• l’année dernière
Officiellement créé le 26 décembre 1945 par la France pour ses colonies, le Franc CFA est encore la monnaie de plus de 180 millions d’Africains.   


Alors cette monnaie est-elle le symbole de relents d’une colonisation passée ?
Va-t-elle disparaître pour être remplacé par l’Eco comme cela est prévu officiellement ?
Est-elle un frein au développement de l’A0frique ?
Les avis divergent et Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.




Invités


Victorin Lurel : Sénateur socialiste de la Guadeloupe
Nicolas Normand : Ancien ambassadeur de France – Auteur de « Le Grand livre de l’Afrique »
Bruno Cabrillac : Directeur général adjoint des études et des relations internationales - Banque de France
Amzat Boukari-Yabara : Historien – auteur de « Africa Unite, une histoire du Panafricanisme » 


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Transcription
00:00 Une histoire du franc CF1, film signé Cathy Lennah-India et documentaire qui porte une thèse assez claire,
00:06 celle d'une monnaie qui serait le symbole d'une décolonisation
00:09 pas complètement achevée et donc d'une domination pas complètement terminée.
00:14 Tout le monde n'est peut-être pas d'accord avec cela, parlons-en tranquillement avec nos invités.
00:18 Victorin Lurel, bienvenue. Vous êtes sénateur socialiste de la Guadeloupe,
00:22 vous êtes le co-auteur avec la sénatrice Nathalie Goulet d'un rapport d'information sur la zone franc
00:27 fait au nom de la commission des finances du sénat.
00:30 Nicolas Normand, bienvenue à vous également.
00:32 Vous êtes ancien ambassadeur de France au Mali, en République du Congo et au Sénégal
00:35 et vous êtes l'auteur aux éditions et rôles du grand livre de l'Afrique réédité en juin dernier.
00:41 Bruno Cabriac, bienvenue à vous également.
00:43 Vous êtes directeur général adjoint des études et des relations internationales à la Banque de France,
00:47 ancien chef du service de la zone franc et du financement du développement,
00:50 ancien conseiller financier pour l'Afrique à la direction générale du Trésor.
00:54 Hamzat Boukhari Yabara, bienvenue à vous également.
00:57 Vous êtes historien et auteur notamment de "Afrique Unite",
01:00 une histoire du panafricanisme publiée aux éditions La Découverte.
01:04 Merci à tous les quatre d'être ici.
01:06 Avant de réagir à la thèse du documentaire et pour que les bases soient très claires,
01:10 je voudrais que l'on regarde une carte avec les pays qui utilisent aujourd'hui le franc CFA.
01:15 Vous allez me dire si elle est juste d'ailleurs.
01:17 Une quinzaine de pays au total allant du Sénégal à la République du Congo,
01:21 en passant par la Côte d'Ivoire, le Bénin, le Cameroun, le Gabon,
01:24 sans oublier, car on oublie parfois les Comores,
01:27 des États qui sont soit membres de l'Union économique et monétaire ouest africaine,
01:31 soit de la communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale.
01:35 Est-ce que c'est bien ça Bruno Cabriac ?
01:36 Est-ce que, je ne dis pas d'erreur, est-ce qu'on peut faire une petite minute de pédagogie
01:40 pour que tout soit clair pour nos téléspectateurs ?
01:42 Eh bien c'est vrai que ces pays utilisent des monnaies qui sont reliées à la France
01:48 par une convention monétaire, mais ce ne sont pas des pays qui utilisent le franc CFA,
01:53 ce sont des pays qui utilisent les francs CFA et le franc comorien.
01:57 Et là on voit bien une ambiguïté puisqu'on parle aujourd'hui du franc CFA,
02:01 en réalité ce n'est pas le franc CFA, il y a deux francs CFA qui sont deux monnaies,
02:06 deux zones différentes, qui sont gérées par des institutions différentes,
02:11 d'un côté l'ABEAC et la commission de la CEMAC,
02:14 de l'autre côté la BCEAO et la commission de l'UMOA,
02:16 et qui n'ont, si je puis dire, rien à voir ensemble,
02:22 puisque ce sont deux monnaies qui ne sont qu'imparfaitement convertibles ensemble.
02:25 Qui s'appellent franc CFA et qui sont fabriquées en France ou pas ?
02:29 L'ambiguïté c'est que c'est le même acronyme, mais ce n'est pas le même nom,
02:33 ce n'est pas du tout la même signification et ce n'est pas non plus la même monnaie.
02:42 Et fabriquées en France, c'est plutôt pas ?
02:44 Ces billets sont fabriqués en France par la Banque de France,
02:47 mais ça n'a rien à voir avec la convention monétaire entre la France et ses États.
02:53 Pourquoi ? Parce qu'il y a énormément de pays qui font fabriquer leur monnaie à l'étranger.
02:58 Il faut bien faire la distinction entre émettre une monnaie,
03:01 c'est-à-dire vendre un bout de papier au nom de la confiance avec une valeur monétaire,
03:08 avec une valeur d'échange, et fabriquer ce papier.
03:11 Donc la Banque de France est juste un fournisseur et beaucoup de pays,
03:15 en Afrique par exemple, utilisent d'autres fournisseurs étrangers comme De La Rue.
03:20 Pas d'intention politique derrière la fabrication de cette monnaie ?
03:23 Il n'y a pas d'intention politique, il y a une vieille relation commerciale,
03:27 mais c'est une pure relation commerciale qui à tout moment peut changer.
03:32 Hamza Boukhari, Abara, on voit dans ce film qu'elle est très contestée cette monnaie,
03:36 c'est ce qu'on ressent quand on regarde ce documentaire.
03:38 Est-ce que c'est la réalité ou est-ce que le documentaire a fait un zoom
03:42 sur une contestation qui finalement serait assez minoritaire ?
03:45 Ou est-ce qu'elle est réelle ?
03:46 Je pense que la contestation est réelle, c'est-à-dire qu'il y a deux niveaux,
03:49 il y a la contestation liée à la question coloniale
03:52 et il y a la contestation liée à la question clientèle.
