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Avril 1975, Phnom Penh, capitale du Cambodge, est envahie par des cohortes d'adolescents maigres et hagards, tout de noir vêtus et lourdement armés. Il s'agit de l'armée des communistes, surnommés quelques années plus tôt « Khmers rouges » par le roi Norodom Sihanouk.

Immédiatement, ils commencent à vider la ville de ses habitants marquant le début du génocide cambodgien qui fera près de 2 millions de morts entre 1975 et 1979.

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Transcription
00:00Le 17 avril 1975, Phnom Penh, la capitale du Cambodge, est encore une ville peuplée de 2,5 millions d'habitants.
00:1924 heures plus tard, c'est une ville morte.
00:30Les rues sont vides.
00:38Les habitants ont été chassés de leur maison.
00:50Le 17 avril 1975, les Khmer rouges ont vidé Phnom Penh.
01:00Ce jeudi 17 avril, après 5 ans de guérilla, les communistes Khmer rouges encerclent la capitale.
01:15Le régime militaire cambodgien, pourtant soutenu par les Américains, vit ces dernières heures.
01:20Au lever du jour, à 5 heures, 5 heures et demie, des milliers de villageois, des faubourgs, sont rentrés à Phnom Penh.
01:28Regarde, regarde, ils sont là, ils arrivent, ils arrivent.
01:31Qui est ça ? Bah les Khmer rouges.
01:33Le père François Ponchot se trouve sur le boulevard Monivong, l'artère principale de Phnom Penh.
01:38Un peu plus haut, sur le même boulevard, le photographe de guerre Roland Neveux flaire le scoop.
01:52En passant devant la gare, j'ai vu qu'il y avait même pas mal de monde sur l'avenue Monivong.
01:56Et en arrivant juste au niveau de ces immeubles, etc., il y a un groupe avec des camions, des APC, des trucs comme ça, il y avait des drapeaux.
02:06Et en fait, je me suis demandé, pourquoi ? Est-ce que c'est une libération ou quoi que ce soit ?
02:09Les drapeaux, ça me paraissait même assez bizarre.
02:16Et ça, à ce moment-là, j'ai vu que c'était des soldats qui étaient un peu trop bien habillés et un peu trop bien mis pour avoir combattu dans les faubourgs de la ville pendant des semaines.
02:25Alors on a appris par la suite que c'était des soldats qui voulaient prendre le pouvoir à la place des Khmers Rouges.
02:37Ces pochistes imaginent, en s'emparant du pouvoir, être en mesure de négocier avec les Khmers Rouges qui sont sur leur talon.
02:44La population, en liesse, les prend pour des libérateurs.
02:48Bon, ils ont peut-être applaudi parce que la guerre était finie.
02:50Il y avait 5 ans que ça durait et éventuellement, on peut accepter ça.
02:55Mais ils ont applaudi.
02:57Ils ne savaient pas ce qu'ils applaudissaient, probablement.
03:01Pressentant que l'histoire est en train de basculer, le photographe décide de rester sur le boulevard Monivang.
03:05Les événements vont se précipiter avec l'entrée des Khmers Rouges dans la ville.
03:11J'arrive sur ce carrefour. En fait, c'est vraiment l'un des carrefours principaux de Phnom Penh.
03:17On me rend compte que les choses sont en train de changer.
03:19Et c'est vraiment là où il y a cette photo, en fait.
03:22Où c'est une colonne de Khmers Rouges. Là, c'est vraiment les Khmers Rouges, puants.
03:26Et vraiment, on pouvait sentir. Les mecs, ils ont passé des journées dans les marais, etc., avant de venir.
03:32Beaucoup pieds nus, armés jusqu'aux dents.
03:33Et là, ça rigole pas.
03:35Ils sont vraiment aux ordres et ils marchent en file indienne comme dans la jungle.
03:39C'est vraiment la même chose.
03:42Et tout d'un coup, c'est le silence.
03:46À 10 heures, une chape de plomb tombe sur la ville.
03:50Les petits hommes en noir étaient à 100 mètres de là.
03:54Ils commençaient à contrôler toute la population.
03:58Pour la première fois de 5 ans de guerre, j'ai vu les chauffeurs, les branlaires,
04:02fouillaient au corps par ces petits Khmers Rouges,
04:04qui ouvraient leur coffre, qui fouillaient la voiture.
04:07Les militaires balançaient leurs uniformes au milieu de la route,
04:10balançaient leurs armes au milieu de la route,
04:12et repartaient en caleçon.
04:14Ils commencent à désarmer les soldats et tout ça.
04:17Et tout cela, au milieu de carrefour,
04:19petit à petit, je vois le tas d'armes qui commencent à...
04:22Regarde, là, ça commence à s'agrandir.
04:24Et donc, c'est assez photogénique pour moi.
04:27C'est vraiment un bon endroit.
04:28Et à ce moment-là, je suis tout seul.
04:32Tous les soldats des armées sont conduits au stade le plus proche.
04:38La plupart seront éliminés sur le champ.
04:44L'armée neutralisée,
04:45les Khmers Rouges ordonnent que tous les hôpitaux soient immédiatement vidés.
04:51À l'hôpital Calmette,
04:52les malades qui ne sont pas en état de partir
04:54sont achevés à l'arme blanche.
04:55Vers 11h, un spectacle absolument inoubliable.
05:02Tous les blessés, les malades,
05:04partirent ici, passés devant les véchets,
05:07le sérum encore en perfusion,
05:10les gens valides poussant les lits des malades.
05:14Je me souviens, ici, devant le portail,
05:17il y en a un qui avait un pied qui se baladait au bout de son pantalon.
05:22Il m'a demandé de l'héberger.
05:24J'ai dit non, on ne peut pas te recevoir.
05:26Si tu restes avec nous, tu vas te faire tuer.
05:29Part sur la route comme tout le monde.
05:30Vraiment, pour moi, c'est encore des images qui me hantent,
05:34même ce jour.
05:35Aujourd'hui, ces blessés, ces malades,
05:38ce tortillant, certains qui n'avaient plus de bras ni jambes,
05:41partir là, passer devant la route,
05:43et gagner le Nord.
05:44À partir de deux heures,
05:51les Khmer Rouges passaient avec une voiture radio.
05:54Ils disaient, partez, partez vite,
05:55les Américains vont bombarder la ville.
05:57C'était plausible,
05:58parce qu'en 1973,
06:00les Américains bombardaient tout autour de la ville
06:02avec leur B-52.
06:03Donc la population affolée,
06:06eh bien, a écouté les Khmer Rouges,
06:07et tout le monde est parti à flots serrés
06:10sur cette route, là, j'ai vu passer,
06:12des centaines de milliers de personnes
06:14marchant un pas très, très lent, épuisant,
06:18et se diriger vers l'extérieur de la ville.
06:24En jetant la population de Phnom Penh sur les routes,
06:27les Khmer Rouges exécutent leur plan de ruralisation forcé.
06:32Repères de tous les vices,
06:34tous les centres urbains sont évacués.
06:37Considérés comme des exploiteurs,
06:38les citadins sont déportés dans les campagnes.
06:42Un quart de la population va se retrouver dans les rizières
06:44pour y être rééduqués.
06:56Cette histoire prend ses racines au début des années 50
06:59avec l'indépendance du pays.
07:02À cette époque,
07:04une vingtaine d'étudiants cabodgiens
07:05bénéficiant d'une bourse d'études
07:07arrivent à Paris.
07:08Ils deviendront les principaux dirigeants Khmer Rouge.
07:12Ce sont les étudiants
07:14qui ont été envoyés en France.
07:16Salotza, qui deviendra Pol Pot,
07:18parti en 1945.
07:19Pol Pot, Yeng Sarri,
07:21son épouse Kiyo Thiride,
07:23et puis un certain nombre d'intellectuels
07:25qui ont été pour la plupart membres du parti communiste
07:28et qui sont revenus communistes bontains.
