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Stéfanie Delestré, directrice de la collection "Série noire" chez Gallimard, Arnaud Viviant, critique littéraire sur France Inter, et l'écrivain Caryl Férey étaient les invités de France Inter jeudi 1er mai, pour les 80 ans de la collection Série noire.

Retrouvez « L'invité de 8h20 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien

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Transcription
00:00Et une table ronde ce matin sur une jeune femme de 80 ans, toujours habillée en noir et jaune.
00:05Elle fait rêver aussi bien les jeunes que les habitués.
00:08Bon anniversaire à la série noire, la mythique collection des éditions Gallimard.
00:14Alors pour souffler les bougies, Léa, on a réuni quelle table, une très belle table.
00:18Et quelle table. Stéphanie Delestré d'abord, directrice de la série noire.
00:22Il n'y a eu que 5 directeurs en 80 ans.
00:25Vous êtes fidèle, on ne vous vire pas, vous êtes bon, je ne sais pas.
00:29Et vous êtes la première femme à la diriger, cette série noire.
00:32Bonjour et bienvenue à vous.
00:34Arnaud Vivian, critique littéraire à la revue Regards, intervenant du masque et la plume sur France Inter et grand lecteur de Polar.
00:40Et puis Karil Ferré, écrivain, vos livres se vendent à des dizaines de milliers d'exemplaires, parfois des centaines de milliers d'exemplaires.
00:47Le dernier en date, Grindadrap, paru il y a 3 semaines dans la série noire.
00:53Bienvenue.
00:54Bienvenue à vous également.
00:55La cultissime série noire a donc 80 ballets.
00:59Cette collection de Gallimard dédiée au roman policier a été fondée en septembre 1945 dans l'immédiate après-guerre par l'éditeur Marcel Duhamel.
01:10En 80 ans, plus de 3000 titres ont paru avec la même couverture noire et jaune.
01:15Des centaines d'auteurs y ont été publiés, de Raymond Chandler à Karil Ferré, en passant par Jean-Patrick Manchette.
01:23Des dizaines de films en ont été tirés de ses livres.
01:26La série noire au cinéma est d'ailleurs au cœur d'une exposition à la galerie Gallimard à Paris.
01:33Alors Stéphanie Delestret, pour commencer, quand Antoine Gallimard vous propose de diriger la série noire, il y a 8 ans, avez-vous conscience que ce n'est pas une simple collection, mais une institution qu'il vous propose de diriger ?
01:48Alors oui, j'en ai d'autant plus conscience que j'ai passé 6 ans de ma vie à faire une thèse sur le roman noir contemporain et j'ai donc passé beaucoup de temps à lire et relire les romans du fond de la collection et des années 45 à 50, 55.
02:07Et vous le prenez comment quand il vous dit que tu vas diriger la série noire ?
02:12En fait, je ne suis pas sûre d'avoir complètement pris la mesure à ce moment-là parce que par ailleurs, j'ai mené plein de projets très différents au cours de ma carrière professionnelle et notamment en rencontrant tout un tas d'auteurs qui sont les auteurs de la série noire.
02:31Je connaissais Karyl depuis assez longtemps, je connaissais Elsa Marpeau, Antoine Chénas qui sont des auteurs français importants de la collection et donc finalement je me sentais quand même un peu chez moi déjà, c'est un peu prétentieux sûrement de dire ça, mais je me sentais déjà un peu à la maison.
02:52En tout cas, ça m'était assez familier.
02:55Et puis après, oui, il y a un petit temps, un peu plus tard où on se dit, ah non, oui, mais c'est vraiment la série noire et c'est la première femme à diriger la série noire.
03:04Il y en a eu, il y a eu quatre directeurs avant.
03:06Et là, ça pèse lourd.
03:07Là, ça pèse un petit peu plus lourd, du coup, on réfléchit moins et puis on se relève les manches et on y va.
03:12Et on y va.
03:13Vous dites, Karyl Ferré, que la série noire vous a toujours fait rêver.
03:16Quand vous étiez jeune auteur, vous rêviez d'y entrer, vous allez rentrer au début des années 2000.
03:22Vous arrivez avec votre roman au titre délicieux, plutôt crevé.
03:27C'est une consécration à ce moment-là, quand vous êtes publié pour la première fois dans cette série-là ?
03:33Non, pas vraiment, parce qu'en fait, moi, j'ai connu trois directeurs à la série noire sur cinq.
