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Anne Fulda reçoit Alice Develey pour son livre «Tombée du ciel» dans #HDLivres

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Transcription
00:00Bienvenue à l'Heure des Livres, Alice Develet.
00:03Bonjour.
00:04Bonjour.
00:05Alors, on vous connaît comme journaliste, comme critique littéraire, et vous publiez là votre premier roman.
00:11Un roman qui s'appelle Tomber du ciel, qui est paru aux éditions d'Iconoclast.
00:14Vous écrivez une fiction composée avec les débris de mes souvenirs.
00:19En tout cas, c'est un livre coup de poing avec une écriture très belle, très pure, qui sonne juste.
00:25Merci.
00:26Alors, je vais me tuer.
00:29Voilà, c'est dit.
00:30J'ai 14 ans et je vais mourir.
00:31Ce n'est pas grave, il faut mourir.
00:32C'est normal.
00:33C'est Alice qui parle.
00:34Alice qui a donc 14 ans, qui pèse 36 kilos et qui se retrouve hospitalisée dans un service pédiatrique pour troubles alimentaires.
00:43Elle se retrouve dans une chambre aquarium.
00:46C'est un voyage assez terrifiant pour elle.
00:48Vous décrivez très bien l'hôpital, l'univers de l'hôpital, ses bruits métalliques ou assourdis.
00:55Et pourquoi ?
00:56Puisque Alice, on comprend, vous le dites, c'est un peu beaucoup vous.
01:00Pourquoi êtes-vous décidée à écrire aujourd'hui sur cette Alice-là ?
01:04C'est une bonne question.
01:06En fait, parce que les mots m'attaquaient.
01:09Pendant 16 ans, j'ai tout fait pour oublier cette histoire.
01:12Mais le passé ne passait pas.
01:14J'avais entendu dire que l'écriture pouvait aider, voire sauver.
01:17Alors, je m'étais dit super, moi aussi, je vais essayer.
01:20Mais ça n'a pas marché.
01:21Peut-être parce que j'étais encore trop dedans et qu'on n'écrit jamais vraiment sur la souffrance,
01:26mais sur son souvenir.
01:28Et puis, j'ai lu, j'ai beaucoup lu.
01:30Et un jour, je suis tombée sur une phrase de Sylvia Plath, une poétesse américaine que j'aime beaucoup,
01:35et qui a écrit « La poésie ne sauve de rien, mais il y a la poésie ».
01:39Et je ne pense pas différemment de la littérature.
01:42J'ai compris que la littérature pouvait m'ouvrir à des champs, que ça allait me libérer.
01:47C'est un espace de liberté par rapport au témoignage qui arrive dans un présent perpétuel, qui enferme presque.
01:53Donc, j'avais besoin d'une fiction.
01:54Je n'ai pas écrit un témoignage, d'ailleurs.
01:55Je n'écris pas sur moi.
01:56Oui, ce n'est pas un témoignage.
01:57Mais j'écris à partir de moi.
01:58Et je tenais vraiment à dire ça parce que c'est presque bête de le dire,
02:04mais à travers ce livre, je suis un peu une foule.
02:07Je suis une foule de patientes, des familles, des gens qui ne comprennent pas
02:11ce qui leur arrive du jour au lendemain, des parents pris au dépourvu,
02:15et qui essaient de comprendre ce qui se passe à l'intérieur de l'hôpital.
02:17Parce que l'hôpital, vous le disiez tout à l'heure, je le décris avec les sons métalliques.
02:22Je le décris aussi avec le silence.
02:24C'est très difficile de trouver sa place.
02:26C'est une dépossession du langage.
02:28En fait, on ne nous explique rien.
02:29On ne sait pas vraiment où on est.
02:31On a autant de droits qu'une chaise, surtout quand on est mineur.
02:33Donc, moi, je voulais essayer de redonner une parole.
02:36Je voulais me réapproprier une parole qu'on m'avait volée.
02:38Oui, parce qu'Alice, ce que vous décrivez, elle ne comprend pas pourquoi elle se retrouve là.
02:43Bon, objectivement, quand on regarde, elle se nourrit de 2-3 pommes par jour.
