Visite de Jean-Noël Barrot à Alger : un espoir de grâce pour Boualem Sansal ? Kamel Daoud, journaliste et écrivain, prix Goncourt 2024, publie "Avant qu'il ne soit trop tard", aux Presse de la cité, recueil de ses chroniques de 2015 à 2025.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot du 07 avril 2025.
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00:00RTLmatin, avec Amandine Bégaud et Thomas Soto.
00:05Il est 8h16, l'interview d'Amandine Bégaud au cœur de l'actualité,
00:08alors que le fil du dialogue semble avoir été renoué entre la France et l'Algérie.
00:12Alors que Bolem sans salle est toujours dans les geôles algériennes,
00:14Amandine, vous recevez ce matin un auteur engagé, pris concours, détesté par le gouvernement algérien.
00:19C'est Kamel Daoud qui publie avant qu'il ne soit trop tard.
00:22Bonjour et bienvenue à vous Kamel Daoud.
00:24Bonjour.
00:24Bonjour Kamel Daoud et merci beaucoup d'être avec nous en studio ce matin.
00:27Avant d'évoquer votre livre, je voudrais qu'on revienne, si vous le voulez bien, sur ce déplacement hier de Jean-Noël Barraud en Algérie.
00:34Le ministre français des Affaires étrangères qui a été reçu hier pendant près de 2h30 par le président Tebboune.
00:39Un rendez-vous qui a duré 2h30, c'est long.
00:42À la sortie, il a déclaré ceci, la France et l'Algérie se sont mis d'accord pour reprendre leur coopération dans tous les secteurs.
00:49Qu'est-ce que cela veut dire ? Que c'est la fin de la brouille qui dure depuis des mois ?
00:53Écoutez, généralement, je n'ai pas l'habitude de commenter l'information politique,
00:56mais je la consomme comme tout le monde et ce genre d'apaisement est bienvenu.
01:00Parce que qu'est-ce que vous voulez ? Quelle serait l'autre option ?
01:02Nous avons trop de morts et d'enfants en commun.
01:04Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse d'autre ?
01:05Donc il vaut mieux chercher une sorte d'apaisement, pas au prix des concessions majeures.
01:09C'est ce qu'il faut faire.
01:10Il faut maintenir l'équilibre entre les principes et le réalisme politique, comme on dit.
01:15Mais pour le moment, nous avons un grand écrivain qui est en prison et il s'agit de le faire sortir.
01:19Boalem Sansal, qui est en prison depuis le 16 novembre dernier.
01:24Est-ce que vous pensez que le rendez-vous d'hier est une première étape, justement, vers sa libération ?
01:29Écoutez, je pense qu'il faut poser la question au ministre lui-même,
01:31mais moi j'ai l'impression que ça va aller dans le bon sens
01:35et que personne ne gagne, et encore moins l'histoire de l'Algérie,
01:39à maintenir un homme de 80 ans en prison,
01:42juste parce qu'il a eu des opinions qui ne sont pas celles de l'unanimité générale.
01:46Et c'est ça ce qui est désastreux.
01:47Je disais la dernière fois que ce qui est quand même spectaculaire,
01:50c'est de voir qu'une petite partie, peut-être la plus papageuse en Algérie,
01:54soutenir l'emprisonnement d'un écrivain algérien,
01:56et je trouve ça malheureux.
01:57Ça annonce des encanaillements culturels.
02:00Ça annonce quelque chose de dramatique.
02:02Il est, et vous l'écrivez, c'est la dernière chronique de ce livre,
02:04avant qu'il ne soit trop tard.
02:05Boalem Sansal est victime, écrivez-vous, de l'hystérisation de la mémoire.
02:09Quel est le problème aujourd'hui en Algérie ?
02:11Être binational, être universaliste, écrire en français, aimer ce pays-là,
02:16sortir du dolorisme, sortir du victimeur,
02:19avoir des avis différents,
02:20ne pas obéir à l'injonction de l'identité arabe exclusive et unique,
02:25être anti-islamiste, être anti-post-colonial de rente, etc.
02:32Enfin, le problème c'est être vivant,
02:34et être quelqu'un qui pense le monde, tout simplement.
02:37La France, dites-vous aujourd'hui, pour l'Algérie,
02:41c'est un pays à la fois exécré et envié.