03:55 Lorsqu'on voit des économistes qui se prononcent sur la question du franc CFA,
03:59 c'est parce qu'ils estiment qu'il est important de faire évoluer
04:02 la politique monétaire des États africains,
04:04 de donner aux pays africains qui utilisent cette monnaie davantage de liberté d'action
04:08 dans un contexte continental où la totalité des autres pays
04:11 qui ont leur indépendance ont une monnaie nationale.
04:14 Donc il y a, je dirais, un débat sur la question de la souveraineté monétaire,
04:17 du rapport également à la question des banques,
04:19 qui sont celles qui détiennent réellement la souveraineté,
04:22 et de l'autre côté le fait que le franc CFA est assimilé à une monnaie
04:26 effectivement liée à l'histoire de la colonisation,
04:28 c'est une monnaie coloniale née pendant la colonisation,
04:30 qui a été validée dans le contexte des accords d'opération monétaire
04:34 au moment des indépendances, et sur laquelle on attend
04:37 que les chefs d'État se prononcent de manière plus claire en termes de rupture.
04:40 D'une part parce que cette monnaie est assimilée à une monnaie liée aux élites,
04:44 et que les peuples estiment qu'ils ne voient pas les retombées
04:48 de cette soi-disant bonne santé économique et monétaire dans leur quotidien.
04:52 Donc du coup les contestations populaires sont totalement fondées,
04:55 elles sont légitimes, et elles s'inscrivent aussi dans une évolution de la sociologie africaine.
05:00 Les populations africaines de 2023 ne sont pas celles de 1960,
05:03 ni celles de 1994, elles réclament davantage de marge d'action
05:08 quant à leur prise en main de leur destin économique.
05:12 Et donc à mon sens les contestations du franc CFA sont fondées
05:15 à la fois sur la dimension coloniale, et en même temps sur la dimension clientèle,
05:19 qui peut être effectivement de chercher d'autres partenaires,
05:22 y compris pour l'impression des billets,
05:23 qui peuvent proposer d'autres conditions plus ou moins avantageuses.
05:26 Et il semble assez insupportable ces francs CFA aux yeux des Africains
05:31 quand on regarde ce documentaire Nicolas Normand.
05:33 Alors c'est un documentaire à charge,
05:35 mais malheureusement qui ne distingue pas bien la problématique du franc CFA,
05:38 parce que fondamentalement il y a deux questions différentes.
05:41 Il y a la question politique, le Roland de colonialisme qu'incarne,
05:46 que symbolise le franc CFA.
05:48 Pour cette raison personnellement je pense que le franc CFA est une erreur
05:52 pour la France d'avoir perpétué un système qui est une boîte à fantasmes,
05:57 d'une certaine manière,
05:58 parce qu'elle alimente l'idée que la France dominerait l'économie des pays de cette zone
06:04 à travers la monnaie.
06:06 Mais c'est ignorer le rôle de la monnaie, j'y reviendrai après.
06:09 En tout cas pour cette simple raison psychologique, politique,
06:12 il vaut mieux couper les amarres et ne pas conserver cette monnaie,
06:16 pour lever ces ambiguïtés, c'est important.
06:18 Maintenant sur un plan économique,
06:21 il se trouve que la zone de franc CFA, les 14 pays concernés,
06:25 dont d'ailleurs deux ne sont pas des anciennes colonies françaises,
06:28 et plusieurs anciennes colonies françaises ne sont pas non plus dans la zone CFA,
06:31 parce que chaque pays est libre de sortir à tout moment de la zone CFA.
06:36 C'est important de le préciser, ils sont libres de quitter le franc CFA et de l'intégrer.
06:39 Oui, par exemple le Mali l'a quitté dans les années 60 et revenu dans les années 80,
06:43 ils sont absolument libres de le faire.
06:45 Madagascar a quitté, la Guinée n'est pas dans la zone franc,
06:50 la Mauritanie n'est pas dans la zone franc,
06:52 et une ancienne colonie espagnole, la Guinée équatoriale, est dans la zone franc,
06:55 une ancienne colonie portugaise a demandé d'aller dans la zone franc, la Guinée, Bissau.
06:59 Maintenant sur le plan économique, il se trouve que ces pays qui sont dans la zone franc
07:03 ont en moyenne une meilleure croissance économique que les pays qui sont hors zone franc.
07:08 Alors pourquoi ?
07:09 En fait la monnaie n'est pas déterminante dans la croissance économique,
07:15 parce que la croissance économique ne dépend pas seulement de la politique monétaire.
07:19 Il faut qu'une monnaie soit stable.
07:22 Donc c'est une condition nécessaire, mais pas suffisante.
07:25 Le franc CFA est une monnaie stable.
07:27 Donc ça garantit une certaine stabilité pour les pays qui l'utilisent.
07:31 Il n'y a pas d'inflation.
07:32 Ça remplit les trois rôles d'une monnaie, n'est-ce pas,
07:34 qui est de compter, de payer et de garder des réserves pour l'avenir,
07:38 des réserves en valeur.
07:39 Ça, ça marche avec le franc CFA.
07:42 Maintenant, le développement économique, ça dépend en fait du cadre juridique,
07:47 ça dépend d'une politique réglementaire, des institutions,
07:50 et ça dépend d'une politique budgétaire.
07:52 Tout ceci n'a rien à voir avec la politique monétaire.
07:54 La politique monétaire, c'est garder une monnaie stable essentiellement.
07:57 J'entends bien.
07:58 Mais je vais vous donner la parole, Victor-Henri Lurel,
08:01 parce que dans le film, on entend des experts parler d'une monnaie
08:04 dont l'existence même montre que le processus de décolonisation
08:08 n'est pas complètement terminé.
08:10 Je voudrais qu'on écoute cet extrait de cet écrivain et économiste sénégalais,
08:14 et je vous fais réagir juste après.
08:16 La monnaie a une histoire,
08:18 et elle dit un lien avec la France,
08:23 avec l'expuissance ramocoloniale qui n'a pas été rendue.
08:26 C'est-à-dire que le vestige que c'est, la trace que c'est,
08:29 le signe que c'est, dit l'histoire d'une décolonisation qui n'est pas achevée.
08:33 Victor-Henri Lurel, est-ce que ces francs CFA,
08:37 puisqu'il faut parler de plusieurs francs CFA,
08:38 sont le symbole d'une décolonisation pas complètement achevée ?