02:48Elle est vraiment sur le fil.
02:51Donc, on peut comprendre.
02:52Mais ce qu'elle ne comprend pas surtout aussi, c'est cette violence à laquelle elle est confrontée
02:56dans les soins, dans les médicaments qu'on lui administre.
02:59Des médicaments extrêmement forts qui ne correspondent pas obligatoirement à la pathologie qu'elle a.
03:05Vous décrivez aussi un moment la manière dont on lui insère une sonde,
03:10qui est une scène assez violente.
03:14Donc, comment elle fait, Alice, dans ce monde ?
03:16Elle arrive, c'est encore entre le monde des adultes et de l'enfance.
03:20Oui.
03:21Et c'est une découverte pour elle, cette violence, cette dureté ?
03:24C'est un rapte, d'ailleurs, de la liberté.
03:27C'est un rapte de l'enfance, de l'adolescence, de l'âge adulte.
03:30Parce que c'est cet âge, si on s'en souvient, quand on a 13, 14, 15, 16 ans,
03:34c'est un peu l'âge où on fait nos premières découvertes.
03:36On est dehors tout le temps, on vit.
03:39Et moi, on m'enlève ça.
03:41C'est un espace très clos, c'est un huis clos.
03:44Elle va essayer, Alice, de trouver des espaces de liberté,
03:48grâce à d'autres patientes aussi, qui vont lui donner parfois des magazines,
03:51qui vont lui parler.
03:53Mais dans cet espace-là, vous l'avez dit, le service hospitalier est assez violent,
03:59dans la mesure où il donne à Alice, en l'occurrence, des médicaments
04:04qui ne sont pas forcément les bons.
04:06J'aimerais qu'on s'arrête juste un instant sur le fait qu'on a mis en place,
04:11souvent pour les anorexiques, ce qu'on appelle les contrats de poids.
04:14C'est-à-dire que vous arrivez avec un tel poids, et on vous dit,
04:17si vous prenez un kilo, on vous donne quelque chose.
04:19Par exemple, vous prenez un kilo, on vous rend votre téléphone portable.
04:22Vous prenez un autre kilo, on vous rend la possibilité de voir vos amis.
04:25Vous prenez un autre kilo, vous voyez votre famille.
04:27Vous prenez un autre kilo, vous avez le droit à une permission d'une heure.
04:30En fait, c'est du chantage, c'est un peu le bâton et la carotte.
04:33Quand on est un peu têtu, disons, ça ne marche pas très bien.
04:36J'avais regardé les chiffres, juste pour voir à peu près
04:39dans combien de pourcentages ça marchait.
04:41C'est du 50-50.
04:43Ça veut dire qu'il y a 50% des filles qui s'en sortent,
04:45mais 50% qui n'y s'en sortent pas.
04:47Je me demande ce que deviennent ces gens-là.
04:48Dans le livre, on va terminer là-dessus.
04:50Alice évoque sa mère, ses relations avec sa mère qui sont compliquées.
04:55Elle est comme empêchée pour exprimer son amour.
04:58Juste une dernière question rapidement.
05:01À l'arrivée, qu'est-ce qui fait que chez Alice,
05:05l'envie de vivre l'a emporté sur cette autodestruction programmée ?
05:10J'avais écrit ce livre aussi pour une raison.
05:12J'avais besoin d'un roman pour aimer ma mère.
05:15Dans ce livre, la mère a un rôle important.
05:18C'est grâce à elle, dans cette fiction, qu'Alice s'en sort.
05:23C'est l'amour.
05:25Il y a toute l'histoire d'un cahier.
05:27Il y a de l'écriture.
05:28Comment l'écriture aide ou pas à s'en sortir,
05:30à se libérer d'un espace clos.
05:32Mais la mère, l'amour, je crois vraiment en ça.
05:35C'est peut-être un cliché de le dire, mais l'amour aide.
05:38En tout cas, vraiment, c'est un très beau livre,
05:41une très belle écriture.
05:42Ça s'appelle Tomber du ciel.
05:43C'est aux éditions de l'Iconoclast.
05:45Merci beaucoup, Alice Develay.
05:46Merci Anne Fulda.

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