07:30A cette époque,
07:33un personnage occupe une position centrale sur l'échiquier politique du pays.
07:38Le prince président Nordom Sianouk.
07:40Au Cambod, à l'époque, c'est chez nous partout, on l'entend tous les jours.
07:49Il a été père de l'indépendance du Cambod, il a été père du sport national cambodgien.
07:56C'est un dieu droit.
07:59Au milieu des années 60,
08:01Hong Tong Yeung arrive à Paris.
08:03De tendance socialiste modérée,
08:05il suit des études d'économie politique.
08:09Shuang Sikun fait également des études dans la capitale.
08:12Lui est proche du parti communiste cambodgien.
08:15Au début, nous disions,
08:17les jeunes sont plus mentés Sianouk,
08:20parce que Sianouk était accusé d'être la marionnette des Français,
08:26excusez-moi, mais c'est la tendance du gouvernement.
08:30Un temps toléré par le régime de Sianouk,
08:32la jeune gauche va entrer progressivement
08:34dans une opposition intransigeante vis-à-vis du régime.
08:38Sianouk a commencé à leur faire la chasse
08:40depuis 1962-63.
08:44Il a tué beaucoup, des centaines de Khmer rouges,
08:48si bien que la petite équipe rentrant de France
08:51a dû partir dans les forêts,
08:54d'abord au Vietnam,
08:55puis ensuite au Cambodge,
08:57dans la région de Ratanakiri.
08:59Ces guerriers rosses, majoritairement communistes,
09:02Sianouk va les surnommer Khmer rouge.
09:06Au cœur des maquis,
09:07les intellectuels aiguisent leurs réflexions.
09:09Elle va bientôt devenir le fondement de leur idéologie révolutionnaire.
09:12Au contact des montagnards,
09:17ils ont constaté que la théorie du bon sauvage de Rousseau était vraie.
09:23Donc ces montagnards vivaient un communisme intégral.
09:28J'y allais de temps en temps,
09:29les hommes avaient simplement un petit pain,
09:31les femmes une petite jupe,
09:33et ils vivaient de chasse et de pieuillettes,
09:34et tout était en commun.
09:35Et c'est là qu'ils ont un genre d'illumination,
09:38comme une illumination bouddhiste,
09:40et ils ont dit que c'est ça qu'on veut faire dans notre pays,
09:43repartir à zéro,
09:44que toute la population reparte à la campagne
09:47et vive comme ces montagnards.
09:50On était nourris par la littérature révolutionnaire française.
09:55Et pour le métier, c'est la priorité,
10:02le placement au masque populaire,
10:05c'est ce sacrifice,
10:07cette abnégation.
10:10Et c'est ça qui nous anime.
10:14Notre vie, notre bonheur personnel,
10:17ça ne compte pas.
10:18À Paris, l'institutrice Laurence Pique
10:21fait la rencontre de l'étudiant Siong Sikun.
10:24Elle partage ses idées,
10:26et bientôt sa vie.
10:27La vie avec le Cambodge a commencé l'année
10:30où j'ai rencontré Sikun.
10:32Cet idéal de vie,
10:33de contribuer au développement d'un pays,
10:36à l'aménagement social d'un pays,
10:38m'enthousiasme énormément.
10:39Je suis quand même de la génération d'après-guerre,
10:41c'est-à-dire que le lendemain devait chanter,
10:43et c'était tout naturel
10:44que nous puissions nous retrouver
10:45et vivre cette vie ensemble.
10:50Depuis Paris,
10:51le couple suit la politique de neutralité
10:53qu'observe le prince Sianuk
10:54vis-à-vis de la guerre
10:55qui oppose au Vietnam,
10:57Vietcong et Américains.
11:00L'extension progressive du conflit
11:02à l'intérieur du Cambodge
11:03va précipiter le pays dans le chaos.
11:08À l'origine, une route,
11:10considérée comme un axe majeur,
11:11traverse l'est du Cambodge
11:13la piste Ho Chi Minh.
11:16Pour les Nord-Vietnamiens,
11:18cette piste est stratégique
11:19dans leur reconquête du pays.
11:22Sianuk se voit contraint
11:23de fermer les yeux
11:24sur ces combattants bien encombrants
11:25qui envahissent peu à peu
11:27la moitié du Cambodge
11:28pour échapper aux bombardements américains.
11:36Au mois de mars 1970,
11:39de violentes manifestations
11:40anti-Vietnamiennes
11:41ont lieu à Phnom Penh.
11:42l'ambassade du Vietnam
11:44est mise à sac.
11:46Ulcéré par la politique du prince
11:48et soucieux de chasser l'envahisseur,
11:50son premier ministre,
11:51le général Lon Nol,
11:53fomente un coup d'État
11:54avec l'aide du prince Syrik Matak
11:56et l'appui des Américains.
11:57Le 18 mars 1970,
12:00alors que Sianuk est en voyage
12:02à l'étranger,
12:03il est renversé.
12:05Contraint à l'exil,
12:06le prince trouve refuge à Pékin.
12:07Alors ça a été une chance inouïe
12:14pour les Khmers rouges
12:16qui étaient un petit nombre.
12:17Ils étaient peut-être 3000 à l'époque,
12:20en 1970.
12:22Alors, dans sa lucidité géniale,
12:26le Nol a demandé
12:27aux forces nord-vietnamiennes
12:29qui étaient dans des sanctuaires,
12:31des zones de refuge
12:32le long de la frontière vietnamienne,
12:34en territoire cambodgien,
12:36de quitter leur sanctuaire.
12:38Classe l'antienne,
12:39les Vietnamiens ont quitté leur sanctuaire,
12:41mais pas pour repartir chez eux.
12:43Ils ont envahi le Cambodge,
12:45ils ont raflé tous les jeunes gens
12:46de la campagne,
12:47en ont formé une armée
12:48de libération nationale.
12:50Tous les jeunes gens
12:51et jeunes filles de la campagne
12:52ont été autant de soldats Khmers rouges.
12:57Ce sont les Américains
12:59qui nous ont beaucoup aidés.
13:00D'abord, il y a le coup d'État.
13:05Deuxièmement,
13:05les bombardements américains
13:06de février 1973
13:08à août 1973.
13:10C'est-à-dire six mois.
13:12Alors, nous disons
13:13200 jours, 200 nuits
13:16par les bombardiers géants B-50.
13:25Ça a touché les régions cambodgiens,
13:27ça a touché les villas cambodgiens
13:30et les pigeons cambodgiens,
13:31ils ne sont pas contents.
13:32Et quand ils ne sont pas contents,
13:34ça donne l'argument aux Khmers rouges
13:37pour alimenter le propagande.
13:41Ça n'avait plus beaucoup de sens
13:43de rester à Paris,
13:45de faire des études,
13:46alors que le pays rentrait
13:47dans une guerre très fratricide,
13:48très dure,
13:50puisqu'il y avait
13:50les bombardements américains,
13:51il y avait l'entrée des troupes
13:52sud-vietnamiennes,
13:53sud-coréennes,
13:53philippines,
13:54qui étaient des troupes de mercenaires,
13:55et qu'il y avait des massacres épouvantables.
13:57Donc, Sikun,
13:58comme d'autres,
13:59comme beaucoup d'autres,
14:00sont allés à Pékin
14:00par Sisyphe,
14:01ce qu'on appelait
14:02une guerre de résistance,
14:03à l'instar de ce qui s'était passé
14:04pendant la Deuxième Guerre mondiale.
14:06Laurence Pic
14:07décide d'accompagner
14:08Shuang Sikun en Chine.
14:10Sur cette photo prise à Pékin,
14:12ils sont en compagnie
14:13des responsables Khmers rouges,
14:14Kyu Sampan
14:15et Yang Sari.
