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00:00Et vous écoutez Culture Média sur Europe 1, 9h30, 11h avec Thomas Hill.
00:05Et ce matin, Thomas, vous recevez la comédienne, écrivain Annie Dupéré pour son livre Respire,
00:10c'est de l'iode que Thomas est en train de montrer sur Europe 1.fr si vous nous suivez en vidéo.
00:14Le livre est publié aux éditions du Seuil.
00:16Et on va continuer à l'explorer ce livre, on va évoquer des souvenirs à l'aide de petits sons.
00:20Voici le premier.
00:30Laisse s'accomplir la magie de ses mains, Cézanne Pint de France-Galle.
00:38Alors au départ, Annie Dupéré, ce n'est pas la comédie vraiment qui vous attire, mais les beaux-arts.
00:43Votre tante, elle a très vite compris que vous aviez besoin des arts, de dessins, de peinture, de danse, d'écriture.
00:51C'était tout ça pour supporter aussi la perte de l'opin ?
00:54Oui, elle a compris. Ma tante était une femme bienveilleuse qui a été une enfant sacrifiée.
00:58C'est-à-dire qu'à l'époque, moi j'ai une famille très gai, quand même.
01:03Ma grand-mère avait eu trois deuils, ma tante a été veuve à 29-30 ans, puis elle avait dit on n'aime qu'une fois.
01:10Donc après, d'où la manière dont j'ai été élevée par des femmes battantes qui se sont battues dans la vie comme ça.
01:17Et puis c'est vrai qu'elle a compris, j'étais sa revanche.
01:23Elle, elle a été sortie de l'école à 11 ans, alors que très intelligente, première en classe, elle voulait devenir professeure.
01:28C'est un peu la... à Yves Thau.
01:33On a parlé de ça avec, comment dire, avec Annie Ernaud.
01:38On a eu un interview croisé un jour avec Annie où je lui ai dit, tu vois, ta chance à toi, ça a été d'être fille unique.
01:44Parce que ma tante voulait faire des études comme toi.
01:49Et malheureusement, elle avait deux frères.
01:51Donc sortie de l'école à 11 ans pour servir au bistrot de ma grand-mère,
01:55servir les sous-lots à 11 ans au lieu d'aller en classe,
01:57et ma tante avait ça dans la gorge.
01:59Et quand elle a hérité de moi à 9-10 ans, qu'elle a vu que j'étais très douée pour le dessin, pour ceci,
02:07j'étais au Beaux-Arts à 10 ans et demi, 11 ans, au cours du soir, déjà, et au cours de danse.
02:14Et là, j'avais tous les livres que je voulais parce que je dévorais les livres, j'écrivais beaucoup.
02:18Elle m'a mis toutes les cartes en main.
02:19C'est ça.
02:20Toutes les cartes en main.
02:21D'ailleurs, vous avez une anecdote assez amusante.
02:22D'ailleurs, parce que jeune comédienne, vous racontez que vous aviez la main assez lourde sur le maquillage.
02:27Et que c'était peut-être votre vocation, finalement, contrariée de peintre qui s'exprimait.
02:31Contrariée de peintre, voilà.
02:33Effectivement, j'ai fait un texte sur mon admirable professeur de peinture.
02:36J'étais à 14 ans et demi au Beaux-Arts.
02:38Je suis très encore fière.
02:40Les Beaux-Arts de Rouen, qui étaient une école magnifique, je suis rentrée deuxième sur concours, quand même.
02:44À 14 ans ?
02:4514 ans et demi.
02:46Donc, à 15 ans pile, j'étais au Beaux-Arts.
02:48Et il y avait un prof de peinture, Robert Savary, qui a été mon complice tout de suite,
02:54parce qu'il me disait en douce, on a la même palette.
02:59Tu peins clair, c'est rare pour une débutante.
03:02Et puis, un jour, effectivement, c'est le prétexte de cette phrase, comme ça, dont je me suis servi.
03:09J'ai fait une copie assez vite, d'un truc assez difficile, quand même, à reproduire.
03:13Et il me dit, il me glisse, c'est normal, t'es coloriste.
03:16J'ai dit, ah bon ? Je le regardais avec surprise.
03:19Et j'ai dit, ah bon, quoi ça ?
03:21Il me dit, coloriste, c'est tout simplement que tu sais d'instinct.
