Birgit Holzer, journaliste correspondante pour la presse allemande, Thomas Wieder, journaliste au Monde et ancien correspondant à Berlin et Joseph de Weck, expert associé à l’Institut Montaigne, reviennent sur l'investiture ce mardi du nouveau chancelier chrétien-démocrate allemand, Friedrich Merz. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-05-mai-2025-8596490
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00:00Une table ronde ce matin, à la veille de l'accession au pouvoir du nouveau chancelier allemand Friedrich Merz.
00:07Il promet un grand tournant pour l'Allemagne, en aura-t-il les moyens ?
00:11On va en parler Léa avec nos invités.
00:14Birgit Holzer, bonjour. Vous êtes correspondante à Paris pour plusieurs titres de la presse régionale allemande
00:19et pour le magazine franco-allemand Paris-Berlin.
00:21Thomas Wider, bonjour. Vous êtes journaliste au Monde, ancien correspondant à Berlin.
00:25Merci d'être là. Et Joseph Deweck, directeur Europe du cabinet de conseil Green Mantel,
00:29chercheur au Foreign Policy Research Institute et expert associé à l'Institut Montaigne.
00:34Soyez les bienvenus. Ce sera la grande actualité de la semaine.
00:39Le conservateur Friedrich Merz, dont le parti la CDU-CSU est arrivé en tête des dernières élections fédérales allemandes,
00:47sera en effet élu officiellement chancelier demain par les députés du Bundestag.
00:53La composition du gouvernement sera connue, elle, dès aujourd'hui.
00:58Alors, avant d'évoquer le fond de la politique, parlez-nous de l'homme.
01:04Il a 69 ans, il n'a pas d'expérience gouvernementale, il vient de la finance,
01:09il est souvent présenté comme l'anti-Merkel.
01:12Qui est-il vraiment, Thomas Wider ?
01:15Alors, je dirais que Friedrich Merz, c'est à la fois l'histoire d'une revanche et d'une métamorphose.
01:20Une revanche parce que c'est quelqu'un qui, depuis 25 ans, attend d'être chancelier,
01:24mais qui a vu son ambition bouchée, freinée par Angela Merkel,
01:28qu'il a empêché d'accéder au premier plan des responsabilités.
01:31Donc, il y parvient enfin aujourd'hui.
01:33Et je pense que ça compte dans sa volonté de marquer le coup, de marquer l'histoire.
01:36C'est aussi l'histoire d'une métamorphose.
01:38Pourquoi ? Parce que c'est quelqu'un qui vient plutôt de la droite de la CDU.
01:42Donc, l'union chrétienne-démocrate allemande, sociétalement conservateur,
01:46économiquement libérale, financièrement orthodoxe.
01:49Et c'est quelqu'un qui, depuis les élections du 23 février,
01:53a finalement opéré une métamorphose, un revirement assez spectaculaire,
01:57en prenant deux décisions.
01:59Celle, d'abord, de lever le frein à la dette,
02:02c'est-à-dire ce frein constitutionnel qui empêchait à l'Allemagne
02:05de dépasser 3% de déficit public,
02:09de le lever donc pour les dépenses de défense.
02:11Première décision.
02:12Et seconde décision, de créer un fonds spécial de 500 milliards d'euros
02:17pour investir dans les infrastructures du pays.
02:19Ce qui était plutôt une revendication des sociodémocrates,
02:22les alliés de son prochain gouvernement.
02:23On va reprendre les différents points que vous avancez là,
02:27mais c'est vrai que c'est une révolution d'abord intérieure,
02:29avant la révolution qu'il veut faire en Allemagne.
02:31C'est lui-même qui a changé, c'est lui-même qui a muté,
02:34comme vous dites, qui s'est métamorphosé.
02:36Birgit Holzer, comment vous décririez la personnalité,
02:39le parcours politique de celui qui prend la main,
02:41demain, de la première puissance européenne ?
02:44C'était l'ennemi d'Angela Merkel et leur relation,
02:48lui la déteste, elle le méprisait.
02:50C'était un peu ça ou c'est un peu court ?
02:52C'est un peu fort, je pense.
02:53Mais effectivement, quand il s'agissait vraiment de ce patre,
02:56de la présidence du parti,
02:58où même, effectivement, elle était chancellière.
03:01Lui, il est même parti de la politique pendant un certain temps,
03:05parce qu'il ne pouvait pas coexister.
