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00:00Michel Fondré avait un mythe sur la virginité, c'est-à-dire qu'il considérait qu'à partir du moment où une femme n'était plus vierge, elle était vénale, en quelque sorte.
00:07Elle était impure. Et à ce moment-là, il me regarde droit dans les yeux et il me dit « Monsieur l'expert, si vous me posez des questions sur mes parents, je vous étrange. »
00:29Je suis Pauline Robert pour Le Nouveau Détective. Aujourd'hui, nous recevons Jean-Luc Ployé, expert judiciaire et psychologue. Bonjour Jean-Luc Ployé, comment allez-vous ?
00:37Bonjour, madame.
00:38Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi consiste votre métier d'expert psychologue et comment se déroule une expertise psychiatrique ?
00:44Oui, alors je suis effectivement expert judiciaire. Je suis docteur en psychologie et j'ai été effectivement à la cour d'appel de Reims dans un premier temps.
00:54Maintenant, je suis expert national à la cour de cassation, enfin depuis quelques années. J'examine des criminels, mais également des victimes.
01:03Dans ma carrière, ça fait plus de 40 ans que je fais ce métier, j'ai examiné plus de 15 000 personnes, à la fois des 6 ou 7 000 victimes et 6 ou 7 000 auteurs potentiels.
01:14Et j'ai eu la chance dans ma carrière d'examiner, parce que je pense que c'est une chance, des tueurs en série. J'en ai examiné pas mal en France.
01:23Voilà, alors pour répondre à votre question, madame, le travail d'un expert judiciaire, qu'il soit psychiatre ou psychologue d'ailleurs, ça répond à des questions qui lui sont posées par un magistrat instructeur.
01:35On travaille pour la justice essentiellement, notamment dans des affaires de crime. On essaie un petit peu de voir ce qu'il en est de la personnalité des auteurs ou également de l'intensité des séquelles sur la victime.
01:48D'accord. Et vous avez pu observer... Est-ce que vous avez pu observer des traits communs ou des similitudes, des traits psychologiques communs parmi les différents meurtriers que vous avez pu expertiser ?
01:58Oui, oui, oui. Alors notamment sur les tueurs en série. J'ai l'habitude de dire que les tueurs en série, c'est une expression évidemment, mais ils ne respirent pas le même oxygène que nous.
02:08C'est-à-dire qu'il faut vraiment avoir une analyse extrêmement fine, fouillée un petit peu de leur personnalité. Donc c'est pas simple. Quand on les examine, en tous les cas, ils sont arrêtés évidemment.
02:20Ils ont un palmarès criminel relativement important. Il y a d'ailleurs énormément de personnes qui sont fascinées par ce type de personnage.
02:28Moi, si vous voulez, j'ai eu la chance de rencontrer plusieurs. Alors des hommes et des femmes, beaucoup plus d'hommes que de femmes d'ailleurs. Mais il y a aussi des tueurs en série, ça existe.
02:40Au niveau des hommes, en tous les cas, pour répondre à votre question, il y a un, il y a une motivation, essentiellement d'ailleurs, en ce qui les concerne, c'est à ton autour de la sexualité.
02:51C'est comme ça. Donc je peux vous décrire les choses très rapidement, comme ça, au niveau de certains tueurs en série.
02:58Chronologiquement, le premier que j'ai vu, c'est Pierre Chanal. Enfin, pour ceux qui connaissent un petit peu la littérature criminelle, ça fait quand même 30 ans, 35 ans.
03:06Il avait un problème d'homosexualité refoulé, il sadisait comme ça. Et donc il a effectivement séquestré et enlevé des jeunes appelés dans un espace militaire.
03:17C'était un autre juge en chef. Et il les violait, il les tuait. Donc sur le plan de la sexualité, c'est une espèce comme ça de blessure chez lui.
03:26Et il ne pouvait avoir qu'une sexualité que si elle était sadisée. Donc c'est quand même assez redoutable.
03:34Après, j'ai vu Francis Holm. Alors Francis Holm, on l'appelle le retard du crime. C'est-à-dire qu'il a toupé pas mal de personnes un petit peu partout en France.
03:45Difficile à profiler ce personnage parce qu'en fait, au niveau des victimes, en règle générale, les tueurs en série sont très organisés, structurés.
03:53Et au niveau du profil des victimes, c'est toujours le même. Il y a un type comme Guy Georges, par exemple, dans la région parisienne.
04:00C'était des jeunes femmes entre 25 et 35 ans. Michel Fourniret, c'était des jeunes femmes vierges par rapport à un délire sur la virginité.
04:09Francis Holm, non. Lui, il a tué autant des petits garçons, des jeunes femmes, des jeunes hommes, des personnes âgées.
04:17Alors c'est pas très romantique ce que je vais vous dire, mais en fait, il prenait ce qu'il avait sous la main.
04:21En fonction d'une errance criminelle, en quelque sorte. Alors lui, il était totalement impuissant.
04:28On peut reprendre un peu votre question sur les motivations. Le couple Fourniret, ils sont très connus en matière criminelle.
04:37J'allais dire que même les Américains nous l'ont envie, celui-là, vous voyez.
04:39Et donc là, en fait, c'était un pacte comme ça au niveau d'un homme et d'une femme. C'est très particulier. C'est redoutable, redoutable.
04:49Et en fait, Michel Fourniret avait un mythe sur la virginité. C'est-à-dire qu'il considérait qu'à partir du moment où une femme n'était plus vierge, elle était vénale, quoi, en quelque sorte.
05:00Elle était impure. Et donc, il ne supportait pas. Tout simplement parce qu'il est né de mer naturelle.
05:07Donc, il y avait aussi une problématique autour de la sexualité, quoi, en ce qui le concerne. Il y a Jacques Rançon aussi. Jacques Rançon, c'est le tueur de la gare de Perpignan, que j'ai également examiné.
05:20Donc, lui, c'est un complexe au niveau de la virilité. C'est-à-dire qu'il n'arrivait pas à donner satisfaction à ses partenaires.
05:26Donc, au lieu d'aller consulter un psy, par exemple, ou d'en discuter avec sa partenaire, tout simplement, lui, il prenait sa voiture.
05:32Et puis, il m'a raconté qu'il allait à la chasse, quoi, en quelque sorte. Il repérait un petit peu également des jeunes femmes.