08:42 On peut pas récuperer tout à fait ce qu'il dit,
08:44 puisque le politique et les émotions ont pris le pas sur l'économique et le monétaire,
08:49 ce que vous disiez.
08:51 Aujourd'hui, la France a perdu le combat politique et idéologique,
08:56 parce qu'il y a eu une difficulté depuis les années 60.
08:59 D'ailleurs, le franc CFA a été créé officiellement en 39,
09:02 le 1er et 6 septembre 1939,
09:05 pour éviter les conséquences de la guerre, la fuite des capitaux, etc.
09:10 C'est après, en 45, officiellement, on crée ça.
09:12 Depuis lors et depuis les années 80-90,
09:17 il y a une forte contestation, surtout auprès de la jeunesse,
09:20 qui n'est pas forcément majoritaire,
09:22 parce que les élites n'ont pas bougé, les gouvernements n'ont pas bougé.
09:25 D'accord, mais on entend plein d'économistes dans ce documentaire
09:27 qui, on peut dire, font partie de l'élite et contestent.
09:29 Oui, oui, souvent militants.
09:32 Et il n'y a pas vraiment d'études d'économie appliquées pour vérifier.
09:35 Et ce qu'ils disent, très souvent,
09:38 on a des déclarations et des affirmations qui ne sont pas vérifiées.
09:41 Celui qui vous parle, moi j'étais contre.
09:44 Je parlais de France-Afrique, de dixiers du colonialisme, etc.
09:47 Je le pense toujours, il y a ce relan-là, cette récurrence-là qui est là,
09:52 et c'est vrai qu'il faut évoluer.
09:54 Lorsqu'on a fait le rapport, on a écouté, on a regardé les ratios économiques,
09:58 on a regardé l'économie comparative, c'est beaucoup plus nuancé que ça.
10:02 Pourquoi ?
10:03 Parce qu'on fait porter à la monnaie ce que vous avez dit, tout.
10:07 Il y a au moins 98 indicateurs de développement économique
10:11 faits par le Forum économique mondial, repris par le FMI et la Banque mondiale.
10:16 On ne fait porter qu'à la seule monnaie,
10:18 à la politique économique et à la politique monétaire, tout le reste.
10:22 Comme un symbole cristallisé autour de ça.
10:25 C'est vrai qu'il faut rompre certaines choses, on aura l'occasion de revenir.
10:29 Mais c'est vrai, lorsque vous donnez une parité fixe,
10:33 ça a des avantages, ça a des inconvénients.
10:35 Attaché à l'euro, donc ancré à l'euro, on peut comprendre.
10:38 Lorsqu'il y a une garantie de convertibilité inconditionnelle,
10:43 il faut une contrepartie, c'était les réserves.
10:47 La centralisation des réserves à la Banque de France.
10:51 Lorsque vous avez une garantie de change, on n'évoque pas ça souvent,
10:55 si l'euro s'apprécie ou se déprécie, il y a une compensation qui se fait.
11:01 Oui, vous avez la difficulté, même si c'est technique,
11:06 de l'incompatibilité de trois objectifs.
11:08 Avoir la stabilité macro-économique, la stabilité des prix,
11:13 faire dans le développement économique et assurer la liberté de transaction et de capitalité.
11:18 - Sans ignorer le côté symbolique.
11:20 - C'est incompatible, ces trois objectifs-là.
11:22 Il faut éliminer au moins un pour atteindre les deux autres.
11:25 Et ce que l'Afrique de l'Ouest a fait, ce que l'Afrique centrale a fait,
11:29 et aussi les Comores, même si la parité est différente,
11:32 c'est de dire qu'on va prioriser un objectif premier.
11:35 Il y a des objectifs seconds.
11:37 C'est de dire que c'est la stabilité des prix et que ça devrait profiter aux populations.
11:40 Puisqu'on est en train de parler des avantages et des inconvénients de ces francs CFA,
11:45 Hamza Boukhari Yabara, j'ai trouvé cette phrase d'un économiste
11:48 récemment interrogé dans un quotidien malien, Mali 24.
11:52 Il s'appelle Modibo Maho Makalu.
11:54 Et il nous dit "le franc CFA comporte des avantages comme des inconvénients".
11:57 Si vous voyez la crise mondiale que nous venons de vivre,
12:00 en parlant de celle que nous vivons en ce moment,
12:02 les pays du franc CFA sont les pays qui ont connu la plus faible inflation
12:05 et ont moins connu la crise économique que tous les autres États en Afrique.
12:09 D'abord, est-ce que c'est vrai ? Est-ce que c'est faux ?
12:10 Est-ce que ce n'est pas un argument qui vient aussi contrebalancer
12:13 cette colère contre ce franc CFA très symbolique de la colonisation ?
12:16 – Vous en avez un document ? – Bien sûr.
12:18 – Je pense que limiter la question du franc CFA,
12:21 la stabilité ou la maîtrise de l'inflation,
12:24 nous fait peut-être passer à côté de choses peut-être plus essentielles.
12:27 Je pense que l'inflation n'est pas forcément le signe d'une bonne santé économique.
12:30 Il y a des pays qui ont des taux d'inflation plus élevés
12:33 mais qui se développent, qui ont une croissance.
12:35 Je pense que l'un des éléments, comme le Ghana effectivement,
12:38 donc l'un des éléments qui est réellement souligné dans la question du franc CFA,
12:41 c'est l'abolition de ce système-là pour permettre aux Africains
12:46 de poser toutes les cartes sur la table et de décider
12:48 de la ligne politique, économique et monétaire qu'ils souhaitent suivre.
12:52 Donc il y a, je pense…
12:53 – Donc ce n'est pas un argument, c'est ce que vous dites ?
12:55 – Ce n'est pas un argument, c'est un constat qui peut être…
12:57 – C'est une décision solide.
12:58 – Oui, c'est un argument.
12:59 – Alors Nicolas Normand puis Bruno Gabriel peut-être.
13:01 – La question psychologique et la question politique
13:03 est beaucoup plus importante que la question technique, c'est comme ça.
13:06 C'est la réalité, le monde fonctionne ainsi.
13:08 Voilà, mais oui absolument, si les gens rejettent un système,
13:11 c'est pour des raisons politiques,
13:13 ce n'est pas fondamentalement pour des raisons techniques.
