• il y a 3 ans
Sous la direction de Mikko Franck, l'Orchestre philharmonique de Radio France joue l'ïle des morts de Rachmaninov.
L’Île des morts, poème symphonique contemporain du Chant funèbre de Stravinsky, naît de la découverte, lors d’un passage à Paris de Rachmaninov, d’une reproduction en noir et blanc de L’Île des morts d’Arnold Böcklin (1827-1901). Plus précisément, de l’une des Îles des morts du peintre suisse car, tel Monet proposant avec ses Meules de Foin ou ses Cathédrales de Rouen un même sujet sous des éclairages différents, Böcklin avait peint, entre 1880 et 1886, cinq versions de L’Île des morts dans des teintes et lumières variées. La scène est toujours la même : une barque conduite par un rameur, peint de dos, avance sur l’eau calme du Styx, tandis que debout, au milieu de l’embarcation et devant son cercueil, un mort lui aussi vu de dos, dans son linceul, regarde sa dernière demeure : une île rocheuse, plantée de hauts cyprès. Aux teintes sombres des cyprès et de l’eau, à l’ombre qui entoure le rameur, s’oppose la blancheur du linceul. Frappé par la scène, Rachmaninov y trouva l’inspiration d’un poème symphonique qu’il commença début 1909 et qui compte parmi les sommets de sa production symphonique.

Le genre du poème symphonique était familier au compositeur qui s’y était confronté dans sa jeunesse avec Le Prince Rostislav, partition sans numéro d’opus, puis avec Le Rocher, opus 7 (1893) sur un poème de Lermontov : « Sur le sein d’un gigantesque rocher / Un nuage doré a sommeillé une nuit durant. » Partition talentueuse, Le Rocher avait suscité l’admiration de Tchaïkovski, qui mourut trop tôt pour pouvoir la diriger le jour de la création comme il l’avait envisagé.

Sans être accompagné d’un programme précis, le poème symphonique L’Île des morts récrée l’atmosphère funèbre du tableau en y ajoutant un dramatisme passionné. La pièce s’ouvre, sombre, sur le glissement lent de la barque que suggère un rythme à cinq temps, avec des oscillations entre le majeur et le mineur, dans le registre grave des cordes (violoncelles et contrebasses), avec timbales et harpe. Un motif tiré du Dies irae, plusieurs fois répété, ajoute une solennité tragique à ce début. Séquence grégorienne de l’office des morts, le Dies irae hantait Rachmaninov qui l’utilisa dans de nombreuses partitions : avant L’Île des morts, il en avait fait le motif cyclique de sa Symphonie n°1 (1895). Il l’utilisa dans la Rhapsodie sur un thème de Paganini (1934) et dans les Danses symphoniques (1940), sa dernière oeuvre.

Après ce début étale, la partition avance dans une intensité dramatique croissante. Un choral de cuivres fait la transition avec une partie médiane qui évoque, dans un climat soudain plus lumineux, le « souvenir des joies et de la vie terrestres ». Dans le Largo qui suit, le Dies irae revient, sourd, tandis que les dernières mesures reprennent les premières, sur le même rythme inlassable, laissant à chacun y entendre, qui les rames du nautonier, qui l’éternité immobile ou la mort inéluctable.

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