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L'actrice Anouk Grinberg, invitée de Tout Public sur franceinfo le 9 avril 2025, réagit au rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les milieux du cinéma, du théâtre ou de la publicité.

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Transcription
00:00Anouk Grimbert, bonjour.
00:01Merci d'être avec nous. Vous êtes comédienne, vous êtes peintre, vous êtes écrivaine,
00:05vous êtes là pour Respect, publié aux éditions
00:07Juillard. On en parle dans quelques secondes.
00:10Il y a cette actualité autour des recommandations de la commission parlementaire
00:13sur les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma,
00:16mais aussi au-delà. Parmi ce qui est proposé,
00:18interdire la sexualisation des enfants à l'écran, protéger les mineurs
00:21par un responsable qui l'accompagne dans les productions artistiques,
00:24inscrire aussi, c'est peut-être le plus important, dans le code de procédure pénale,
00:27une obligation faite aux employeurs dans le cinéma,
00:31mais aussi les autres secteurs d'activité de signaler tout fait de violences
00:34ou harcèlement sexiste ou sexuel.
00:36Judith Gaudrech, votre consoeur, était sur France Info ce matin. On l'écoute.
00:40C'est vrai que ce rapport, je l'attendais et qu'il est impressionnant
00:46et assez terrifiant, mais je n'en suis pas étonnée
00:49parce que je ne m'attendais pas à mieux.
00:52Le constat est terrible et il est important maintenant, grâce à ce rapport,
00:56qu'en effet, le monde politique s'en empare
00:59et que plus personne ne puisse dire
01:01« on ne savait pas ».
01:03Anna Grimbert, est-ce que vous partagez cette réaction de Judith Gaudrech ?
01:08Bien sûr. Enfin, c'est plus qu'urgent, important, essentiel
01:15que la société prenne la mesure des violences qui sont faites aux femmes, aux enfants, aux jeunes hommes.
01:25Non seulement qu'ils prennent conscience de ça, qu'ils prennent conscience de la violence que ces hommes nous font.
01:31C'est insupportable que les femmes et les personnes vulnérables aient encore à subir,
01:40encore, encore, encore et toujours, sur les lieux de travail, mais aussi dans les familles,
01:45mais aussi dans le privé, qu'on ait encore à subir ces instincts de prédateurs.
01:51Alors, putain, rangez vos queues, les mecs, quoi !
01:56Vous croyez que ça nous intéresse ?
01:58Vous croyez que ça nous intéresse ?
02:00Arrêtez de nous embrasser de force, arrêtez de nous toucher de force.
02:04On n'est pas des objets. C'est insupportable.
02:07Rangez ça, quoi !
02:08C'est pas ça, la sexualité.
02:10La sexualité, c'est pas la guerre.
02:13C'est pas la guerre.
02:14Faut arrêter.
02:16Faut arrêter de...
02:17Mais qu'est-ce qu'ils croient, les hommes ?
02:20Qu'est-ce qu'ils croient ?
02:21Et qu'est-ce qu'ils croient, les producteurs, les réalisateurs, les metteurs en scène,
02:27les directeurs de théâtre, à nous violenter comme ça,
02:30alors qu'on est dans des postures de don de soi.
02:32Quand on joue, on est dans un don de soi.
02:34Et ils profitent de ça pour nous violenter.
02:39Et en plus, il y a quelque chose qui est systématique avec les violences sexuelles.
02:45C'est que toujours, toujours, la honte est du côté de la victime.
02:49Qu'est-ce qu'il y a, quoi, avec ça ?
02:52Dans le résumé de ce qu'a dit ce rapport,
02:56il y a le terme machine à broyer.
02:58Ça m'a frappé parce que c'est un terme que vous utilisez au début de votre livre.
03:01Le verbe de broyer.
03:02Vous écrivez, je fais face au système qui a tenté de me broyer
03:05et continue d'en broyer des millions.
03:06Oui, les attouchements de force,
03:14que ce soit par la main, par la langue, par le sexe,
03:19ça nous tue.
03:21Ça nous tue.
03:21Les hommes, il faut qu'ils comprennent.
03:24Il faut qu'ils comprennent que quand on ne bouge pas,
03:26quand on ne peut plus parler,
03:27quand on est sidéré,
03:29c'est que quelque chose en nous meurt.
03:30Il faut qu'ils comprennent que leur petit plaisir qui dure quelques minutes,
03:35pour nous, on le supporte la vie entière.
03:38On est démantibulés par cette violence.
03:44Et on est après des gens remplis de mépris de soi.
03:51Parce que ce qui est quand même incroyable,
03:54c'est que ces hommes agressent,
03:55mais eux, ils sont tranquilles.