13:15 Il se trouve que pour des raisons techniques,
13:17 comme je le disais tout à l'heure, la zone CFA a eu en moyenne
13:21 une meilleure croissance que la zone hors CFA.
13:25 Et si vous prenez par exemple l'Afrique de l'Ouest,
13:27 la Côte d'Ivoire a le plus fort taux de croissance de la région
13:30 avec le franc CFA, ou malgré le franc CFA, comme vous voudrez.
13:34 Et le Ghana a une inflation énorme, est en cessation de paiement,
13:37 ne peut plus payer sa dette, est en crise économique.
13:40 Le Nigeria aussi.
13:41 Donc voilà, et puis alors pendant la crise du Covid, n'est-ce pas,
13:44 en moyenne africaine, il y a eu une régression économique de 1,7%,
13:49 sauf la zone franc où c'était +0,3%,
13:52 c'est-à-dire qu'on a gardé une petite croissance en zone franc.
13:54 - Parce que les deux banques centrales ont une politique un peu accommodante,
13:57 une politique monétaire accommodante avec plus de liquidités,
14:00 qui permettait de garder une stabilité externe
14:03 et de garder la stabilité interne en matière de prix.
14:05 Alors ce que vous dites, vous avez raison,
14:07 mais c'est une décision politique.
14:09 Comment faire avec un régime de taux de change fixe et de parité fixe
14:14 pour impulser une plus forte croissance, plus d'emplois ?
14:18 Comment le faire ? C'est tout le sujet,
14:20 et c'est le problème de toutes les banques centrales.
14:22 La Banque centrale européenne a le même problème.
14:24 Comment concilier l'emploi, la lutte contre l'inflation
14:29 et la stabilité macro-économique ? C'est tout le sujet.
14:31 Ça c'est une décision politique que les décideurs africains doivent prendre.
14:35 - Bruno Gabriac. - 1983, il part de l'écho.
14:38 83, nous sommes en 2023, et depuis déjà de très longues années,
14:43 on parle de réformer la zone france.
14:44 C'est vrai qu'il faut la réformer.
14:46 - Bruno Gabriac, non non pardon, Bruno Gabriac n'a pas pris la parole.
14:50 - La réforme c'est technique,
14:52 or le problème il est politique.
14:53 - Oui oui, ça peut reprendre à...
14:55 - Bruno Gabriac, il y a un intervenant dans ce film,
14:57 c'est une phrase que j'ai retenue, qui nous dit
14:59 "on ne peut pas renoncer à sa souveraineté monétaire
15:01 sous prétexte qu'on veut renforcer le commerce",
15:03 qui met en balance le politique et le technique justement.
15:06 - Non, je crois que c'est un faux débat
15:08 parce que tout ce débat est en fait faussé par le symbole.
15:11 En fait, ce système, il est victime de ses origines.
15:15 Donc il y a un délit de faciès sur ce système
15:16 parce qu'il a pour origine la période coloniale.
15:20 Or, qu'est-ce que c'est aujourd'hui que ce système ?
15:22 C'est trois monnaies, à nouveau,
15:24 qui sont gérées par des institutions indépendantes et souveraines
15:28 qui ont fait trois choix.
15:29 Le premier choix, c'est celui d'avoir une parité fixe.
15:32 Et cette parité fixe, par nature, elle contraint la politique monétaire
15:35 parce que ça devient l'objectif, il faut maintenir cette parité fixe.
15:38 Beaucoup de pays ont fait le choix de la parité fixe
15:41 ou d'une parité quasi-fixe.
15:43 Plus de la moitié des pays africains en dehors de la zone franc
15:47 ont fait le choix d'avoir une parité fixe.
15:50 Donc, ce choix, c'est le vrai débat.
15:53 Est-ce qu'il faut maintenir une fixité ?
15:56 Est-ce que d'abord, l'encre est la bonne ?
15:58 Est-ce que c'est l'euro ? Est-ce qu'il faut un panier de monnaie ?
15:59 Est-ce qu'il faut le dollar ?
16:01 Et je dirais que depuis le passage à l'euro,
16:04 cette encre a plus de crédibilité
16:06 parce que c'est quand même une zone plus large
16:08 et qui est le premier partenaire commercial de la plupart de ces pays.
16:12 Donc ça, c'est le premier choix.
16:14 Le deuxième choix qu'ont fait ces pays,
16:16 c'est en tout cas en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale,
16:20 de vivre dans une union monétaire
16:22 qui là aussi est irritée de la période coloniale.
16:24 Mais il ne faut pas, et je crois que dans le documentaire,
16:27 Lionel Zinzou l'explique très bien,
16:29 il ne faut pas jeter ça aussi au nom d'un délit de fiasciesse
16:33 et au nom de l'origine de la zone.
16:35 L'union monétaire, c'est un choix.
16:37 Et la conjonction des deux, je termine là-dessus,
16:40 c'est quand même le grand avantage de ce système.
16:43 C'est que quand vous vous trouvez dans un pays
16:45 qui est en crise profonde et longue et durable,
16:49 comme le cas de la Centrafrique, comme le cas du Mali,
16:52 eh bien la monnaie est préservée.
16:55 Imaginez le contrefactuel aujourd'hui
16:57 si le Mali avait sa propre monnaie
16:59 ou si la Centrafrique avait sa propre monnaie
17:01 et ne vivait pas dans une union monétaire avec une monnaie garantie.
17:04 Il n'empêche que ce franc CFA a en tout cas une histoire trop lourde
17:07 et pose trop de questions pour être conservé.
17:09 Il a été question plusieurs fois de l'enterrer,
17:11 le film le rappelle, et notamment en décembre 2019,
17:15 lorsque les présidents y voient rien,
17:16 et Français, à la Sanuatara, Emmanuel Macron,
17:18 annoncent la fin du franc CFA et l'arrivée d'une autre monnaie, l'éco.
17:23 On aurait pu alors se dire "ça y est, le problème est réglé",
17:26 mais non, pas d'après le sociologue et économiste cameroonais
17:29 Martial Zebelinga dans le film.