05:41Il les enlevait, les séquestrait, il les violait. Et compte tenu du comportement de la jeune femme, il les tuait ou pas, quoi.
05:51Ou alors, il y a aussi M. Lelandais, beaucoup plus récemment.
05:56– Oui. – Là aussi, ça tourne autour de la sexualité, mais une espèce de sexualité très exacerbée, quoi.
06:04Voilà. – Donc, ça tourne quand même beaucoup autour de la sexualité, de ce que vous me dites.
06:09Mais on a aussi l'impression qu'il y a beaucoup de choses qui se rapportent à l'enfance,
06:14à traumatisme d'enfance, de la maltraitance en tant qu'enfant.
06:16– Oui. Alors ça, c'est effectivement... Pour plager Simone de Beauvoir, je vous dirais qu'on ne met pas criminel, on le devient.
06:22Enfin, en tous les cas, c'est la façon dont moi, je réfléchis par rapport à ça.
06:28Il y a des anglo-saxons qui considèrent encore qu'il peut y avoir un chromosome un peu particulier.
06:32Moi, je ne crois pas du tout. Je ne crois pas du tout.
06:35En fait, je compare un passage à l'acte criminel à un crash d'avion.
06:41Alors, c'est tout à fait... Peut-être un peu étonnant, mais...
06:44En fait, vous savez, quand il y a un crash d'avion, en général, après, on cherche les boîtes noires.
06:48Et il y a des ingénieurs comme ça, dans les bureaux d'études, qui étudient un petit peu qu'est-ce qui s'est passé, quoi,
06:54au niveau de différents paramètres.
06:57Le passage à l'acte, c'est la même chose, criminel.
06:59C'est-à-dire qu'il y a différents paramètres qui font qu'à un moment donné, on passe à l'acte ou pas.
07:03Vous voyez ?
07:04Par exemple, sur votre question qui m'est souvent posée au niveau de l'éducation, de l'enfance,
07:10évidemment que ça joue.
07:12C'est une condition qui est nécessaire, mais qui n'est pas suffisante.
07:14Tous les petits garçons qui sont maltraités, carencés, qui ont cabossé, comme ça, au niveau de l'enfance,
07:20ne deviennent pas des tueurs ou des assassins.
07:24Il y a d'autres raisons.
07:25Alors, moi, mon boulot, et ce qui est passionnant, c'est d'essayer de comprendre,
07:29de rentrer dans la tête de ces gens-là.
07:31C'est jamais facile.
07:33Mais on essaie de le faire le mieux possible, quoi.
07:36Et comment vous vous y prenez, alors, pour...
07:38Alors, ce qu'il faut savoir, c'est que...
07:40Alors, notamment les tueurs en série, il y a une posture qu'il ne faut absolument pas avoir.
07:47C'est la posture de celui qui sait.
07:49Vous voyez ?
07:49C'est-à-dire, j'arrive...
07:50Moi, je suis le sachant, vous comprenez.
07:52Et vous, vous êtes effectivement la personne que je dois examiner, etc.
07:57C'est-à-dire, absolument pas de jugement moral, par exemple.
08:00Je ne suis pas là pour ça.
08:01Moi, je ne les condamne pas.
08:02Enfin, je ne suis pas là pour ça.
08:03Je suis là pour voir un peu comment ils ont fonctionné.
08:05Et surtout, il y a une relation de maître à élève.
08:09En sachant que le maître, ce n'est pas celui à qui on pense.
08:12Le maître, c'est lui.
08:14Et l'élève, c'est l'expert.
08:15Et en fait, on est une espèce d'éponge, en quelque sorte.
08:19On recueille la parole, vous voyez ?
08:21Par exemple, un type comme Michel Fourniray,
08:23la première fois que je l'ai vu,
08:25en Belgique, là, je suis resté 9 heures avec lui.
08:28Ce qui est extrêmement difficile.
08:30Je n'ai pas bossé pendant 15 jours après, vous voyez ?
08:32Parce qu'il faut digérer.
08:34Ce n'est pas si simple.
08:35Quand vous dites que vous ne portez pas de jugement moral
08:38lors de vos expertises,
08:39ce n'est pas un petit peu compliqué, justement,
08:41au vu des faits, au vu des personnes que vous expertisez ?
08:43Alors, évidemment.
08:45Je me souviens d'une de vos collègues
08:46qui m'avait interviewée par rapport à Michel Fourniray.
08:50Elle, elle était tout à fait péremptoire.
08:51Elle me disait, c'est l'incarnation du mal.
08:53Oui.
08:54Oui, c'est un monstre, certainement.
08:56Moi, en tant que papy, en tant que père, etc.,
08:59c'est un monstre.
09:01Il n'est pas question qu'il touche à mes enfants.
09:03Vous voyez ce que je veux dire ?
09:04En tant qu'expert, c'est autre chose.
09:06Pour répondre à votre question,
09:08il y a une espèce d'étanchéité, si vous voulez,
09:09qui se met en place.
09:11Et là, en fait, je suis en face d'un personnage
09:16qui a commis des séries de crimes, etc.,
09:19pour essayer de comprendre,
09:21de rentrer dans sa tête.
09:23Alors, c'est sûr que c'est une démarche difficile.
09:26Ce d'autant qu'on vit dans une société,
09:29on est très cartésien,
09:30c'est-à-dire qu'un et un, ça fait deux.
09:32En matière criminelle, c'est moins évident.
09:35Vous parliez de Pierre Chanal tout à l'heure.
09:37Oui.
09:38Est-ce que vous pouvez nous rappeler en quelques mots l'affaire
09:39et comment s'est passée votre rencontre avec lui ?
09:42Ah oui.
09:42Alors, Pierre Chanal, je ne l'ai pas rencontré tout de suite.
09:45En fait, on m'a demandé de le profiler.
09:48À l'époque, le profilage n'existait pas en France.
09:51C'était vraiment, c'était dans les années 80, 82.
09:56Et en fait, le directeur d'enquête,
09:58il y avait des appelés militaires jeunes,
10:04jeunes appelés qui disparaissaient,
10:06à Mourmelon, dans la Marne.
10:08Et on se demandait un petit peu où est-ce qu'ils étaient.