03:07Donc, d'une certaine façon, il y avait ce combat qu'elle a gagné.
03:11Maintenant, il est revenu sur la scène,
03:13il est un peu contesté dans son propre parti aussi.
03:16Ce n'était pas facile pour lui de se faire élire président du parti.
03:19Il a réussi, finalement.
03:22Et aujourd'hui, Merkel a des mots un peu plus neutres, le concernant.
03:28Elle avait eu du mal à vraiment dire clairement qu'elle voterait pour lui.
03:32Pourquoi ? Pourquoi elle s'en méfie comme ça ?
03:35Ils n'ont pas la même ligne politique.
03:37Je pense que même au niveau personnel, ça n'a pas forcément bien fonctionné.
03:41Lui, c'est quelqu'un d'assez autoritaire, je pense, dans sa façon d'apparaître.
03:49Assez charismatique, je dirais, par rapport au chancelier sortant, Olaf Scholz.
03:55Donc, ça peut donner un changement très ambitieux, ça c'est sûr.
04:00Et puis, il a une longue carrière politique.
04:02Il arrive vraiment vers la fin.
04:03Donc, effectivement, il arrive à un moment où il va essayer de mettre en place quelque chose.
04:09Est-ce qu'il aura les moyens ?
04:11Joseph Deweck, sur l'homme ?
04:14Je pense que si les Français devraient retenir une chose, ce Friedrich Merz,
04:17c'est que dans son bureau, sur sa table de travail,
04:21il a une photo de Charles de Gaulle et de Konrad Adenauer.
04:25C'est dans un petit cadre argenté.
04:27C'est une photo en noir et blanc.
04:30Et les deux hommes d'État sont dans la cathédrale de Reims.
04:34C'est en 1962.
04:36Et je pense que ça nous dit deux choses sur Friedrich Merz.
04:39Premièrement, ça nous dit que la France joue vraiment un rôle primordial
04:43dans l'idée de Friedrich Merz, comment il veut reconstruire l'Europe,
04:47comment il veut créer cette Europe de la défense.
04:50Et deuxièmement, ça nous démontre que Merz, il pense en des termes historiques.
04:55Il veut marquer l'histoire, il lit des livres d'histoire,
04:59il veut entrer dans leurs livres d'histoire.
05:01Et comment le faire ?
05:02Il regarde de l'avant, il tourne la tête vers l'Europe.
05:05Et dans ce sens-là, il est très similaire à Macron,
05:08qui a aussi cette vanité, cette ambition de marquer de l'histoire.
05:12Il promet un grand tournant pour l'Allemagne.
05:14Peut-être le plus grand tournant depuis Thomas Wider.
05:18Depuis quand, en fait ?
05:1945, 89, la chute du mur.
05:23Comment dater les choses ?
05:24Je pense 45 et 90, parce que finalement, 45, c'est la rupture avec 45, c'est la rupture avec l'ordre américain.
05:35L'Allemagne, il faut quand même toujours avoir ça en tête.
05:37L'Allemagne fédérale s'est construite après la guerre avec le soutien des États-Unis.
05:42Le plan Marshall, la constitution allemande a été pilotée quasiment par les Américains.
05:47Et aujourd'hui, la rupture que l'on voit à Washington, le discours de J.D. Vance à Munich,
05:53ville allemande, le 16 février dernier, a profondément traumatisé les Européens,
05:56mais les Allemands au premier chef.
05:58Donc, rupture avec cet ordre-là.
06:00Rupture aussi avec 1990, parce que 1990, c'est la réconciliation avec la Russie, avec Moscou.
06:07Et là, on voit qu'évidemment, cette rupture est consommée.
06:11C'est vrai que, je suis d'accord avec ce que dit Joseph Deweck,
06:14que je pense que Friedrich Merz a cette conscience, en tout cas,
06:18que l'Allemagne, son pays, l'Europe en général, traverse un moment historique.
06:24Il a dit, l'Allemagne doit sortir de son rôle de freineuse
06:27et abandonner son attitude moralisatrice et arrogante en Europe.
06:32Ça, c'est une phrase très forte, parce qu'on a vu que ces dernières années,
06:37notamment sous Olaf Scholz, l'Allemagne,
06:40qui pourtant, quand Scholz était arrivée aux responsabilités,
06:43avait de grandes ambitions européennes,
06:44a beaucoup déçu ses partenaires,
06:47a beaucoup déçu la France,
06:48mais aussi l'ensemble des partenaires européens,
06:50par sa capacité à bloquer le mécanisme européen,
06:54pour une raison toute simple, qui est politique.