17:31 On n'a pas résolu un problème, on en a créé un nouveau,
17:34 puisqu'on a déjà un éco qui existe,
17:36 qui a été accepté par 15 pays africains,
17:39 et puis là on en a un autre qui est décidé,
17:42 ou en tout cas officialisé par le président français
17:45 et le président ivoirien,
17:47 et qui porte le même nom,
17:49 sur un périmètre relativement proche, donc 8 États,
17:53 mais qui n'a pas le même concept derrière.
17:56 Alors là, pardonnez-moi, on a besoin d'explications.
18:00 L'éco existait déjà ?
18:01 Non, il existait en théorie,
18:03 c'est-à-dire on s'était mis d'accord dans une conférence
18:05 pour le créer dans le futur,
18:06 mais il n'existait pas en pratique.
18:07 Alors pourquoi ça pose un problème ?
18:09 Ça pose un problème parce que cette personne a tout à fait raison
18:12 dans le film, il y a un problème de méthode, n'est-ce pas ?
18:15 On a vu le président français et le président ivoirien,
18:17 tous les deux, définir ce qu'il fallait faire.
18:20 Or, ça concerne 14...
18:21 Le président Macron qui dit "j'ai décidé",
18:23 c'était une erreur humaine.
18:24 Voilà, ça concerne 14 pays, donc s'il fallait...
18:27 Vous voyez que le symbole et la politique
18:28 ne sont jamais bien loin quand même.
18:30 Non, mais le symbole, et je vous l'ai dit,
18:32 plus important à la limite que la technique,
18:34 parce que la technique c'est une compétence
18:36 qui devrait être laissée aux pays africains.
18:38 Donc l'essentiel c'est quand même le symbole
18:41 que les pays africains décident eux-mêmes,
18:43 et que ce ne soit pas l'ancienne puissance coloniale
18:45 qui interfère dans cette question.
18:46 Alors là, on voit le président français
18:48 et le président ivoirien ensemble,
18:50 qui annoncent des réformes, des décisions importantes...
18:52 En préemptant la future réforme de l'éco.
18:55 En préemptant la future réforme.
18:56 Il aurait fallu de toute évidence une autre méthode,
18:58 il fallait réunir les 14 chefs d'État ensemble
19:02 et qu'ils discutent des différentes options possibles.
19:04 Et en plus, il fallait éviter de prendre le nom "éco".
19:07 Pourquoi ?
19:08 Parce que ça avait l'air de parasiter un projet
19:11 qui existait en dehors de la zone franc.
19:13 Et donc ça préhende et ça court-circuite la réflexion...
19:17 Et ça, c'était l'hériticence du Nigeria.
19:19 Voilà, le Nigeria, le Ghana,
19:21 qui étaient impliqués dans cette discussion sur l'éco.
19:23 C'est bien que vous décryptiez avec nous ce moment du documentaire
19:26 parce que ce n'était pas clair.
19:27 Il fallait prendre un autre nom, simplement.
19:29 Alors peut-être Hamza Boukhari et Barahé.
19:31 L'un des problèmes, je pense, c'est le déni de démocratie
19:33 qui est régulièrement soulevé sur une question
19:35 qui s'est quand même imposée dans le débat public,
19:38 sur laquelle on souhaitait que les parlements nationaux africains
19:41 soient consultés, qu'il y ait de vrais débats
19:43 pour poser justement les choses clairement sur la table
19:45 et qu'il y ait aussi des campagnes de pédagogie
19:47 sur la question du franc CFA.
19:48 Ça n'a pas été le cas.
19:49 Lors du discours de Ouad Gadgou en 2017,
19:51 Emmanuel Macron a expliqué que c'est le problème
19:54 des chefs d'État africains.
19:55 Deux ans plus tard, il doit lui-même se déplacer à Bidjan
19:58 pour annoncer la fin du franc CFA.
20:00 Donc on voit bien que sans la France, rien ne peut bouger.
20:02 Et c'est d'autant plus problématique...
20:03 Pourquoi ? D'après vous, juste d'un mot,
20:05 quelle interprétation vous en faites ?
20:06 Est-ce que c'est parce qu'il est face à des chefs d'État africains
20:08 et peut-être pas d'accord entre eux ?
20:09 Est-ce qu'il y a une responsabilité du côté des dirigeants africains ou pas ?
20:12 Non, parce que d'une part, il le fait avec Alassane Ouattara,
20:15 qui était quand même le plus grand défenseur du franc CFA
20:17 et qui explique que rien ne va changer avec l'écho en termes de parité.
20:21 Il le fait également dans le cas d'une opération de communication
20:24 où il grille la politesse effectivement aux autorités africaines.
20:27 Et il le fait également, je dirais, d'une certaine manière
20:30 assez problématique dans le sens où il s'y mixe dans un autre débat
20:33 qui est celui de l'écho de la CDAO.
20:35 Et donc lorsqu'on demande à la France de se retirer du franc CFA
20:38 ou d'abolir le franc CFA, elle transforme ce franc CFA
20:41 sur un projet qui empiète sur un autre projet ouest-africain.
20:44 Donc elle s'ingère davantage dans le débat.
20:48 Et c'est en ça que cette approche est fondamentalement coloniale
20:51 puisqu'elle consiste effectivement à larguer les amarres
20:53 mais à garder un filet qui permet de récupérer tout ce qu'on a laissé de côté.
20:57 Et par ailleurs, dans la suite des conventions qui vont être signées,
21:01 on a un maintien finalement de la plupart des éléments
21:03 puisque ce n'est pas demain qu'on aura visiblement l'écho.
21:06 Donc un changement cosmétique, Bruno Cabriac ?
21:08 Absolument.
21:09 C'est sans doute maladroit parce que je vois autour de la table que ça a été…
21:12 Ah oui, ça fait une unanimité.
21:14 Voilà, ça a été très mal ressenti.
21:18 Or, premièrement, il s'agit d'un accord avec les pays d'Afrique de l'Ouest.
21:22 Et donc ça marque bien ce que je disais tout à l'heure,
21:24 c'est deux monnaies indépendantes, ce n'est pas la fin du franc CFA.
21:28 C'est une réforme du franc CFA d'Afrique.
21:30 C'est plus une réforme avec une partie commune entre la France africaine
21:33 et l'Afrique de l'Ouest, ce qui est un peu curieux d'ailleurs.
21:35 Mais c'est…
21:36 Attends, on ne comprend plus rien.