10:10Donc, pour l'armée, ils étaient déserteurs.
10:13Alors qu'en fait, pour les familles,
10:15c'était beaucoup plus compliqué.
10:17Puisqu'en fait, ils ne les ont jamais retrouvés, évidemment.
10:19Et donc, le directeur d'enquête a été complètement perdu.
10:23Et j'étais jeune expert à l'époque.
10:25Et il m'a demandé de profiler,
10:28de déterminer comme ça des traits de caractère éventuellement,
10:33pour les aider un petit peu comme ça,
10:34par rapport à différents suspects.
10:36Et donc, j'ai pris une feuille de papier,
10:39je l'ai divisé en deux.
10:40Au niveau des victimes, c'était relativement simple,
10:42puisque j'avais quelques dossiers qui m'avaient donné.
10:45Donc, c'était des jeunes appelés qui étaient encore un peu immatures,
10:47sur le plan notamment de la sexualité ou de l'homosexualité,
10:50puisque c'était un monde d'hommes,
10:52essentiellement, à l'époque, en tous les cas.
10:55Et au niveau de l'auteur, alors là,
10:58c'était de l'intuition, en fait.
10:59J'ai considéré que c'était un auteur et pas plusieurs,
11:03que c'était un criminel, de toute façon.
11:06J'ai déterminé quelques critères au niveau de sa personnalité,
11:10notamment que c'était un militaire frustré.
11:12La frustration en matière criminelle, c'est très important,
11:15parce qu'en fait, quelqu'un qui passe à l'acte,
11:19c'est quelqu'un qui est blessé narcissiquement,
11:20donc il cicatrise par rapport à ça,
11:23et donc il passe à l'acte, en quelque sorte.
11:25Et j'ai même été, et c'est vrai,
11:27j'ai même été jusqu'à donner le grade de l'auteur potentiel,
11:31un adjudant-chef,
11:33tout simplement parce que j'ai moi-même fait mon service militaire,
11:36je suis d'un certain âge,
11:37et donc j'ai fait mon service militaire,
11:40et je m'étais rendu compte que,
11:42au niveau de la chronologie de la hiérarchie militaire,
11:46il y avait ce qu'on appelle les officiers,
11:49les hommes de troupe.
11:50Et l'adjudant-chef, il était au milieu.
11:52C'est une espèce d'angle mort, en quelque sorte.
11:53C'est-à-dire qu'il ne rendait de compte à personne.
11:56Donc j'avais dit au directeur d'enquête,
11:58allez plutôt voir les adjudant-chef.
12:00Et en fait, je suis assez fier de mon profilage,
12:03parce que j'ai appris, ça fait relativement peu de temps d'ailleurs,
12:07que ce profilage a été validé par le FBI,
12:10à Cointico, aux Etats-Unis.
12:12Donc je suis assez fier de ça.
12:13Vous pouvez.
12:15Et donc votre rencontre avec lui, après, comment ça s'est passé ?
12:18Alors, je l'ai vu trois fois au personnel.
12:20La première fois que je l'ai vu, ça a duré deux minutes.
12:26Un type ciselé à la serpe, comme ça, extrêmement...
12:30Il était très soucieux de son corps,
12:32mais ça, c'est un trait de personnalité,
12:33de ce genre de tueur, si vous voulez.
12:36Il faisait beaucoup de sport.
12:37Alors, tous les gens qui font beaucoup de sport,
12:39ce ne sont pas des tueurs en série.
12:40Heureusement.
12:41Ce n'est pas ce que je veux dire du tout.
12:42Il m'a regardé droit dans les yeux.
12:45Il avait un regard bleu, perçant.
12:47Enfin, c'est vraiment impressionnant.
12:50Et il m'a donné son nom, son prénom,
12:55son numéro de matricule,
12:56puisque c'est un militaire, donc forcément.
12:59Et il m'a dit, c'est terminé.
13:01Je lui ai dit, ah bon, c'est terminé, oui.
13:03Et il m'a dit, j'espère que vous serez défrayés
13:07de vos frais de déplacement.
13:08Au revoir, monsieur.
13:09Ça a duré deux minutes.
13:10Je l'ai revu sept ou huit ans après,
13:16à Frennes, avant son procès,
13:19qu'il y a eu à Reims dans la Marne.
13:22Et là, par contre, il a accepté de me parler.
13:25J'ai vu deux fois, sur trois semaines à peu près,
13:28où effectivement, j'ai abordé pas mal de choses avec lui,
13:31sauf un point qui était absolument inabordable.
13:34C'est une espèce de forteresse imprenable.
13:37Tout ce qui est du domaine de la sexualité.
13:38Il ne supportait pas.
13:40Il était extrêmement défensif.
13:43Par contre, j'avais indiqué aussi au tribunal
13:47qu'en fait, il m'avait expliqué qu'il pouvait se suicider
13:50quand il voulait.
13:52Alors qu'en fait, il était surveillé, etc.
13:55Pour qu'il y ait un procès.
13:56Au niveau des familles, c'était très important.
13:58Et en fait, il s'est suicidé le deuxième jour de son procès.
14:03D'accord.
14:04Et vous avez plusieurs fois confié que votre expertise la plus marquante,
14:07c'était avec Michel Fourniret.
14:09Ah oui.
14:09Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi, lui en particulier ?
14:12Pourquoi ? Parce que c'est vraiment un type qui est d'un sadisme extrêmement important.
14:17Si, alors moi je suis un expert, j'ai peu de défense, je suis assez transparent ou authentique.
14:28C'est-à-dire, quand j'y vais, j'y vais.
14:30Et ce n'est pas simple, parce qu'on y laisse énormément de plumes.
14:34Ce type de personnage, par exemple,
14:37je sais que la première fois, je vous dis,
14:39je n'ai pas mangé pendant deux, trois jours,
14:42je n'ai pas bossé pendant quinze jours,
14:44je suis rentré dans ma voiture, je me suis mis à chialer.
14:47Tout simplement parce qu'il nous raconte des choses
14:49avec une délectation sadique très importante.
14:53Les trois premières heures où je l'ai rencontré en Belgique, la première fois,
14:58il m'a expliqué comment il avait tué sept ou huit jeunes filles.
15:00Vous voyez, il avait une caisse à outils, comme ça,
15:02avec différentes façons de tuer, etc.