06:56C'est qu'il y avait une coalition tripartite au pouvoir à Berlin,
06:58avec trois partis qui, souvent, n'étaient pas d'accord.
07:01Donc, quand on n'était pas d'accord, l'Allemagne s'abstenait à Bruxelles.
07:03Et quand l'Allemagne s'abstient à Bruxelles,
07:05il ne se passe rien, c'est toute l'Europe qui est bloquée.
07:07C'est une vraie révolution mentale et culturelle
07:11que les Allemands sont en train de vivre,
07:14à l'image de leur futur chancelier.
07:15C'est-à-dire que, c'est vrai que ce qui est très étonnant,
07:17c'est que c'était sans doute celui qui était considéré
07:19comme le plus atlantiste, le plus libéral,
07:22et il fait une mue en quelques semaines, en quelques mois,
07:25c'est-à-dire depuis son élection,
07:26et puis concomitante à l'élection de Trump,
07:29ça bascule quasi de l'autre côté.
07:31C'est-à-dire qu'il explique que c'est fini l'Amérique.
07:33Or, pour un Allemand né après 1945,
07:38c'est une révolution totale, non ?
07:40Est-ce que c'est uniquement chez les élites
07:42ou tout le peuple comprend qu'il va falloir penser différemment en Allemagne ?
07:45Je pense que le peuple le comprend,
07:47parce qu'on a vu effectivement le discours de J.D. Vance à Munich.
07:52On a aussi vu la déflagration de Volodymyr Zelensky à Washington
07:57par Donald Trump, et on a été choqués.
08:01Et je pense que Friedrich Merz reprend ce sentiment d'électrochoc.
08:06On sent aussi qu'on n'est plus protégés.
08:09Même notre sécurité, qu'on a donnée pendant longtemps dans les mains des Américains,
08:15elle n'est plus assurée.
08:17Il va falloir commencer à discuter d'une alternative,
08:20et surtout de comment organiser notre propre défense,
08:25ce qui est une demande d'Emmanuel Macron.
08:27Et donc là-dessus, les deux, Friedrich Merz et Macron, vont se rejoindre d'une certaine façon.
08:32Ce Merz aussi qui a dit que l'Europe doit devenir indépendante maintenant.
08:37Et je ne pense jamais dire ça à la télévision allemande.
08:41Donc c'est lui-même qui exprime ce revirement total.
08:45Sur la défense, sur la grande politique de réarmement,
08:49sur les grands plans de construction d'infrastructures,
08:52sur la réindustrialisation, sur le fait de sortir aussi,
08:55on en a parlé, on en a dit un mot, le carnet tchèque,
08:58de s'asseoir sur les déficits révolutionnaires.
09:02Et le mot, Joseph Deweck ?
09:03Pour l'Allemagne, oui, je pense qu'il y a deux grands défis pour ce prochain chancelier.
09:08Le premier, économique.
09:10L'Allemagne est en stagnation économique depuis 4 ou 5 ans.
09:14Et si dans 4 ans, il veut se représenter,
09:16il faut qu'il ait un bilan positif sur le point économique.
09:20Alors là, il a sorti le canon fiscal.
09:23C'est une vraie révolution.
09:24On n'a pas vu ça depuis très très longtemps,
09:26depuis les années 90, que l'Allemagne fait des grands déficits.
09:30Alors ça, ça va être quelque chose qui va aider,
09:32surtout dans le contexte d'une guerre commerciale qui nous attend.
09:36Deuxième point, c'est créer cette Europe de la défense.
09:40On a décrit que vraiment, mentalement, il y a un grand changement.
09:43Et on le voit dans les sondages.
09:44Il y a maintenant une majorité, par exemple, des Allemands,
09:47qui veulent discuter avec la France,
09:49par exemple du partage de la force de frappe française,
09:52avec d'autres Européens.
09:54Quelque chose qui est complètement impensable,
09:56il y a seulement deux ou trois ans,
09:57qu'on devrait faire la défense en tant qu'Européens.
10:01Et là, le franco-allemand va vraiment jouer un rôle clé.
10:04Ce matin, j'ai publié un papier avec Chahine Valley dans le Grand Continent
10:08pour une roadmap franco-allemande,
10:10pour créer cette Europe de la défense.