21:37 C'est-à-dire ?
21:38 Donc quand le président Macron vient annoncer cela avec Alassane Ouattara…
21:45 Il annonce la fin du franc CFA.
21:47 Mais du franc CFA d'Afrique de l'Ouest.
21:49 C'est très important de le comprendre.
21:51 Mais il le fait, mais on ne le comprend pas.
21:53 Parce qu'il y a deux monnaies.
21:55 Deuxièmement, c'est l'aboutissement de négociations
21:57 qui ont été menées sur la base de la réaffirmation des choix
22:02 qui avaient été faits par les pays de l'UMA.
22:04 Premièrement, le choix d'un change fixe.
22:06 Deuxièmement, le choix d'une garantie française pour appuyer ce change fixe.
22:10 Et troisièmement, le choix de rester dans une union monétaire
22:14 que peut-être d'autres pays vont rejoindre.
22:17 Et pourquoi le projet ECO a du mal à se matérialiser ?
22:22 Eh bien parce que les deux choix importants que j'avais signalés tout à l'heure,
22:25 c'est-à-dire le choix d'être dans une union monétaire avec le Nigeria,
22:28 avec le Ghana, etc.
22:30 Ce n'est pas un choix si facile que ça
22:32 et que finalement il y a des réticences de tous les côtés.
22:35 Pas seulement des anciens pays de l'UMA, mais du Nigeria qui l'a dit lui-même.
22:39 Et puis il y a des réticences de cette union monétaire à faire l'autre choix.
22:42 Avoir une parité fixe vis-à-vis de dollars ou de l'euro, d'une encre en tout cas,
22:47 ou avoir un modèle de taux de change flexible.
22:50 Et là on a bien vu que le président Ouattara lui était en faveur du taux de change fixe
22:55 parce que c'était le système dans lequel vivent déjà les pays de l'UMA.
22:58 Il l'a déclaré à plusieurs reprises.
23:01 Il a dit que l'éco, le grand éco si je puis dire,
23:04 devait effectivement être un système à change fixe.
23:07 On est d'accord qu'il n'existe pas ?
23:09 Non, non, il n'existe pas.
23:11 Il n'existe pas parce que ces pays n'ont pas encore accepté les conditions de ce choix.
23:16 On était en décembre 2019 au moment de cette annonce et il n'existe pas.
23:20 Une des conditions posées par le Nigeria, c'est quand même le retrait définitif de la France
23:24 du système de l'éco-CFA, y compris la question de l'impression des pays en Afrique.
23:29 Mais pourquoi ?
23:30 Il n'y a que 9 pays en Afrique qui impriment leurs billets.
23:33 Oui, mais c'est quand même 9 pays.
23:34 C'est commercial, comme il l'a dit.
23:36 C'est commercial, ce n'est pas monétaire.
23:37 Ils peuvent changer.
23:39 Exactement.
23:40 Je ne vous ai rien de demande en tout cas.
23:41 Victor Hanurel, j'ai quand même cette question et je vais la répéter.
23:43 Y a-t-il une responsabilité du côté des dirigeants africains
23:46 qui ne sont pas d'accord entre eux et qui compliquent la sortie du France CFA ou pas ?
23:50 Je ne vous dis pas de nom de bois, je vous dis oui.
23:51 S'ils veulent changer, rien ne les oblige.
23:53 Rien ne les oblige à rester dans l'union monétaire.
23:56 Pourquoi ne le font-ils pas ?
23:58 Pourquoi ne changent-ils pas ? Parce qu'il y a des avantages.
24:00 Parce qu'il y a de la stabilité.
24:01 Parce que maintenant on a...
24:02 Les avantages pour qui ?
24:03 Plus ou moins, je ne sais pas si c'est un trait en vigueur.
24:05 Parce que la France a accepté de changer, même si on me dit que c'est à la marge.
24:10 Certains disent cosmétique.
24:11 Il n'y a plus la centralisation des réserves.
24:13 Il y a toujours une rémunération des réserves qui est octroyée.
24:19 Maintenant il n'y en aura plus, donc il n'y a plus de réserve du tout.
24:23 Rien n'oblige les dirigeants africains à rester dans une union qui serait...
24:30 Alors ils le font contre leur population ?
24:32 Parce que moi ce que j'entends, ce que je vois et ce qu'on a peut entendre,
24:37 on voit beaucoup de contestations, notamment d'une certaine jeunesse,
24:41 de militants qui disent "c'est identitaire, c'est de la souveraineté
24:46 et c'est une géopolitique des émotions".
24:49 Et donc c'est vrai, vous avez raison, le politique, l'idéologique, l'identitaire
24:54 a pris le pas sur le technique, sur le monétaire et sur l'économie.
24:57 Moi je vous parle des dirigeants africains.
24:58 Mais les dirigeants africains, eux sont conscients que dans les fluctuations monétaires,
25:02 dans "Demain matin", moi je proposais un régime de change semi-flexible,
25:07 adossé en panier de monnaie ou peut-être au DTS.
25:09 Bon, ça c'est à voir, mais ce n'est pas nous qui décidons ça.
25:12 On a dit "voilà une recommandation prudente",
25:15 c'est aux dirigeants africains de le faire, c'est pas la France qui empêche.
25:18 Ils peuvent entrer et sortir.
25:20 Aujourd'hui c'est plutôt de la prudence.
25:22 Mais c'est important aussi de préciser.
25:23 Et attendons-nous lentement, parce que quelque part,
25:26 au-delà des opinions publiques et des expressions publiques,
25:29 il y a des avantages qu'ils ne veulent pas abandonner.
25:31 Dans le film, l'État français est accusé de garder une partie de l'Afrique sous tutelle
25:35 avec ce franc CFA.
25:36 On va réécouter un intervenant nous dire que la monnaie est la base de tout
25:40 pour dominer une économie.
25:41 Mais on se demandera ensuite si d'autres pays ne sont pas en train de se servir
25:44 de l'Afrique sans passer par la monnaie.
25:47 Je pense à la façon dont la Chine est en train de s'implanter économiquement
25:50 ou même à la Russie qui devient un partenaire économique prioritaire
25:53 pour le Burkina Faso, on en a entendu parler ces derniers jours.