15:05Et notamment, il en a étranglé six ou sept.
15:09Et c'est un petit monsieur avec des grosses mains.
15:12Et à un moment donné, dans l'entretien, je regarde ses mains.
15:17Et il sait très bien quoi je pense quand on regarde ses mains.
15:19C'est une évidence totale, quoi.
15:20Et il a senti à quoi je pensais.
15:25Ce sont des personnages qui ont une intelligence intuitive extrêmement importante.
15:31Et à ce moment-là, il me regarde droit dans les yeux et il me dit,
15:34« Monsieur l'expert, si vous me parlez de vos parents,
15:38si vous me posez des questions sur mes parents, je vous étrangle. »
15:43Bon, petit moment de solitude.
15:45Ce d'autant que c'était en Belgique et il y avait un gardien belge
15:50qui était à peu près 2 mètres, 2,50 mètres.
15:55Ça faisait à peu près trois heures que j'étais en entretien avec Fourniret.
15:58Donc le gardien avait une petite tendance à somme de lait.
16:01Donc je n'étais pas très rassuré.
16:03Effectivement.
16:04Donc là, soit j'y vais, soit j'y vais pas.
16:06Alors j'ai des collègues qui n'y vont pas,
16:09qui arrêtent, qui se protègent en quelque sorte.
16:11Moi j'y vais.
16:12Et je lui dis, « Monsieur, Fourniret, parlez-moi de vos parents. »
16:15Et il m'en parle pendant deux heures.
16:17En fait, c'est ça le sadisme du pervers.
16:19C'est-à-dire qu'il avait senti une fragilité chez moi,
16:22il s'est engouffré à l'intérieur.
16:24Et justement, au niveau des mesures de sécurité,
16:27comment ça se passe quand vous vous expertisez ?
16:29Oui, alors, ce type de personnage,
16:32ils sont isolés,
16:34parce qu'autrement il y a un temps qu'ils seraient morts,
16:36parce qu'il y a une justice carcérale qui passe avant la vraie justice,
16:39si je puis dire.
16:41Donc ils sont isolés.
16:43Et moi, quand je rencontre Fourniret,
16:45un matin, un jeudi matin,
16:47je m'en souviens encore très bien,
16:48ça fait quelques années, mais je me demande à très bien,
16:51il était enchaîné, entravé,
16:52et donc je demande aux gardiens belges
16:56qu'ils retirent tout ça.
16:57Alors ils me disent, comment ça, monsieur l'expert ?
17:00Vous voulez qu'on retire tout ça ?
17:01J'ai dit, oui, oui, tout à fait.
17:04Tout simplement parce que
17:05c'est un entretien
17:07d'égal à égal, en quelque sorte,
17:10de face à face,
17:11en tous les cas dans la forme.
17:14Voilà, mais autrement,
17:15pour répondre à votre question,
17:16il y a les conditions de sécurité, évidemment.
17:19Et vous avez également rencontré Monique Olivier.
17:22Comment ça s'est passé avec elle ?
17:24Oui, alors, c'est un couple,
17:26c'est un couple,
17:28ça fait pratiquement maintenant
17:3025, 26 ans
17:31qu'on m'interview systématiquement,
17:34tout simplement,
17:34sur ce couple-là,
17:36tout simplement parce que
17:37le juge d'instruction
17:39qui m'avait mandaté
17:40pour examiner à la fois
17:41Michel Fourniret et Monique Olivier,
17:44m'avait demandé
17:44d'examiner le couple,
17:46la systémie du couple,
17:48comment il fonctionne,
17:49l'un par rapport à l'autre,
17:50un peu comme deux muscles
17:52qui vont fonctionner en synergie.
17:54Il y en a un qui alimente l'autre.
17:57Et donc, à l'époque,
17:58la question,
17:58c'était,
18:00Monique Olivier se faisait passer
18:02pour quelqu'un
18:03qui est extrêmement soumise,
18:05dépendante,
18:06on dirait maintenant,
18:07sous emprise,
18:07en quelque sorte,
18:08par rapport à Michel Fourniret.
18:10Et donc,
18:10la stratégie de son avocat
18:12lors du premier procès,
18:14c'était qu'elle passe
18:15pour la prochaine victime potentielle
18:17de Fourniret.
18:18C'est-à-dire que si,
18:19effectivement,
18:20elle a assisté Fourniret
18:21dans tout ce qu'il a fait,
18:22elle n'avait pas le choix.
18:24Alors que moi,
18:24j'ai eu une hôtesse
18:25totalement différente.
18:27C'est-à-dire que,
18:27c'est une formule
18:28qui a été reprise pas mal,
18:29j'ai considéré
18:30que c'était Monique Olivier
18:32qui avait donné
18:33le permis de tuer
18:34à Michel Fourniret.
18:36Vous voyez ?
18:36Compte tenu de la personnalité
18:37de l'un et de l'autre
18:38que j'avais étudié,
18:39évidemment.
18:41Monique Olivier,
18:41pour répondre à votre question,
18:43je le ferai plus maintenant
18:44comme ça.
18:45Mais j'ai vu
18:45Michel Fourniret le jeudi,
18:47comme ça ne me suffisait pas,
18:50j'ai vu Monique Olivier
18:51le vendredi.
18:53Mais bon,
18:53c'est quand même énorme
18:54sur le plan
18:55de l'impact
18:56que ça peut avoir,
18:57si vous voulez.
18:59Et donc,
19:00Monique Olivier,
19:00l'administration belge
19:01ne l'avait pas prévenue
19:02que je venais.
19:04Donc,
19:04je suis arrivé
19:05le vendredi matin
19:07à 8h30,
19:07et je l'ai pris
19:09au sceau du lit,
19:10si vous voulez.
19:11Donc,
19:11hirsute,
19:12enfin,
19:12pas maquillée du tout,
19:13en claquettes,
19:14en survêtements,
19:15enfin,
19:15voilà.
19:16Donc,
19:16ça a duré
19:16toute la matinée
19:17et je lui ai dit
19:18Mme Olivier,
19:19je reviens cet après-midi
19:20puisque j'ai encore
19:21pas mal de questions
19:22à vous poser,
19:22etc.
19:22et je suis revenu
19:24à 14h,
19:25et là,
19:25elle était maquillée,
19:26apprêtée,
19:28habillée tout à fait
19:29autrement.
