Jusqu'à 30 degrés à Paris, 25 à 29 attendus sur la moitié nord : faut-il s'inquiéter d'un tel épisode de chaleur précoce ? François Gemenne, spécialiste des questions de géopolitique de l'environnement et des migrations. Directeur de l'Observatoire Hugo à l'Université de Liège, il est l'un des principaux auteurs du dernier rapport du Giec, est l'invité de Céline Landreau.
Regardez L'invité de Céline Landreau du 01 mai 2025.
Regardez L'invité de Céline Landreau du 01 mai 2025.
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00:007h10, RTL matin, Céline Landreau et Thomas Soto.
00:04Il est 8h et car l'interview de Céline Landreau au cœur de l'actualité de cette matinale spéciale Forte Chaleur sur RTL.
00:09Ce petit coup de chaud brutal serait-il une énième illustration du grand n'importe quoi climatique ?
00:14Quand on se souvient qu'il y a quelques jours encore, certaines stations de ski étaient ensevelies sous la neige, on peut s'interroger.
00:19Raison pour laquelle vous avez choisi Céline ce matin d'inviter François Gemmène, expert climat qui a notamment co-écrit le dernier rapport des experts du GIEC.
00:27Bonjour et bienvenue à vous.
00:28Bonjour.
00:29Bonjour. Nous sommes le 1er mai, beaucoup de Français ne travaillent pas.
00:33Aujourd'hui, certains vont faire le pont, profiter de ce beau temps sur la moitié nord du pays notamment.
00:37On a le droit de s'en réjouir sans arrière-pensée ou c'est être inconséquent ?
00:41On a évidemment le droit de s'en réjouir et c'est certain que surtout pour un week-end prolongé, il est certain que beaucoup de Français vont en profiter et c'est bien normal.
00:49Cela étant dit, c'est vrai qu'on peut quand même constater que la grande instabilité climatique qu'on connaît,
00:55on a rappelé l'enneigement exceptionnel des stations de ski il y a encore quelques semaines,
00:59tout ça a quand même un peu le changement climatique en arrière-fond.
01:02Et puis, il ne faut pas oublier qu'il y a évidemment ce qu'on voit autour de nous en termes de vagues de chaleur,
01:06mais la vraie vague de chaleur en ce moment, elle touche plutôt les pays du Golfe et les pays d'Asie du Sud
01:11où là on a des températures de 48-49 degrés au Pakistan ou en Arabie Saoudite notamment.
01:16On a frôlé les 50 degrés ces derniers jours au Koweït, au Pakistan, vous disiez, jusqu'à 12 degrés de plus que les normales de saison.
01:23Cela veut dire qu'on ne mesure pas l'ampleur de la catastrophe chez nous ?
01:27Cela veut dire qu'effectivement, on ne la mesure pas, notamment parce qu'on est encore au mois d'avril
01:30et que donc, effectivement, même si on a quelques degrés en plus par rapport aux normales saisonnières,
01:36on reste sous les 40 degrés, donc ça reste très supportable.
01:40Mais c'est vrai que ce qui nous rend la chose difficile à mesurer, en quelque sorte,
01:45c'est le fait que c'est très progressif et qu'effectivement, chaque année,
01:49on voit le climat qui devient de plus en plus instable,
01:52d'où la nécessité de nous adapter, bien entendu, à ce climat changeant.
01:55C'est une répétition, ce qu'on connaît aujourd'hui en France.
01:571er mai, exceptionnellement chaud, ce sera la norme dans 30-50 ans ?
02:02C'est la raison pour laquelle je pense qu'il faut arrêter de dire exceptionnellement chaud.
02:05En réalité, ce que nous considérons aujourd'hui comme des situations exceptionnelles, anormales ou hors normes,
02:10en réalité, ça devient la norme.
02:12Il faut bien réaliser que cette norme, elle est devant nous.
02:16Souvent, on imagine que ces vagues de chaleur sont des températures exceptionnelles
02:19avant une forme de retour à la normale.
02:21Il n'y aura pas de retour à la normale.
02:23La normale, elle est devant nous, elle ne l'est pas derrière nous.
02:25A l'approche de l'été, François Gemmène, les nappes phréatiques, elles, se portent bien.
02:30Le but n'est pas de chercher à savoir si vous êtes profondément optimiste ou pessimiste.
02:34Quoique, mais vous lisez ça comment ?
02:36Comme une bonne nouvelle ou comme le souvenir plus douloureux des précipitations, des inondations même de l'automne ?
02:41C'est une nouvelle rassurante pour cette année et qui ne nous dit rien des prochaines années.
02:46Et en réalité, ce n'est pas parce qu'on a des dames phréatiques qui ont beaucoup rechargé cet hiver et depuis le début de l'année
02:51que forcément nous sommes complètement prémunis contre des risques de sécheresse cet été.