10:12Ça va être compliqué pour les Français et pour les Allemands.
10:14Vous y croyez vraiment ?
10:15Vous pensez vraiment que c'est ce serpent,
10:19cette tarte à la crème qu'on entend depuis des années,
10:22depuis qu'on est petit ?
10:23C'est maintenant ?
10:25Le moteur franco-allemand.
10:26Oui, j'y crois.
10:28Et d'ailleurs, le moteur franco-allemand,
10:29peut-être qu'il n'a pas trop marché les dernières dix ans,
10:32mais il a quand même réussi dans la pandémie.
10:34Je me souviens, par exemple, du fond de pandémie
10:36qui a été mis en place par Macron et Merkel ensemble.
10:39Et je pense qu'aujourd'hui,
10:40il y a un vrai sentiment d'urgence en Allemagne
10:44qu'il faut agir et qu'il faut faire en tant qu'Européens.
10:47Mais ce n'est pas seulement aux Français ou aux Allemands de changer,
10:51aussi les Français doivent penser nouvellement
10:53à faire d'autres choix.
10:55Par exemple, européaniser leur industrie d'armement,
10:59par exemple, réfléchir comment est-ce qu'on peut mettre
11:01la force de frappe à la disposition des autres Européens.
11:04C'est aussi des tabous français qui vont être adressés.
11:07Pas seulement les Allemands doivent changer dans ce nouveau temps.
11:10Thomas Wider.
11:11En politique, il faut des paroles, mais il faut aussi des actes.
11:13Les paroles, elles sont là.
11:15Friedrich Merz a effectivement eu des mots très forts.
11:19Maintenant, arrive son investiture.
11:22Demain arrive son premier déplacement à Paris et à Varsovie.
11:25après-demain, il va falloir rentrer dans le dur.
11:28Il va falloir qu'il annonce des mesures qu'il va prendre.
11:31Et pour rebondir sur ce que vient de dire Joseph,
11:34c'est très bien de débloquer tout l'argent qu'on veut pour la défense.
11:39La question, c'est où est-ce qu'on va mettre cet argent ?
11:42Quand Scholz avait fait déjà 100 milliards d'euros pour la défense,
11:44la première décision qu'il avait prise,
11:46c'était d'acheter des avions de chasse F-35 américains.
11:49Ça avait été très mauvais pour l'Europe de la défense, finalement.
11:52Là, la question est posée à Friedrich Merz.
11:55Où va-t-il mettre tous ces milliards ?
11:56Et on n'a pas la réponse ?
11:57On n'a pas des indices pour l'instant ?
11:59Pour l'instant, on a assez peu de réponses.
12:01C'est-à-dire que vous attendez de sa visite demain à Paris ?
12:03Peut-être des signaux pour savoir si, effectivement,
12:06il va y avoir des indices.
12:07S'il va acheter des avions français ou pas ?
12:09C'est un petit peu difficile parce qu'ils ne sont pas forcément disponibles
12:12pour porter les bombes nucléaires qui protègent l'Allemagne.
12:16Mais en tous les cas, vous savez qu'il y a depuis plusieurs années
12:17un projet très important sur l'avion de combat du futur,
12:21sur le char du futur, qui sont des projets européens
12:23qui sont un petit peu encalminés ces derniers temps
12:27et pour lesquels on attend notamment une impulsion allemande.
12:29Là, il peut faire un geste très important
12:31en faveur d'une européanisation de la défense.
12:35Merz s'est affaibli dans les sondages.
12:38Pas très glorieux, ces sondages.
12:40Seul un Allemand sur cinq lui fait confiance.
12:4317% seulement des sondés trouvent Merz sympathique.
12:49Une majorité ne pense pas qu'il fera mieux qu'Olaf Scholz,
12:53ce qui ne me semble pas être un compliment.
12:56Pourquoi Merz ne bénéficie d'aucun état de grâce ?
12:59Comment explique-t-on cette impopularité avant même son entrée en fonction ?
13:04Ce n'est pas quelqu'un qui est très proche du peuple, déjà.
13:06Ce n'est pas quelqu'un qui sait vraiment parler d'une façon
13:09où on peut s'identifier à lui.
13:11C'est quelqu'un qui est vu comme l'élite, l'élite finance.
13:15Et donc, il va falloir construire cette relation aussi avec les gens.