19:30Une espèce de relation
19:32de séduction
19:32d'un homme et d'une femme,
19:34quoi,
19:34peu importe qui est la femme,
19:35peu importe qui est l'homme,
19:36évidemment,
19:36ça n'a,
19:37voilà.
19:38Mais c'était tout à fait
19:40particulier.
19:41Et je pense que
19:42je suis un des seuls,
19:44je pense,
19:45dans ce dossier,
19:46en tous les cas,
19:46à l'avoir vu comme ça.
19:47Parce que
19:48si vous vous intéressez
19:50un peu aux affaires criminelles,
19:51vous allez voir que
19:51Monique Olivier,
19:53c'est quelqu'un qui passe
19:54pour effectivement
19:54très inhibé,
19:56très en retrait.
19:58Si elle pouvait passer
19:59entre le mur
19:59et le papier peint,
20:00l'aurait fait,
20:01si vous voulez.
20:01Vous voyez ?
20:02C'est-à-dire,
20:02j'existe pas.
20:04Alors qu'en fait,
20:04c'est une grande
20:05dissimulatrice,
20:06en fait.
20:07Vous lui avez attribué
20:07un quotient intellectuel
20:08plutôt élevé
20:10à Monique Olivier.
20:12Comment ça se passe
20:12justement,
20:13ce genre de test ?
20:13Vous vous en faites
20:14passer régulièrement
20:15des tests d'intelligence ?
20:16Oui, oui.
20:16En plus,
20:17c'était un collègue
20:18qui l'avait passé,
20:19qui était un grand technicien
20:20par rapport à ça,
20:21si vous voulez.
20:22J'avais pris ce qu'on appelle
20:23dans notre jargon
20:24un sapiteur.
20:24C'est quelqu'un
20:25qui va nous aider,
20:27qui est très performant
20:28dans ce type de passation.
20:30Ça dure quand même
20:31deux, trois heures,
20:32une détermination d'un QI.
20:35Et donc,
20:36effectivement,
20:36elle avait complètement
20:37joué le jeu.
20:38C'est-à-dire qu'elle
20:39n'avait pas dissimulé
20:40quelque chose.
20:42Alors que,
20:43nombreuses années,
20:4420 ans après,
20:45il y a eu un procès récent
20:46où c'est d'autres collègues
20:48qui l'ont examiné.
20:48Et là,
20:49elle a joué,
20:51elle a dissimulé
20:52totalement.
20:52donc elle a eu
20:55un quotient intellectuel
20:55beaucoup plus faible
20:57en quelque sorte.
20:58Vous pensez que c'est un peu
20:59la stratégie de sa part ?
21:01Ah ben,
21:01complètement,
21:02évidemment.
21:03D'accord.
21:04Vous avez suivi
21:05Michel Fourniret
21:05pendant 25 ans,
21:06il me semble,
21:06c'est ça ?
21:07Oui.
21:07Est-ce qu'il y a
21:08un moment
21:08où vous avez eu envie
21:10de tout arrêter ?
21:11Si,
21:11si,
21:12tout à fait.
21:14Alors,
21:14c'est tout à fait étonnant
21:15parce que,
21:16en fait,
21:17c'est un type
21:17avec lequel
21:18il aimait bien
21:19écrire un peu
21:19à tout le monde.
21:21Vous voyez ?
21:22Un jour,
21:23je l'avais examiné,
21:24j'en avais un peu marre
21:25de ce type-là
21:25parce que c'est pas évident,
21:26quoi.
21:27Et je reçois un courrier
21:30à mon cabinet
21:30où je vois,
21:32effectivement,
21:33numéro d'écrou,
21:34Michel Fourniret,
21:34Belgique.
21:35Waouh !
21:36En fait,
21:37il m'avait écrit
21:38un courrier
21:38où il voulait me revoir.
21:44Et moi,
21:44je voulais pas le revoir.
21:45J'en avais marre.
21:47Et j'étais...
21:47Le juge m'a dit,
21:48mais monsieur,
21:49vous êtes obligé
21:49d'aller le revoir
21:50parce qu'il fait
21:51une grève de la faim,
21:52etc.
21:52Enfin,
21:53une grève de la faim,
21:54la fournirait.
21:54C'est qu'il mangeait
21:55un peu de chocolat,
21:56quand même.
21:57Mais je lui ai dit,
21:58mais écoutez,
21:59oui,
21:59mais vraiment,
22:00je suis fatigué,
22:00je vais plus le revoir,
22:01ce type-là.
22:01Il me dit,
22:02mais vous êtes obligé.
22:03Et dans ce courrier,
22:04par exemple,
22:04il avait effectivement
22:06fait une espèce
22:07de compte-rendu
22:08de mon expertise,
22:09le concernant,
22:10et il m'avait noté.
22:11Et il m'a mis
22:124 sur 20.
22:14Et donc,
22:14j'étais très content
22:15parce que s'il m'avait mis
22:1718,
22:18je n'aurais pas fait
22:18mon boulot,
22:19enfin,
22:20le personnage,
22:21quoi.
22:22Et donc,
22:22j'étais obligé
22:24d'aller le revoir,
22:25je suis allé le revoir,
22:27et on était en face-à-face,
22:30comme on est là,
22:30actuellement,
22:31et je lui ai dit,
22:32mais pourquoi vous voulez
22:32me revoir exactement ?
22:33Il me dit,
22:33oui,
22:34mais bon,
22:34tout ce que j'ai raconté
22:35au juge,
22:35non,
22:36non,
22:36ne vous inquiétez pas,
22:37ce n'est pas du tout
22:38pour ça.
22:39Voilà.
22:40En fait,
22:40il me regarde
22:40et puis il me dit,
22:42comment ça va votre famille ?
22:44Alors là,
22:45j'ai pris ma mallette
22:46et je suis parti.
22:47C'est la dernière fois
22:48que vous l'avez vue ?
22:48Non.
22:49Je l'ai revue en 2018,
22:52en Alsace,
22:53pour un dernier procès
22:54où il a été condamné,
22:57d'ailleurs.
23:00Et là aussi,
23:00au bout de 5-6 heures,
23:01j'en avais marre,
23:02quoi.