14:17Yang Sari
14:17deviendra par la suite
14:18frère numéro 2,
14:20derrière Pol Pot.
14:21Au Cambodge,
14:28le mouvement de soutien
14:29au Khmers rouge s'amplifie.
14:32Il bénéficie depuis peu
14:33d'un allié providentiel
14:34en la personne du prince
14:36Norodom Sihanouk,
14:37soutenu par les Chinois.
14:39Son ralliement spectaculaire
14:41au Khmers rouge,
14:42quelques jours après sa destitution,
14:44a surpris tout le monde.
14:46La première analyse,
14:47c'est d'abord,
14:48il a voulu se venger.
14:50Ça, pour un Khmers,
14:51c'est très très fort,
14:53perdre la face,
14:54et il avait perdu la face,
14:56il a voulu se venger
14:57sur le Nol.
14:58Et tant qu'il n'avait pas
14:59la peau de le Nol
15:00et ceux qui l'ont renversé,
15:02il n'aurait pas de repos.
15:03Deuxièmement,
15:04il était persuadé
15:05que les seuls
15:06qui pouvaient assurer
15:07l'indépendance du pays,
15:09c'était les Khmers rouges.
15:10Et Sihanouk est venu
15:12par la piste au Chimène,
15:13est allé rencontrer
15:15les Khmers rouges,
15:16et les Khmers rouges
15:16l'ont fait croire
15:17qu'il resterait
15:18chef d'État à vie,
15:19et orgueilleux
15:21comme Sihanouk,
15:22il l'a cru.
15:23Paul Paul était
15:23très intelligent,
15:25il a tout de suite
15:26avec le coup d'État,
15:28il a tout de suite
15:29saisi l'opportunité
15:32en levant les standards
15:34du prince Sihanouk
15:35pour mobiliser
15:37ceux qui soutiennent
15:39les princes.
15:40Mais en réalité,
15:41sur le terrain,
15:42ce sont les communistes
15:43qui agissent.
15:45progressivement,
15:48le pays va s'enfoncer
15:49dans une guerre
15:49fratricide
15:50opposant deux forces.
15:52D'un côté,
15:53les soldats
15:53de l'armée gouvernementale
15:54fidèles à Lone Nol,
15:56armés par les Américains.
15:58De l'autre,
15:59soutenus par les Chinois,
16:00les Khmers rouges
16:01qui tiennent
16:01la majorité
16:02des zones rurales.
16:04Entre 1970
16:05et 1975,
16:07la guerre fera
16:08un million de victimes.
16:09C'est pendant cette guerre
16:12que l'ethnologue
16:12François Bizeau,
16:13en poste à Phnom Penh,
16:15va faire le cruel apprentissage
16:16de l'idéologie
16:17qui anime les révolutionnaires.
16:19Tout commence pour lui
16:20en 1970
16:21par un voyage d'études
16:23dans un temple bouddhiste
16:24situé dans une zone
16:25occupée par les Khmers rouges.
16:28Je suis tombé malencontreusement
16:29sur un petit groupe
16:30de miliciens.
16:32Et là,
16:32ensuite de ça,
16:33j'ai été pris
16:35pour une sorte d'espion,
16:37je ne sais pas quoi,
16:38d'Amérique.
16:39qui est apparemment,
16:42plus ou moins,
16:43sans que ça soit dit
16:44tout à fait comme ça,
16:45condamné à mort.
16:48François Bizeau
16:49est transféré
16:49dans l'ouest du pays,
16:51au camp M13
16:52d'Enlongveng,
16:53pour y subir
16:54ses premiers interrogatoires.
16:57Je me rends compte
16:58que jamais je vais être cru
17:02que je suis définitivement
17:05devenu un Américain
17:07et un espion,
17:08et devant ça,
17:11le chef du camp
17:13était un jeune révolutionnaire,
17:18idéologue,
17:19souriant,
17:20intelligent
17:21et calme.
17:23Le chef du camp
17:26répond au surnom
17:27de Dutsch.
17:28C'est un ancien professeur
17:29de mathématiques
17:30qui a rejoint
17:31le maquis.
17:34Dans le camp,
17:35l'ethnologue,
17:35qui est le seul français,
17:37va découvrir
17:37l'existence
17:38d'une entité supérieure
17:39à laquelle son geôlier
17:41fait référence
17:41en permanence,
17:43l'Ankar,
17:44l'organisation
17:45en langage khmer.
17:46L'Ankar,
17:47c'était un ensemble
17:48administratif,
17:50anonyme,
17:52qui décidait de tout.
17:55Les enfants de la Révolution
17:57sont des fils de l'Ankar,
17:59des enfants de l'Ankar.
18:01L'Ankar,
18:01c'est la nouvelle famille.
18:03L'Ankar,
18:03c'est le modèle,
18:04c'est...
18:05L'Ankar est derrière vous,
18:06il est en vous,
18:07c'est le meilleur des mondes.
18:08Il construit
18:17les bons
18:18et les mauvais.
18:20Les mauvais doivent être
18:21conformes aux attentes
18:22ou aux directives du parti
18:23et les bons aussi.
18:26C'est une succession
18:27de fondements
18:29d'un nouveau monde,
18:31d'une nouvelle société
18:32et ça s'appelle d'ailleurs
18:33une renaissance.
18:36La Révolution,
18:37c'est faire table rase
18:38et recommencer sur zéro.
18:39Et on recommence
18:40avec des gens
18:41qui sont parfaits
18:43et conformes.
18:45François Bizeau
18:46ne saura jamais
18:47pourquoi l'Ankar
18:48consentira quelques mois plus tard
18:49à le remettre en liberté.
18:52Enfin libre,
18:53l'ethnologue
18:53retourne vivre
18:54à Phnom Penh.
18:59Au début de l'année 1975,
19:02les maquisards Khmer Rouge
19:03encerclent Phnom Penh.
19:05La capitale
19:06dans laquelle s'entassent
19:07un million et demi
19:07de réfugiés venus
19:08des campagnes
19:09ne survit que grâce
19:10au pont aérien américain.
19:17En deux mois,
19:18plus de 15 000 roquettes
19:19vont s'abattre
19:19sur la ville assiégée.
19:25Coincée dans les faubourgs,
19:27l'armée gouvernementale
19:28est impuissante
19:28à contenir
19:29l'avancée ennemie.
19:30Le 1er janvier 1975,
19:36quand il y a eu
19:36la première grande offensive
19:37qui a été lancée
19:37contre Phnom Penh,
19:39j'ai commencé à avoir
19:39une carte sur le mur
19:40comme tout le monde,
19:42avec des épingles
19:43pour montrer
19:43un petit peu
19:44la progression
19:45des forces armées.
19:46Et puis,
19:47quand c'est arrivé
19:47le 17 avril,
19:48quand j'ai su la nouvelle,
19:49j'étais à côté de la carte
19:50en train de mettre
19:51les dernières épingles.
19:51La presse internationale
20:04a titré
20:04Phnom Penh libéré,
20:06y compris le journal Le Monde,
20:07à Pékin,
20:08où on était,
20:09j'ai eu la fête
20:09pour souligner l'événement
20:11parce que c'était
20:11quelque chose
20:12de particulièrement remarquable.
20:14Le lendemain,
20:15j'ai appris
20:16que les Coméros
20:18ont chassé
20:18les habitants
20:19de Phnom Penh
20:20et les plus
20:21pour mon premier idée,
20:23j'ai encore
20:24le programme
20:24de l'imperalisme.
20:26Je ne voulais pas croire.
20:27Vous comprenez ?
20:27Au même moment,
20:30à Phnom Penh,
20:31un adolescent subit
20:32l'ordre d'évacuation
20:33des Khmer Rouges.