03:38Donc, j'ai l'impression d'être un jeune auteur, mais en fait, je suis un vieux maintenant.
03:41Oui, parce que vous ne les faites pas.
03:43Oui, vous êtes gentil.
03:44Mais non, plutôt crevé.
03:45En fait, Patrick Renard, à l'époque, voulait la suite d'un autre livre qui s'appelait Haka.
03:49Et donc, il m'a dit, je prends celui-là, mais en fait, ce que je veux, c'est la suite.
03:53Donc, quand il est sorti, tout le monde s'en foutait.
03:56Donc, non, il n'y avait pas quelque chose qui palpitait à avoir.
03:58Pour moi, si.
03:59Voilà, pour vous, d'être avec la couverture jaune et noire, tout ça.
04:03Oui, mais pour ce livre-là, même La Tachette fraîche, je ne connaissais pas son nom.
04:06Donc, je n'avais pas été extrêmement soutenu sur celui-là.
04:08Donc, il a fallu ramer, encore une fois.
04:12Arnaud Vivian, vous êtes de votre côté un grand lecteur de Polar, fan de la série noire.
04:16Et notamment de Jean-Patrick Manchette, dont on va parler dans quelques instants.
04:20Vous aviez signé en 1995 pour Libération un grand papier sur les 50 ans de la série noire.
04:27C'est gentil de me le rappeler.
04:29C'était il y a 30 ans, donc.
04:31Oui.
04:31Pour quelqu'un qui n'est pas familier de l'univers du Polar, qu'est-ce qui fait que la série noire est la série noire ?
04:41C'est quoi la singularité de cette collection par rapport à d'autres collections de Polar ?
04:46C'est dur.
04:49Parce qu'en fait, vous voyez, il y a l'autre grande collection, c'est le masque.
04:54Avec son logo, le masque et la plume, vous le savez.
04:57La collection de le masque, c'est le Polar anglais.
04:59C'est le « who done it », c'est le « qui l'a fait ».
05:02Agatha Christie.
05:03Voilà, c'est le roman à intrigue.
05:05La série noire, c'est le roman « hard boil », le roman dur à cuire, c'est comme ça qu'on le traduit en général,
05:12qui parle des bas-fonds, on va dire, de la société, notamment américaine,
05:17puisque le genre est nettement américain, même s'il va avoir une déclinaison française très vite,
05:23puisque Boris Vian, quand il écrit « j'irai craché sur vos tombes »,
05:27il écrit une série noire, en l'occurrence sous un faux nom américain, Vernon Sullivan.
05:33Donc, si vous voulez, là, il y a vraiment…
05:35Mais donc, ça parle avant tout d'un côté, comment dire, critique d'une société dure, voilà.
05:43Donc, il y a quelque chose de politique, quelque chose de social ?
05:47Ah, immédiatement, oui. Immédiatement, c'est le vecteur d'une contestation politique et sociale.
05:52C'est une manière de raconter l'envers des choses, le contraire de ce que racontent, justement, la presse et l'information.
06:00C'est là, soudainement, où le romancier arrive en disant « attendez, le réel que vous nous racontez dans les médias,
06:07moi, je vais vous montrer comment il est un peu falsifié ».
06:09On va y revenir, mais remontons d'abord dans le temps, la collection née à l'été 45, dans l'effervescence d'un Paris tout juste libéré.
06:16Derrière cette collection, il y a un homme qui s'appelle Marcel Duhamel, personnage haut en couleur,
06:21noceur, dandy, traducteur et éditeur de génie.
06:25C'est lui qui persuade, qui convainc Gaston Gallimard de le laisser publier des romans policiers américains qu'il va traduire.
06:31Jacques Prévert et ses chics trouvent le titre.
06:34Série noire, c'est Jacques Prévert qui trouve le titre.
06:37L'identité graphique de ses couvertures jaune et noire se met rapidement en place.
06:41Il y avait déjà en France, à ce moment-là, des collections comme le masque des collections de Polar.
06:46Mais qu'est-ce qui va changer, Marcel Duhamel ?
06:49Qu'est-ce qu'il invente, à ce moment-là, en 45, à la sortie de la guerre ?
06:54À ce moment-là, il invente un genre, vraiment.
06:57En effet, le titre est trouvé par Jacques Prévert.
07:00La maquette est faite par Germaine Gibard, à contre-pied de ce qui se fait à l'époque.