23:03Mais on se connaissait bien,
23:05en fait.
23:06Et d'ailleurs,
23:07j'ai même,
23:11alors ça va vous paraître
23:12un peu scandaleux,
23:13en quelque sorte,
23:14mais j'ai même fait
23:15un peu d'humour
23:16avec ce type-là.
23:17C'est-à-dire qu'au bout
23:17d'un certain temps,
23:18on se connaît,
23:18quelque part,
23:19vous voyez.
23:20Et à un moment donné,
23:21il avait 78 ans
23:22et il m'a proposé
23:25de faire un bras de fer.
23:27Il s'amusait.
23:29Vous l'avez fait ?
23:30Oui,
23:30mais je ne vous dirai pas
23:31qui a gagné,
23:32parce que j'ai ma fierté
23:33personnelle.
23:36En dehors de ça,
23:37au bout de 5-6 heures,
23:39il me dit,
23:39mais monsieur l'expert,
23:40vous êtes fatigué.
23:41C'était vrai.
23:42Parce que vous savez,
23:43il faut absorber,
23:43il faut absorber,
23:44alors que lui,
23:45il est tout content,
23:46en fait.
23:47Parce qu'en fait,
23:48il peut parler de tout ça
23:49et c'est important
23:50puisqu'il y a l'isolement
23:52depuis des années.
23:53Voilà.
23:53et il se lève,
23:56moi je remballe mes affaires
23:57et il me met la main
23:58sur l'épaule.
24:00Et il me dit,
24:01bon retour.
24:02C'est en Alsace,
24:03enfin bon,
24:04bon retour.
24:06Et en général,
24:07je remonte dans ma voiture,
24:10mais quand je vois
24:10ce type de personnage,
24:11je suis obligé
24:12de décompresser un peu,
24:13si vous voulez,
24:13je ne peux pas repartir
24:13tout de suite,
24:14c'est un peu compliqué.
24:16Donc j'ai une playlist,
24:17etc.
24:17Enfin bon,
24:18compte tenu de mon vieil âge
24:19des années 80,
24:20voilà.
24:22Et là,
24:23juste avant
24:23de mettre la playlist
24:25en quelque sorte,
24:27je me dis quand même,
24:29j'ai encore souvenir
24:31de la pression de la main
24:32de Fourniray
24:33sur mon épaule,
24:34en sachant que
24:35c'est une soirée de main
24:36avec lui,
24:37parce que
24:37ça fait 20 ans avant,
24:39il m'avait expliqué
24:40comment il avait tué
24:40et étranglé les gens,
24:41etc.
24:43Les victimes.
24:46Et en fait,
24:47je ne sais pas pourquoi,
24:48mais j'ai fait une association
24:49entre la main de Fourniray
24:52et la main de mon père.
24:55Alors je me dis,
24:56il faut être fêlé quand même,
24:58il faut que j'aille voir un psy,
24:59parce qu'il y a un problème.
25:02Et en fait,
25:03je me suis souvenu
25:05de la main de mon père
25:05quand j'étais gamin.
25:08Il me mettait la main
25:09sur l'épaule.
25:10C'était pour me protéger.
25:12Donc faire l'association,
25:13c'est quand même
25:13très très particulier.
25:15Effectivement, oui.
25:16Et en règle générale,
25:18que ce tueur en série
25:20ou même les criminels
25:21en général
25:21que vous expertisez,
25:23est-ce que justement
25:24il y a un lien comme ça
25:25qui se crée
25:26à force de les côtoyer
25:28ou est-ce qu'en général
25:29ils sont coopératifs
25:30avec vous ?
25:31Oui, alors les tueurs en série
25:33sont extrêmement courtois
25:34et ils adorent nous recevoir
25:36parce qu'ils savent très bien
25:38qu'en fait ça va être restitué,
25:40etc.
25:41Vous voyez, par exemple,
25:42j'ai écrit au moins deux livres
25:45sur les tueurs en série
25:45et il n'y en a aucun
25:47qui m'a fait un procès.
25:48Au contraire.
25:49Alors, tout simplement
25:51parce que
25:52lorsqu'ils sont
25:53dans l'espace criminel,
25:55ils sont tout puissants.
25:56Ils ont une espèce
25:57d'impunité, etc.
25:58Et c'est d'ailleurs
25:59leur toute puissance,
26:00leur super égo,
26:01à un moment donné,
26:03ils font une erreur.
26:04Il y a un grain de sable.
26:04Et c'est comme ça
26:05qu'ils se font avoir,
26:06en quelque sorte.
26:06Et quand ils sont arrêtés,
26:11pour eux,
26:11c'est une espèce,
26:12en matière criminelle,
26:13ils s'entendent,
26:15c'est une espèce
26:15de petite mort psychique
26:16en quelque sorte.
26:17Là, ils sont incarcérés,
26:18ils ne peuvent plus
26:19mettre en place
26:22leurs fantasmes, etc.
26:24Les réaliser,
26:25en quelque sorte,
26:25et heureusement,
26:26pour la société, évidemment.
26:28Donc, il faut bien
26:29qu'ils fassent quelque chose.
26:30Donc, soit, effectivement,
26:31ils sont très contents
26:32qu'on vienne les voir,
26:33qu'on parle d'eux,
26:34soit, pour la plupart,
26:35par exemple,
26:37le couple Fourniret-Olivier
26:39Fourniret est décédé,
26:41mais Monique-Olivier,
26:43c'est une espèce
26:44d'hommage posthume
26:45à son mari,
26:46en quelque sorte.
26:46Vous voyez,
26:47elle a le même comportement
26:48que son mari, maintenant.
26:50Les juges cherchent
26:51à savoir
26:52où est enterré
26:52un tel, un tel, un tel.
26:54Actuellement,
26:54c'est la petite loger,
26:56c'était Estelle Mouzin,
26:57etc.
26:58Alors qu'en fait,
26:59ils ne trouveront jamais.
27:01Elle ne le dira jamais.
27:02Vous parlez de Michel Fourniret
27:03qui vous avait demandé
27:04comment elle est votre famille,
27:05tout à l'heure.
27:06Est-ce que ça vous est déjà arrivé,
27:07une tentative d'agression
27:08pendant une expertise
27:09ou qu'on vous menace ?
27:10Oui.