02:56Donc attention à ne pas se réjouir trop vite non plus.
02:59On est vraiment, comme je le disais, dans une situation d'instabilité de plus en plus grande.
03:03Plus de 4 millions de Français sont fortement touchés par l'éco-anxiété d'après l'ADEME.
03:09L'écologie, c'était le combat du siècle.
03:11C'est en tout cas ce que disait Emmanuel Macron, candidat à son deuxième mandat à Marseille.
03:15Et pourtant, on a le sentiment que cette ambition, elle s'est fracassée,
03:18qu'elle a été victime de la question du budget avec des crédits réduits pour MaPrimeRénov' pour le fonds chaleur.
03:24C'est la victime facile, l'écologie, quand il faut trouver des euros aujourd'hui ?
03:28C'est la victime facile parce que d'une certaine manière, on a toujours tendance à procrastiner.
03:32Et on se dit qu'il faut réduire les émissions d'ici 2030, neutralité carbone en 2050.
03:37Et donc, de ce fait, on a tendance à prioriser toute une série d'autres urgences,
03:41du reste parfaitement légitime, le réarmement européen, le soutien à l'Ukraine, le Covid, le rééquilibrage des comptes.
03:47Tout ça, ce sont des priorités parfaitement légitimes.
03:50Mais du coup, ça retarde l'action climatique et ça rend évidemment le problème plus compliqué à résoudre.
03:55Parce que chaque année qui passe, ce sont des milliards de tonnes de CO2 supplémentaires qui vont s'accumuler dans l'atmosphère.
04:01Et surtout, moi, ce qui m'inquiète le plus en ce moment, c'est le sentiment que cette transition apparaît comme une contrainte
04:07à la plupart des Français, à la plupart des entreprises.
04:09On n'a pas réussi à en faire un vrai projet politique.
04:12On s'est un peu enfermé dans une sorte d'écologie du contre,
04:15plutôt que dans une écologie du pour qui va s'enthousiasmer pour la transition.
04:19Et je pense que c'est ça, ce vrai projet politique qu'il faut construire.
04:22Comment est-ce qu'on va faire de la transition à un vrai projet politique et économique pour le pays ?
04:26Alors, aux Etats-Unis, le président Donald Trump a fêté ses 100 jours à la Maison Blanche cette semaine.
04:31Ce n'est pas vraiment ça, lui, son projet politique.
04:33Il s'est plutôt attaché, depuis son arrivée au pouvoir, à revenir sur toutes les politiques climatiques de Washington.
04:39Ça vous inquiète, vous, pour les trois années à venir ?
04:42Ou au contraire, est-ce que ça peut, ça doit remobiliser les autres pays ?
04:46Ça m'inquiète. Ça m'inquiète, bien entendu, pour l'avenir de la coopération sur le climat.
04:53Ça m'inquiète aussi, sincèrement, pour le futur économique des Etats-Unis,
04:56et ce que je vois comme un risque de déclassement profond et durable des Etats-Unis.
05:00C'est un projet du passé, de revenir aux énergies fossiles.
05:03C'est comme si, aujourd'hui, le président Macron demandait à Orange de relancer la téléphonie fixe en France.
05:09On voit bien qu'à l'heure de l'intelligence artificielle, c'est un projet qui n'aura aucun sens.
05:12De la même manière, revenir aux énergies fossiles, comme le font les Etats-Unis, comme le fait aussi l'Allemagne,
05:18il faut le dire en ce moment, c'est un projet du passé qui risque de miner durablement ces économies.
05:24Il faut bien se rendre compte que le futur de l'énergie, c'est l'énergie décarbonée, qu'elle soit nucléaire ou renouvelable.
05:29Et si c'était la Chine, aujourd'hui, le modèle à suivre ?
05:32Pékin, premier émetteur de gaz à effet de serre.
05:34Aujourd'hui, on a d'ailleurs souvent en tête les images de ces nuages de pollution au-dessus des villes chinoises,
05:39mais bon élève du climat.
05:40D'après les autorités, la capacité en énergie éolienne et solaire a dépassé pour la première fois le thermique il y a cinq jours.
05:46Bien sûr.
05:47Ce qu'on ne réalise pas, c'est que la Chine, pour le moment, est en avance de cinq ou six ans sur ses objectifs.
05:53Qu'il est même possible que la Chine ait atteint l'an dernier ou cette année le pic de ses émissions de gaz à effet de serre.
05:59C'est aujourd'hui le premier investisseur du monde dans les énergies renouvelables.
06:03C'est le premier investisseur du monde dans les véhicules électriques.
06:06Et pourquoi ?