07:08C'est-à-dire souvent des couvertures très illustrées, très criades, avec des couleurs criardes.
07:15Là, on le dit souvent, c'est un faire-part de décès.
07:21C'est une couverture noire avec juste le titre en blanc.
07:25Et puis un liseré, c'est très sobre.
07:28Et puis surtout, Marcel Duhamel réunit là des auteurs américains qui ont déjà été, pour certains, publiés un peu plus tôt.
07:38Mais de manière beaucoup plus systématique.
07:41Surtout à partir de 48, il publie vraiment tous ces auteurs américains hard-boiled dont vient de parler.
07:48Arnaud, pardon.
07:50Oui, et il les publie parfois dans des versions tronquées.
07:53Alors, il y a en effet à ce moment-là quand même un certain nombre de restrictions de papier.
07:58On est juste après la guerre.
07:59Donc, il y a ça d'une part.
08:01Il y a la volonté d'avoir une collection très populaire et accessible au plus grand nombre.
08:06Et donc, un format contraint de manière à avoir un prix fixe.
08:13Et en effet, on taille dans les textes parfois.
08:18Oui, on taille dans les textes.
08:19Mais il faut avoir en tête quand même qu'à cette époque-là, la traduction n'est pas aussi établie et réglementée que maintenant.
08:27Et on n'a pas un rapport non plus à la traduction aussi rigoureux.
08:34Oui, et donc voilà, Arnaud.
08:37Dans cet article auquel vous faisiez allusion il y a 30 ans, j'avais eu beaucoup d'ennuis ensuite après la publication parce que je racontais ça au niveau des traductions.
08:49Et Michel Vian, qui était évidemment la veuve de Boris Vian, mais qui était aussi principalement la maîtresse de Jean-Paul Sartre,
08:58avait piqué une colère en disant comment peut-on contester nos traductions.
09:02Ce qui est intéressant, si vous voulez, c'est qu'à ce moment-là, l'idée de la littérature n'est pas la même.
09:07On est quand même dans une sous-littérature.
09:10Donc, qui réclame aussi, entre guillemets, une sous-traduction parce que tout le monde est sous-payé.
09:15Il faut voir quand même que, mais oui, bien sûr, bien sûr.
09:19C'est que là, si vous voulez, ce qui est intéressant avec la série Noire, c'est que c'est une littérature de travailleurs pour les travailleurs.
09:25C'est le jour de la fête du travail, ça tombe bien, mais c'est exactement ça.
09:29Ce sont des gens qui sont des écrivains qui travaillent au sens, vraiment, ils sont à la mine.
09:33Il faut produire du feuillet pour vivre.
09:38Donc, ça compte, ça engendre d'ailleurs un genre en soi, des phrases courtes, pas d'explication psychologique, uniquement de l'action, du dialogue, etc.
09:48Parce qu'en fait, ça va plus vite à produire et à écrire.
09:52Vous vous reconnaissez dans le portrait qu'il fait ?
09:54Non, plus du tout, plus du tout maintenant.
09:56C'est fini, ça ?
09:56C'est fini, déjà, c'est passé en grand format, on ne s'en est plus d'où la même époque.
10:01Mais au début, c'était une sous-littérature, quoi. Il y avait quelque chose, on se bouchait le nez un petit peu.
10:06Oui, mais il y a des chefs-d'oeuvre quand même. En littérature blanche, il y a des trucs, on se bouche le nez aussi.
10:11Oui, vous avez raison. Et d'ailleurs, vous avez raison de faire le comparatif avec la blanche.
10:16Parce que c'est vrai que pendant longtemps, chez Gallimard notamment, il y avait la blanche, c'était chic de publier la blanche.
10:21Et puis, il y avait le...
10:22Maintenant, c'est l'inverse.
10:23Et maintenant, c'est la noire.
10:26Il y a des mots célèbres du Hamel qui définissent l'esprit de la série noire.
10:32Je vais les citer parce que c'est exceptionnel.
10:34Que le lecteur non prévenu se méfie, ses volumes ne peuvent être mis entre toutes les mains.
10:42L'immoralité y côtoie les beaux sentiments.
10:44L'esprit en est rarement conformiste.
10:47Les policiers sont parfois aussi corrompus que les malfaiteurs.
10:51Le détective sympathique ne résout pas toujours le problème.
10:55Et parfois, il n'y a ni problème, ni même de détective.
10:58Mais alors ? Alors, reste l'action, l'angoisse, la violence, les tabassages et les massacres.