13:18Il va falloir aussi être sympathique
13:20parce qu'il est connu comme le leader de l'opposition
13:23qui peut être cassant, justement,
13:26qui ne s'entendait pas très bien avec Angela Merkel.
13:29Donc, je pense que sur son image, il va falloir travailler.
13:31Après, on est vraiment dans une situation,
13:33il y a une certaine désillusion.
13:35On sait qu'il n'a pas beaucoup de marge de manœuvre.
13:37L'économie allemande a des problèmes
13:39à cause du contexte géopolitique.
13:42Ce n'est pas Friedrich Merz qui peut changer beaucoup ça.
13:45Et donc, on sait déjà que ça va être compliqué pour lui.
13:48Puis, il est à la tête d'une coalition.
13:49C'est ce que j'allais dire.
13:50La coalition, qu'est-ce qu'on peut en dire ?
13:53Ça va marcher ? Elle est fragile ?
13:56Ils ont obligé que ça marche.
13:58Après, ils n'ont que seulement 12 sièges au-delà de la majorité.
14:02Donc, elle est très fine.
14:05Il est l'AFD, l'extrême droite, qui monte encore dans les sondages.
14:09Donc, il est important qu'il met encore plus de pression.
14:12Il y a aussi la question du cordon sanitaire.
14:14Comment on gère la relation avec l'extrême droite ?
14:17Donc, il y a beaucoup de questions qui se posent.
14:19Et on n'est pas sûr que Friedrich Merz sache trouver les réponses.
14:23La question du cordon sanitaire, c'est une question qui divise le parti de Friedrich Merz, la CDU.
14:29En janvier, je crois que la CDU avait voté avec l'AFD une loi sur l'immigration.
14:35Ce qui avait scindé encore plus le parti.
14:36Est-ce qu'on peut travailler avec eux ?
14:38Est-ce qu'on peut voter des lois avec eux ?
14:40Ou est-ce qu'il faut un cordon sanitaire ?
14:41Vous en êtes là aujourd'hui en Allemagne.
14:43Comment ça se passe, Thomas Wider ?
14:44La question, elle continue de se poser.
14:46Parce que vous vous rappeliez, Léa, qu'en janvier, effectivement, l'AFD et la CDU avaient voté ensemble au Bundestag.
14:52Mais pas plus tard qu'il y a deux semaines, deux membres éminents de la coalition de Merz,
14:57Jens Spahn, l'ancien ministre de la Santé, chef du groupe parlementaire,
15:00et Johan Waddeful, qui est le nouveau ministre des Affaires étrangères,
15:04ont dit qu'il fallait coopérer avec l'AFD au Parlement.
15:08Notamment pour que l'AFD puisse avoir des présidences de commissions parlementaires.
15:13Ça a suscité, évidemment, le rejet de la gauche, mais aussi le rejet d'une partie de la CDU.
15:18Alors, il ne s'agit évidemment pas de gouverner en commun,
15:21mais en tous les cas de tendre la main à ce parti.
15:23Et là où la situation est extrêmement compliquée,
15:26et vraiment politiquement, je crois qu'il faut que nos auditeurs en aient conscience,
15:29c'est que vendredi dernier, l'Office de protection de la Constitution,
15:33les services de renseignement intérieur,
15:35ont décrété que l'AFD était une menace pour l'ordre démocratique libéral.
15:40Il a décidé que, du coup, les agents du renseignement pouvaient mettre sur écoute
15:46les responsables et les élus de l'AFD.
15:49Jusqu'à présent, c'était seulement quelques fédérations du parti d'extrême droite
15:52qui étaient placées sous surveillance.
15:54Or, que faire ?
15:55Vous avez en Allemagne un débat qui existe depuis deux ou trois ans,
15:58avec des députés, notamment de la CDU,
16:00qui prônent une interdiction de ce parti.
16:03Que faire ?
16:03Quand vous avez les services de renseignement qui disent que ce parti est une menace,
16:06que vous avez des députés qui disent qu'il faut l'interdire.
16:09Mais qu'en même temps, vous avez 20%, voire 30% de la population
16:13dans certaines régions qui votent pour ce parti.
16:15C'est un véritable casse-tête.
16:18Et c'est un des chantiers que va avoir à gérer Friedrich Merz.
16:21Parce que Friedrich Merz, quand il a fait son retour en politique en 2018,
16:25avait dit, avec moi, le score de l'AFD va être divisé par deux.