02:44Quand on vous lit, quand on lit ça,
02:46on se dit qu'une relation apaisée entre nos deux pays est impossible ?
02:50C'est possible qu'elle soit impossible,
02:52mais qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse d'autre,
02:54sinon chercher quelque chose d'équilibre ?
02:56Quand vous voyez, par exemple,
02:58là j'apprends qu'en Algérie, on va dorénavant enseigner la médecine en anglais,
03:02et on est en train de couper le lien linguistique,
03:05c'est-à-dire défranciser un peu les apprentissages en Algérie.
03:08Qu'est-ce qu'on fait des millions de Français d'origine algérienne qui reviennent là-bas ?
03:12Ce sera de vrais étrangers ?
03:13Qu'est-ce qu'on en fait ?
03:14En fait, c'est une histoire qu'il faut assumer.
03:16C'est une histoire douloureuse, mais c'est une histoire belle.
03:18C'est une histoire magnifique, c'est une histoire d'avenir aussi.
03:21Assumer des deux côtés ?
03:23Bien sûr, assumer des deux côtés,
03:24mais moi, ayant vécu 54 ans de ma vie là-bas,
03:26je parle de ce que j'ai vécu là-bas.
03:28Donc, assumer des deux côtés.
03:29C'est trop tard, nous sommes déjà là,
03:32et la France, elle fait partie de l'histoire algérienne,
03:34et il faut en faire quelque chose,
03:36au lieu d'en faire des cris et des scandalisations et des gémissements.
03:40Ce livre, avant qu'il ne soit trop tard,
03:42regroupe, je le disais, vos chroniques publiées ces dix dernières années,
03:46et vous écrivez, ce n'est pas un appel à l'aide,
03:48mais un avertissement.
03:50Un avertissement contre quoi, Kamel Daoud ?
03:52Contre les compromissions,
03:54contre le victimeur,
03:56contre l'islamisme, pour ce qu'il est,
03:58contre la transformation du décolonial en islamisme communautaire,
04:02victimeur, séparatiste.
04:04Et puis, au fait, j'aime beaucoup ce pays,
04:05et je n'ai pas envie de revivre la guerre civile en France,
04:08je n'ai pas envie de revivre les mêmes agenouements,
04:10les mêmes catastrophes, etc.
04:12J'aime ce pays-là.
04:13Beaucoup d'Algériens, quand ils n'ont pas su où aller,
04:15ils sont venus en France.
04:16C'est ma deuxième chance, vous dites ?
04:18Exactement.
04:19Dans ce recueil, vous savez,
04:20j'ai repris un peu le concept de Montesquieu,
04:23que j'admire énormément.
04:24C'est d'ailleurs le persan qui arrive,
04:25et qui voit ce pays-là.
04:26C'est un faux persan.
04:27La France a besoin d'être regardée par quelqu'un qui arrive d'ailleurs,
04:30même si je ne suis pas un étranger,
04:32mais j'ai besoin de voir ce pays debout,
04:35j'ai envie de voir ce pays dans la force de sa République et de ses lois.
04:39Vous écrivez, soyez prudent,
04:41un pays peut être perdu en un instant,
04:43il suffit de si peu pour que tout parte en fumée,
04:46un incendie, une paresse,
04:47un haussement d'épaule devant le mal.
04:49Vous pensez vraiment que la France est en danger aujourd'hui ?
04:52Plus que d'autres pays ?
04:54Non, pas plus que d'autres pays.
04:56Si je compare la France et la Belgique,
04:57quand même, je me dis que la France,
04:58elle est assez solide sur ces questions-là.
05:01Bon, maintenant, c'est un peu hystérisé parfois,
05:03c'est un peu exagéré d'autres fois,
05:04mais c'est une réalité, c'est un pays qui est libre,
05:06il doit protéger ses libertés.
05:08Et c'est un pays qui est confronté au communautarisme,
05:11à l'islamisme et à l'histoire qui n'est pas assumée.
05:14Donc, il faut faire quelque chose qui va dans le sens de l'avenir.
05:17On n'a pas conscience à quel point tout cela est précieux,
05:21la liberté notamment ?
05:23Bien sûr.