11:06Et puis, il avait aussi cette phrase, notre but est louable, vous empêchez de dormir.
11:10C'est du génie quand même, non ?
11:11Pour définir, Arnaud, l'esprit d'une collection.
11:16Ce qui est intéressant, c'est que les intellectuels de Malraux à Jean-Paul Sartre,
11:20qui était un grand consommateur de séries noires,
11:22qui disaient, ça me rince le cerveau, Sartre.
11:25Voilà, c'est comme ça qu'ils utilisaient la série noire,
11:30ont tout de suite intellectualisé le phénomène.
11:35On fait des grandes phrases, justement.
11:37Il y en a une célèbre de Malraux.
11:41Et donc, je ne m'en souviens plus.
11:43Ah oui, c'est ça, je vous regarde avec...
11:45J'ai bien vu.
11:47J'ai bien vu que vous ne l'aviez pas.
11:49Il est 8h30 du matin et je l'ai oublié.
11:52Mais enfin, elle existe.
11:53Je sais qu'il est question de tragédie.
11:56Enfin, c'est l'entrée de la tragédie.
11:58Voilà, oui, ça se trouve très facilement.
11:59Malraux, séries noires, enfin, Polar, ça se trouve.
12:03Et donc, voilà.
12:04Donc, c'est très vite, il y a une intellectualisation.
12:07On voit qu'il y a un phénomène.
12:09Et qui est un phénomène qui est tout simplement
12:10l'apparition d'une littérature très spéciale
12:14à côté, en face du roman à l'eau de rose,
12:17avec Barbara Cartland qui va publier plus de 100 romans,
12:21qui est la grande romancière du roman à l'eau de rose.
12:24Vous avez la série noire qui est juste le contexte.
12:28Donc, on est dans la littérature de genre.
12:30C'est-à-dire, l'apparition de la littérature de genre.
12:32Et commerciale, point d'interrogation ?
12:36Industrielle, point d'interrogation ?
12:38Industrielle, non, parce que...
12:42Enfin, non, oui et non, comme beaucoup de collections populaires
12:46de l'époque, c'est-à-dire que...
12:48Et c'est toujours le cas aujourd'hui.
12:52Commerciale, oui, certainement.
12:54C'est-à-dire qu'il y a une volonté...
12:56Alors, commerciale, parce qu'il y a une volonté, en effet,
12:58de mettre entre toutes les mains, en tout cas les mains
13:00d'un plus grand nombre et des travailleurs,
13:01vraiment une littérature
13:04très en prise avec
13:06la réalité de ces gens.
13:09Ça, c'est toujours bien vendu, la série noire ?
13:11Où il y a eu des périodes où ça se vendait plus ?
13:14Comment ça se passe,
13:15le rapport aux ventes de cette série,
13:18de cette collection ?
13:19Mais c'est une collection qui va très bien depuis toujours.
13:21Après, il y a les nuances
13:23avec la difficulté du secteur du livre
13:26en général.
13:27Le secteur du livre,
13:29il va plus ou moins bien.
13:30mais on n'est pas plus...
13:32Enfin, d'ailleurs, le polar va plutôt mieux
13:34que d'autres secteurs.
13:38Donc, il y a beaucoup plus de collections aussi.
13:40Il y a beaucoup plus de collections.
13:42Mais la collection reste une collection
13:44de premier plan, quoi qu'il arrive.
13:46Car il ferait ses politiques, le roman noir.
13:48Vous disiez en 2023 à Lops,
13:50le polar sans politique ne m'intéresse pas.
13:51Ça ne raconte rien du monde.
13:53Oui, après, il en faut pour tous les goûts.
13:56Oui, mais le vôtre.
13:59Ben oui,
14:01tout est politique.
14:03La relation qu'on a aux femmes,
14:04qu'on a au monde,
14:04qu'on a à nos enfants,
14:05à tout.
14:07Il se trouve que mes romans
14:08se situent plutôt à l'étranger,
14:10puisque j'aime bien
14:11déjà la géopolitique,
14:13mais aussi,
14:13pour comprendre le monde,
14:15il faut comprendre le présent,
14:16le passé.
14:16J'aime bien brasser un peu tout ça
14:19pour avoir un prisme
14:20qui est assez précis,
14:23en tout cas sur un pays particulier
14:24que je décline.
14:25Un mot sur votre dernier livre.
14:27Là, il y a effectivement
14:29ces politiques
14:29et il y a une dimension écologique.