03:26C'est un...
03:27Quelle couleur il faut mélanger pour obtenir une teinte précise ?
03:30Ah, j'ai dû avoir un sourire un petit peu satisfait.
03:33Et il m'a lancé cette phrase merveilleuse,
03:35« T'as pas à être fier, c'est un don ».
03:37C'est magnifique !
03:39Ah ouais, c'est une très belle phrase.
03:40Alors donc, il y a un texte qui s'appelle « Pas de quoi être fier, c'est un don ».
03:42Et sur ce, effectivement, j'ai retenu cette phrase,
03:45parce que ça m'a appris qu'on ne peut être fier
03:47que ce qu'on a acquis avec l'effort, avec un vouloir,
03:51et que si on a un don, on ne va pas se glorifier, c'est tout.
03:55Un don parmi d'autres, parce que vous êtes aussi chanteuse, Annie Dupéret, comme on va l'entendre.
03:59Annie Dupéret et Bernard Giraudot dans la comédie musicale Attention Fragile,
04:20montée en 1980, alors que la France n'était pas du tout habituée aux comédies musicales.
04:25Vous avez été plutôt précurseur sur ce coup-là.
04:27J'avais des beaux textes, des chansons qui étaient un prétexte à la comédie musicale à deux,
04:3130 personnages, 15 numéros de danse, 15 chansons,
04:36et de Claude Lombard, magnifique compositeur qui est mort il y a un an, malheureusement.
04:43Et effectivement, j'avais ça dans les mains.
04:46On faisait tous les deux de la danse, on faisait tous les deux des cours de chant,
04:48et on se dit « Personne jamais va nous proposer de nous en servir ».
04:52Donc, on a monté ça pendant un an, sans avoir de théâtre encore,
04:57on a tout refusé pour monter ça, c'était vraiment notre histoire de couple,
05:01on s'est découverts de la même veine à ce moment-là.
05:03Et puis miraculeusement, on a eu un théâtre, et on a joué ça pendant deux ans.
05:08Et c'est vrai que vous parlez même de « Gémélité » avec Bernard Giraudot,
05:11c'est assez joli, vous avez vécu 15 ans d'amour intense avec lui,
05:14vous avez construit votre maison vie dans la Creuse, où vous habitez toujours aujourd'hui.
05:19Mais vous dites que Bernard avait du mal avec l'idée du bonheur.
05:23Oui, c'est vrai, c'est vrai.
05:24Il avait eu, bon je peux le dire maintenant parce qu'ils ont disparu,
05:27il avait eu une enfance extrêmement ennuyeuse.
05:30Et la terreur de l'ennui faisait qu'il fallait toujours un mur pour taper dedans.
05:37C'est vrai que quand on était bien, on était heureux, ils disaient « ça y est, on devient con ».
05:43Oui, c'est ça.
05:44Et donc c'était pour moi qui avait connu des vrais malheurs,
05:49il s'acharnait toujours, il y avait toujours un problème,
05:52il fallait casser, il fallait des épreuves, il fallait des trucs comme ça.
05:55Moi je me disais « mais comment il ne peut pas se rendre compte de la chance qu'on a ? »
06:00Pourquoi toujours ce besoin de casser, d'épreuve ?
06:05Et vraiment, c'est vrai qu'au bout de 15 ans, j'ai dit « j'y arriverai pas ».
06:10J'y arriverai pas.
06:11Et en fait c'est moi qui ai décidé...
06:12Vous êtes tout l'inverse vous.
06:14Voilà, d'arrêter, d'ailleurs on est resté amis,
06:17mais j'ai dit « ça va, moi j'y arriverai pas ».
06:19Et malheureusement, ce n'est pas moi qui suis parvenue à le changer,
06:23à lui faire comprendre, c'est le cancer.
06:27J'aurais préféré que ce soit moi.
06:29Parce qu'avec la maladie, il a réalisé ce que c'est avec le bonheur.
06:31C'est un homme qui s'est retourné comme un gant.
06:34D'un coup, il a compris tout ce qu'il...
06:38Il en pleurait, il en pleurait, c'était incroyable.
06:41Allez, encore un extrait sonore.
06:42Oui, vous reconnaissez la musique de Germinal, effectivement.
06:59Germinal, à l'époque, le film le plus cher du cinéma français,
07:02en 1993, réalisé par Claude Berry.
