Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire économique de l’Institut français de la mode, répond aux questions d'Alexandre Le Mer. Ensemble, ils reviennent sur les difficultés des enseignes de prêt-à-porter qui sont frappés par l'inflation après la crise sanitaire.
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00:00 Ça se passe mal pour les marques françaises de prêt-à-porter. Le secteur français de l'habillement est secoué par une crise profonde.
00:05 L'une après l'autre, de nombreuses chaînes françaises de vêtements se retrouvent en difficulté, en particulier dans l'entrée de gamme.
00:12 Explication du phénomène avec votre invité Alexandre Gildamainviel. Il est le directeur de l'observatoire économique de l'Institut français de la mode.
00:19 Bonjour Gildamainviel.
00:21 Bonjour.
00:22 On ne peut évidemment plus parler d'accidents industriels isolés.
00:25 Lorsqu'on a autant de marques d'un coup qui se retrouvent en difficulté dans le sillage de Camailleux à la fin de l'année dernière,
00:31 la liste s'allonge. Alors on ne peut pas être difficile d'être exhaustif. Malheureusement Kouka, Iberton,
00:35 Pimki, je pense aussi aux chaussures André et Sandmarina, Gosport. Que se passe-t-il dans le prêt-à-porter Gildamainviel ?
00:42 Eh bien je pense que l'explication n'est pas unique. Il y a
00:47 énormément d'explications qui se conjuguent pour expliquer ce phénomène.
00:52 Il y a les fondamentaux de l'économie qui ne sont pas positifs.
00:57 Ça concerne tout le monde.
00:59 Oui, ça concerne tout le monde. Depuis 2007, on a la crise des subprimes, le pouvoir d'achat qui est stable.
01:06 On a aussi, et ça c'est très important, les éléments aggravants avec le Covid.
01:11 Le marché a reculé de 15 % en 2020. Vous avez l'inflation en 2022 et cette inflation a touché particulièrement notre secteur.
01:19 Pas forcément l'effet direct avec la hausse des prix des vêtements qui, somme toute, est restée relativement mesurée.
01:25 Mais les ménages, pour certains d'entre eux, ont préféré changer leurs arbitrages de consommation et pour faire face
01:31 aux hausses de prix dans l'alimentaire, dans l'énergie, eh bien
01:34 la mode fait partie, quelquefois, des variables d'ajustement et on renonce à ces achats de mode. Donc ça c'est effectivement des fondamentaux
01:42 qui touchent tout le monde. Vous avez parlé de
01:45 l'entrée de gamme. Je serais peut-être plus précis, si vous permettez, c'est plutôt le milieu de gamme.
01:50 Oui, parce que
01:52 l'entrée de gamme, les petits prix, les premiers prix sont en phase avec des consommateurs qui ont besoin de premiers prix dans un contexte
02:00 où les classes moyennes ont été malmenées.
02:02 Ce que je vois de commun à toutes ces enseignes qui ont des difficultés, c'est d'abord que ce sont des
02:06 enseignes qui sont très souvent historiques, qui sont présentes sur le marché français
02:11 depuis longtemps maintenant et c'est difficile dans notre secteur de rester pérenne et d'avoir une image forte
02:16 durant des décennies, même si ça arrive pour les grands poids lourds comme Zara et H&M,
02:21 mais c'est difficile pour ces acteurs du milieu de gamme et les acteurs français, parce que le milieu de gamme c'est un
02:28 sous-segment du marché très important. Pour le marché féminin c'est très important, vous savez que la consommation des femmes c'est la moitié du marché.
02:37 Il y a beaucoup d'acteurs, donc une forte concurrence et c'est difficile pour les enseignes historiques
02:42 parce que la caractéristique c'est qu'il faut justement
02:45 être meilleur que les autres. Le marché ne porte plus tout le monde de la même façon comme dans les années
02:50 90, début des années 2000. Il faut être meilleur que les autres. - Justement Gilles Damainviel,
02:55 qu'est ce qui se passe avec, si on parle du segment du milieu de gamme, ces marques n'ont pas su se réinventer, n'ont pas su rester
03:03 "désirables", est-ce qu'il y a un phénomène de ringardisation dans ce segment justement du prêt-à-porter ?