03:56Et c'est nous qui devons payer à vie et la honte et le mépris.
03:59Et en général, en plus,
04:01quand on a vécu des violences jeunes,
04:03on va en revivre encore.
04:05Parce qu'il y a un espèce de sillon.
04:07La violence crée un sillon qui attire les prédateurs.
04:11Mais je pense, par rapport à cette commission d'enquête,
04:14évidemment, c'est très, très important
04:16que la justice s'empare de ça,
04:18que des lois soient proposées.
04:22Mais il y a quelque chose qui est encore plus important.
04:25C'est que les hommes se tiennent.
04:27Nom de Dieu, quoi !
04:28Qui se tiennent !
04:29Aucune loi, jamais,
04:30ne pourra endiguer ces violences.
04:33Il faut que les hommes se tiennent.
04:35Ça ne nous intéresse pas, alors que...
04:38Vous racontez dans votre livre
04:40les viols que vous avez subis dans votre enfance
04:42par le beau-père d'une amie,
04:43par votre propre frère.
04:45Ce qui vous a envahi à l'époque,
04:46ce qui ne vous a finalement jamais quitté,
04:48ce sont des notions qui reviennent
04:49à de très nombreuses reprises sous votre plume.
04:52Les notions de silence, d'omerta et de honte.
04:54Oui, mais c'est le silence que la société,
04:59que l'agresseur impose,
05:03mais c'est aussi le silence qu'on s'impose à soi.
05:05Parce que, c'est comme ce que je vous disais tout à l'heure,
05:08c'est qu'il y a quelque chose qui est propre à ces violences.
05:10C'est qu'on est tellement mortifié.
05:13D'abord, au moment de la violence,
05:16on est comme morte.
05:18On ne peut plus bouger, on ne peut plus parler.
05:19Et après, évidemment, les prédateurs,
05:23ils imposent le silence.
05:26Et ce silence est une façon de continuer le crime.
05:30C'est comme si on s'enterrait vivante.
05:35Vous avez travaillé avec des spécialistes du cerveau.
05:37Vous avez écrit un livre sur cette expérience, d'ailleurs.
05:41Est-ce que ça vous a aidé ?
05:42Est-ce que ça a permis de mettre des mots
05:43sur cette dissociation,
05:45vous appelez ça la pierre dans votre livre,
05:47de ce que fait votre corps pendant que votre cerveau débranche ?
05:50Ce n'est pas le travail que j'avais fait sur le cerveau.
05:55J'essayais plutôt d'explorer
05:56comment le cerveau vit la fiction,
05:59vit l'incarnation.
06:02C'est autre chose.
06:03La sidération, c'est plus des psychologues
06:05qui m'ont expliqué.
06:07Il faut être pédagogue avec les hommes.
06:10Il faut leur faire entendre,
06:12leur faire comprendre
06:12que quand on est violenté,
06:14c'est tellement violent, tellement violent
06:17que quelque chose dans notre cerveau
06:20déconnecte pour survivre à ça.
06:23Et moi, je le raconte à ma façon.
06:26Je dis que, en tout cas pour ce premier viol,
06:29mais je l'ai revécu tant et tant et tant de fois
06:33parce que j'ai été tant et tant de fois
06:35agressée dans ma vie.
06:37C'est comme si on désertait son corps,
06:40on déserte son âme pour survivre.
06:42Et cette espèce de paralysie comme ça
06:45attire les prédateurs.
06:49C'est comme s'ils voulaient dévorer
06:51cette âme blessée.
06:53Vous parlez même de négation
06:54de votre personnalité,
06:55de votre être,
06:55de votre existence.
06:56La violence est une négation.
06:58L'omerta est une négation.
07:00L'omerta, c'est une horreur.
07:02La société le fait.
07:04On le voit sur l'histoire de Quanta,
07:07mais on le voit sur tous les hommes politiques
07:08qui ont été accusés de violence
07:10et puis ils continuent de nous gouverner.
07:12C'est le chef de l'État qui nous dit
07:15que Depardieu est la fierté de la France.
07:19C'est-à-dire que personne,
07:20personne, sauf les femmes et les victimes,
07:23mais personne ne prend la mesure de ces violences.
07:25C'est ça qui doit vraiment, vraiment
07:27être réformé.
07:29Écoutez-nous les hommes, écoutez-nous,
07:31parce que c'est vous le problème.
07:33Et vous ne parlez pas.
07:34Qu'est-ce qu'il y a dans vos têtes
07:35quand vous agressez ?
07:37Mais qu'est-ce qu'il y a ?