14:33Oui, parce que l'état des océans
14:34est presque pire
14:35que celui sur Terre.
14:37Le problème des océans,
14:38c'est qu'on ne voit pas
14:38ce qu'on y fait.
14:40Et donc, vous le savez,
14:42tous les bateaux qui raclent,
14:43les fonds marins,
14:45les bateaux,
14:45pas seulement chinois,
14:46qui vont pêcher
14:47en eau territoriale
14:50et qui bousillent la pêche
14:53de tous les petits pêcheurs
14:54et qui vont se retrouver
14:55à emigrer,
14:56qui vont faire le plaisir
14:57de Rotaillot et compagnie.
14:59Il y a tout un cycle
15:01qui va comme ça
15:02et puis malheureusement,
15:03les cétacés,
15:05eux, comme ils sont en haut
15:06de la chaîne alimentaire,
15:07c'est eux qui sont les plus pollués
15:09par toutes les saloperies.
15:10Et ça se passe aux îles Ferroé
15:11et il y a un cadavre au milieu
15:13couvert de plaies.
15:14Oui, parce qu'il faut bien prouver
15:15un prétexte.
15:16un petit peu à tout ça.
15:17Oui, mais quand même.
15:19Pour nous attraper.
15:20Il y a un mort.
15:21Alors, Danielle,
15:22attrapée par les livres
15:23de Karyl Ferré
15:24au Standard Inter.
15:25Bonjour, bienvenue.
15:26Oui, bonjour.
15:27On vous écoute.
15:28Je peux parler ?
15:30Mais oui, évidemment.
15:31Je suis une, entre guillemets,
15:34admiratrice de Karyl Ferré
15:35que j'ai découvert il y a quelques années
15:37grâce à l'aide
15:39qui se passait à Norilsk.
15:42Et j'ai fait plein de découvertes
15:44sur cette ville
15:44que je ne connaissais pas du tout.
15:46Et ensuite,
15:47j'ai lu Mapuche
15:49et puis plein d'autres
15:50sur l'Afrique du Sud.
15:51Et ce que j'aime,
15:52c'est que ces polars
15:53sont intégrés
15:54à la vie du pays,
15:55à la politique,
15:56à l'écologie,
15:57à l'histoire, etc.
16:00Voilà, donc je voulais dire
16:01mon admiration.
16:03Eh bien, il va vous répondre
16:05des polars
16:06qui permettent d'apprendre des choses,
16:09de comprendre des choses.
16:11Voilà ce qu'ils font
16:12de l'admiration de Daniel,
16:14Karyl Ferré.
16:15C'est gentil, déjà.
16:18Mais en fait,
16:18ce qui est bien
16:19quand on sort d'un livre,
16:20c'est qu'on sorte moins bête
16:21quand on y rentre.
16:22C'est un peu l'inverse de la télé.
16:24La télé, on sort plutôt
16:26un peu plus débile, quoi.
16:28Enfin, en majorité,
16:29on est d'accord.
16:30Pas l'audio, hein.
16:31L'audio, c'est mieux.
16:33Comme vous voulez.
16:34Mais dans les romans,
16:35en fait, si on peut...
16:36Non, pas comme vous voulez, non.
16:37Comme vous avez
16:38tous les droits.
16:39Ah bon ?
16:40Non, mais bon,
16:41le but d'un roman aussi,
16:42c'est pas simplement
16:43de distraire l'entertainment
16:45à l'américaine.
16:45Moi, ça ne m'intéresse pas trop.
16:46Donc, effectivement,
16:47moi, je ne prends pas
16:47les lecteurs pour des débiles.
16:49Donc, il y a plein de choses
16:50dont je parle.
16:51Je sais que le FMI,
16:52je n'ai pas besoin
16:53de dire ce que c'est, etc.
16:55Et donc, du coup,
16:56il y a plein de choses
16:58que moi, j'ai découvert
16:59dans mes voyages
16:59que j'ai envie de partager
17:01parce que j'étais moi-même
17:02surpris par certains aspects
17:03divers et variés.
17:05Et de le mettre dans un roman...
17:07On peut tout mettre
17:07dans un roman noir, en fait.
17:08Ce qui n'est pas toujours
17:08le cas des autres genres,
17:10on va dire.
17:10Dans les années 70,
17:12il y a des écrivains
17:13qui vont venir renouveler
17:14le genre en profondeur.
