• il y a 18 ans
Oh vous qui crevez de soif ce soir,
écoutez bien ce qu'un vieux cheval ivre
a sur le coeur et comme il s'en délivre
en chantant pour vous aider à boire

Quand don Juan m'acheta un bon prix
à un riche maquignon de Castille,
c'était surtout pour séduire la jeune fille
dont j'étais le cheval favori.

Quand elle vint me faire sa dernière visite,
raide et maudissant son père,
don Juan lui promit de ne plus faire l'affaire
et séchant ses larmes la séduit si vite

Qu'ils firent l'amour dans l'écurie
puis s'enfuirent en me fouettant sans trève
vers un couvent où elle attends et rève
à mon maitre le reste de sa vie.

Depuis je n'ai jamais revu ma paille
et j'ai eu la vie errante d'un maudit
cherchant dans le vent fuyant dans la nuit
la bouche en chairs vives tant les mors l'entaillent

Il baisait ma crinière à chaque conquète
mais ses éperons laissaient dans mes flancs
tant de plaies coulant de sueur et de sang
que j'aurais préféré la paix des défaites

Et tout au long de ces années de sévices
en frissonant les yeux hallucinés
par la faim, les reins le dos fatigués
je me suis usé à devenir son complice

Harnaché comme le cadeau d'un seigneur
parfumé et dressé aux révérences
j'arrivais mais je savais d'avance
qu'il faudrait partir comme le cheval d'un voleur.

Autrement il ne prenait pas soin de moi
pendant que les vers grouillaient sous ma selle
il me forçait à lui faire la courte échelle
pour grimper sur le mur d'un pensionnat

Le soir il enlevait l'institutrice
qui la nuit même se plaçait dans un bordel
mais il flattait tant la vieille maquerelle
qu'à l'aube au Carmel elle rentra novice.

Quand don Juan séduit une bohémienne
je tire la roulotte je danse comme la chèvre
tandis que mon maître le cigare aux lèvres
flatte un singe borgne et rit de ma peine

Le jour repartant comme un fugitif
on est même venu à me tirer dessus:
«C'était à prévoir de ce triste cocu»
Qu'il me dit en me mettant les côtes à vif.

Un dimanche il m'a vendu à un abbé
pour lui j'étais trop chargé de souvenirs
et mon maitre avait tant peur de vieillir
que le prix fut si bas qu'il le but d'un trait

J'ai cru voir enfin la fin de mes misères
dans la douce quiétude de la bigotterie
mais là le destin m'a fait une vacherie:
Mon abbé faisait la chasse aux sorcières

Cet illuminé bourreau d'intolérance
traquait l'hérétique au fond des campagnes
au coeur des forets en haut des montagnes
il ne s'arrétait que pour ses pénitences

En plein midi en tête des processions
sous un drap noir je portais les reliques
en or massif et face aux basiliques
les mouches aux yeux j'écoutais ses sermons.

Nous avons converti des pays entiers
j'ai mis mes sabots sur tant de places
où l'échafaud rameute la populace
et les corbeaux pour gouter à not gibier

J'ai tant plié l'échine sous les fagots
dont il me chargeait pour faire ses buchers
J'ai tant tiré de chars de supliciés
qu'il ne me restait que la peau et les os

Mais il ne m'a jamais laché la bride
jusqu'au jour où pris dans un guet-apens
par une bande de voleurs mécréants
on me laissa enfin la croupe vide

Jour béni où enfin tout nu sous un chêne
je me suis enfui à un coup de fouet
tandis que l'abbé en l'air ballançait
soulageant mon dos des hommes et de leurs chaînes

J'ai couru couru pour l'eau des ruisseaux
enfin pour moi-même, l'herbe des clairières
en fuyant les hommes et leurs sales manières
je ne suporte que le poids des oiseaux

Ce soir y'a un bal au café des chevaux
et un cheval saoul dort sur le comptoir
personne ne saura la morale de l'histoire:
Ce soir y'a un bal au café des chevaux.

Chanson de Paul Boissard.
Paul n'étant plus ici pour les chanter, la chanson fait de l'oeil à tous les chanteurs chanteuses suceptibles de l'interpréter. Aussi, elle a plein de petites soeurs de genres variés et du talent de Paul. Bonne musique à tous.

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