L'écrivain Dany Laferrière, membre de l’Académie Française, lauréat du prix Médicis en 2009 est l'auteur de “Grand intérieur rouge” chez Grasset dans une nouvelle collection “Un seul art” en partenariat avec le Centre Pompidou.
Retrouvez « L'invité de 8h20 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
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00:00Et dans leur grand entretien ce dimanche matin, nous avons le bonheur de recevoir un de nos grands écrivains, auteurs de livres à succès.
00:08Plusieurs ont fait date, comment faire l'amour à un nègre sans se fatiguer étant l'un des titres qui ont marqué les consciences.
00:16L'exil vaut le voyage, il avait reçu le prix Médicis pour l'énigme du retour.
00:21Il a particulièrement raconté comment on peut cultiver un art de vivre original et secret.
00:30Il publie Grand Intérieur Rouge.
00:33Grand Intérieur Rouge, c'est le titre d'un tableau de Matisse qui est exposé au centre Georges Pompidou.
00:39Le rouge de la violence comme le rouge du poète.
00:43Et ça lui a inspiré une fiction illustrée.
00:46Et ça donne un roman dessiné, quelque chose comme un ovni qui appartiendrait à un nouveau genre littéraire qui célèbre la liberté de l'écrivain.
00:56Une forme de folie aussi.
00:58Bonjour Daniela Ferrière.
01:00Oui, bonjour.
01:01Et bienvenue Daniela Ferrière de l'Académie française.
01:05Alors on va d'abord partir, puisqu'on en a parlé de ce Grand Intérieur Rouge.
01:11Il faut que vous nous décriviez ce portrait, ce portrait, ce n'est pas un portrait, ce tableau de Matisse.
01:18C'est un grand tableau.
01:20Qu'est-ce qu'on y voit ?
01:21C'est assez grand, on y voit...
01:23Il fait 1,50 m de hauteur.
01:25Oui, assez large aussi.
01:28C'est un des derniers tableaux de Matisse.
01:30Et on y voit un intérieur un peu bourgeois, avec des petites tables, des pots de fleurs dessus, un fond rouge.
01:40Des chats ?
01:41Des chats ou des tapis, un peu comme ça, des tigres ou des animaux sauvages, mais tout à fait domestiqués.
01:50Et quelque chose qui pourrait ressembler à une fenêtre.
01:54On sent qu'il y a des chambres derrière, mais on ne verra pas.
01:57Mais tout cela est complètement différent dans l'émotion que cela produit.
02:05Quelque chose de sauvage.
02:07Oui, de sauvage.
02:08Domestiqué, mais sauvage, prêt à bondir.
02:11Et c'est ça qui m'avait impressionné.
02:14Est-ce que vous vous souvenez de la première fois où vous l'avez vu, Daniela Ferrière, ce tableau ?
02:19Oh, c'était il y a longtemps.
02:21Ça m'avait fait une très grande impression.
02:23Vous étiez jeune ouvrier ?
02:25Oui, jeune ouvrier, absolument, à Montréal.
02:27Vous essayez d'écrire un roman ?
02:29C'était le premier.
02:31C'était Comment faire l'amour avec un ex sans se fatiguer.
02:34Et j'ai trouvé que c'était le tableau qui m'allait précisément pour écrire ce roman.
02:40Je voulais écrire un livre qui pourrait faire face à cela.
02:44Une sorte d'un indicateur.
02:48Que peut apprendre un vieux peintre français à un jeune artiste affamé d'un bidonville de Port-au-Prince en Haïti ?
02:57C'est une question qui est posée dans votre livre.
03:00Comme si la possibilité de s'échapper de la violence par l'art était très difficile.
03:05Et puis surtout, qu'est-ce qu'un peintre du 19ème français, Matisse, a à vous apprendre ?
03:11Vous, Dani Laferrière, l'homme aux multiples vies, né en Haïti, passé par Montréal, qui vit aujourd'hui en France.
03:18Qui revient tout juste des Etats-Unis.
03:22Oui, oui, oui.
03:23Je ne sais pas.
03:24Ce tableau m'avait fasciné et avait touché quelque chose au fond de moi.
03:30C'est un tableau qui parle vraiment aux tripes.
03:33Et ce qu'il m'avait apporté au moment du premier livre, c'était précisément un désir de faire comme lui.
03:43Comme Matisse.