20:34J'avais 13 ans et demi,
20:36donc j'étais sorti du dehors
20:37pour voir ce qui se passait.
20:39Les Khmer Rouges
20:40sont arrivés par là,
20:41ils ont dispersé
20:42tout le monde
20:42à coups de Kalachnikov
20:43en l'air.
20:45Un jeune,
20:46un petit gars
20:47qui est venu vers moi
20:48et m'a intimé
20:51l'ordre de rentrer
20:52chez moi
20:52et de réunir mes affaires
20:54et partir à la campagne
20:55parce que les Américains
20:56allaient bombarder la ville.
20:58Donc j'ai couru
20:59vers ma maison,
21:01j'ai vu mon père
21:02et je lui ai dit,
21:03j'étais bouleversé.
21:05J'ai dit,
21:06papa, papa,
21:06on doit réunir nos affaires,
21:08on doit partir,
21:08avec ma rouge,
21:09nous dise de partir.
21:11La première chose
21:11qui m'a,
21:12enfin,
21:12sa première réaction
21:13était de me donner une baffe.
21:15je trouve ça totalement
21:17injuste.
21:21Et j'ai pas compris
21:22cette réaction de détresse
21:24qu'il a eue.
21:26Foussera Ng
21:27est un artiste
21:28né de mère française
21:29et de père cambodgien.
21:31Le 17 avril 1975,
21:34la famille de Foussera Ng
21:35va chercher refuge
21:36à l'ambassade de France.
21:37Mon père
21:39n'a pas pu rentrer
21:41dans l'ambassade.
21:42Il nous a emmenés
21:43dans cette voiture
21:44en trombe
21:45dans toute l'ompeine
21:46qui était déjà
21:46quasiment vidée.
21:48On arrive ici
21:49et il y a déjà
21:51peu de monde
21:51devant la porte
21:52de l'ambassade.
21:54Mon père quasiment
21:55nous pousse
21:55à l'intérieur
21:56de l'ambassade.
21:57J'ai même pas
21:57le temps de me retourner
21:58pour lui dire quoi que ce soit,
21:59pour voir quoi que ce soit.
22:01Je me retrouve
22:01dans l'ambassade
22:02et ma mère nous rassure
22:04en nous disant
22:04qu'il va nous rejoindre.
22:05Foussera Ng
22:07va rester sans nouvelles
22:08de son père
22:09pendant plusieurs heures.
22:11Ce dernier va finalement
22:12réussir à s'infiltrer
22:13dans l'ambassade.
22:17Les autorités françaises
22:18sont débordées
22:19par le flux incessant
22:20des candidats à l'exil
22:21qui se massent
22:22devant le portail.
22:28L'ambassade de France
22:29devient un camp
22:31de protection
22:32pour les étrangers
22:33en quelque sorte.
22:35Ça arrange tout le monde,
22:37c'est bien plus facile.
22:38Même les Khmer Rouges
22:38dirigent,
22:39ils voient un étranger
22:40et hop sur l'ambassade
22:41de France.
22:43Il y avait 3000 réfugiés
22:44dans l'ambassade.
22:45Dans les 3000 réfugiés,
22:47une grande majorité
22:48de Cambodgiens
22:49désireux de fuir
22:50le nouveau régime.
22:51Parmi eux,
22:52quelques dignitaires
22:53de l'ancien gouvernement.
22:56Le 20 avril 1975,
22:58en face des bâtiments,
22:59les Khmer Rouges
22:59prennent position.
23:01Les réfugiés
23:02vont devenir
23:02leurs otages.
23:03Des petits Khmer Rouges
23:12sont arrivés
23:12ici devant la porte,
23:14nous ont menacés
23:15avec l'AK-47
23:16et nous ont dit
23:17faites sortir
23:17les traîtres,
23:18les 7 traîtres,
23:19sinon nous allons
23:20les chercher.
23:21Alors nous avons
23:21essayé de discuter,
23:22ici c'est
23:23extraterritorialité,
23:25c'est la France.
23:26Ah mais non,
23:26on a délibéré
23:27tout le Cambodge,
23:28on a libéré le Cambodge.
23:28Alors il réclamait
23:30Sirik Matak,
23:31le Premier ministre,
23:33il réclamait aussi
23:34la femme de Siyanouk
23:35et d'autres personnalités
23:37qui s'étaient réfugiés
23:38à l'ambassade de France.
23:40Que faire ?
23:42Parce qu'il fallait bien
23:43comprendre
23:44qu'où ils partaient,
23:47où on les faisait partir,
23:50où les Khmer Rouges
23:51venaient les chercher.
23:52Il n'y avait aucune...
23:54Et la troisième hypothèse
23:56était certainement
23:57la plus grave
23:58et la plus difficile
23:59pour tout le monde.
24:00François Bizeau
24:02qui parle couramment Khmer
24:03est au cœur
24:04des négociations.
24:05Mais les Khmer Rouges
24:06exigent que leur soient
24:07livrés les dignitaires.
24:09Ils repartent cependant
24:10avec la garantie
24:11que leur vie sera épargnée.
24:16Sirik Matak,
24:17vraiment grand seigneur,
24:18nous a remerciés.
24:19Vous avez fait tout
24:20ce que vous avez pu faire
24:20pour nous,
24:21mais je vois que vous ne pouvez
24:22pas en faire davantage.
24:24Et ils sont partis
24:25très dignement
24:26et ils ont sans doute
24:27été exécutés
24:28dans le cercle sportif
24:30près du lycée Descartes.
24:35Les Khmer Rouges
24:36ne vont pas en rester là.
24:38Le 22 avril,
24:39ils accentuent la pression
24:40sur l'ensemble
24:41de la communauté cambodgienne.
24:46Un gradé,
24:47visiblement,
24:48quelqu'un qui parlait
24:48très bien français,
24:50est venu
24:50et nous a réunis
24:51là derrière,
24:52devant ce bâtiment.
24:54Il s'est adressé
24:54à ses compatriotes cambodgiens.
24:56Il a dit
24:56vous êtes invités
24:57à aller rejoindre
24:58le peuple
24:59pour reconstruire
25:00le pays.
25:01Alors à ce moment-là,
25:02ça a été vraiment
25:03un drame épouvantable.
25:05Moi-même,
25:05j'ai été dire
25:06à beaucoup de Cambodgiens
25:07c'est votre seule chance
25:09de survie.
25:10Partez le plus vite possible,
25:11fondez-vous
25:12dans la foule
25:13et vous risquez
25:14d'y rééchapper.
25:16Ça se met à hurler
25:17tout d'un coup
25:17dans tous les sens.
25:19Là, on comprend
25:19que
25:20tous les Khmer
25:24vont être obligés
25:24parce que c'était
25:25la grande question
25:25est-ce qu'ils allaient
25:27pouvoir rester ou non.
25:28Donc là,
25:29on comprend que
25:30ce n'est plus possible.
25:35Et donc,
25:35mon père,
25:36il était très calme.
25:38Il nous a appris,
25:41mon grand frère,
25:42moi et ma petite soeur,
25:43à part,
25:44les uns après les autres.
25:45Il nous a fait ses adieux
25:47en nous recommandant
25:49de bien faire attention
25:51à notre mère.
25:54Et il est parti
25:55avec
25:55tranquillement
25:59et on l'a regardé
26:00partir ici.
26:01On ne pouvait pas
26:02aller plus loin.
26:05Et tu ne le reverras jamais ?
26:06Non.
26:10À l'intérieur de l'ambassade,
26:12où il reste
26:13près d'un millier
26:13de réfugiés,
26:14les stocks de nourriture
26:15s'épuisent.
26:17François Bizot
26:19se voit confier
26:20la mission
26:20de trouver
26:21du ravitaillement
26:21dans la capitale.