27:11Alors pas sur ce type
27:12de personnage.
27:13D'accord, oui.
27:13Parce que là,
27:14on est très à l'affût,
27:15on est très vigilants,
27:17etc.
27:18Là,
27:19maintenant,
27:20je donne des cours
27:20à des jeunes experts,
27:21etc.
27:21je leur explique surtout
27:24qu'ils soient hyper vigilants,
27:26surtout quand ils n'ont pas peur.
27:29Parce que c'est là
27:30qu'effectivement,
27:31moi je me souviens de...
27:32Alors c'est plus ce qu'on appelle
27:33des psychopathes
27:34dans notre jargon,
27:36c'est-à-dire des petites frappes,
27:38quoi, entre guillemets,
27:38c'est-à-dire des récidivistes,
27:40etc.,
27:41mais qui n'ont pas forcément
27:43d'ailleurs commis
27:44des crimes de sang,
27:45mais des délits,
27:46beaucoup de délits,
27:47etc.
27:49Où là,
27:49ils sont très impulsifs,
27:50très en colère,
27:51très intolérants.
27:53Et donc,
27:53de temps en temps,
27:53il y a des boutons
27:54sur lesquels il ne faut pas appuyer,
27:55quoi.
27:55Donc moi,
27:56j'ai déjà vu un tabouret
27:57qui m'est passé comme ça.
27:59D'accord.
27:59Ah oui, oui.
28:00Où il fait des trous
28:02dans les murs,
28:03etc.
28:04Dans des procès d'assises,
28:05j'ai déjà été raccompagné
28:07par la police,
28:08parce que non seulement
28:10il y a celui qui est jugé,
28:12mais il y a la famille
28:12de celui qui est jugé
28:13dans la salle,
28:14si vous voulez.
28:15Donc,
28:15en fonction de ce qu'on dit
28:16de temps en temps,
28:18ça ne leur fait pas plaisir,
28:19quoi.
28:19Vous voyez ?
28:20Et donc,
28:21vous expertisez aussi
28:22des victimes.
28:22Oui.
28:23Comment ça se passe
28:23dans ce cas-là ?
28:24Alors là,
28:25c'est différent.
28:27Je suis psy,
28:28donc j'ai une éthique professionnelle
28:31et donc je suis quand même
28:33très soucieux
28:33de la souffrance de l'autre.
28:35Je suis là pour ça,
28:35en tous les cas.
28:36J'essaye,
28:37même si l'expert judiciaire
28:38n'est pas thérapeute.
28:39C'est-à-dire que je ne revois pas
28:41les gens que j'examine
28:41en quelque sorte,
28:42puisque je suis mandaté
28:44par la justice.
28:46Mais j'essaie quand même
28:47de les aider
28:48dans leur reconstruction.
28:51Quand j'observe
28:52qu'elles sont quand même
28:52extrêmement traumatisées,
28:54cabossées,
28:55parce qu'en fait,
28:56c'est une des missions
28:56qu'on me demande
28:58au niveau de l'expertise
28:59des victimes,
29:00de mesurer l'intensité
29:01du traumatisme,
29:02par exemple.
29:02quand je vois qu'elles sont
29:05vraiment très traumatisées,
29:08ça m'arrive,
29:08par exemple,
29:09de leur dire
29:09que je les crois,
29:11et notamment
29:11des victimes de viols,
29:12parce qu'elles véhiculent
29:15une culpabilité massive.
29:17Et les procédures,
29:18ce n'est pas simple
29:19pour elles,
29:20en tous les cas.
29:20Bien sûr.
29:21Vous avez déjà expertisé
29:23une victime
29:24et son agresseur ?
29:25Oui.
29:26C'est très intéressant.
29:28C'est très intéressant
29:29parce que là,
29:29on a une vision globale,
29:30en quelque sorte.
29:31et donc on peut voir
29:32en fonction des interférences.
29:35Oui, oui, oui,
29:35ça m'arrive assez souvent.
29:37Et à force de côtoyer
29:39des tueurs
29:40et des criminels,
29:41est-ce que
29:41s'il vous arrive
29:42d'en rêver la nuit
29:43ou d'y penser
29:44dans vos tâches quotidiennes ?
29:45Alors,
29:46quand j'étais beaucoup plus jeune,
29:47oui,
29:48sans problème,
29:48et notamment
29:49le procès d'assise.
29:53Il faut savoir que
29:54quand il s'agit
29:55d'une affaire criminelle,
29:57on voit la personne,
29:59mais le procès d'assise,
30:00compte tenu des délais
30:00de la justice,
30:01encore actuellement,
30:03c'est trois ans,
30:04trois ans et demi après.
30:06Comprenez que c'est auto-effaçable.
30:08C'est-à-dire que
30:08moi,
30:09je fais
30:10ou je faisais
30:10à peu près
30:11300 expertises par mois.
30:1330 expertises par mois,
30:14pardon.
30:15300 expertises par an,
30:16à peu près.
30:17Donc,
30:18c'est auto-effaçable,
30:18forcément.
30:19le procès d'assise,
30:24quand on est cité
30:26à comparaitre,
30:27en quelque sorte,
30:28on n'a rien fait,
30:30mais c'est au niveau professionnel,
30:31évidemment.
30:32Quand j'étais jeune expert,
30:34je ne dormais pas
30:34pendant deux,
30:35pour répondre à votre question,
30:36je ne dormais pas
30:37pendant deux,
30:37trois nuits avant,
30:39je revisais mon expertise
30:40en long,
30:41en large,
30:41en travers,
30:42à l'endroit,
30:42à l'envers,
30:42c'est du stress,
30:45mais c'est complètement normal.
30:49J'ai aussi des collègues,
30:50par exemple,
30:50qui sont très bons à l'écrit
30:52quand ils font une expertise,
30:53quand ils rédigent une expertise,
30:55mais qui sont beaucoup moins bons
30:56à l'oral,
30:56parce que c'est un exercice
30:57qui n'est pas facile.
30:59De déposer devant,
31:01à la barre d'une cour d'assise,
31:02vous avez...
31:03Parce que le procès d'assise,
31:05c'est un vaste psychodrame,
31:06en quelque sorte.