03:44Et ce qu'il m'apporte en ce moment, aujourd'hui même, c'était de voir si un jeune homme de 17 ans à Port-au-Prince,
03:51dans un bidonville, qu'il voudrait peindre, pourrait passer par ce chemin-là.
03:55Ça, c'est l'artiste Nix ?
03:57C'est l'artiste Nix qui est dans un bidonville où la mort, où la violence, où les meurtres sont quotidiens.
04:07Et c'est là que la symbolique du rouge est très forte.
04:09C'est-à-dire que ces grandes intérieures rouges.
04:10Rouge, c'est à la fois l'art dans votre livre, l'art de Nix.
04:13Donc ce jeune artiste, poète.
04:16Et puis, rouge, du sang.
04:18Le sang des gangs qui versent le sang en Haïti.
04:21Absolument.
04:22Et je voulais savoir si on pouvait prendre le tableau d'un vieux peintre, comme on a dit tout à l'heure,
04:27qui est très jeune dans ce tableau, d'une certaine manière.
04:31Il y a une sorte de désir de vivre assez furieux.
04:34Vous avez dit primitif, primaire, primal.
04:36Oui, oui, absolument.
04:37C'est vraiment tribal même.
04:39Il y a quelque chose d'être trip aussi dans ce sens-là.
04:42Et tripal, si l'on peut dire.
04:45Et je crois que ce tableau a une importance parce qu'il donne l'impression de vouloir mettre le feu aux poudres.
04:55Et de le faire aussi par...
04:57Oui ?
04:58Non, qu'est-ce que vous entendez par là ?
04:59Mettre le feu aux poudres, Daniel Laferrière ?
05:02En tout cas, je voulais mettre ce tableau dans ce bidonville de meurtre
05:06pour voir s'il pouvait tenir face au meurtre, face à la violence.
05:11Parce qu'il faut décrire très rapidement à grands traits l'histoire.
05:14Il y a un personnage, Iso, le chef de gang, un meurtrier, celui qui tue, nix.
05:21Il se rêve artiste, il se rêve rappeur.
05:24Iso, ce n'est pas un artiste parce qu'il n'a pas de vie intérieure.
05:27Il est ravagé par le pouvoir.
05:29L'art libère, je vous cite.
05:31Et s'il ne peut pas libérer, ce n'est pas de l'art.
05:34L'art, c'est une résistance à la violence, à la libération.
05:38Parce qu'on a tous ces clichés, et vous vous en amusez d'ailleurs dans le roman,
05:42les clichés du journaliste.
05:44Et c'est une autocritique qu'on va faire ce matin.
05:47Quand on parle d'Haïti, on dit que c'est toujours le pays le plus pauvre de la planète,
05:51sur tous les plans.
05:52Même si on a parlé du Soudan avec Inmedeb tout à l'heure.
05:56Au fond, non.
05:57Ici, tout le monde peint.
05:59Oui, c'est Malou qui l'a dit, en arrivant en Haïti,
06:02c'est un peuple qui peint.
06:04Et tout le monde peint, c'est un art populaire.
06:07La peinture, disons, en Occident ou en Europe,
06:11ça a été pendant longtemps une affaire presque d'école.
06:13Alors qu'en Haïti, c'est une affaire des classes populaires.
06:17Et bien sûr, il y a des bourgeois qui ont peint,
06:20avec beaucoup de talent aussi.
06:22Mais la peinture, c'est d'abord pour vivre.
06:25Et pour vendre des tableaux et manger littéralement.
06:28Mais en même temps, ce n'est pas un cliché de dire que la violence,
06:30elle est extrême.
06:31En Haïti, il y a 60 000 déplacés,
06:33qui a eu 5600 morts l'an dernier.
06:35Et vous parlez notamment du cimetière,
06:37où Iso a enterré tous les morts qu'il a fait.
06:41Et en fait, il y a aussi le barbecue qui existe vraiment,
06:45qui est un chef de gang là-bas,
06:46que vous mettez en scène dans votre livre.
06:48Qu'est-ce que peut l'art,
06:50par rapport à cette violence extrême,
06:52que vous montrez aussi dans Le Grand Intérieur Rouge ?
06:56Moi, j'ai fait ce livre quand j'ai eu, disons,
06:59la demande de Grasset et du musée Pompidou.