16:29Depuis qu'il est revenu en politique, il a été multiplié par deux.
16:31Joseph Deweck, le casse-tête de l'AFD, comment l'analysez-vous ?
16:37Moi, je pense, d'une certaine manière, il faut accepter qu'en Allemagne,
16:40il y a un parti d'extrême droite qui, potentiellement, peut gagner 25%.
16:44Je pense que ce sera injuste de dire que le score de l'AFD dans les sondages
16:51est le référendum de ce gouvernement, ou même du gouvernement d'Olaf Scholz.
16:55Moi, je pense, de toute manière, même s'il réussit sur le plan économique,
16:58l'AFD va être là, ils vont être forts et ils vont probablement gagner
17:02par rapport aux élections qu'on vient de venir.
17:06D'une certaine manière, le challenge pour l'Allemagne, c'est d'accepter cela.
17:11Et il faut savoir que pour l'Allemagne, c'est beaucoup plus compliqué
17:13parce que l'AFD, c'est un phénomène très, très nouveau pour eux.
17:16En France, on sait qu'il y a un parti d'extrême droite depuis 20, 25 ans.
17:22Ou plus, beaucoup plus.
17:23Ou plus, mais qui est fort depuis 25 ans.
17:25Et on a accepté ça, le fait qu'il existe, personne en France dit
17:29« si moi je serai président... »
17:32J'interdis le Rassemblement national.
17:33Oui, ou le Rassemblement national sera de nouveau à 10%.
17:36Tout le monde a accepté.
17:37Ah si, non, non, Emmanuel Macron l'avait promis.
17:39Il avait dit « avec moi, on ne votera plus pour le Rassemblement national. »
17:43Et un peu comme Merz en Allemagne,
17:45le score du Rassemblement national a doublé, triplé depuis l'élection d'Emmanuel Macron.
17:50Si, si, c'est toujours le même problème.
17:51Pour moi, le challenge, c'est vraiment que la CDU reste un parti de centre-droite,
17:56conservateur, mais qui décline une coopération avec l'AFD.
18:00Ça, c'est vraiment le challenge pour l'avenir, pour moi.
18:03Et pour l'instant, effectivement, on voit que le Brandtmauer, la digue,
18:07le mur se fissure dans les lenders de l'Est.
18:11Ça, c'est le premier défi.
18:12Le deuxième défi politique, c'est qu'effectivement,
18:14on parle aujourd'hui de grandes coalitions en Allemagne,
18:17parce que c'est la tradition quand les sociodémocrates gouvernent avec la CDU.
18:20Mais il faut, là aussi, bien avoir en tête
18:21que quand Merkel est arrivée au pouvoir en 2005
18:24et qu'elle avait formé sa grande coalition,
18:26CDU et SPD faisaient 70% des voix.
18:29C'était deux partis quasiment hégémoniques.
18:31Aujourd'hui, CDU et SPD, c'est 45% des voix.
18:34Donc là aussi, il y a un véritable défi politique.
18:36Ils ont la légitimité dans les urnes pour gouverner,
18:40mais on voit que c'est extrêmement faible,
18:42la légitimité auprès du peuple,
18:44et notamment auprès de l'électorat de la CDU.
18:46Et là, on revient à ce qu'on disait au début de notre discussion,
18:48le revirement qu'a opéré Mertz en direction des sociodémocrates
18:52est assez peu apprécié par la base de la CDU,
18:54qui considère que c'est une forme déjà de trahison.
18:57Berghet Elzer, quel est l'état d'esprit en Allemagne aujourd'hui ?
18:59Vous disiez, ça fait 4-5 ans qu'ils sont en stagnation économique.
19:03Pendant deux ans, c'était même une récession économique.
19:06Là, au dernier trimestre, il y avait un plus 0,2 qui fait du bien.
19:10Mais comment vont les Allemands ?
19:12Est-ce qu'il y a une vraie mélancolie allemande ?
19:16Il y a quelque chose d'inquiétude dans ces dernières années ?
19:20Au fond, depuis le départ de Merkel ?
19:21Il y a une inquiétude, ça c'est sûr.
19:23Je pense que c'est lié au déclin, si on peut dire,
19:25déclin économique, parce que pendant de longues années,
19:28ça allait très très bien.
19:29On était l'homme fort de l'Europe,
19:31ou la femme forte de l'Europe.
19:32Et en plus, il y a la guerre en Ukraine
19:37qui inquiète énormément les Allemands,
19:39qui est très proche.
