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Chroniqueur : Maya Lauqué


L'écrivain et académicien Érik Orsenna publie « Histoire d'un ogre » chez Gallimard. Dans ce conte-réalité, il attaque férocement un homme réel, qu'il compare à un ogre sans littéralement le nommé dans le livre : l'homme d'affaire français milliardaire, Vincent Bolloré.

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Transcription
00:00 Bonjour Eric Orsenna.
00:01 Bonjour madame.
00:02 Merci d'être avec nous ce matin.
00:03 C'est l'histoire d'un ogre que vous attaquez avec férocité, sans jamais le nommer.
00:07 Il est le breton blondiné, le vieux jeune homme ou encore le nécrophage qui attaque…
00:12 Non, non, non, non, non, c'est pas lui directement le nécrophage.
00:14 Ah.
00:15 Non, c'est-à-dire c'est toutes les petites officines à côté.
00:18 D'accord.
00:19 Mais lui, je ne l'ai jamais attaqué à ce point-là.
00:20 D'accord, alors très bien.
00:21 Je ne l'ai jamais attaqué à ce point-là.
00:22 Mais c'est un ogre.
00:23 Un ogre.
00:24 C'est vrai que c'est un ogre.
00:25 Et ce personnage… Mais c'est d'abord quelqu'un qui a été un formidable entrepreneur.
00:29 On va y venir.
00:30 Cet homme et cet ogre, c'est Vincent Bolloré, homme d'affaires, milliardaire, propriétaire
00:33 de nombreux médias.
00:34 Pourquoi ne le citez-vous jamais dans le livre ? Parce que j'ai voulu faire un conte,
00:38 c'est-à-dire quelque chose qui traite évidemment de Vincent Bolloré, mais pas seulement.
00:44 Ça pourrait être Murdoch, ça pourrait être Elon Musk, ça pourrait être d'autres,
00:49 vous voyez, c'est-à-dire que c'est pas seulement lui.
00:51 Et l'avantage d'un conte, c'est que vous êtes un peu en dehors de la réalité.
00:55 Et en même temps, vous pouvez éclairer, si vous réussissez votre affaire, plutôt
00:59 bien la réalité.
01:00 Vous expliquez quand même dès le début de ce conte que vous êtes assisté du meilleur
01:03 avocat de Paris.
01:04 Est-ce que c'est une manière de vous protéger, d'avertissement ?
01:08 Alors d'abord, je vous remercie de me remercier, c'est-à-dire de m'inviter.
01:14 Oui.
01:15 Car c'est du courage.
01:17 Car il y a un certain nombre de médias qui refusent, notamment RTL qui me dit que mon
01:23 petite histoire n'est pas assez littéraire.
01:25 Donc pourquoi pas, mais ça m'amuse.
01:28 Donc merci le service public.
01:29 Merci la diversité que représente le service public.
01:32 Alors, vous venez de le dire, vous n'avez pas toujours pensé du mal de Vincent Bolloré.
01:36 Pas du tout.
01:37 Vous lui avez même écrit un texte pour la charte de son groupe, c'était en 2009, je crois.
01:41 Vous étiez plutôt élogieux à cette époque-là.
01:43 Oui, parce que c'était ces entreprises patrimoniales qui ont réussi à faire vivre des grandes
01:51 entreprises de famille, comme la Radial de Gattaz, comme Thuan à Saint-Étienne, du
01:57 côté, etc.
01:58 Donc moi, j'ai une grande admiration, parce qu'autrement ça peut décliner et décliner.
02:01 Et lui, il a sauvé l'entreprise familiale.
02:03 Donc à quel moment vous décidez de critiquer ce que vous avez adoré ?
02:08 Ce qui se passe un petit peu avec Vive Indie.
02:13 Pourquoi est-ce qu'il veut prendre le contrôle de Vive Indie ?
02:16 Parce que dans Vive Indie, il y a déjà des médias.
02:19 Donc un âle.
02:20 Ce n'est pas le premier milliardaire qui s'intéresse aux médias et à l'édition.
02:23 On peut citer Xavier Niel, on peut citer François Pinault, Bernard Arnault, dont LVMH est je crois
02:27 au capital de Madrigal, qui est la maison de maire de votre éditeur Guy Limar.
02:31 Pourquoi Vincent Bolloré attire-t-il particulièrement votre colère ?
02:35 Parce qu'il y a une volonté de domination.
02:40 Quand Bernard Arnault appuie Guy Limar, il est au capital à 9,7% seulement.
02:47 Il ne veut pas prendre 51 ou avec un système financier, prendre le contrôle.
02:52 Premièrement.
02:54 Deuxièmement, il y a des milliardaires qui n'interviennent pas.
02:57 On voit Bernard Arnault qui a évidemment une influence sur les échos, mais il n'intervient pas directement.
03:03 Il n'interdit pas des reportages.
03:06 Et quand Marc Ladret de La Charière, autre milliardaire, intervient dans le monde des arts,
03:12 c'est pour ouvrir, c'est pour permettre, comme François Pinault avec sa bourse du commerce.
03:17 Mais là, il y a une sorte, me semble-t-il, c'est une opinion dont on peut être contre bien sûr,
03:22 mais une sorte de vision un peu idéologique, comme avait Berlusconi.
03:27 C'est-à-dire Berlusconi prend le contrôle d'une télévision et après il prendra le pouvoir au litigé.
03:32 – Vous n'avez pas envie de débriefer Vincent Bolloré, c'est Berlusconi pour vous ?
03:34 – Non, non, bien sûr que non, mais alerte, moi si vous voulez, j'aime les entreprises.