06:07Pas parce que le parti communiste chinois serait d'un coup devenu écolo, parce que la Chine a bien identifié que les secteurs économiques porteurs du XXIe siècle se seront ceux-là.
06:15Et c'est pour ça qu'elle investit massivement dans ces secteurs.
06:18Et donc effectivement, c'est tout bénéfice pour le climat.
06:20Et c'est ça aussi qui va permettre, notamment en Europe, de faire baisser les prix de l'énergie solaire.
06:25Si les prix ont chuté pour l'énergie solaire, c'est aussi grâce aux investissements chinois.
06:29Ça veut dire que les Chinois, contrairement à nous, ont compris comment faire de l'écologie, l'écologie du pour, ce que vous disiez tout à l'heure, plutôt que l'écologie du contre.
06:36Exactement. Je pense que les Chinois ont compris beaucoup de choses, sans doute avant nous, et certainement davantage que les Etats-Unis.
06:41Chez nos voisins espagnols, maintenant le débat est vif autour des énergies renouvelables.
06:47Le solaire et l'éolien qui représentent 40% du mix énergétique espagnol l'an dernier, c'est deux fois plus qu'en France.
06:53Et qui sont accusés par leurs détracteurs d'avoir peut-être fragilisé le réseau électrique qui a subi un blackout en début de semaine, même si on en ignore encore la cause exacte.
07:02Est-ce que vous craignez que des incidents comme celui-ci freinent les envies de transition chez nous ?
07:08Effectivement, c'est certain que ça risque d'envoyer un mauvais signal à l'opinion.
07:12Cela étant, il faut rester extrêmement prudent. Il y a aujourd'hui des commissions d'enquête, on ne sait pas du tout ce qui a provoqué cette panne.
07:18Et je tiens à dire que c'est aussi une leçon quand même de résilience.
07:20Ce qu'on a vu en Espagne et au Portugal, c'est qu'il n'y a pas eu de mort, c'est qu'il n'y a pas eu de pillage, c'est qu'il n'y a pas eu de hausse de criminalité alors que la police n'aurait pas pu intervenir.
07:29On a quand même vu, je trouve, beaucoup de civisme de la part des Espagnols et des Portugais dans un épisode qui aurait pu franchement être catastrophique.
07:36Mais ça veut dire qu'il faut peut-être se préparer aussi à être plus résilient, pas forcément en cas de coupure de courant, mais accepter de revenir sur certains acquis à cause du climat.
07:46Il faut se préparer effectivement à subir des situations que nous qualifions jadis d'exceptionnelles.
07:54Et donc effectivement, il faut se préparer à, je dirais, avoir un peu l'imprévu d'une certaine manière.
07:59Et c'est là où se croire d'une certaine manière invulnérable ou trop adapté risque de nous piéger parce que risque de nous rendre incapables de nous adapter à ces situations exceptionnelles.
08:09Je me mets à la place de ceux qui se réveillent ce matin, 1er mai, jour férié, qui entendent vos constats, qui ne sont pas forcément très réjouissants.
08:17Il y a quand même des raisons d'être optimistes. On peut y arriver à se sauver de ces situations que vous nous décrivez ?
08:23D'abord, il y a plein de choses qu'on peut faire en termes d'adaptation, à condition véritablement de réaliser qu'on est en retard et de mettre les bouchées doubles sur ce sujet.
08:31Et puis, il faut aussi encourager au maximum la transition. Il faut aussi dire que l'an dernier, plus de 40% de l'électricité produite dans le monde a été produite à partir de sources décarbonées, nucléaires ou renouvelables.
08:43Ça veut dire qu'il est parfaitement possible d'y arriver. Et moi, je m'insurge un peu contre tous ceux aujourd'hui qui voudraient essayer d'en finir avec la transition.
08:51Et on a ces critiques qui viennent des populistes d'extrême droite, qui viennent aussi parfois, il faut le dire, de la gauche, qui viennent nous raconter que la transition est impossible, n'arrivera pas.
08:59Il faut aujourd'hui l'affirmer très fort, il est possible d'y arriver. Il y a plein de chiffres et de signaux dans le monde qui nous montrent qu'il est possible d'y arriver.
09:09En Chine, le solaire est en train de chasser le charbon du mix énergétique. Il faut peut-être arrêter d'être obnubilé par Washington et de regarder sans cesse la moindre pensée de Donald Trump
09:20pour regarder aussi un peu plus ce qui se passe à Pékin ou à New Delhi. Et les décisions à Pékin ou à New Delhi ont beaucoup plus d'influence et d'importance pour le climat mondial
09:29que celle prise à Washington.
09:30Merci beaucoup François Gemmène. Vous restez avec nous tout de suite, ce sera le deuxième.