19:40L'Allemagne a accueilli beaucoup d'Ukrainiens,
19:42ukrainiennes notamment.
19:45On n'a toujours pas la solution
19:47comment faire, arrêter cette guerre.
19:51Et avec toutes les menaces sur l'Europe,
19:54je pense qu'on est très très conscients de ça en Allemagne.
19:58Et puis maintenant, effectivement,
19:59Donald Trump qui se détourne de nous.
20:01Et donc, nos piliers qui étaient
20:03la sécurité assurée par les Américains,
20:07le gaz russe,
20:09puis une relation apaisée avec la Russie,
20:13plus une économie forte
20:15qui était basée sur l'exportation.
20:17Ces trois piliers sont en train de vaciller.
20:21Et donc, on se cherche.
20:23Il y a une sorte, oui, inquiétude, désillusion aussi.
20:26C'est Friedrich Merz aussi qui a dit
20:27qu'il n'y a pas d'enthousiasme.
20:29Elle a dit, quand elle a présenté son programme,
20:33son contrat de coalition,
20:34il n'y a pas d'enthousiasme.
20:36Donc, il n'y a pas énormément d'espoir.
20:38Mais j'ai envie de dire aussi,
20:39quand je regarde l'Allemagne,
20:41ça va aussi.
20:42Même si économiquement, ça recule,
20:44ça reste un pays où la qualité de vie...
20:46Ça va, vie, ça va, ça va.
20:48Just kidding.
20:49Vous êtes d'accord ?
20:51Oui, je suis d'accord.
20:52Ça va.
20:53Et peut-être, pour vraiment comprendre ce qui se passe,
20:57je pense que l'Europe est en train de devenir
20:59un pays plus européen,
21:01plus normal d'une certaine manière.
21:02Les derniers 20-30 ans,
21:04on a eu ce pays
21:05avec une extrême droite
21:07qui était quasiment inexistant,
21:09avec des gouvernements extrêmement stables.
21:12Et là, on voit l'Allemagne
21:14devient un peu comme les autres Européens.
21:16Il y a une extrême droite qui existe,
21:18malheureusement, dans ce pays aussi.
21:20Les coalitions deviennent un peu plus instables.
21:24Est-ce que c'est uniquement mauvais
21:26pour l'Europe ?
21:27Peut-être.
21:28Mais il y a aussi, je pense,
21:29des opportunités là-dedans.
21:30Parce qu'il y a ce questionnement
21:32qui est en train de se passer en Allemagne.
21:34Et ça vient de cette déstabilisation
21:36sur le plan intérieur
21:37et sur le plan international.
21:40Et je pense,
21:40sans cette stabilisation,
21:42sans cette européanisation
21:43de la politique intérieure allemande,
21:45d'une certaine manière,
21:47c'est ça ce qui pousse aussi les Allemands
21:50vers un plus grand agenda européen.
21:53Un déclin qui peut donc être fécond,
21:55Thomas Vidaire ?
21:56En tous les cas,
21:56il y a une fenêtre d'opportunité
21:58avec, à la tête de l'Europe,
21:59en tous les cas,
22:00un Emmanuel Macron
22:01à qui il reste deux ans de mandat.
22:03Donc il faut qu'il aille vite.
22:05Un Friedrich Merz,
22:06qui est le deuxième chancelier
22:07le plus âgé de l'histoire
22:08de la République fédérale,
22:0969 ans.
22:10Peut-être qu'il fera deux mandats,
22:11mais en tous les cas,
22:12il n'a pas énormément,
22:14énormément de temps devant lui.
22:15Et les deux hommes
22:16ont à la fois peu de temps
22:18et la conscience
22:19de traverser un moment historique.
22:21Donc sans croire
22:22au grand soir
22:23du franco-allemand,
22:24qui a souvent été annoncé
22:25et toujours déçu.
22:27Il y a une urgence.
22:28On peut en tous les cas penser
22:29qu'il y a effectivement
22:29une urgence
22:30et une conscience des dirigeants
22:31de saisir cette opportunité.
22:33Eh bien, merci infiniment
22:34à tous les trois.
22:36Thomas Wider,
22:37Joseph Deweck
22:37et Birgit Holzer.
22:39Merci de votre intervention
22:41ce matin au micro d'Inter.
22:42Il est 8h47.
22:44Sous-titrage Société Radio-Canada
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