03:39 Sans les entreprises, on ne peut rien distribuer.
03:41 Donc je salue les entreprises.
03:43 Simplement, il faut qu'il y ait toujours, dans une société de liberté,
03:47 il faut toujours qu'il y ait un contre-pouvoir au pouvoir.
03:50 – Votre livre est donc édité chez Gallimard,
03:52 ça veut dire que concrètement vous n'auriez pas pu l'écrire chez Stock ou Fayard, vos anciennes maisons ?
03:56 – Alors, sans doute oui, sans doute oui.
03:58 Mais est-ce que je n'aurais pas été une caution pour après verrouiller un petit peu, voyez ?
04:02 C'est-à-dire, c'est cette question-là.
04:04 Ce qui m'intéresse dans notre pays, c'est que nous sommes dans un autre monde
04:10 où la finance prend de plus en plus le pouvoir
04:13 et où la technique prend de plus en plus le pouvoir avec les réseaux.
04:16 Comment est-ce qu'on va faire pour garder un équilibre ?
04:18 – Mais pour revenir à l'édition, est-ce qu'aujourd'hui on peut écrire ce que l'on veut encore ?
04:22 Je vais citer par exemple Guillaume Meurice qui a changé d'éditeur
04:24 pour pouvoir publier un livre dans lequel il est corné Vincent Bolloré.
04:27 Le groupe Editis qui appartient à Vincent Bolloré voulait lui faire changer des passages,
04:31 ce que l'auteur a refusé, ce qu'il a indiqué.
04:33 Donc je vous repose cette question-là,
04:34 est-ce que ça veut dire qu'aujourd'hui on ne peut pas écrire et on ne peut pas dire ce que l'on veut ?
04:37 – Pour l'instant on peut, il y a quelques exemples, dont Guillaume Meurice,
04:40 il y en a d'autres aussi avec un documentaire chez Canal+
04:43 donc on va voir ce qu'elle va donner.
04:45 Alerte, mon rôle à moi c'est d'alerter.
04:47 – Mais alerte ça veut dire potentiel danger pour vous,
04:49 Vincent Bolloré est un potentiel danger ?
04:51 – Tout pouvoir sans contre-pouvoir suffisant est un potentiel danger.
04:57 Parce que tout pouvoir, on voudrait bien tant à dépasser son pouvoir.
05:01 Donc moi je suis pour l'équilibre des pouvoirs,
05:04 je ne suis pas du tout pour qu'il n'y ait pas d'entreprise,
05:06 qu'il n'y ait pas de réussite, qu'il n'y ait pas d'argent gagné, pas du tout.
05:09 – Et donc quel contre-pouvoir ?
05:10 – Justement j'y travaille avec des juristes parce que ce qui est très frappant
05:14 c'est que c'est pire que la peur, c'est l'autocensure.
05:19 On n'ose pas dire que peut-être il y a un danger.
05:23 Et que depuis les innombrables messages que je reçois,
05:26 je vois toujours le même mot "quel courage"
05:28 ce qui est quand même incroyable dans notre société,
05:30 avoir le courage et comme vous de me recevoir.
05:32 – Donc vous travaillez sur ce sujet-là.
05:33 Je vais profiter juste quelques secondes de votre présence
05:36 pour évoquer un autre sujet sur lequel vous travaillez,
05:38 qui n'a rien à voir avec ce livre, c'est le lexique sur la fin de vie.
05:42 Le gouvernement vous a chargé de le rédiger avec 11 autres personnes,
05:46 avec des gens de divers profils.
05:49 Est-ce que les conclusions seront rendues rapidement ?
05:51 – Alors les conclusions seront rendues quand nous aurons travaillé à chemin.
05:56 – Elles étaient attendues là, ces gens-ci.
05:58 – Oui mais elles sont attendues peut-être, évidemment elles sont attendues
06:02 parce que comme disait Camus, vous savez, mal nommer ajoute au malheur des choses.
06:07 Et quand on est en plein malheur de décès, il faut faire attention aux mots.
06:11 Donc il y a des mots qui sont assez insupportables,
06:13 donc il y a des mots qu'on va proposer, qui sont des mots plutôt d'accompagnement,
06:17 plutôt des mots d'humilité, des mots plutôt de fraternité,
06:22 plutôt qu'assainer des mots genre euthanasie.
06:26 – Euthanasie, ce n'est pas la première mission que vous menez pour le gouvernement,
06:29 vous êtes un proche d'Emmanuel Macron, vous lui parlez directement,
06:31 vous l'aviez alerté lors des Gilets jaunes.
06:33 On est en plein conflit sur la réforme des retraites,
06:35 s'il était en face de vous le Président de la République, vous lui diriez quoi ?
06:38 – Je lui dirais qu'une réforme, ça sert quand on a un projet de société.
06:45 On ne voit pas le projet de société.
06:47 Quelle société voulons-nous ? Quelle société égalitaire ?
06:50 Je suis frappé de voir les inégalités qui progressent,
06:54 et cette classe moyenne qui est le socle d'une société équilibrée,
06:58 cette classe moyenne est en train d'être érodée
07:01 par des gens toujours plus riches et des gens toujours plus pauvres.
07:04 Eh bien ça, ce n'est pas bon pour la liberté et pour la civilisation.
07:08 – Merci beaucoup Éric Orsenat d'être venu ce matin.
07:10 Je rappelle "Histoire de Nogres" aux éditions Gallimard.

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