07:04Voilà, qui vous ont fait la commande, en fait.
07:05Et pour moi, je ne voulais pas que ce soit un truc vieux,
07:08un truc poussiéreux,
07:10c'est-à-dire parler de la peinture comme ça,
07:12un peu de façon aérienne, abstraite.
07:15Académique, monsieur l'académicien !
07:17Académique, académique.
07:20Je me suis dit, ce serait intéressant de l'emmener
07:23dans cette réalité brûlante haïtienne,
07:26de voir que si le tableau pourrait, disons,
07:29insuffler son souffle et sa force.
07:32Et ça donne un carnet, un carnet joyeux,
07:35on dirait un carnet écrit par un jeune artiste.
07:39C'est assez frappant, votre capacité
07:41à vous mettre dans la peau de ce jeune écrivain,
07:46de ces jeunes, qu'ils soient artistes
07:49ou qu'ils soient violents.
07:51Ce n'est pas la première fois que vous racontez
07:53la violence ou la culture de votre pays natal.
07:58Mais là, on a l'impression que vous le faites frontalement.
08:01Oui, c'est frontal.
08:02Peut-être pour la première fois.
08:03C'est vrai que je n'ai jamais été dans le présent,
08:05puisque les personnages dont on parle dans ce livre
08:08vivent encore et continuent à tuer.
08:12Littéralement, tout est presque à l'état.
08:16C'est-à-dire, rien n'a changé.
08:17Au contraire, il y a augmentation de la violence
08:19à chaque fois qu'on a une lueur d'espoir,
08:21que ça va un peu se calmer.
08:23Il y a comme sorte de vent violent qui arrive,
08:27des vagues de meurtres et d'assassinats.
08:30Et aussi, une sorte de, tout à l'heure,
08:32c'est End qui parlait.
08:34In medem.
08:35In medem.
08:36C'est-à-dire, un désir d'effacer toute mémoire.
08:40Les bibliothèques, les hôpitaux,
08:43enfin, toute institution doit être mise à bas,
08:46mise à plat, écrasée,
08:48et par ce vent furieux, ce vent violent.
08:51Alors, pour moi, l'intérêt de ce livre,
08:55c'est de voir que dans le même quartier,
08:57dans le même endroit, dans le même bidonville,
09:00où des jeunes tuent,
09:02il y a d'autres aussi qui font de la peinture.
09:05C'est un combat en vase clos,
09:07c'est un face-à-face.
09:09Et quand les élites ont tourné le dos,
09:11et quand, tout à l'heure,
09:14on a parlé aussi de cela,
09:15et quand l'Europe a tourné le dos,
09:18et à la situation haïtienne,
09:20on n'en parle presque plus,
09:22eh bien, il reste que ce face-à-face qui se fait
09:24est presque dans le sang.
09:26Et aussi, avec comme arme de l'autre côté,
09:30la poésie et la peinture.
09:33Je crois que c'est le seul combat
09:35qui compte et qui vaille la peine.
09:37Voilà, vous écrivez que c'est par l'art
09:39que votre pays renaîtra.
09:40Vous dites que l'art et la culture
09:41peuvent permettre à votre pays
09:43de retrouver ses printemps,
09:45mais c'est vraiment suffisant
09:46face à une telle violence ?
09:48Non, il y a plusieurs angles.
09:51Et j'ai voulu prendre cet angle-là
09:53et une façon de parler aussi
09:56de la peinture,
09:58de la poésie haïtienne,
09:59au lieu de revenir avec les mêmes clichés
10:02de désespoir total.
10:04Et c'est comme une petite fenêtre,
10:05une toute petite fenêtre,
10:06mais j'y crois vraiment, à l'art.
10:08Oui, mais parce que c'est rouge.
10:09Là, il y a le rouge du tableau de Matisse.
10:12Vous parlez d'une montagne
10:13d'immondices près de la mer
10:15et à la fin, c'est le bleu
10:16qui l'emportera.
10:18C'est assez formidable, d'ailleurs,
10:20de raconter votre démarche.
10:22C'est un combat de couleurs.
10:23C'est des couleurs qui se battent
10:24et le bleu, c'est la tendresse.
10:26Je crois que ce sont des choses
10:28extrêmement profondes.
10:29Et pas ce que je dis,
10:30mais ce qui est.
10:31C'est-à-dire cet affrontement
10:33de couleurs.