17:15Et on pense évidemment
17:16à Jean-Patrick Manchette,
17:17Arnaud Vivian.
17:19Qu'est-ce que change Manchette ?
17:20Qu'est-ce qu'il apporte ?
17:21Vous dites que
17:22c'est un émule
17:24de Flaubert,
17:25mais un émule
17:26qui écrit des romans noirs.
17:28Oui, c'est vraiment...
17:29C'est une idée...
17:31Comment dire que seul
17:32Jean-Patrick Manchette
17:33pouvait avoir ?
17:34C'est...
17:35Flaubert,
17:36il est là,
17:37et il décide d'écrire...
17:39Plutôt que Mme Bovary,
17:40il décide d'écrire du polar.
17:42Comment Flaubert
17:43écrirait du polar ?
17:44C'est ça la question
17:45que se pose
17:46et que résout
17:47Jean-Patrick Manchette,
17:48c'est qu'il va écrire du polar,
17:50du vrai polar,
17:51avec des meurtres, etc.
17:52Il y a tout ce qu'il faut,
17:53c'est-à-dire qu'il respecte
17:55le genre
17:55et les canons du genre,
17:57mais en écrivant
17:58comme Flaubert
17:59qu'il a étudié.
18:00Il a lu Flaubert,
18:02il a lu toute la correspondance,
18:04il a la phrase
18:05de Flaubert
18:06en lui
18:07et ils l'ont fait
18:08du roman policier.
18:10C'est un...
18:11Donc si vous voulez,
18:11c'est un...
18:12C'est pareil,
18:13dans le polar,
18:13au bout d'un moment,
18:14il y a des maîtres.
18:15Il y a des maîtres,
18:17c'est comme aux échecs en fait.
18:18Il y a des maîtres,
18:19des grands maîtres.
18:20Et bien évidemment,
18:21Jean-Patrick Manchette,
18:22c'est le grand maître
18:23du ce qu'on a appelé
18:24le néo-polar
18:25parce qu'il fait
18:26une révolution.
18:27Mais en fait,
18:28cette révolution,
18:28elle est plutôt interne,
18:30encore une fois.
18:31C'est de dire,
18:31je ramène
18:32cette sous-littérature
18:34dans la grande littérature
18:35en...
18:36Pas en imitant Flaubert.
18:38Parce que c'est pas
18:39de l'imitation,
18:40c'est pas du pastiche.
18:41En se prenant pour Flaubert,
18:43c'est tout à fait différent.
18:44Nicolas Demorand
18:45est un grand lecteur
18:46de séries noires
18:47et on pourrait vous interviewer.
18:49Pourquoi vous aimez tant
18:50la série noire ?
18:51Qu'est-ce qui vous plaît
18:52tellement dans la série noire ?
18:53Dans Manchette
18:54que vous avez absolument voulu.
18:55Manchette,
18:55j'adore évidemment.
18:57Pourquoi ?
18:58Moi,
18:58j'aime...
18:59Là,
18:59je lis Gendron en ce moment.
19:02Sébastien Gendron,
19:04Chevreuil
19:05pour le premier volume
19:06de la trilogie,
19:08Piton
19:08pour le deuxième volume
19:09de la trilogie.
19:11Qu'est-ce que vous y trouvez ?
19:13J'y trouve
19:13une inventivité
19:15et une liberté
19:17au fond
19:17qu'on ne trouve
19:19peut-être pas
19:20nécessairement
19:21dans le roman
19:22dit classique
19:24Piton
19:25de Sébastien Gendron.
19:27On sent
19:28qu'il ne s'interdit
19:30rien
19:31mais qu'il ne fait
19:32pas n'importe quoi
19:33non plus.
19:34Et il y a une tension
19:36entre cette liberté
19:37extrême
19:37et une forme
19:38de retenue
19:39qui moi me semble
19:40parfois
19:41de l'ordre du miracle.
19:43Et puis,
19:44il y a les Américains
19:45publiés dans d'autres maisons.
19:47Il y a El Roy,
19:47etc.
19:48Mais
19:48le polar,
19:51pour moi,
19:52on sent
19:53la palpitation.
19:55On sent
19:55que ça bascule,
19:56que son histoire
19:57s'écrit
19:58volume par volume
19:59et qu'elle peut pivoter
20:00à n'importe quel moment.
20:02Et ça,
20:02c'est passionnant,
20:03je trouve,
20:03quand on est un lecteur.