25:56 Avant d'en parler avec vous, on va écouter la définition de l'entreprise coloniale
26:00 par cet économiste et esthéiste sénégalais dans le film.
26:03 On ne peut pas comprendre l'entreprise coloniale en évoquant la dimension monétaire
26:09 parce qu'elle est capitale.
26:10 Parce que celui qui contrôle la monnaie contrôle la production,
26:15 contrôle l'échange, contrôle la consommation.
26:18 Hamza Boukhari Yabara, est-ce qu'aujourd'hui ce ne sont pas la Chine et la Russie
26:22 avec d'autres méthodes, avec d'autres intentions, peut-être plus business,
26:26 mais en tout cas qui sont là, de coloniser une partie de l'Afrique aussi ?
26:29 Alors je ne dirais pas de coloniser, en tout cas c'est certain que sur le plan commercial
26:33 la Chine est très présente, elle est présente partout dans le monde.
26:36 La Russie je pense que c'est quand même beaucoup, beaucoup plus limitée
26:39 qu'elle est quand même loin derrière les intérêts financiers en Afrique.
26:42 La Turquie, oui, le Maroc ou d'autres acteurs.
26:45 Il y a aussi l'apparition de banques et de groupements panafricains.
26:48 C'est-à-dire qu'aujourd'hui on a d'autres alternatives qui s'offrent,
26:50 qui sont peut-être plus avantageuses que les avantages qu'on aurait avec la France
26:54 et qui justement nécessitent d'avoir ce débat-là.
26:56 Mais est-ce que ce n'est pas passer d'une tutelle à une autre ?
26:59 Non, il ne s'agit pas de passer d'une tutelle à une autre,
27:01 il s'agit tout simplement de décider quelle est la bonne ligne,
27:03 la bonne politique monétaire, budgétaire, économique, financière
27:06 pour permettre aux pays africains de répondre aux attentes des populations.
27:10 Et je pense que les dirigeants africains aujourd'hui
27:12 ne sont pas en phase avec les demandes et les revendications populaires
27:15 et que plus on avancera, plus on aura des contestations populaires
27:18 qui amèneront les dirigeants à prendre d'autres positions
27:21 ou d'autres dirigeants à se positionner davantage sur ces questions.
27:25 Nicolas Normand, certains pays d'Afrique souhaitent un arrimage du CFA.
27:30 Je l'ai lu dans des articles, au Yuan ou au Rouble.
27:33 Comment faut-il voir cette implantation économique rampante,
27:37 tranquille, de la Chine et de la Russie sur ces États africains
27:41 qui sont très liés à la France ? On vient de le voir.
27:43 Le Rouble, ce n'est peut-être pas une très bonne idée
27:45 parce que la Russie a le poids de l'Espagne à peu près sur le plan économique.
27:49 C'est un nain économique quand même.
27:50 Mais si, c'est le choix des populations des États concernés.
27:53 Ils peuvent choisir ce qu'ils veulent, oui, mais ils sont tout à fait libres.
27:56 Mais la France y perdrait quelque chose ?
27:58 Non, la France n'y perdrait rien de mon point de vue.
28:00 C'est plus simple pour les pays européens de la zone euro
28:03 de faire du commerce dans la devise euro, c'est sûr.
28:06 Mais s'il faut passer par une autre devise qui a un taux de change fixe ou non,
28:11 c'est possible aussi, ça ne va pas arrêter le commerce.
28:14 Donc personne ne voit cela dans vos visages ?
28:16 C'est un aspect technique, ça ne va pas changer.
28:17 Il n'y a pas de tutelle ni française, ni chinoise, ni russe sur les pays.
28:21 Ils sont fondamentalement souverains et ils choisissent leur partenaire.
28:25 Qui ?
28:26 Les autres pays qui travaillent en Afrique peuvent bénéficier de la convertibilité,
28:31 de la crédibilité de la zone.
28:33 Aujourd'hui, la France garantit, la France peut convertir.
28:37 D'accord.
28:38 Quand la Chine exporte, il y a une stabilité de change.
28:41 Et donc, quelque part, et c'est la raison pour laquelle vous entendez les gens dire
28:45 "non, ça profite aux entreprises françaises".
28:47 C'était peut-être vous il y a quelques longues années,
28:49 parce qu'il y a une proximité culturelle.
28:51 Mais aujourd'hui, ce n'est pas tout à fait ça.
28:53 Vous avez une assurance que vous aurez en devise, des devises garanties.
28:58 Mais ça ne concerne pas autant les entreprises allemandes.
29:00 La question posée, c'est l'éternelle discussion technique.
29:03 La neutralité de la monnaie, ça ne sert à compter que…
29:06 Non, non, c'est plus… et je suis d'accord avec ça.
29:08 C'est quand même un instrument d'identité, de souveraineté, etc.
29:12 Et la monnaie joue un rôle considérable.
29:14 Et de liberté.
29:15 Ce n'est pas moi qui ai dit ça.
29:16 La monnaie n'est pas neutre.
29:17 Le yuan rouge.
29:18 Non, non, ce n'est pas crédible.
29:19 C'est-à-dire ? Pourquoi ce n'est pas crédible ?
29:21 C'est-à-dire que le yuan passe par le dollar.
29:25 C'est une zone quand même…
29:27 Et si c'est une demande locale ? Pourquoi pas ?
29:29 Sincèrement, je ne pense pas que ce soit très sérieux du point de vue de la crédibilité économique.
29:33 En revanche, vous avez l'euro qui est une monnaie crédible.
29:36 Vous avez une…
29:38 Et si vous voulez se tourner vers des monnaies moins crédibles, Victorin Murel ?
29:42 Non, non, pour être sérieux, ce qu'aujourd'hui, à mon sens, il y en a économistes,
29:46 ce que pourraient faire les dirigeants africains, pour mieux répondre à leur opinion publique,
29:50 c'est de dire, puisqu'on a fait le compte sur l'économie, sur l'emploi, sur le pouvoir d'achat des gens,
30:00 on veut faire plus de croissance, plus d'emploi, et c'est pour ça que ça peut se faire par une monnaie nationale.
30:04 Ce n'est pas tout à fait ma recommandation.
30:06 De dire, comment peut-on desserrer l'éligidité ?
30:10 Comment peut-on desserrer les contraintes de la parité fixe ?