10:34Ce sont des choses
10:34et beaucoup plus profondes
10:36parce que ce sera difficile
10:38d'éradiquer toute corruption
10:39et le trafic des armes
10:42et toutes sortes de choses.
10:44Et s'il faut qu'il se passe quelque chose,
10:46c'est dans le souffle de vie
10:47que ça doit sortir.
10:50Et ces jeunes gens,
10:51si on pouvait les regarder un moment
10:53et essayer de les aider
10:55pour qu'ils continuent leur travail
10:57de poète et de peintre,
11:00je crois qu'on fera quelque chose
11:02de plus profondes,
11:03de plus viscérales
11:04et pour essayer de calmer
11:06la situation un peu.
11:08Mais en même temps,
11:09vous êtes un peu ironique aussi
11:10sur les artistes
11:11parce que votre livre,
11:12on le disait,
11:12il est magnifique
11:13et illustré de dessins,
11:14y compris certains
11:15à la manière de Basquiat.
11:17Et votre commentaire
11:18sur ce dessin
11:18à la manière de Basquiat,
11:19c'est que tous mes amis
11:20rêvent d'être aussi célèbres
11:21que Basquiat.
11:22C'est d'un ennui.
11:24L'artiste n'est pas
11:24une figure idéale
11:25pour vous non plus.
11:27Nick, c'est un jeune homme insolent
11:28et ça prend cela.
11:30Il fait face à des choses
11:31dramatiques
11:32et à un homme
11:33qui a un cimetière
11:34et donc voilà,
11:36je pense qu'il faut
11:37écouter quelqu'un.
11:39On va écouter quelqu'un,
11:40justement,
11:40c'est un auditeur d'Inter
11:41qui, lui, nous écoute
11:43comme en écho
11:44et c'est une belle métaphore.
11:47Bonjour Valérie.
11:48Oui, bonjour à toutes
11:50et à tous.
11:51Bienvenue,
11:52chère France Inter.
11:53Merci Adi Badou
11:54et merci à Denis Lassarrière.
11:56Cher Denis Lassarrière,
11:57votre parcours atypique
12:00est aussi exemplaire
12:02à rappeler
12:03par Ali Badou
12:04en début de l'émission.
12:06Vous faites partie,
12:07à mes yeux,
12:08des modèles
12:08de l'Académie française
12:09loin des épées
12:10et des uniformes
12:12chamarés d'or.
12:14Il est venu en costume de ville
12:15d'ailleurs,
12:16Valérie,
12:17ce matin
12:18et sans son épée.
12:19Voilà,
12:19il a bien raison,
12:20Brassens se méfiait beaucoup
12:21de l'épée
12:23qu'il avait refusée
12:23de l'Académie française
12:24et de l'uniforme.
12:26Mais,
12:26cher Denis Lassarrière,
12:28vous faites partie
12:28de ces aquémiciens
12:29au parcours
12:30encore une fois
12:31atypique,
12:32à l'instar de Max Gallo
12:34qui était un autodidacte
12:36et de François de Scheng.
12:38Quel message
12:39d'espérance
12:40par votre parcours
12:42pourriez-vous délivrer
12:43à la jeunesse d'Haïti,
12:45à la jeunesse d'Outre-mer
12:46et à la jeunesse universelle ?
12:49Merci Valérie
12:50pour votre question-réponse,
12:51Denis Lassarrière.
12:52Eh bien,
12:53merci pour tout cela.
12:55Et bien sûr,
12:55c'est ce livre,
12:56c'est ce livre
12:57où j'ai pris,
12:59disons,
13:00la peau,
13:00littéralement,
13:02d'un jeune peintre
13:03de 17 ans
13:05est mort,
13:06c'est-à-dire
13:07l'art va
13:08par-delà la mort
13:09et qui finit
13:10par s'opposer
13:12à un tueur
13:12qui existe vraiment.
13:13Vous savez,
13:14il y a une phrase
13:15qui est dite
13:16dans le livre
13:17qui est tout à fait vraie,
13:19Izo,
13:19qui est le tueur,
13:20Izo,
13:20le chef de gang,
13:21qui tue l'artiste.
13:22Oui, moins connu
13:22que Barbecue,
13:23mais qui est plus
13:24terrifiant en Haïti
13:25que Barbecue,
13:26c'est lui
13:27qui tue vraiment.