03:08 - Alors c'est un peu fort, ringardisation, je me permettrais pas de leur jeter la pierre comme ça. - C'est volontaire, mais je vous veux aider.
03:15 - J'ai bien compris, j'ai bien compris.
03:17 Je crois qu'en fait il y a un moment, et vous voulez dans les années 2000, je dirais peut-être jusqu'au tournant de 2015,
03:24 beaucoup de ces enseignes, et la plupart des enseignes d'ailleurs, ont ouvert des magasins
03:29 dans un contexte où on commençait déjà à voir que le marché n'était plus porteur.
03:34 On a ouvert des magasins pour faire face à des reculs ou des stabilisations du chiffre d'affaires, et je pense que ça c'était une erreur,
03:41 à un moment où peut-être qu'il fallait mettre davantage l'accent sur le e-commerce,
03:44 les ventes sur internet, qui se sont fortement développées et qui aujourd'hui sont pas loin de représenter 20% de la consommation.
03:51 - Alors elles se sont développées, Gilles Damainviel, mais on dit effectivement la crise de Covid a amplifié le règne de la vente en ligne,
03:57 mais il y a des études qui ont montré la résistance des magasins physiques, et on en a parlé sur Europe 1 après la crise sanitaire,
04:02 on a vu cette envie des consommateurs de retrouver le plaisir du shopping.
04:06 - C'est vrai, on se désintéresse pas à la mode, donc la raison qui explique ces difficultés, c'est pas parce que les consommateurs se désintéressent à la mode,
04:16 c'est parce qu'il y a une offre trop importante,
04:18 et même si effectivement vous avez tout à fait raison,
04:22 la plupart des ventes se font en magasin, et les consommateurs sont assez attachés, notamment les hommes, au magasin,
04:30 il y a sans doute trop de points de vente, et il y a eu des grosses cylindrées, si je peux me permettre, qui sont arrivées dans les années 90,
04:37 on connaît tous les Arai H&M, plus récemment on parle de Shihin, qui ne vend que sur internet, qui a cassé complètement les prix,
04:44 et qui a déstabilisé le marché.
04:47 Je crois qu'il faut aussi comprendre que le marché a changé dans le sens où les consommateurs, nous les consommateurs, on consomme autrement,
04:56 on parle parfois du moins mais mieux, c'est-à-dire qu'on attend de la mode des valeurs,
05:00 on veut davantage d'éco-responsabilité, on veut respecter les conditions sociales de production, respecter l'environnement,
05:07 et ça c'est un point très important, et je pense que ça c'est la mode de demain.
05:11 - Ce qu'on a longtemps appelé la frippe et qu'on appelle plus souvent aujourd'hui la seconde main, ça fait du mal aussi à ce type d'enseigne, Gilles Lamainviel.
05:19 - Absolument, le marché de la seconde main, l'Institut français de la mode a travaillé sur ce sujet,
05:23 ça représente 6 milliards d'euros, donc c'est considérable, et en effet,
05:28 tout ça, ça va dans le sens d'un nouveau mode de consommation qui n'est pas favorable aux acteurs historiques,
05:33 et qui ont des business models, comme on dit, qui sont sans doute plus adaptés à ce qu'on a vu dans la croissance des années 90,
05:40 début des années 2000. Aujourd'hui, tout ça, c'est derrière nous, et il faut inventer une mode différente,
05:47 et j'emploie souvent la comparaison avec le secteur alimentaire qui a fait sa révolution,
05:53 avec des produits plus qualitatifs, on connaît la transparence, la provenance des produits, la traçabilité, absolument,
06:02 je pense que tout ça, c'est en train de se produire, il ne faut pas croire que la mode est complètement ringardisée,
06:08 mais ça se produit, et je pense qu'il faut mettre l'accent davantage sur ces éléments-là,
06:13 si on veut demain satisfaire le consommateur dans un marché extrêmement concurrentiel et difficile, il faut bien le reconnaître.
06:19 Il faut bien le reconnaître, en effet, le secteur du prêt-à-porter est en train de faire sa mutation,
06:24 vous nous le dites ce matin sur Europe 1, merci, Gilles Damainviel,
06:27 directeur de l'Observatoire économique de l'Institut français de la mode, merci à vous.