternité du sujet, pour l'horreur aussi de ce sujet.
00:58 Parce qu'apparemment, les humains s'évertiront à faire la guerre pour toujours,
01:04 et la grande sagesse semble bien inatteignable.
01:08 Et donc oui, dans le roman, il y a une guerre,
01:11 des civils ont une heure pour faire leur bagage,
01:15 il y a des soldats qui sont là pour les sauver et les évacuer,
01:18 et qui crient "Dépêchez-vous, dépêchez-vous, n'emportez que le nécessaire".
01:21 Et donc ces personnages sont confrontés à une heure avant l'Exode,
01:27 dans cette urgence-là, et de résumer une vie, de faire des choix, de se souvenir.
01:32 Et j'ai voulu parler de ça, là ça résonne d'une façon très épidermique,
01:39 avec l'Ukraine d'une façon très actuelle.
01:43 Il y a l'Ukraine, il y a les...
01:45 Il y a toujours une guerre.
01:46 Il y a toujours une guerre, et il y aura probablement toujours une guerre.
01:49 Et alors, ce qui est très intéressant, c'est que toutes ces personnalités,
01:54 toutes ces personnes qui habitent dans un même immeuble,
01:57 ont tous obligatoirement des réactions différentes.
02:00 Alors on pense à prendre le nécessaire, les choses matérielles,
02:03 et puis le plus difficile, c'est les choses qui ne sont pas matérielles, affectives.
02:07 C'est une photo, un jouet, c'est le tri d'une vie qui apparaît.
02:12 En fait, on a les choses utiles, mais on a tous des choses qui sont sentimentales.
02:18 Les choses sont des symboles, des symboles de moments,
02:22 de moments précieux, d'êtres qui ont compté, qui ne sont plus là.
02:26 Parfois c'est même des symboles de moments qui étaient douloureux,
02:29 mais on a besoin aussi de s'en souvenir.
02:31 Parfois c'est même très moche, mais on a besoin de le garder,
02:33 parce que cet objet compte.
02:35 Et donc, là, les personnages sont confrontés à ce choix-là,
02:41 et ils vont tous réagir d'une manière différente,
02:44 mais parce qu'ils sont tous très différents.
02:46 Il y en a qui vont décider de ne rien prendre.
02:48 Il y a une petite fille qui va décider,
02:51 enfin qui a l'envie de prendre un fauteuil avec la démesure de l'enfance.
02:55 Et il y a un personnage que j'aime énormément,
02:59 qui fait l'objet d'un chapitre, qui s'appelle Marek.
03:02 - Ouais, Marek, qui est l'exilé.
03:04 - Qui est un exilé. Donc lui, il a vécu l'exil.
03:08 - Il a l'habitude, il sait ce que c'est, l'exil.
03:11 - Oui, il est polonais. Et lui, il vit dans un tout petit appartement,
03:16 très, très modeste, un peu rien, mais c'est son royaume.
03:21 Les murs sont roses, le canapé est rouge, il y a des tapis,
03:24 tout est un peu délabré, mais c'est son endroit de liberté, en fait.
03:27 C'est son endroit, oui, de règne.
03:32 Et surtout, dans cet endroit, il a des livres.
03:36 Et c'est des livres en français.
03:39 L'histoire se passe vraisemblablement en France.
03:42 Et ça raconte aussi l'importance de la langue conquise,
03:45 quand on arrive dans un pays étranger,
03:48 et de la liberté que ça donne de comprendre dans quel monde on a atterri.
03:54 Et il ne veut pas partir, lui. Il veut rester.
03:57 Il y a des soldats qui vont monter et qui veulent le sauver,
04:01 mais avec la violence aussi du sauvetage.
04:04 Et lui, il dit "je n'ai pas de femme, pas d'enfant,
04:07 qu'est-ce que j'aurai à sauver ?" Il déclame un poème,
04:10 et il ne veut pas s'en aller.
04:12 Et je dis, il a le visage irracontable
04:16 de ceux qui viennent de refuser un secours.
04:19 Et ça n'est pas le héros du livre, mais c'est le héros.
04:23 Mais c'est un peu la morale, celui qui porte d'une certaine façon une forme de morale.
04:27 Oui, d'ailleurs, il est dans la clôture du livre.
04:33 Jamais à penser d'ailleurs qu'on le referme, peut-être, en espérant être marrec.
04:38 Et sûrement qu'on ne le serait pas, parce que ça demanderait un énorme courage et un peu de folie.
04:42 Et puis juste pour finir, il y a aussi cette espèce de morale,
04:46 c'est-à-dire qu'il faut peut-être vivre un peu comme si demain tout pouvait basculer,
04:50 demain on pouvait être contraint justement de faire ses bagages en une heure,
04:54 de choisir l'essentiel et peut-être d'avoir toujours ça en tête.
04:57 Oui, on l'oublie beaucoup.
04:59 Je pense aussi que cette terrible guerre en Ukraine, parce qu'elle est très voisine,
05:04 parce qu'elle est en Europe et qu'on avait espéré avoir tiré des leçons,
05:08 elle nous ramène à notre candeur aussi.
05:11 Et qu'on a oublié ça, que ça peut nous arriver à nous aussi demain.
05:15 En tout cas, je vous conseille vraiment ce livre à ceux qui ont tout perdu.
05:19 C'est un très joli livre. Merci beaucoup, Avril Bénard, d'être venue nous en parler,
05:23 un premier roman, et c'est donc publié aux éditions Des Instants. Merci.
05:27 Merci beaucoup.
05:29 (Musique)
05:33 [SILENCE]