05:24Nous, Français, vous avez l'impression,
05:27j'allais dire, peut-être que c'est un comportement d'enfant gâté aussi,
05:32mais quand on vous lit, il y a des moments où on se dit
05:35que les Français n'ont sans doute pas conscience
05:38du merveilleux pays dans lequel ils vivent.
05:40Écoutez, je suis Français depuis peu,
05:42les règles de l'hospitalité m'interdisent d'être trop radical,
05:45je vous laisse ce privilège.
05:48Oui, il y a un effet secondaire du confort,
05:51comme je le disais,
05:52c'est qu'on oublie le prix des choses, le tarif des choses.
05:56Et beaucoup de Français qui voyagent ailleurs,
05:59quand ils reviennent dans ce pays-là,
06:00s'étonnent aussi.
06:01Donc, c'est une réalité.
06:02Ça ne veut pas dire qu'on va brandir ce slogan-là
06:05en disant que tout va bien en France
06:06et qu'il faut le défendre pour ne rien faire de mieux.
06:08Mais je pense que faire le mieux,
06:10ce n'est pas détruire ce qui est bien.
06:12Vous êtes Français, naturalisé depuis 2020,
06:16vous vous sentez aujourd'hui plus Français qu'Algérien ?
06:19Comme Apollinaire, comme Romain Garry,
06:22comme Aznavour, comme d'autres.
06:23L'image qu'on a de ce pays, c'est une image magnifique.
06:26Et quand on vient ici, en juillet,
06:29c'est un rapport sensuel,
06:30c'est un rapport quasiment érotique à ce pays-là,
06:32sans capitale de culture, sans patrimoine, etc.
06:36Oui, les gens qui viennent d'ailleurs sont toujours plus Français que les Français.
06:39Les gens qui viennent d'ailleurs sont toujours plus Français que les Français.
06:43Ce n'est pas ce que disent certains
06:45qui pointent justement du doigt ces communautarismes que vous évoquez ?
06:48Oui, peut-être qu'il fallait naître ici pour avoir ce rapport un peu...
06:52Écoutez, si vous prenez les Français d'origine algérienne,
06:55mais quand même, il faut comprendre leur douleur.
06:57Ce sont des générations qui sont soumises à des procès en loyauté permanente.
07:03C'est-à-dire, le seul moyen d'être un Algérien,
07:06c'est de ne pas être Français et d'être hyper-Algérien.
07:09C'est un lieu et c'est une histoire de douleur.
07:12C'est quelque chose qui les fait souffrir.
07:14Moi, j'ai eu la chance d'avoir lu la littérature,
07:16d'avoir lu des romans, d'avoir eu accès à tout cela,
07:18d'avoir aimé cette langue-là,
07:20ça me permet des champs de guérison.
07:22C'est la culture qui protège et qui guérit ?
07:25Elle guérit des radicalités,
07:27elle guérit de l'illusion de posséder la vérité,
07:30et puis elle fait partager les appartenances partout.
07:32Je crois que c'est Umberto Eco qui disait que
07:34celui qui ne lit pas est condamné à vivre une seule vie, la sienne.
07:37Non, la culture, elle sauve beaucoup de monde.
07:39Vous retournerez un jour en Algérie ?
07:41Je l'espère, c'est mon pays.
07:43Chaque fois que je dors le soir, je suis en Algérie.
07:45Le matin, je me rêvais, je suis à Paris.
07:47Vous rêvez comme si vous étiez en Algérie ?
07:49Tout le monde rêve de la maison natale,
07:52de ces lieux-là, etc.
07:54Oui, je suis algérien, on ne pourra jamais m'arracher ça.
07:56Les politiques passent,
07:58moi je reste, et mes livres,
08:00peut-être un peu plus.
08:02Et votre dernier livre,
08:04Prix Goncourt 2024, a été interdit.
08:06Je le rappelle, comme beaucoup d'autres livres d'ailleurs,
08:08sont interdits aujourd'hui en Algérie.
08:10Oui, mais ça l'a fait circuler encore plus.
08:13Merci beaucoup Kamel Daoud d'être venu nous voir ce matin.
08:16Je rappelle le titre de ce livre,
08:18avant qu'il ne soit trop tard,
08:20c'est le recueil de vos chroniques publiées ces dix dernières années.