07:38Moi, je voudrais le savoir.
07:39On est des millions à vouloir le savoir.
07:41Vous parlez du milieu du cinéma.
07:43Vous écrivez que quand vous avez quitté
07:44le réalisateur Bertrand Blier,
07:46vous avez dû affronter, je vous cite,
07:48le mépris du milieu du cinéma
07:49qui protégeait le créateur.
07:51Est-ce que ça, ça change ?
07:53Non, on protège toujours l'homme.
07:55La société protège toujours l'homme.
07:58Bien sûr que Blier, quand je l'ai quitté,
08:01il avait beaucoup, beaucoup plus de pouvoir que moi.
08:04Un pouvoir de nuisance immense.
08:06Et il m'a fait payer mon indépendance
08:09et mon instinct de survie quand je suis partie.
08:12Mais je parle d'autres hommes dans ce métier.
08:16Par exemple, il y a un metteur en scène,
08:19Adipeux, directeur de théâtre,
08:23qui m'a agressée pendant des mois et des mois.
08:25Et quand j'ai enfin quitté cette production
08:28à la fin de mon contrat,
08:30il a tout fait pour me ruiner ma carrière après.
08:35Juste parce que je n'ai pas voulu coucher avec lui.
08:38Et ce mec-là circule librement.
08:41Et il a très certainement dû abîmer
08:43des centaines de femmes.
08:46Quand vous parlez de Bertrand Blier,
08:48parce qu'on parlait de ce qui change,
08:49ce qui ne change pas, le regard,
08:51les situations, les références et les symboles.
08:54Vous parlez de ces films.
08:55Ils ont toujours été marqués par une certaine vulgarité,
08:58que ce soit dans les situations, dans les dialogues.
09:00Vous dites, aujourd'hui, on ne rit plus.
09:02Les valseuses, mais pas que.
09:04Les viols, pris à la rigolade.
09:06Les femmes objets, sexualisés, dénigrés.
09:08Ça ne fait plus rire en 2025.
09:10Ça n'est plus possible.
09:12C'est-à-dire que, quand même,
09:14la société commence à bouger.
09:17Commence juste à peine à bouger.
09:20Mais on se rend compte, en effet,
09:21que ce n'est pas un divertissement d'humilier.
09:24Ça ne devrait jamais l'être, quoi.
09:26Et quand on gifle des femmes,
09:29quand on les étrangle,
09:30quand on les met nus de force,
09:32quand on leur fait violence, quoi.
09:37On ne rit plus.
09:38On ne rit plus.
09:40Mais là, la société est aussi coupable.
09:44oublieuse, n'était pas le seul à avoir un esprit tordu et immature.
09:51C'est que la société a ri à tout ça.
09:54Et sans prendre jamais la mesure des violences qui nous étaient faites
10:00et auxquelles, moi, je parle pour moi,
10:04moi, j'ai collaboré à mon corps défendant,
10:10mais j'ai collaboré à cette culture du viol.
10:12Et c'est ça qui est...
10:15Tout simplement, c'est que j'ai incarné ces situations
10:18en faisant croire à tout le monde
10:21que, mon Dieu, ça me faisait assez plaisir, quoi,
10:23que j'y trouvais mon compte
10:25et que je faisais mon métier au lait cœur.
10:29Anne O'Grinbert, vous dites quelque chose de très fort aussi.
10:31Plutôt vers la fin de ce livre,
10:33vous dites que vous refusez,
10:34qu'on parle de vous comme une victime.
10:35Vous refusez ça.
10:37Ça ne vous plaît pas ?
10:38Oui, je suis une guerrière, je suis une survivante.
10:40Je n'ai pas envie qu'on me regarde avec pitié.
10:43Je détesterais qu'on ait la violée de service.
10:46Je suis comme des millions,
10:48si ce n'est des milliards de femmes
10:49à devoir supporter cette violence-là.
10:55Et c'est aux hommes de réfléchir.
10:59C'est aux hommes de réfléchir.
11:01Que ce soit les curés,
11:03les metteurs en scène,
11:04les directeurs de théâtre,
11:05les hommes qui ont du pouvoir,
11:06les hommes qui usent du pouvoir
11:07pour encore une fois
11:09mettre la sexualité
11:11au milieu des relations de travail
11:13ou familiales ou quoi.
11:15Il y en a marre !
11:16Il y en a marre de ces sexualités
11:18omniprésentes, envahissantes.
11:20Il y en a marre.
11:21Il y a d'autres choses à vivre.
11:22Non, de Dieu quoi.
11:24Il y en a marre.
11:25C'est leur problème.
11:27Qu'ils aillent chez le psy.