13:28Donc,
13:29il voudrait
13:30être artiste,
13:31je l'ai écrit
13:32quelque part,
13:33que c'est un pays
13:34où même
13:34les tueurs
13:35veulent être artistes.
13:36Et il voudrait,
13:37il pense que c'est,
13:39il voudrait être connu
13:39par l'art.
13:40Et il voudrait
13:41atteindre la renommée
13:42par l'art.
13:43Parce que,
13:43tous ces jeunes gens
13:44cherchent à se faire connaître,
13:46à apparaître,
13:47à orner les pages
13:48des journaux,
13:49à intéresser
13:50les journalistes.
13:52Et il se cherche
13:53par tous les moyens.
13:54Izo,
13:55c'est par l'art
13:55et par le meurtre.
13:58Tandis que Nix,
14:01c'est par la peinture.
14:02Nix,
14:03c'est par la peinture.
14:04C'est lui
14:04que vous incarnez
14:06ou en tout cas
14:07dont vous faites
14:08les mémoires
14:09d'outre-tombe.
14:10Nix qui est décédé,
14:12qui s'exprime
14:14et vous abandonnez
14:15d'ailleurs
14:16la machine à écrire
14:17ou l'ordinateur
14:18pour écrire à la main.
14:20C'est ce qui fait
14:20d'ailleurs l'originalité
14:21de cet objet.
14:23Quand Valérie,
14:25vous interrogez
14:25sur votre parcours,
14:26ce n'est pas anodin
14:27Daniela Ferrière.
14:28Vous êtes né
14:29en Haïti.
14:30Vous avez quitté
14:32votre île
14:33au moment où
14:34sous la dictature
14:35du Valier,
14:37la milice avait assassiné
14:38l'un de vos amis,
14:39de vos collègues
14:40que la mort
14:40s'approchait de vous.
14:41Vous étiez tout jeune,
14:42vous aviez 23 ans
14:43et vous avez quitté
14:45votre pays
14:46pour aller au Canada
14:47et reconstruire
14:48votre vie
14:49en repartant
14:49de rien.
14:51Et c'est vrai
14:52que c'est extraordinaire
14:54de voir votre parcours
14:55aujourd'hui
14:55à l'Académie française.
14:56– Eh bien,
14:58merci,
14:58mais je me rappelle
14:59toujours de ce jeune homme
15:01de 17 ans.
15:02Je dois ajouter
15:03à Libado
15:04qu'il y a à peu près
15:06près de 80 dessins
15:08et tableaux
15:08dans un livre
15:10si bref
15:11qui fait à peine
15:12100 pages.
15:13– Il est magnifique.
15:13– Et c'était,
15:14disons,
15:15le format demandé
15:16par le musée
15:17Pompidou
15:18et Charles Dengzig,
15:19l'éditeur
15:20de chez Grasset.
15:21et donc,
15:23pour moi,
15:24c'était
15:24trouver ce langage.
15:26Et souvent,
15:26on dit,
15:27les gens disent,
15:28les poètes,
15:29les littérés,
15:30que je suis
15:31la voix des sans voix.
15:33Mais l'affaire,
15:34c'est qu'on oublie
15:34qu'on peut s'exprimer
15:35autrement aussi
15:36que par les mots.
15:38Et ces jeunes gens
15:39dans les rues,
15:41pieds nus presque.
15:42– C'est paradoxal
15:43d'entendre
15:43un académicien
15:44dire qu'on ne peut pas
15:45tout dire
15:46avec les mots.
15:47– Non ?
15:47– Non, au contraire.
15:49Au contraire,
15:50les autres arts
15:51disent beaucoup aussi
15:52la musique
15:53et la peinture.
15:55Non, mais c'est important
15:56parce qu'il y a
15:57ce vieil adage
15:59qui parle de
16:00il faut dire,
16:01il faut s'exprimer
16:02comme s'il n'y avait
16:03que la parole
16:04et les lettres.
16:06Et la peinture aussi.
16:09Et la peinture,
16:10étant un art populaire
16:11en Haïti
16:11et n'ayant pas d'âge,
16:13ce n'est pas du tout
16:14une sorte de
16:15une somme d'expériences
16:16arrive à un certain âge
16:17et on finit par...
16:18Non, pas du tout,
16:19il y a de très jeunes peintres.
