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Un morceau bien classé dans le panthéon de la chanson française, mais dont il existe des versions plus anciennes...

Retrouvez « Retroppop de Camille Diao » dans Zoom zoom zen sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/retropop

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😹
Amusant
Transcription
00:00Bonjour Camille Diaou.
00:01Bonjour Mathieu, bonjour tout le monde.
00:02Camille, chaque semaine dans Rétropop, vous nous racontez l'histoire à travers la musique.
00:05Alors qu'est-ce qu'on écoute dans la France occupée de 1942 ?
00:08Eh ben, on écoute un morceau plutôt bien classé dans le panthéon de la chanson française.
00:12Mon amant de Saint-Jean, c'est Lucienne Delisle et non pas Edith Piaf comme parfois
00:22on a tendance à le penser.
00:24D'ailleurs, il faut savoir que la môme n'a pas du tout apprécié le succès de Lucienne
00:27Delisle.
00:28Pour lui mettre des bâtons dans les roues, mais bon, ça c'est une autre histoire.
00:32Donc, il faut savoir que ce n'est pas la première version de cette chanson.
00:35Elle est sortie d'abord en 1937 sous le titre « Les barbeaux de Saint-Jean ». Le barbeau,
00:40c'est un poisson.
00:41Puis dans une deuxième version en juin 1942, « Mon costaud de Saint-Jean » interprété
00:45par Jane Chacquin.
00:46Moi qui l'aimais tant, j'ai tant aimé mon costaud de Saint-Jean.
00:53Bon, ça ne prend pas.
00:54Son compositeur, Émile Carrara, charge alors le parolier Léon Hagel de la
00:58réécrire.
00:59Et là, il l'a confiée à Lucienne Delisle, une chanteuse qui se fait connaître au Music
01:02Hall à la fin des années 30.
01:03Et cette fois-ci, ça marche.
01:05Pourquoi cette version plutôt que l'autre ?
01:07Alors, il y a plusieurs raisons Mathieu.
01:08La première, déjà, c'est sa diffusion sur Radio Paris, la radio de propagande allemande.
01:12Oui, celle-là même qui est raillée par les résistants sur les ondes de Radio Londres.
01:16Radio Paris, Radio Paris est allemand.
01:21En fait, pour séduire les auditeurs français, Radio Paris lasse une large place à la chanson.
01:26En prenant soin tout de même que les paroles des morceaux soient inoffensives.
01:29Mon amant de Saint-Jean, c'est l'histoire d'une jeune femme et conduite par un homme
01:33qui, pourtant, lui avait sorti le grand jeu.
01:35Comment ne pas perdre la tête, serrer par des bras audacieux.
01:41A priori, rien de trop subversif.
01:43Quoique, j'y reviendrai.
01:44Le morceau passe la censure sans problème.
01:47Deuxième raison du succès, la nostalgie.
01:49Comme la plupart des succès de l'époque, mon amant de Saint-Jean nous plonge dans les jours heureux de la France d'avant-guerre.
01:54Tout le texte est écrit au passé.
01:56Et la dernière phrase, si elle évoque une histoire d'amour, peut prendre un tout autre sens dans la France occupée.
02:01C'est du passé, n'en parlons plus.
02:07Un constat, un brin amer, un sentiment de résignation qui est partagé par beaucoup de Français pendant l'occupation.
02:13Et ce qui rajoute à la nostalgie, c'est son genre musical.
02:16Une valse musette, jouée comme vous l'entendez à l'accordéon.
02:20C'est la bande-son des balmusettes des faubourgs de Paris qui ont explosé dans les années 30.
02:25C'est dans le quartier de la Bastille à Paris qu'est naît le balmusette.
02:29Il ne reste de cette époque que le nom d'une célèbre rue qui abrita le temple du musette.
02:37Rue de l'Appe et ailleurs, dans les guinguettes, dans les dancing, dans les cafés-concerts, on danse la valse, la java, le tango.
02:44C'est l'époque bénie du front populaire, des congés payés, c'est l'avènement du temps libre et des premiers loisirs de masse.
02:49Émile Carrara, donc le compositeur, justement, il a grandi dans un café-bal tenu par son frère, ça s'appelle le Tourbillon, Paris 19ème.
02:56Et sa chanson, en fait, elle ressuscite l'ambiance de ces fêtes populaires que le régime de Vichy a interdit par décret dès 1940,
03:03entendant mettre fin à l'esprit de jouissance qui aurait causé la défaite de la France.
03:08Donc si je vous suis écouté, Lucienne Delisle, c'est comme un acte de résistance ?
03:11On va dire un petit acte de résistance symbolique, intérieur à moindre frais.
03:15Mais certains vont beaucoup plus loin puisque partout en France, en ville comme à la campagne, s'organisent des balles clandestins.
03:21On a même fait des balles aussi à l'aval, dans l'écuerie, au milieu des vaches.
03:26Un appartement peut-être assez grand pour tenir peut-être, je ne sais pas, 7, 8 ou 10 couples de temps en temps.
03:32Quand il y avait des estafettes allemandes qui passaient dans la rue, il fallait se dépêcher de se planquer.
03:39Les balles clandestins, en fait, c'est un peu les rêves parties de l'époque.
03:42On danse pour oublier la guerre, pour affirmer que malgré tout, la vie continue.
03:46À la libération en 1944, les Français veulent célébrer en dansant, mais le décret de Pétain reste en place.
03:52Et ce n'est qu'en avril 1945 que le gouvernement de transition, qui est complètement débordé par les balles clandestins,
03:57rétablit finalement la liberté de la danse.
04:00Donc c'est un peu tout ça que symbolise la chanson de Lucienne Delisle et c'est la raison pour laquelle elle est passée à la postérité.
04:06En 1980, François Truffaut en fait la bande-son de son film Le Dernier Métro.
04:11Quand Patrick Bruel la réactualise en 2002, c'est l'un des plus grands succès de l'année.
04:15Et l'année dernière, c'est même un rappeur qui s'en est emparé.
04:18Il s'appelle Benab, Saint-Jean devient Sevran, le titre du morceau c'est « Beaujour ».
04:28Et ce n'est pas un hasard quand on connaît l'histoire de la chanson « Mon amant de Saint-Jean ou de Sevran » à chacun et chacune de s'approprier ce goût si français de la liberté.
04:36Merci beaucoup Camille Diaw et maintenant qu'on connaît l'histoire, on écoute évidemment le tube de 1942 « Mon amant de Saint-Jean, Lucienne Delisle » sur France Inter.
04:44Merci beaucoup.

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