20:04Et qu'est-ce qu'elle dit
20:05de nous,
20:06la série noire ?
20:06Qu'est-ce qu'elle dit
20:07de l'âme humaine ?
20:08Qu'est-ce qu'elle dit
20:08du bien et du mal ?
20:09Qu'est-ce qu'elle dit
20:10de tout ça ?
20:10Des nuances ?
20:11Qu'est-ce que ça raconte ?
20:13Je pose la question
20:14pour ceux
20:15qui seraient néophytes,
20:16qui nous écouteraient ce matin
20:17et qui ne sont pas,
20:18qui préfèrent la blanche
20:19et qui auraient peut-être
20:20envie de rentrer
20:20dans la série noire
20:21mais qui ont peut-être
20:22un peu peur.
20:23Oui,
20:24non,
20:24en fait,
20:25entre la noire
20:25et la blanche,
20:26souvent,
20:27c'est comme l'âme humaine,
20:28il n'y a que des zones grises.
20:30La différence,
20:30c'est que ça raconte
20:31le monde,
20:32en général,
20:33que ça se passe
20:33à l'étranger,
20:34en France
20:34ou dans l'intimité.
20:36C'est plutôt
20:37un rapport au monde
20:37qui est souvent
20:38un peu violent
20:39parce que le rapport
20:39au monde
20:40est plutôt violent,
20:41malheureusement.
20:43Donc,
20:43moi,
20:43je trouve que ça raconte
20:44les autres.
20:45Ça raconte les autres.
20:46Arne Villan ?
20:47Moi,
20:47je trouve que
20:48le thème profond
20:49du polar,
20:50parce qu'en fait,
20:51ça arrive
20:51avec la société capitaliste,
20:53en fait,
20:54évidemment.
20:55Ça manchète
20:56l'explore magnifique.
20:57Évidemment,
20:57parce qu'il y a
20:58du taylorisme
20:59dans l'écriture même
21:01du polar.
21:01Encore une fois,
21:02le mec est à l'usine,
21:03je veux dire,
21:03l'écrivain est à l'usine
21:05et donc,
21:06il travaille.
21:07Et donc,
21:07ça raconte
21:09ce rapport
21:10de force
21:11entre le système
21:12et l'individu
21:14qui est soit écrasé,
21:16soit l'individu
21:17qui essaye
21:17d'écraser le système.
21:19Je dirais,
21:20manchète parle
21:21à la fois
21:22du terrorisme
21:23qu'il dénonce
21:23d'ailleurs
21:24dans Nada.
21:27Donc,
21:27il y a
21:28cette violence
21:29qui est systémique
21:31finalement,
21:32qui est racontée
21:33à travers le polar
21:34d'une manière
21:35froide
21:36et distante.
21:38C'est ça aussi
21:38qui est important,
21:39c'est que l'écrivain
21:40est plutôt absent
21:42de son livre,
21:43contrairement à ce
21:44qui se fait
21:44dans la littérature
21:45classique
21:45où le moi
21:46est important
21:47parce que le moi
21:48c'est le style,
21:49le style c'est l'homme.
21:50Mais là,
21:51justement,
21:51non,
21:51il faut essayer
21:52de s'abstraire de ça.
21:53Question Solveig
21:54sur l'appli d'Inter,
21:55quel est votre polar
21:56favori de la série noire ?
21:58Dur,
21:59Stéphanie Delestré ?
22:00Eh oui.
22:01Eh oui.
22:01Ça,
22:02c'est pas facile ça.
22:03T'as qu'à dire le mien.
22:05Voilà.
22:07Karil Ferré,
22:08il est obligé.
22:09Elle est obligée.
22:10Oui, je vais dire ça.
22:11C'est l'inverse
22:11de ce qu'on vient de dire.
22:13Non,
22:13non, pas du tout.
22:14Je vais dire ça.
22:14Je vais dire en effet,
22:15je vais dire celui de Karil
22:16puisqu'il allait à côté de moi
22:17et qu'en ressortant,
22:19il va être horrible.
22:20Et vous,
22:20votre polar préféré
22:21en dehors de vous ?
22:22Non, non,
22:23vous voulez vous autociter ?
22:25Non, non.
22:26Non ?
22:26Non, mais il y en a tellement.
22:28C'est vraiment difficile.
22:30Moi, j'aime beaucoup
22:30les classiques
22:31de la série noire
22:32que vous êtes en train
22:33de republier
22:34dans de nouvelles traductions
22:36le plus souvent
22:37avec de courtes préfaces
22:39ou de courtes post-faces.