07:05Et vous racontez d'ailleurs votre rendez-vous avec le réalisateur
07:08qui a pris le temps de vous parler de votre livre,
07:11Le Voile Noir.
07:13Alors, c'est un texte qui s'appelle « Sus là, bon Dieu, sus ».
07:16À propos des écrevisses.
07:21Oui, c'est ça.
07:22On comprend pourquoi à la fin, je ne vais pas trop en parler,
07:24parce que je vais faire des lectures.
07:27C'est un livre qui se prête bien aux lectures,
07:29entre Agnès Varda, tout ça et tout.
07:31Et à la fin, je demanderai aux gens à choisir entre deux textes.
07:36Voilà, « Main levée », vous voulez que je vous lise
07:38« Annie, je ne peux pas jouer ça »,
07:40ou « Sus là, bon Dieu, sus ».
07:42Bon, a priori, le choix s'invite.
07:44Ça, c'est clair.
07:46Vous voulez nous raconter cette anecdote ou pas ?
07:48En version courte.
07:50En version courte, en version courte, oui, oui.
07:53Eh bien, c'était...
07:54Nous avions la grande scène des bourgeois.
07:57À la fin, les patrons de la mine.
07:58Je faisais un personnage, la femme de la épouvantable,
08:02qui mariait son neveu, dont elle était la maîtresse,
08:06à une jeune femme, dont on sentait très bien
08:08qu'elle allait la fourrer dans son lit aussi très vite.
08:11Une chatte persane, quoi, là.
08:13Et puis alors, ce déjeuner, nous avons mangé,
08:16à six acteurs autour d'une table en trois jours,
08:18650 écrevisses.
08:20Wow !
08:21Et c'est vrai que...
08:22Il fallait faire plusieurs fois, plusieurs fois la faire.
08:23Ce qui se disait en mondanité n'était pas extrêmement important.
08:26Et la chose la plus importante pour Claude était
08:29qu'on voit les bourgeois manger,
08:31et manger un mais raffiné,
08:33alors que les mineurs crevaient de faim.
08:36Et, bon, il tenait absolument à ce qu'on nous voit manger.
08:39Et est arrivé le jour des gros plans.
08:42Et une charmante, adorable comédienne,
08:44Annie Callan,
08:45la mère de Bernard Allan,
08:47jouait la bourgeoise qui mariait sa fille,
08:50on pourrait dire qu'il vendait sa fille,
08:52au patron de la mine.
08:53Et elle était là, elle avait beaucoup de textes,
08:56parce qu'elle était très contente de faire un bon mariage à sa fille,
08:58elle avait beaucoup de textes.
08:59Et quand sont arrivés les gros plans,
09:02il y a eu de la pièce voisine derrière ses écrans de contrôle,
09:05avec un micro.
09:07Claude a dit,
09:08c'est bien ton texte, Annick,
09:09c'est bien, c'est bien, c'est bien,
09:10mais écoute, excuse-moi, je ne t'ai pas vue manger.
09:13Et oui, mais tu comprends, Claude,
09:15ce n'est pas facile,
09:16tout en parlant.
09:17Oui, mais s'il te plaît, il faut un effort,
09:18parce qu'il faut que je te vois manger, vois-tu.
09:20Bon, alors, cinq prises, six prises.
09:24À la septième, Annick,
09:25elle avait cette petite écrevisse,
09:27qui tremblait au bout de ses mains,
09:28parce qu'elle commençait vraiment à être très nerveuse.
09:31Elle recommence son texte vaillamment,
09:34en cherchant désespérément entre quels mots
09:36elle pourrait gober le truc.
09:38Et là, tout à coup,
09:38on a entendu un hurlement de la pièce voisine.
09:41Mais suce-là, bon Dieu, suce !
09:44C'était une écrevisse !
09:47Alors, on est tous tombés autour de la table, évidemment.
09:51Magnifique, magnifique.
09:52Annie Dupéret dans ses œuvres.
09:53On a envie de le voir, ce texte sur scène.
09:56Respire, c'est de l'Iod.
09:57C'est votre nouveau livre disponible aux éditions du Seuil.
10:00Dans un instant, on va parler sport avec Sacha Dukovic.
10:03On revient tout de suite sur Europe 1.
10:04Culture Média, 9h30, 11h, sur Europe 1.