26:28J'ai eu le sentiment
26:29de vivre
26:30quelque chose
26:31de totalement inouï,
26:33d'être dans
26:33une espèce
26:34de cauchemar
26:34d'une ville
26:35qui avait été
26:37le centre vital
26:39de l'Asie du Sud-Est
26:40avec tout ce que
26:41cela pouvait comporter
26:43d'activités,
26:45de commerces,
26:46de mouvements,
26:47de couleurs de gens,
26:49de différentes langues,
26:50etc.
26:51Vides,
26:52totalement vides.
26:55En passant devant la banque,
26:56il y a eu une explosion
26:57qui faisait que
26:58des milliers de coupures
27:01de 500 riels
27:02volaient autour
27:05des roues de la Jeep.
27:06Quand je roulais lentement
27:08dans ces arbres-là,
27:10il y a de quoi perdre la tête.
27:11Ainsi,
27:14après l'exode
27:14forcé de la population,
27:16l'Ankar a décrété
27:17l'abolition
27:18de la monnaie.
27:22Un jour,
27:22les Khmer Rouges
27:23sont venus
27:24négocier
27:24notre apatriement.
27:27Alors,
27:27le consul
27:28a proposé
27:28de demander
27:29des avions
27:30à notre gouvernement
27:31français.
27:32Et là,
27:33les Khmer Rouges
27:34sont devenus,
27:34ont eu les yeux
27:35injectés de sang,
27:37on croyait
27:37qu'ils allaient
27:38tous nous fusiller.
27:39nous ne sommes pas des...
27:41Nous sommes un pays
27:42indépendant,
27:43nous ne sommes pas
27:43vos valets,
27:44nous vous rapatrierons
27:45avec nos moyens.
27:46Ça a été
27:46la consternation.
27:49Partir par camion,
27:50c'était insensé.
27:52D'où
27:53la grande frayeur
27:54qui s'est emparée
27:55d'une partie
27:55des gens.
27:57Que ça soit
27:57une façon de dire
27:59un piège
27:59pour nous emmener
28:00camion par camion
28:01sur un terrain
28:02d'exécution.
28:04Trois jours plus tard,
28:05malgré les incertitudes,
28:07la décision est prise
28:08de faire partir en priorité
28:10les femmes et les enfants
28:11par un premier convoi.
28:13Je monte à l'avant
28:14parce que très vite
28:15je me dis
28:16que je ne vais pas
28:17perdre une miette
28:17de tout ce que je vais
28:18pouvoir voir encore
28:19avant de partir.
28:21Parce que là,
28:21je comprends bien
28:22que je ne reviendrai pas
28:23ici avant
28:23je ne sais pas quand.
28:26Et on traverse
28:27toute cette ville
28:30et toutes ces routes
28:32complètement,
28:33absolument désertées.
28:35à un moment donné,
28:38la seule fois
28:38où on va croiser
28:39des Khmers rouges,
28:41c'est des gens
28:42sur la route
28:42avec des gosses
28:43en train de casser
28:43des cailloux.
28:47Le premier convoi
28:48est parti le 30 avril
28:50et le premier jour
28:52pas de nouvelles,
28:53deuxième jour
28:54pas de nouvelles,
28:54troisième jour
28:55pas de nouvelles.
28:56On s'est dit
28:57ça y est,
28:57ils les ont tous
28:58exécutés.
28:59Les nouvelles
29:00du premier convoi
29:01mettent plus de 5 jours
29:02à arriver.
29:03Rassurés,
29:04les derniers réfugiés
29:05de l'ambassade
29:06vont pouvoir
29:06prendre la route
29:07pour leur destination finale.
29:09Le pont de Poipet,
29:10unique point de passage
29:11entre le Cambodge
29:12et la Thaïlande.
29:15Le 8 mai 1975,
29:17il ne reste plus aucun français
29:19sur le territoire cambodgien.
29:21Arrivé à la frontière,
29:23alors là,
29:23j'ai éclaté un sain.
29:25Je ne me maîtrisais plus.
29:28Tellement,
29:29la pression avait été forte
29:31pendant ces 3 semaines
29:33où vraiment
29:33pendant 3 semaines,
29:35je n'ai eu peur
29:36ni déprimé,
29:38quoi que ce soit,
29:38mais le passage
29:39à la frontière,
29:41arriver dans un monde libre,
29:43je n'ai pas pu me retenir.
29:48Tout le monde
29:49ne criait pas de joie,
29:52mais tout le monde
29:52était soulagé,
29:55comme rarement
29:55j'aurais pu connaître ça.
29:59Ce qui nous attendait
30:00de l'autre côté,
30:01c'était le sentiment
30:02d'échapper
30:03à l'enfer.
30:10Quelques mois plus tard,
30:12Laurence Pic
30:12va faire le trajet inverse.
30:15Sa décision est irrévocable.
30:17Elle quitte Pékin
30:17pour retrouver son mari
30:18à Phnom Penh.
30:19Siong Sik-keun
30:21occupe un poste important
30:22dans l'organigramme du parti.
30:26Pour lui,
30:26il est très, très enthousiaste.
30:28Voilà.
30:28Et pour moi,
30:29le suivre,
30:30c'était mon mari,
30:31c'était le père des enfants.
30:32Il n'était pas question
30:32que je sépare les enfants
30:34de leur père.
30:35Les filles avaient 3 ans
30:36et 4 ans.
30:37La scolarité n'était pas
30:38encore une urgente.
30:39Je savais qu'il n'y avait
30:39pas d'école.
30:41Bon, 3 ans et 4 ans,
30:42ça pouvait encore
30:42attendre un an.
30:43Comme un millier d'étudiants,
30:47Hong-Tong Weng
30:47a souhaité quitter la France
30:49pour soutenir la révolution.
30:51Il a le cœur qui bat
30:52lorsqu'il survole le Cambodge.
30:56C'est l'émotion.
30:58C'est l'émotion.
31:00C'est comme...
31:02C'est un rêve accompli.
31:08Quand on est arrivé
31:09au-dessus du Cambodge,
31:10bien sûr,
31:10c'était la joie
31:11dans l'avion
31:12et le pilote
31:13n'était pas qu'il était
31:13de connivence
31:14parce qu'il nous a fait
31:14faire des petits tours
31:15au-dessus de la capitale
31:17de voir une chose,
31:18de voir une autre.
31:23Et quand on est descendu,
31:25voilà, c'était fini.
31:27On arrivait sur Intermac.
31:29C'est complètement vide.
31:30Moi, je m'attendais quand même
31:30au minimum au voir six qu'une.
31:32On a pris nos passeports
31:33et puis on a jeté
31:34dans un panier
31:35comme ça
31:36où l'encart
31:38va vous donner après.
31:40Et j'ai compris.
31:41Je pouvais plus.
31:43le tourner en arrière.
31:45Et puis, on traverse
31:46en peine encore.
31:48C'est comme s'il y avait eu
31:50une apocalypse,
31:51une bombe
31:51de quelque chose
31:52qui était tombée.
31:53Tout était vide,
31:53tout était noir,
31:54tout était en ruine.
31:56On n'a pas l'habitude
31:56de voir une capitale
31:58dans cette ambiance-là.
32:00Et au fur et à mesure
32:01qu'on avançait,
32:02je me disais,
32:03si je n'étais pas là
32:04pourvu qu'il n'y soit
32:05rien arrivé,
32:05et d'un.
32:06Et de deux,
32:07de toute façon,
32:08ce soir,
32:09je serai dans les zones rurales,
32:10là où il y a du monde
32:10et on va danser,
32:11on va chanter
32:12parce qu'avec les Khmer,
32:13on chante et on danse
32:14assez facilement,
32:15on joue
32:15et c'est très très gai
32:16généralement.
32:18Aucune réjouissance
32:19n'est prévue.
32:20Elles sont interdites
32:21par le nouveau régime.