11:28Votre livre arrive après ceux de
11:30Camille Kouchner,
11:32Vanessa Springora,
11:33Nech Sinau,
11:34les interventions de Judith Godrej.
11:36J'en passe parmi des dizaines,
11:37hélas, de témoignages.
11:38Et vous écrivez,
11:39c'est très beau,
11:40vous écrivez,
11:41on s'allume les unes les autres
11:42comme des bougies.
11:43Il y a un trait d'union
11:44entre toutes ces paroles-là.
11:46Ah oui,
11:46ah oui,
11:47c'est...
11:48Enfin,
11:49jamais,
11:49jamais,
11:51toutes ces femmes m'ont...
11:52m'ont amenée,
11:57d'abord m'ont éclairée
11:58sur ma propre vie.
11:59Moi, je vivais dans une espèce
12:01de sarcophage,
12:02de tombeau,
12:03c'était...
12:03Tout ça était si douloureux
12:04que je l'avais écrasée,
12:06écrasée,
12:06écrasée au fond de moi
12:07dans un silence mortifère.
12:09Et leurs mots à elles,
12:12leur courage à elles,
12:13m'en ont donné à moi.
12:14Et c'est vrai,
12:15oui,
12:16il y a une sororité
12:18qui est sacrée.
12:20Mais qui n'est pas...
12:22Encore une fois,
12:23même si là,
12:23je suis en colère,
12:24mais...
12:26On n'est pas contre les hommes.
12:29On voudrait juste
12:30créer des alliances avec eux
12:32et qu'ils soient...
12:34Et qu'ils prennent la parole,
12:35qu'ils prennent leur place
12:36dans ce mouvement
12:36qui est si vertueux,
12:38si humain.
12:39Si vous me permettez
12:40à nous grimper,
12:41il y a de la lumière
12:41dans votre livre.
12:42Vous vous réconciliez,
12:43vous le dites avec votre mère
12:44sur le tard.
12:46Alors qu'au début,
12:47vous expliquez que
12:48quand elle était alcoolique,
12:49quand vous étiez plus petite,
12:50ce n'était pas vraiment une mère.
12:52Vous rendez hommage à Michel,
12:53votre compagnon.
12:53Vous dites que c'était une sorte
12:54de MeToo avant l'heure,
12:56qu'il avait tout compris
12:57avant tout le monde.
12:58Vous expliquez aussi
12:59comment l'art vous a sauvé,
13:01l'art que vous avez pu regarder,
13:03lire, écouter,
13:04et votre métier aussi,
13:05que ça vous a fait du bien.
13:06C'est-à-dire,
13:08je suis incroyablement privilégiée,
13:11moi,
13:11de pouvoir jouer la comédie,
13:14de pouvoir dessiner,
13:15de pouvoir écrire.
13:18J'ai des lieux comme ça
13:21et des temps où on me demande,
13:24où je me demande à moi
13:25d'être dans le dépassement
13:27de ma propre histoire,
13:28dans l'oubli de moi.
13:29et j'ai la possibilité
13:35parfois de transformer
13:38les douleurs
13:39en force de vie,
13:41en force vitale.
13:45Oui, c'est une grande chance
13:48d'avoir la possibilité
13:51de casser ce silence.
13:54J'ai une dernière question,
13:56même si on serait resté
13:56encore plus longtemps avec vous,
13:57avec plaisir.
13:58Vous avez été remarqué récemment
13:59dans deux films remarquables,
14:01à moins que ce soit l'inverse.
14:02La nuit du 12 de Dominique Molle
14:03et L'innocent de Louis Garel.
14:04Est-ce qu'on vous retrouve bientôt
14:05au cinéma, au théâtre ?
14:08Là, je prends le train
14:09pour aller tourner un film,
14:12puis je vais en faire un autre
14:13avec Jean-Pierre Jeunet.
14:14Et puis,
14:15je profite de ça pour dire
14:19qu'il ne faut pas
14:20que les comédiennes
14:21aient peur de parler
14:22parce qu'elles ne trouveraient
14:25pas du travail.
14:26Ce n'est pas vrai.
14:26Moi, par exemple,
14:28je ne cesse pas
14:31de recevoir
14:31des invitations
14:34à prendre ma place
14:36dans telle ou telle oeuvre
14:37de fiction.
14:38Il ne faut plus avoir peur.
14:40On a besoin de vous,
14:41mesdames,
14:41on a besoin de vos paroles,
14:43vous, mesdames,
14:43et vous, messieurs.
14:45C'est comme ça
14:45que le monde va se transformer.
14:47Merci beaucoup
14:48de passer à France Info.
14:49A nous grimper.

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