31:08Et puis,
31:08il y a aussi le caractère,
31:10l'oralité des débats,
31:10donc il y a les avocats aussi,
31:12qui nous posent des questions,
31:14qui nous embêtent,
31:15évidemment.
31:16Vous parliez tout à l'heure
31:17d'une sorte de sas de décompression
31:19entre le moment de votre expertise
31:20et le retour à votre vie quotidienne.
31:22Oui.
31:22Est-ce que vous avez,
31:23du coup,
31:23vous avez parlé des playlists ?
31:25Est-ce que vous pouvez un peu
31:25nous décrire votre rituel après,
31:27quand vous...
31:27Oui.
31:28Alors,
31:28j'ai...
31:29Tout à fait.
31:30Vous savez,
31:30le rituel,
31:31ça permet de compenser une angoisse,
31:32c'est bien connu.
31:35Donc,
31:35par exemple,
31:36avant le procès d'assise,
31:38la veille et au soir,
31:39je relis mon expertise
31:41la veille et au soir,
31:42tout le temps.
31:42Et je surligne un petit peu
31:47les choses qui me paraissent
31:48saillantes,
31:49importantes,
31:50avec un stabilobus de couleur jaune.
31:54C'est obligatoirement de couleur jaune.
31:57Ça m'est déjà arrivé
31:58d'aller chercher chez un voisin,
32:01il est 10 heures du soir,
32:03un stabilobus jaune,
32:04parce que j'en avais plus.
32:06Vous voyez,
32:06ça ne peut pas être vert.
32:08Enfin,
32:08voilà,
32:08c'est une ritualisation.
32:10Voilà.
32:10autrement,
32:15pour décompresser après,
32:16pour répondre à votre question,
32:19alors,
32:20je lis des ouvrages de philosophie.
32:24Bon,
32:26pas forcément détective,
32:27mais pourquoi pas ?
32:29Tout simplement parce que ça me permet
32:33de prendre un peu de hauteur
32:34par rapport à ce que je vis
32:35professionnellement
32:36au quotidien.
32:39J'aime beaucoup le sport aussi.
32:42J'en fais un peu moins
32:43parce que j'ai eu un problème cardiaque,
32:44mais je fais encore du sport.
32:47et je lis également des ouvrages
32:50de littérature anglaise
32:52du 18e siècle.
32:55C'est-à-dire,
32:56j'aime beaucoup
32:56dans des salons de thé,
32:59etc.,
33:00des petites anglaises
33:01qui boivent le thé
33:02et qui racontent un peu
33:03leurs histoires sentimentales.
33:06Ça me plaît bien.
33:07Est-ce que votre métier
33:09a déjà pu inquiéter vos proches
33:11ou même inquiète encore
33:12vos proches actuellement ?
33:14Je peux vous donner
33:14une réponse très synthétique.
33:16C'est-à-dire qu'actuellement,
33:18je vis dans une grande maison,
33:20tout seul.
33:22J'ai eu trois compagnes.
33:24J'ai un certain nombre d'enfants.
33:26Trois enfants.
33:28Et voilà,
33:29parce que c'est pas simple,
33:33en fait.
33:33Mes trois compagnes
33:37étaient passionnées
33:39par ce que je faisais.
33:40Notamment,
33:41ma dernière compagne,
33:42j'ai vécu 20 ans avec elle.
33:44Pendant 10 ans,
33:4512 ans,
33:45elle était très passionnée.
33:46Au bout d'un certain temps,
33:48elle s'est orientée
33:49vers d'autres centres d'intérêt
33:50pour elle,
33:50en quelque sorte.
33:52Moi, je suis passionné
33:52par mon boulot.
33:53Donc, à un moment donné,
33:54voilà quoi,
33:55on prend la distance.
33:56C'est un métier
33:57assez solitaire, au final.
33:59On est très seul.
34:00Et d'ailleurs,
34:01c'est la raison pour laquelle
34:01j'ai publié
34:03mes deux premiers livres
34:04chez Grasset,
34:04parce que
34:06j'ai considéré
34:08que j'en avais besoin
34:08d'ailleurs,
34:09à titre personnel.
34:11Ça remplace
34:12les anxiolytiques.
34:13C'est pas plus mal.
34:14Et puis,
34:15je considérais
34:15que c'était un métier
34:16qui était méconnu,
34:17alors qu'en fait,
34:18on a beaucoup de responsabilités.
34:20On ne connaît
34:21ce métier d'expert psy
34:23uniquement quand il y a
34:24des faits divers
34:24ou quand on se plante
34:26dans le diagnostic
34:27qu'on fait ressortir
34:29des gens
34:29et qu'ils recommencent.
34:30alors qu'en fait,
34:3198% de notre boulot,
34:32ce n'est pas ça.
34:34Et vous exercez
34:35encore actuellement ?
34:36Alors,
34:37je vais avoir 73 ans
34:38le mois prochain
34:38et je travaille
34:41encore 30 heures
34:41par semaine,
34:42alors que je ne peux
34:43être très bien arrêté.
34:44Mais je suis passionné.
34:46Et est-ce que,
34:46justement,
34:47avec l'expérience,
34:48on devient moins sensible
34:49à l'horreur
34:51quand vous expertisez
34:53par rapport
34:53à vos débuts ?
34:54Disons qu'on l'absorbe
34:56davantage,
34:57en même temps,
34:58non.
34:59On parle bien
35:00d'horreur
35:00ou de choses
35:02qui vous touchent
35:02comme ça
35:03au plus profond
35:03de vous-même
35:04ou dans votre intimité.
35:07J'ai récemment
35:08examiné une maman
35:09qui avait tué
35:10ses trois enfants
35:11en bas âge.
35:14Je suis blindé.
35:17Sauf que
35:17je suis resté
35:18deux, trois heures
35:19avec elle.
35:20Je suis remonté
35:20dans ma voiture
35:21et je me suis mis
35:22à chialer.
35:23Oui,
35:24pour répondre
35:24à votre question.
35:26Merci beaucoup,
35:26Jean-Luc Ployer.
35:27Merci à vous
35:28de nous avoir écoutés.
35:29Vous pouvez retrouver
35:30les livres de Jean-Luc Ployer
35:31L'approche du mal
35:32et la passion du mal
35:33chez Grasset.
35:34Et nous vous retrouvons
35:35une prochaine fois
35:35pour une autre interview.