16:21Eh bien,
16:21ils disent directement
16:22est-ce pourquoi
16:23je me cache derrière
16:24un X
16:25et tous les tableaux
16:27sont de lui
16:27et si on veut d'ailleurs
16:29publier la photo
16:31d'un tableau,
16:31il faut voir
16:32avec son ami Nox
16:33et qui veut dire
16:34fils de la nuit,
16:35les deux amis
16:36qui sont ensemble,
16:37qui ont à peu près
16:38le même âge
16:39et qui sont
16:41dans ce dernier réduit,
16:43c'est-à-dire
16:43le village de Dieu,
16:45cet endroit
16:45où l'on tue
16:46est seul
16:47face au cimetière
16:49et de ISO,
16:50cimetière personnelle
16:52d'un tueur
16:52en chef
16:53et en série
16:55et si l'on peut dire
16:56et d'une histoire
16:57qui continue
16:58à faire palpiter
16:59les gens,
17:00eh bien,
17:01c'est ça
17:01qui est intéressant,
17:03c'est de savoir
17:03que ces gens ont une voix
17:05et qu'ils parlent
17:06par les couleurs.
17:07Vous vous cachez
17:07derrière un X
17:08mais vous n'êtes pas
17:08très bien caché
17:09Daniela Ferrière.
17:10Vous avez des mots
17:11très durs,
17:11en tout cas,
17:12il y a des mots
17:12très durs
17:13envers les Etats-Unis
17:13dans le livre.
17:14Vous dites notamment
17:15les Américains
17:16aiment tout ce qui
17:17leur donne l'impression
17:17d'être les hommes
17:18les plus puissants
17:19du monde.
17:20Vous dites aussi,
17:21alors ça c'est Knox
17:21qui le dit justement,
17:22l'ami de Nix,
17:23l'ami de l'artiste
17:24assassiné,
17:25la culture américaine
17:26l'agacé,
17:27ça finit toujours
17:27dans la drogue,
17:28la violence
17:29et l'obsession
17:30du pouvoir.
17:30Est-ce que ce n'est
17:31que la vie
17:31de ces personnages
17:33qui parlent
17:33ou est-ce que c'est
17:34un sentiment que vous,
17:35Daniela Ferrière,
17:36vous partagez ?
17:37Un peu,
17:39mais pas tant que ça
17:40puisque j'ai écrit
17:41un livre qui s'appelle
17:41« Cette gonade dans la vie
17:43dans la main du jeune nègre
17:44est-elle une arme
17:45ou un fruit ? »
17:46C'est très complexe
17:47les Etats-Unis.
17:48Je ne suis pas,
17:49j'ai vécu assez
17:50en Amérique du Nord.
17:51Vous en revenez
17:52notamment là des Etats-Unis.
17:53Absolument,
17:53j'ai dû faire une tournée
17:54dernièrement,
17:56mais je crois que...
17:57À Miami,
17:58pas loin de chez Donald Trump,
17:59il a Ferrière.
18:01Non,
18:01mais c'était important
18:01pour moi d'être à Miami
18:03et d'être reçu
18:03par la mairie de Miami
18:06qui m'a donné
18:06les clés de la ville
18:07et on aurait dit
18:09qu'est-il allé faire
18:10aux Etats-Unis
18:11en ce moment
18:12et pourquoi reçoit-il
18:13des honneurs
18:14quand cela se passe ainsi
18:16pour les haïtiens.
18:17Moi,
18:18c'est exactement le contraire
18:20et toute ma vie
18:20et je l'ai dédié
18:22à être une bonne nouvelle
18:25pour les haïtiens.
18:26C'est-à-dire
18:26au moment
18:27où on essaie
18:27de leur faire
18:28crouber la tête
18:29et de les agenouiller
18:31et je voulais
18:32qu'ils voient
18:32que la mairie
18:33est en train
18:33de recevoir
18:34un des leurs.
18:35J'aurais pu refuser,
18:36j'aurais pu dire
18:37que ce n'est pas le moment,
18:38pas besoin
18:38et ces honneurs-là
18:39sont pour eux
18:40et pour qu'ils montent
18:42à des jeunes,
18:43aux enfants,
18:44pour qu'ils puissent voir.