32:23Laurence Pic
32:24est assigné à résidence
32:25à Phnom Penh,
32:26dans les bâtiments
32:26du ministère
32:27des Affaires étrangères,
32:28rebaptisé B1.
32:33Quant à Hong Tongueng,
32:34il est incarcéré ici,
32:36à l'Institut Khmero soviétique,
32:38devenu entre-temps
32:39un camp de rééducation
32:40par le travail
32:41pour les expatriés
32:42de retour au pays.
32:45Comment avoir
32:46mes anciens compagnons,
32:49les gens de l'étrangé
32:50comme moi,
32:52qui ne me parlaient pas,
32:53et ils ont l'air maîtres
32:55et mal habillés,
32:59enfin,
32:59tout en tant que moi.
33:01Et ça me donne l'impression
33:04tout de suite
33:04que les films horreurs
33:06que j'ai vus
33:07dans les camps,
33:10ensuite,
33:12les camps de la mort.
33:14Dans Phnom Penh,
33:16en quelques mois,
33:17tout a changé.
33:19La ville dans laquelle
33:20il ne subsiste plus
33:21que quelques dizaines
33:21de milliers de personnes
33:22est découpée
33:23en quatre secteurs autonomes.
33:29Aucune circulation personnelle
33:31n'est autorisée.
33:32La vie est entièrement consacrée
33:34à la production industrielle,
33:35mais aussi agricole.
33:36On a essayé
33:47de ruraliser
33:49les villes.
33:50Par exemple,
33:51concrètement,
33:52nos Phnom Penh,
33:53on va planter
33:54les cocotiers
33:56au marché central.
33:57et puis on a enloué
34:00les dalles des trottoirs
34:01pour planter
34:02les affichiers.
34:04Toutes les unités
34:05étaient astreintes
34:06à avoir
34:07leur propre culture
34:08et en même temps
34:09avoir un surplus
34:10pour Anka.
34:11Alors,
34:11dans une ville,
34:12c'est quand même
34:12pas quelque chose
34:13de particulièrement facile.
34:15Alors,
34:15à Béin,
34:16la chance,
34:17c'était d'avoir
34:18un grand terrain vague
34:19et donc,
34:20il a été houé
34:21ce terrain vague
34:21pour pouvoir
34:22faire des cultures.
34:23Alors,
34:24on a fait des navets,
34:25on a fait des choux,
34:27on a fait des aubergines,
34:29on avait des salades.
34:33Il faut rééduquer.
34:35Il faut nous rééduquer.
34:37Rééduquer comme
34:38les houillers et les bisans.
34:40Pas le travail,
34:41d'abord.
34:42Pas le travail physique.
34:43C'était tout un processus
34:45que j'ai appelé
34:45la désidentification.
34:47On vivait tous
34:47sous un pseudo.
34:49On avait un autre nom.
34:51Tous uniformément vêtus.
34:53Les cheveux
34:53à l'identique
34:54pour tout le monde.
34:55Le travail,
34:56le même.
34:57Plus d'identité personnelle,
34:58plus d'identité,
34:59plus de statut professionnel,
35:00plus de statut social,
35:01plus de statut familial.
35:03C'était, voilà,
35:04ramené complètement à zéro.
35:07Et c'était transcrit
35:08dans cette langue,
35:09ce que j'ai appelé
35:09moi une novlangue,
35:10les mages de 1984.
35:12Il n'y a plus de bonjour,
35:13il n'y a plus d'au revoir,
35:13il n'y a plus de merci,
35:14il n'y a plus de comment vas-tu.
35:16Et ce qu'il faut savoir,
35:17c'était un régime de vie collectiviste.
35:19C'est-à-dire qu'on était
35:19toujours ensemble.
35:22C'est-à-dire que si on avait
35:23dit un mot,
35:24si on avait eu une mauvaise humeur,
35:25si on avait fait
35:26un acte manqué,
35:27ça avait été noté
35:28par quelqu'un
35:29qui était dans le groupe.
35:30Et le soir,
35:30c'était reservi.
35:31Et régulièrement,
35:32toutes les semaines,
35:33il y avait les séances
35:34de critique et autocritique.
35:35C'était qu'on devait passer
35:36au banc
35:37de son examen de conscience
35:39devant tout le monde.
35:40On se réunit,
35:42on va dire,
35:42on va dire,
35:42en tant que Mérou,
35:43qui est là,
35:45est-ce que vous avez bien travaillé ?
35:47Est-ce qu'en travaillant,
35:49vous pensez
35:49à votre ancienne vie
35:51à Paris
35:52ou dans le temps ?
35:54Ça répète toujours
35:55un peu près la même chose.
35:56Mais c'est difficile
35:57parce que
35:58c'est toujours
35:59de votre faute quelque part.
36:00Si vous travaillez bien,
36:02vous faites semblant
36:02de travailler bien.
36:03Si vous ne travaillez pas,
36:05vous avez un esprit
36:06réactionnaire.
36:09On se demande
36:09pourquoi
36:10le programme,
36:15quel est le but final
36:16de tout ça ?
36:17On tenait les gens,
36:17on n'avait pas le droit
36:19de se sustenter soi-même,
36:20il fallait toujours
36:21aller manger à la cantine.
36:22Ça voulait dire
36:23que le rôle des parents
36:24était complètement annulé.
36:27On n'avait plus
36:27de relation avec les enfants,
36:28on n'avait plus
36:28ce moment créatif,
36:30ce moment de partage
36:31du repas.
36:32On n'avait absolument
36:33pas le choix
36:33de ce qu'on allait manger.
36:35De toute façon,
36:35il n'y avait rien à manger.
36:37Deux soupes par jour,
36:38ça faisait quand même
36:38un peu juste.
36:39Pendant que l'ensemble
36:42de la population
36:43est condamnée à vivre
36:44à la limite
36:44de la subsistance,
36:46au stade olympique,
36:47les responsables
36:48du nouveau régime
36:48fêtent en grande pompe
36:49le premier anniversaire
36:51de la révolution.
36:52Pol Pot
36:53et les plus hauts dignitaires
36:54passent en revue
36:55l'armée,
36:56une manière
36:56de démontrer
36:57leur force
36:57face aux puissants
36:58voisins vietnamiens.
37:02L'armée
37:02Khmer Rouge
37:03est massée
37:04à la frontière.
37:05La guerre menace.
37:06Le régime a passé
37:08un deal
37:08avec les dirigeants chinois.
37:10Désarmes
37:10contre le riz
37:11dont le peuple est privé.
37:13Cette famine planifiée
37:14va engendrer
37:15l'extermination
37:16d'une partie
37:17de la population.
37:18Là,
37:18il y a eu
37:19cette campagne
37:19que j'ai appelée
37:20de déshumanisation
37:22parce qu'à ce moment-là,
37:23il ne fallait plus
37:23avoir d'émotions.
37:25Il fallait être
37:26un rouage,
37:27n'éprouver que de la haine
37:29pour l'ennemi
37:30et un amour
37:31inconditionnel
37:32pour le parti.
37:33Tant et si bien
37:34que les gens
37:34qui étaient formés
37:35comme ça
37:35ils pouvaient tuer
37:36comme on écrase
37:37un mégot.
37:38Ça n'avait aucune
37:39espèce d'importance.
37:39Au contraire,
37:40ils avaient même
37:40la conscience
37:40d'avoir bien fait
37:41leur travail.
37:42Il n'y avait
37:42plus aucun sentiment,
37:44plus aucune humanité.
37:46L'ensemble du pays
37:47se transforme en bagne.
37:49Laurence Pic
37:50se voit séparée
37:50de ses deux filles,
37:52Soka et Naren.
37:53Donc,
37:53j'ai demandé
37:54à partir
37:55et si Keane
37:56m'a répondu,
37:57ce sera toi
37:57sans les filles.