22:42Moi, j'ai oublié les titres
22:43parce que c'est l'un des plaisirs
22:44aussi de lire beaucoup
22:45de polar,
22:47mais de se retrouver
22:48face à des écritures
22:50des années 45-50
22:52et des trames romanesques
22:55mais absolument impensables
22:57aujourd'hui.
22:59Ça, c'est un bonheur,
23:00un dépaysement temporel
23:01que j'adore.
23:02Arnaud Vivian,
23:03votre polar préféré
23:04et un conseil
23:06pour rentrer dans le polar ?
23:08Le premier livre à lire
23:09quand on n'a jamais lu
23:10une série noire ?
23:11Le premier livre,
23:12il faut commencer par
23:12un Schindler
23:13ou un Dachilamette.
23:15La Moisson Rouge,
23:16par exemple,
23:17est très très bonne entrée
23:18dans l'univers de
23:19La Dame du Lac de Schindler.
23:20Si vous voulez,
23:21personne n'y comprend rien
23:22à cette histoire.
23:23C'est ça qui est intéressant,
23:24c'est qu'on le lit,
23:25en fait,
23:25on se fait embarquer,
23:27l'histoire est incompréhensible.
23:28Tout le monde le dit,
23:29Manchette dit
23:30qu'on ne comprend rien
23:31à cette histoire.
23:32Elle n'a ni queue ni tête.
23:34Et pourtant,
23:34on est happé
23:35parce que c'est un immense styliste,
23:37Schindler.
23:39Donc ça, c'est bien pour rentrer.
23:40C'était quoi ?
23:41Votre préféré de tous les temps.
23:43J'ai une tendresse infinie
23:45pour un livre
23:46d'un écrivain
23:48qu'on a un peu oublié
23:49et qui est décédé aujourd'hui,
23:50qui s'appelait,
23:50c'était son surnom,
23:52Jean Vautrin,
23:53son pseudonyme,
23:54Jean Vautrin,
23:55qui a écrit des séries noires
23:56dans les années 80.
23:57À ce moment,
23:59justement,
23:59Manchettien,
24:00du Néo-Polar,
24:01etc.
24:02Lui, il arrive,
24:03donc il écrit
24:03Billy the Kick.
24:04Billy the Kick,
24:05il y a un groupe de reines
24:06qui va s'appeler
24:07Billy the Kick ensuite.
24:08Billy the Kick,
24:09c'est une petite fille.
24:10En fait,
24:10il réécrit Zazie
24:11dans le métro
24:12en Polar.
24:13C'est ça l'idée.
24:14Il réécrit que Néo,
24:15c'est sa contrainte
24:17et c'est juste magnifique.
24:18Et Eric nous rappelle
24:19une citation d'André Malraux
24:21que personne ne connaissait
24:23autour de cette table.
24:26Le roman policier
24:27et le grand art populaire
24:28du XXe siècle.
24:30C'est pas celle-là.
24:32C'est pas grave.
24:32On l'apprend,
24:33elle est pas mal.
24:34Le roman policier
24:34et le grand art populaire
24:35du XXe siècle.
24:36Et puis,
24:36il y a Bérangère
24:36dans les Pyrénées-Atlantiques
24:38qui nous écrit
24:38Elsa Triolet aussi
24:40était très fan
24:41de la série noire
24:42qu'elle cachait
24:42dans son placard
24:43à Somnifère.
24:44Elle en possédait
24:45des centaines
24:45et c'était de la littérature
24:46qui l'aidait
24:47à s'endormir
24:48à voir dans sa maison
24:49à Saint-Arnoux
24:50en Yvelines.
24:51Voilà,
24:52je le pose là.
24:52Oui,
24:53c'est vrai,
24:53c'est parce qu'il y a
24:53ce truc de l'addiction,
24:54c'est pareil.
24:55Sartre,
24:56il est caché derrière
24:57son canapé.
24:58Parce qu'en fait,
24:58c'est de l'addiction,
24:59c'est-à-dire qu'ils en ont beaucoup.
25:00C'est des centaines de Polar.
25:02C'est ça l'idée.
25:03Merci à tous les trois,
25:05Stéphanie Delestré,
25:06Arnaud Vivian,
25:07Caril Ferré
25:08et bon anniversaire
25:10à la série noire.
25:11Merci à tous les deux.

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