30:16 Comment obtenir des régulations de l'euro ?
30:20 Là, il y a peut-être un régime, un dossier, un panier de monnaie, si vous voulez.
30:23 Oui, ce qu'il y a demandé, c'est la liberté monétaire.
30:25 La liberté monétaire ne veut pas dire qu'on va faire n'importe quoi, ou tout ce qu'on veut avec la monnaie.
30:29 Il y a un problème de confiance ?
30:30 Au moins, on peut décider de prendre une direction, et c'est ça qui est actuellement demandé.
30:34 Et il y a un problème de confiance, vous pensez ?
30:36 Il peut y avoir un problème de confiance, oui, en fonction des dirigeants,
30:39 justement de la politique budgétaire de ces dirigeants-là.
30:42 Il y a également la question de la corruption qui est présente.
30:44 Donc, tous ces éléments-là sont à analyser, effectivement.
30:47 Bruno Gabriel ?
30:48 Je crois qu'à nouveau, le symbole politique fausse complètement le débat.
30:52 Parce que ce qui est important dans une monnaie, c'est la confiance.
30:55 La confiance qu'elle inspire aux gens qui s'en servent, mais aussi aux gens de l'extérieur.
31:01 Donc, c'est ça le phénomène important.
31:03 Il n'y a pas la notion de souveraineté monétaire.
31:08 Par exemple, nous, en France, nous avons abandonné notre souveraineté monétaire
31:11 pour rentrer dans une union monétaire qui a une crédibilité,
31:16 et qui a une crédibilité forte parce que, justement,
31:19 les politiques ont abandonné leur souveraineté au profit d'une institution indépendante
31:24 qui a un mandat...
31:25 Mais il y a eu des votes !
31:27 Pardonnez-moi, il y a eu des votes !
31:29 Donc, regardez la souveraineté...
31:33 Mais les populations ont choisi, pardonnez-moi, il y a eu des votes !
31:35 Ce sont des choix démocratiques !
31:37 Non, mais que ce soit un choix démocratique, c'est tout à fait important.
31:41 Mais, par contre, ce qui est important, c'est de regarder l'efficacité.
31:44 Or, l'efficacité, elle est liée à quoi ?
31:46 Elle est liée dans la confiance.
31:48 Parce que la monnaie, c'est...
31:49 A la base de la monnaie, c'est la confiance.
31:51 Parce que sinon, vous ne prendriez pas un bout de papier
31:55 qui vaut l'équivalent d'une tête de bétail ou de deux têtes de bétail.
32:03 C'est ça qui est important.
32:05 Et donc, c'est ça qu'il faut créer.
32:07 Et donc, que tout ce débat soit...
32:11 Mais la souveraineté monétaire, elle existe déjà.
32:16 Les gouvernements en place sont libres de quitter l'environnement monétaire.
32:21 Et donc de se tourner vers les économies russes et chinoises ? Pourquoi pas ?
32:25 De se tourner vers les économies russes et chinoises.
32:27 Mais à condition que ça crée de la confiance.
32:31 Ce qui est important, c'est que aussi,
32:33 et c'est une dernière chose que je voulais dire,
32:35 l'union monétaire donne, c'est vrai en zone euro,
32:38 c'est vrai dans les pays de l'UMO et dans la CEMAC,
32:41 plus d'indépendance aux banques centrales.
32:43 Et donner plus d'indépendance aux banques centrales,
32:45 c'est donner plus de confiance dans la monnaie.
32:48 Parce que, évidemment, les politiques sont toujours tentés,
32:52 et c'est ça le danger de la souveraineté monétaire,
32:55 les politiques sont toujours tentés de manipuler la monnaie.
32:58 Et l'essentiel n'est pas ce discours technique qui est absolument vrai,
33:01 c'est important qu'une monnaie fonctionne,
33:03 sinon il y a des conséquences très néfastes sur l'économie.
33:06 Mais ce qui est important aussi, c'est la perception populaire, n'est-ce pas ?
33:10 Il y a un traumatisme dû à la colonisation qu'il faut pleinement prendre en compte.
33:14 Or le système franc CFA ne prend pas en compte le traumatisme colonial.
33:19 Et ça c'est un péché, c'est une faute grave à laquelle il faut remédier,
33:26 en se dégageant de ce système.
33:28 Alors on s'est dégagé un peu sur le plan technique,
33:30 puisque les réserves ne sont plus stockées à la Banque de France,
33:33 mais personne n'a communiqué là-dessus.
33:35 - Il vous reste vraiment quelques secondes.
33:37 - On a positionné le Stratocurse français, mais personne ne le sait.
33:39 Donc c'est déjà effectivement une souveraineté transférée,
33:42 mais personne ne le sait, parce qu'on a gardé le même nom,
33:45 parce qu'on n'a pas communiqué, on n'a pas expliqué,
33:47 parce qu'on n'a pas clairement coupé les amarres.
33:49 On est resté dans une ambiguïté.
33:51 - Je pense que c'est effectivement ça, les amarres n'ont pas été coupés,
33:53 on a gardé vraiment un filet qui permet de repêcher la question du Franc CFA.
33:56 Donc pour moi, le problème est toujours présent.
33:58 Il y a une dimension coloniale dans cette monnaie,
34:00 il y a un travail à faire pour permettre aux Africains,
34:03 pour laisser les Africains accéder à leur souveraineté monétaire,
34:07 et c'est un travail qui prend du temps.
34:09 Et je pense que les mesures qui ont été prises sont des mesures faites dans la précipitation,
34:12 qui créent beaucoup plus d'ambiguïté que de clarté,
34:14 et qui sont quelque part des trous de passe-passe,
34:17 puisque tout ce qui a été aboli par la réforme,
34:19 a été récupéré par d'autres moyens.
34:21 Donc pour moi, on est dans un statu quo colonial.
34:24 – Et ce sera le mot de la fin, merci infiniment à tous les quatre.
34:26 – De vous aider à lire ça.
34:28 – Et merci de nous avoir éclairés sur un sujet complexe,
34:30 et sur un documentaire qui abordait un sujet difficile.
34:33 Merci beaucoup à tous les quatre, merci à vous de nous avoir suivis.
34:36 On se retrouve très vite sur Public Sénat, à bientôt.
34:38 [Musique]
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