37:58Et de toute façon,
37:59il n'était pas question
38:00que je parte
38:00sans mes filles,
38:01que je laisse mes filles
38:02dans cette situation-là.
38:03C'est ça
38:04ma grande faute
38:07vis-à-vis d'elle
38:08et de mes enfants.
38:10Je n'essaie pas
38:11de la comprendre
38:12parce que
38:13la comprendre
38:14pour moi
38:15à ce moment-là,
38:18c'est déjà
38:18arrêter
38:20ma marche
38:21vers la réalisation
38:22de mon projet
38:23d'être
38:24en bon
38:25communiste.
38:25En 1977,
38:31le pays
38:31connaît
38:32sa seconde révolution
38:33marquée
38:34par le renforcement
38:34du pouvoir
38:35de Pol Pot.
38:36Un temps
38:37mis en minorité,
38:38le dictateur
38:38a repris la main
38:39en écrasant
38:40dans le sang
38:40une fronde
38:41au sein
38:41de son parti.
38:43Gagnée
38:43par la paranoïa,
38:44la nouvelle encart
38:45va se montrer
38:46plus dure
38:46et plus répressive
38:48contre ceux
38:48qu'elle considère
38:49comme ses ennemis
38:50de l'intérieur.
38:50Dès le 1er janvier
39:041977,
39:05il y avait
39:05les premières
39:05disparitions.
39:06C'était nos amis,
39:08Sian et sa femme.
39:09Je sais que j'avais
39:10été dans la chambre
39:11qu'ils habitaient,
39:11que j'avais vu
39:12tout en désordre,
39:13que je m'étais dit
39:14« Oh là là,
39:14il s'est passé des choses ».
39:17Et puis après,
39:17ça a continué
39:18très, très, très,
39:19très, très vite
39:19et on a commencé
39:20à parler d'épuration,
39:21de purge,
39:22il fallait que le régime
39:24soit pur,
39:24soit propre.
39:25Il y avait des complots
39:26comme ça
39:26et c'était des traîtres
39:27et qu'ils étaient
39:28envoyés en rééducation.
39:31La plupart des personnes
39:32présentes sur cette photo
39:33seront arrêtées.
39:35Elles subiront
39:36le même sort
39:37que Mme Van Piny,
39:38une amie
39:38de Laurence Pique.
39:40En 1978,
39:42Mme Van Piny
39:43est envoyée
39:43avec son bébé
39:44au terrible centre
39:45de détention S21.
39:48Laurence Pique
39:48ne la reverra jamais.
39:50Dans toutes ces échoppes,
40:09je devais réparer
40:10des machines à tisser
40:11pour les Khmers rouges.
40:13Vous voyez,
40:13les ateliers étaient là.
40:14J'ai fait des réparations
40:18ici jusqu'au 28 octobre 1978.
40:22Ce jour-là,
40:23ils m'ont demandé
40:24d'aller réparer
40:24des voitures au Vietnam.
40:26Ils sont venus me chercher
40:27avec une petite camionnette.
40:30Nous étions trois
40:31à monter dedans
40:31et au lieu
40:32de nous emmener au Vietnam,
40:33ils nous ont conduits
40:34à la prison
40:35de Thuol Sling.
40:35à la prison de Thuol Sling.
40:41Chumme ainsi que ses camarades
40:43sont victimes
40:43d'une nouvelle vague
40:44d'épuration.
40:46La prison de Thuol Sling,
40:48dans laquelle
40:48ils sont transférés,
40:49est un ancien lycée
40:50situé au centre
40:51de Phnom Penh.
40:53Elle a pour nom
40:53de code S21.
40:56C'est un centre
40:57d'interrogatoire
40:58dirigé par Dutsch,
40:59l'ancien geôlier
40:59de l'ethnologue
41:00François Bizeau.
41:01Arrivés ici,
41:08j'avais les mains menottées
41:09et un bandeau
41:09sur les yeux.
41:11Pour monter les marches,
41:12ils m'ont tiré
41:12sur les oreilles
41:13vers le haut
41:14en criant
41:14« Monte les marches ! »
41:17Et ils m'ont emmené
41:18à l'intérieur
41:19dans une cellule.
41:31Ils m'ont obligé
41:35à m'asseoir par terre.
41:37Ensuite,
41:38une fois sur le sol,
41:39ils m'ont entravé
41:40les pieds avec des fers.
41:47Une fois les deux pieds bloqués,
41:48ils m'ont détaché les mains,
41:50enlevé le bandeau
41:51et ensuite,
41:52ils ont tiré un rideau
41:53fait de sacs de riz
41:54pour que je ne puisse pas voir
41:55ce qui se passait à l'extérieur.
41:57J'entendais leurs allées
41:58et venues.
42:01Ils m'ont donné sept boîtes
42:07pour mettre mes excréments.
42:10Si je n'étais pas propre,
42:11je devais lécher le sol
42:12avec la langue.
42:14Si je refusais,
42:15ils me frappaient.
42:24Pour me nourrir,
42:25ils donnaient juste
42:26deux louches d'eau de cuisson
42:27de riz par jour.
42:29J'avais très faim.
42:31Alors j'attrapais des cafards,
42:32des lézards ou des souris
42:33qui passaient à côté de moi
42:35pour les manger.
42:36Mais il fallait être très discret,
42:38le faire en cachette.
42:39S'ils me voyaient,
42:40ils me frappaient.
42:43Pendant 12 jours
42:44et 12 nuits,
42:45Shummeh fera des allers-retours
42:47entre sa cellule
42:48et la salle d'interrogatoire.
42:49Arrivés ici,
42:55ils m'ont tiré les oreilles
42:56pour m'asseoir.
42:58Une fois assis,
42:59de nouveau,
43:00ils m'ont mis les fers au pied.
43:02Ensuite,
43:03ils m'ont demandé
43:03combien nous étions
43:04à la CIA et au KGB
43:05et qui nous avait fait entrer
43:07dans le réseau.
43:10Moi, je joignais mes mains
43:11pour supplier
43:11« Grand frère,
43:13je ne connais pas la CIA
43:14ni le KGB ».
43:15Alors,
43:17ils ont continué
43:18à me frapper.
43:19C'est en essayant
43:20de me protéger le visage
43:21que mon petit doigt
43:22a été cassé.
43:32Au S21,
43:33tous les prisonniers
43:34sont soumis
43:34aux mêmes séances
43:35d'interrogatoire
43:36avec l'obligation
43:37de reconnaître
43:38leur culpabilité
43:39et de dénoncer
43:40au moins 5 complices
43:41qu'ils soient innocents
43:42ou non.
43:48Les aveux signés,
43:49les suppliciés
43:50sont conduits à la mort
43:51dans un autre camp
43:52situé à l'extérieur
43:53de la ville.
43:55Ainsi s'alimente
43:55la machine de mort
43:56des Khmer Rouges.
44:03En 1978,
44:05le Khmer Rouge
44:06Swang Sikun
44:07va échapper
44:07de justesse
44:08à l'élimination.
44:09Il m'a accusé
44:12que je suis parti
44:13dans le réseau
44:13de la CIA.
44:15Je n'ai pas été arrêté
44:17parce qu'il fallait
44:18cinq chefs d'accusation
44:20pour être arrêté.
44:22Alors moi,
44:24c'est déjà eu
44:25seulement à quatre ennemis.
44:27À quatre ennemis,
44:28le demi-point,
44:30c'est un étudiant
44:32venant de l'Union
44:35soviétique,
44:36Heng Pih.
44:38Il a dit
44:38dans sa confession
44:39que tous
44:41les intérêts
44:43venus de France
44:45sont des révisionnistes.
44:48Alors comme
44:48on ne m'en parle
44:50pas nominalement,
44:51je n'ai pas le droit
44:54en fond,
44:55mais c'est le droit
44:55seulement en demi-point.