18:45Tous les livres
18:45que j'ai écrits,
18:46j'en ai écrit 38
18:47et c'est pour que chaque année
18:49depuis 40 ans
18:50les haïtiens
18:51puissent savoir
18:52qu'un des leurs
18:53passe à la radio
18:54et parle avec
18:55Ali Badou.
18:56Alors que vous avez fait
18:57scandale,
18:58Dany Laferrière.
18:59Vous avez fait scandale.
19:00Comment faire l'amour
19:01avec un nègre ?
19:02Ça a été adapté au cinéma
19:03mais c'est vrai
19:04que le livre
19:05aurait été refusé,
19:07il a été censuré,
19:08on l'a interdit
19:09dans certains endroits
19:10aux Etats-Unis.
19:12C'est ça aussi
19:12une belle reconnaissance
19:14de pouvoir revenir
19:16là où vous aviez
19:18fait scandale
19:19pour être honoré ?
19:21Oui, tout à fait
19:22et dernièrement d'ailleurs
19:23puisque Trump a dit
19:24que la langue anglaise
19:26c'est la langue officielle
19:27et naturellement
19:28s'attaque à tout ce qui est
19:31un peu local,
19:31qui ne soit pas
19:32à niveau,
19:33si l'on peut dire,
19:34d'une certaine Amérique puissante.
19:37Eh bien,
19:37j'ai fait un discours
19:38il y a deux semaines
19:39à Harvard en créole.
19:42À Harvard en créole ?
19:43Oui, oui, absolument.
19:44Qu'est-ce que vous leur avez dit
19:45Daniela Ferrière ?
19:46Bon,
19:47j'ai raconté
19:48des histoires
19:49tout simplement.
19:52J'ai raconté
19:53des histoires.
19:54En créole,
19:55il fallait,
19:55il fallait,
19:57je pense,
19:57de façon douce
19:58et presque
19:59en murmurant
20:00contester
20:01les pouvoirs.
20:03Mais ce n'est pas un hasard
20:03que vous l'ayez fait
20:04à Harvard
20:05parce que c'est l'un
20:05des rares lieux
20:06aujourd'hui
20:07qui est un lieu
20:07de résistance
20:08ou d'opposition
20:09dans l'université
20:10au pouvoir trumpiste.
20:12C'est ça,
20:12c'est mon appui à Harvard.
20:14Là aussi,
20:14ça montre qu'il y a
20:15une Amérique
20:15qui résiste.
20:16Moi,
20:16j'ai vu à Boston,
20:18il y avait plein
20:18de manifestations
20:19et la résistance
20:22se met en marche.
20:23Vous savez,
20:24les États-Unis
20:24n'ont pas l'habitude
20:25de manifester
20:26dans les rues.
20:27On ne fait pas
20:27de référendum
20:29comme chaque dimanche
20:30en Suisse
20:31ou bien de manif
20:32à Paris.
20:34Et quand on en fait une,
20:35c'est pour marquer
20:36quelque chose
20:37et pour avoir
20:38des résultats.
20:39Donc,
20:39on espère
20:40qu'il y ait
20:42des résultats.
20:43Juste un mot
20:44sur Paris
20:45et la France
20:45qui est une
20:46de vos terres
20:47d'élection.
20:48D'après vous,
20:49est-ce que la France
20:49devrait rembourser
20:50Haïti
20:51qui avait dû payer
20:52150 millions de francs
20:53pour payer son indépendance
20:54il y a 200 ans ?
20:56Parce qu'Emmanuel Macron
20:56a reconnu
20:57au nom de la France
20:59que forcer Haïti
21:00qui était une toute jeune république
21:01à payer cette somme,
21:02ça l'avait soumis
21:04à la force injuste
21:05de l'histoire.
21:06Oui,
21:06j'ai déjà pris la parole
21:07sur cette question
21:08et j'ai été un peu saccagé
21:10parce qu'on n'a jamais
21:11entendu la deuxième partie.
21:13J'ai dit que j'étais
21:14contre le mot
21:15dette de l'indépendance
21:16parce que l'indépendance
21:17est une chose
21:17si grave,
21:18si sacrée,
21:19si importante
21:19qu'on ne devrait pas
21:20la mêler
21:21à cette dette
21:22qui est arrivée
21:23bien plus tard
21:23et qui était une rançon.
21:25C'était plus qu'une dette.
21:27Et ce qui est pire encore,
21:29j'ai ajouté
21:29que ce ne serait que,
21:31disons,
21:33le début
21:33d'une grande affaire
21:35de remboursement.