44:56À la fin
45:00de l'année 1978,
45:02le Vietnam,
45:03lassé des incursions
45:04de l'armée Khmer Rouge
45:05sur son territoire,
45:06lance une offensive
45:07générale
45:08sur le Cambodge.
45:09En moins d'un mois,
45:10la moitié du pays
45:11est occupée.
45:13Le 7 janvier 1979,
45:15après quatre ans
45:16de dictature,
45:17les dirigeants Khmer Rouge
45:18sont chassés
45:19de Phnom Penh
45:19par l'armée vietnamienne.
45:20À l'époque,
45:25Alain Ruscio
45:25est correspondant
45:26du journal
45:26L'Humanité
45:27en poste à Hanoï.
45:31Le filière
45:32où Phnom Penh tombe,
45:35oui,
45:35il est tombé,
45:36ça c'est sûr.
45:37La rechute
45:38de Phnom Penh,
45:39c'était
45:39l'éternelle
45:40marque de fabrique
45:41de Libé.
45:44Et puis alors
45:45le journal L'Humanité
45:46dans lequel j'écrivais
45:47à l'époque,
45:47qui titre
45:48La fin d'un calmeur,
45:49c'est une simple constatation.
45:51C'est le début
45:52d'un processus
45:52qui va être
45:53extrêmement compliqué
45:54et pénible également
45:55pour les Cambodgiens,
45:56mais c'est d'abord
45:57la fin d'un calvaire.
45:59Donc voilà pourquoi
45:59je donne ce titre.
46:02J'arrive à Phnom Penh
46:03pour la première fois
46:04le 17 janvier 1979,
46:06c'est-à-dire
46:06une petite dizaine
46:07de jours
46:08après la chute
46:09de la ville
46:10et je serai donc
46:10le premier occidental
46:11à rentrer à Phnom Penh
46:13en janvier 1979.
46:16Je savais
46:17que j'arriverais
46:17dans un pays dévasté
46:19et une population
46:20traumatisée.
46:22Mais je n'imaginais pas
46:24que ça pouvait être
46:25à ce point.
46:29Tous les récits
46:30que j'entendais
46:31étaient des récits
46:32d'abomination.
46:33Je n'ai pratiquement
46:34jamais rencontré
46:35un citadin
46:36qui n'a pas eu
46:36dans sa famille
46:37un mort
46:38soit de faim,
46:40soit d'amanduer
46:40des camions,
46:41soit d'exécution sommaire.
46:42Avec le régime
46:44de Paul-Paul,
46:45nous avons perdu
46:46trois enfants
46:48et mon mari
46:49était perdu aussi.
46:50Je ne sais pas
46:51il était où.
46:55Moi, je suis à l'époque
46:56un journaliste
46:57qui travaille
46:57pour un journal communiste
46:58et donc je suis
46:58un journaliste communiste.
47:01Et donc, évidemment,
47:02je ne peux pas
47:03ne pas être interpellé
47:04par ce qui a été fait
47:06au nom de cet idéal.
47:08Du passé,
47:09faisons table rase,
47:09les Khmers rouges
47:10ont fait table rase
47:12du passé
47:13mais également
47:13de l'humanité,
47:14de l'humanité Khmers
47:16en l'occurrence.
47:18Les mois suivants,
47:19Alain Roussiau
47:20va revenir au Cambodge
47:21et assister
47:22à la résurrection
47:22du pays.
47:31À partir de printemps
47:321979,
47:33j'ai commencé
47:34à voir la vie
47:35renaître.
47:36J'ai commencé
47:36à voir la ville
47:37être réoccupée,
47:38non pas d'une façon
47:39anarchique,
47:39c'est que les choses
47:40étaient très organisées
47:41par le nouveau régime.
47:45Voilà,
47:45ces gens-là
47:46que j'ai commencé
47:46à croiser.
47:49Bon,
47:49cette photo
47:49est drôle
47:50parce que c'est
47:51des enfants
47:51qui sont en train
47:52de se rafraîchir
47:53devant une canalisation
47:54d'eau.
47:55Donc voilà,
47:56c'est le moment
47:56où j'ai parlé
47:57de la renaissance
47:57d'Opnum Pen
47:58dans mon journal.
47:59J'ai été d'ailleurs
48:00critiqué par certains
48:01qui m'ont accusé
48:02d'avoir fait
48:03de la propagande
48:03mais je confirme
48:04que j'ai constaté
48:05que cette ville
48:07était en train
48:08de renaître
48:08et de sortir
48:09d'un traumatisme.
48:11C'est d'ailleurs
48:11un phénomène
48:12humainement
48:13qui m'a rendu
48:14très optimiste
48:15de voir que ces gens
48:15qui étaient des survivants
48:16avaient une volonté
48:18farouche de vivre.
48:20Là,
48:21on voit des gamins
48:21qui jouent au foot,
48:22par exemple.
48:24La vie a repris
48:25très vite.
48:38Chum May a été sauvé
48:39par l'entrée
48:40des Vietnamiens
48:40d'Opnum Pen.
48:42Aujourd'hui,
48:43c'est l'un des deux
48:43derniers survivants
48:44du S21
48:45et le témoin
48:46le plus connu
48:47du centre de torture
48:48transformé en musée
48:49du crime génocidaire.
48:50J'ai attendu
49:00l'an 2000
49:01pour aller visiter
49:02Viettoutchling.
49:04Alors,
49:04quand j'ai vu
49:05les noms,
49:06surtout de mes camarades
49:08au collège
49:10de Prestienno,
49:12qui ont été là-bas,
49:14qui ont été internés,
49:15et que je connais
49:16pertinemment.
49:18Ce sont des gens
49:19vraiment très doux,
49:23très,
49:23disons,
49:24inoffensifs,
49:26très bons.
49:27Je me mets en colère
49:28et en même temps,
49:29j'ai fleuri.
49:32Parce que,
49:33qu'est-ce qu'ils font
49:34ces gens-là ?
49:35Ce sont les miens
49:37qui font du tort
49:40aux autres miens.
49:42Xiong Sikun
49:44vit toujours au Cambodge,
49:45sans avoir eu
49:46à renier son passé
49:47de Khmer Rouge.
49:50Laurence Pic
49:50a réussi à s'enfuir
49:51du Cambodge
49:52en 1979.
49:54Depuis,
49:54elle vit en France
49:55avec ses deux filles.
49:57Hong Tong Weng,
49:58son épouse
49:59et leur fille
49:59ont essayé un temps
50:00de reconstruire
50:01leur vie à Phnom Penh.
50:03En 1982,
50:04ils sont partis
50:05s'installer en Belgique.
50:07Quand je ferme les yeux,
50:09à l'époque,
50:10j'imagine
50:11mon pays,
50:12la rivière,
50:15Mongula,
50:15Natal,
50:16les gens,
50:17les pêchers,
50:19et tout ça,
50:20c'est la nostalgie.
50:24Quand je ferme les yeux,
50:25maintenant,
50:25c'est pas pareil.
50:27J'ai toute ma famille
50:29détruite,
50:30tous mes amis,
50:31la plupart sont morts,
50:34et tout ça,
50:34ça fait changer de choses.
50:36L'artiste Foussera Ng
50:39a mis du temps
50:40avant de revenir
50:40au Cambodge.
50:42Actuellement,
50:43il travaille dans la capitale
50:44sur un projet de mémorial
50:45en souvenir
50:46des 2 millions
50:47de victimes
50:47des Khmers rouges.
50:48quel titre tu vas donner
50:50à cette oeuvre,
50:51Sérat ?
50:52À ceux qui ne sont plus là.
50:54À tous ceux qui ne sont plus là,
50:56c'est encore plus juste.
50:56Sous-titrage MFP.
51:26Sous-titrage MFP.

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