21:35parce qu'il ne s'agit pas
21:37de rembourser
21:38l'argent,
21:39la rançon
21:40que la France a faite
21:41en extoquant
21:42cet argent
21:43à une jeune république
21:44qui était déjà
21:46dans la plus grande difficulté.
21:47Il faut à un moment donné
21:48aussi commencer
21:49à parler
21:49de la dette
21:50de l'esclavage.
21:51Ça,
21:51c'est une vraie dette.
21:52En Haïti,
21:53ils disent en créole,
21:54je ne sais pas,
21:55va seulement,
21:55je peux le faire ici,
21:57et ça,
21:58c'est trois quêtes-là,
21:59charla d'erre.
22:00C'est-à-dire
22:00quand quelqu'un,
22:01une paysanne
22:02veut porter
22:03un sac lourd
22:04sur la tête,
22:04il doit se mettre
22:05quelque chose
22:06qui fait un tampon
22:07entre sa tête
22:07et ce tampon-là
22:09s'appelle un troquet.
22:10Comme un support.
22:11Comme un support.
22:12Pour amortir le choc,
22:13ça s'appelle un troquet.
22:14C'est rien.
22:15Alors il dit
22:15la dette de l'indépendance,
22:17comme on l'appelle là,
22:18disons,
22:19frauduleusement,
22:20c'est la rançon d'indépendance,
22:22eh bien c'est le troquet.
22:23Il faut quand même
22:24un jour
22:24en arriver à la charge.
22:26300 ans d'esclavage.
22:27Il faut quand même
22:28arriver
22:28à essayer
22:30de voir
22:30comment
22:31on peut concevoir
22:32cela.
22:33et la vraie dette
22:35de l'esclavage.
22:37C'est pas la dette
22:37de l'indépendance
22:38qui est la chose importante,
22:39c'est la dette
22:40de l'esclavage.
22:41Et là je crois
22:42que même l'Europe
22:43n'a pas,
22:44il faudrait se mettre
22:44ensemble
22:45puisqu'ils étaient
22:45tous là
22:46à Saint-Domingue.
22:47Il y avait les Anglais
22:48naturellement
22:49et pendant longtemps.
22:50Il y avait l'Espagnol
22:51qui avait ouvert
22:52la place
22:52avec Christophe Colomb
22:54et il y avait
22:55les Français,
22:56il y avait les Américains
22:57qui l'étaient passé.
22:57De 1915
23:00à 1934
23:00donc c'est une dette
23:03qui s'étend
23:04et surtout
23:05l'Occident.
23:07Mais je crois
23:07que ce n'est pas
23:08une plaisanterie
23:08de dire
23:09qu'il faudrait
23:09quand même
23:10commencer à parler
23:11de dette
23:14de l'esclavage.
23:16Ça c'est une vraie dette.
23:17Merci en tout cas
23:19d'avoir prononcé
23:19ces paroles fortes
23:20et de l'avoir fait
23:21ce matin
23:22au micro de France Inter.
23:23C'est la première fois
23:24que j'ai pu aller
23:26jusqu'au bout
23:27de ma réflexion.
23:28Mais c'est bien
23:28que vous ayez le fait.
23:29Parce qu'on m'avait attaqué
23:30des haïtiens même
23:31disant qu'ils ne veulent pas
23:32de la dette
23:33de l'indépendance
23:34comme si je défendais
23:35la France
23:36de ne pas payer cela
23:36alors qu'ils n'avaient pas entendu.
23:38Je suis toujours
23:39plus radical.
23:40Je suis un peu
23:40ce jeune nix.
23:42Exactement.
23:4217 ans.
23:43On a compris ça.
23:44On vous a démasqué.
23:45Et merci pour ces mots
23:46forts et puissants
23:47que vous avez prononcés
23:48ce matin.
23:49C'était un bonheur
23:50de vous recevoir
23:51et je recommande
23:51chaleureusement
23:52Grand Intérieur Rouge
23:54un seul art.
23:55C'est dans cette jolie collection
23:56que publie Grasset
23:58en coopération
23:59avec le Centre Pompidou.
24:01Monsieur l'Immortel
24:02on vous libère.
24:04Merci.
24:05La Résistance s'organise.
24:07Belle journée.
24:08Merci.