Laurence Joseph, psychologue clinicienne et psychanalyste, membre de l’Institut hospitalier de psychanalyse de l’hôpital Saint-Anne, était l'invitée de France Inter dimanche 30 mars. Elle publie “Nos silences, apprendre à les écouter” (Collection Les grands mots, Autrement).
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
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00:00Et un grand entretien ce dimanche matin pour un exercice paradoxal, parler du silence avec Marion Lourds.
00:07Nous avons le bonheur de recevoir une psychologue clinicienne et psychanalyste, elle est membre de l'Institut hospitalier de psychanalyse de l'hôpital Saint-Anne
00:17et elle publie un essai passionnant, « Nos silences, apprendre à les écouter », c'est le sous-titre et c'est aux éditions « Autrement ».
00:26Chers auditeurs, vous pouvez nous appeler au 01 45 24 7000 ou nous écrire sur l'appli France InfTerre pour nous dire si vous subissez le silence, si vous le choisissez.
00:37Bonjour Laurence Joseph et bienvenue, on est à la radio, l'angoisse à la radio c'est parfois savonner comme je viens de le faire, à savoir dire des mots dans un mauvais sens mais c'est aussi parfois le silence.
00:51On ne le laisse jamais s'installer ou en tout cas très rarement, rarement plus de 2-3 secondes.
00:56On va faire un petit exercice et je préviens nos auditeurs, on va s'arrêter de parler pendant 5 secondes.
01:105 secondes, ça paraît une éternité, pourquoi est-ce que ça nous angoisse Laurence Thomas ?
01:17Ça nous angoisse, je crois, le silence parce que c'est un moment où l'accord minimal entre nous, c'est-à-dire le dialogue, quelques mots échangés, va disparaître.
01:27Il faut savoir aussi qu'avant, en latin, les morts, on les appelait les silentes.
01:34Et donc je pense qu'il y a toujours quelque chose de l'ombre de la mort qui colle au silence et qui vient tout de suite nous questionner où est la vie, est-ce que je suis vivante, est-ce que vous êtes vivant et est-ce qu'on va pouvoir continuer à vivre ensemble ?
01:46D'un point de vue tout à fait technique, si nous avions laissé le silence s'installer, le CDM, le centre de modulation à la radio aurait envoyé une alarme, aurait déclenché une alarme, puis ensuite il y aurait eu un disque de secours.
01:59Il y a de nombreuses expressions dans le langage courant qui parlent de nos silences.
02:04Le titre de votre livre « Faire silence, réduire au silence, passer sous silence, briser le silence », qu'est-ce que les silences peuvent bien dire de nous, Laurence Joseph ?
02:14Je me suis posé d'ailleurs la question, comment le saisir puisqu'il ne dit rien ? Le penser éloquent, est-ce lui supprimer la qualité essentielle ?
02:23C'est vrai que c'était à l'origine de la démarche de mon écriture de cet essai, c'est-à-dire que j'ai voulu penser le silence comme un pays.
02:30J'ai voulu chercher quelles en étaient les régions, les frontières, les territoires les plus arides, les plus violents aussi.
02:37Et je me suis très vite rendu compte que le silence en lui-même, il ne dit rien, il est un peu victime aussi de son zéro du point de vue de sa priorité acoustique.
02:46Mais je me suis rendu compte qu'en fait, ce sont les organisateurs ou les victimes qui vont en tirer les ficelles et c'est pour ça que je voulais le cartographier.
02:54Mais alors, comment le définir le silence ? Ce n'est pas simplement l'absence de mots, l'absence de voix comme l'écrivait Stendhal que vous citez.
03:01Le silence n'est pas le contraire de la parole, c'est sa condition.
03:05Vous parlez du silence comme du soupir dans le discours et du silence comme tête chercheuse de mots.
03:11Bien sûr, qu'est-ce que seraient nos dialogues, nos échanges si on ne respectait pas des temps de silence ?
03:18Parce que dans ce temps de silence, c'est notre corps aussi qui va s'exprimer.
03:23C'est notre présence, c'est notre attente, c'est la manière dont je vais ralentir pour aller à la rencontre de quelqu'un.
03:28Ou au contraire, la manière dont je vais accélérer.
03:31Donc le silence, c'est ce qui va témoigner de mon existence et de mon corps dans la rencontre.
03:37Puisqu'on en est à la définition, Laurence Joseph, le silence absolu, en fait, ça n'existe pas.
03:43En tout cas, John Cage, qui a composé une oeuvre pour piano en 1952 à Woodstock, l'a prouvé.
03:50Exactement, John Cage a eu cette idée d'écrire ce morceau qu'on appelle le 4 minutes 33.
03:574 minutes 33 de silence.
03:59Donc il faut s'imaginer à Woodstock, tout le monde arrive bien habillé pour écouter cette nouvelle composition de John Cage.
04:08Et sur la partition, il y a écrit taquette, c'est-à-dire silence, quatre fois silence.
04:12Donc tout le monde commence à s'impatienter parce que comme à la radio, un concert, le silence, c'est gênant.
04:18Et donc on attend, la pluie est là, le vent est là, il n'y a aucune note, en fait.
04:25Et John Cage, qui était très influencé par la philosophie de David Thoreau, a voulu aussi montrer, dans ce 4 minutes 33 de silence,
04:35qu'il ne fallait pas oublier les bruits de la nature.
04:37Que les bruits du vent, de la pluie, c'était…
04:39Les bruits des corps, du vivant.
04:41On est en 1952 à Woodstock, ce n'est pas au moment du festival, c'est bien avant.
04:46Le silence, lorsqu'il est imposé, mis en scène, sans être issu du consensus humain, crée des réactions perturbes, agite même.
04:54Tout à fait, et c'est Nathalie Sarraute aussi, dans sa pièce Le silence, qui rend mutique l'un des personnages.
05:00Et on voit tout de suite tous les autres personnages supplier ce personnage de retrouver la parole parce que le silence, parfois, nous tétanise.
05:08Et c'est intéressant, dans la musique, le silence, vous parlez des soupirs, ça existe, c'est même nécessaire à la musique, à la poésie aussi, au rythme.
05:15Bien sûr, je pense que le soupir, c'est aussi le moment de la transition entre deux mots que je vais choisir.
05:20Et dans ce soupir, il y a cette tête chercheuse dont vous parliez, et dans ce soupir, il y a aussi ce temps flou à l'intérieur duquel je suis en train d'attraper mon prochain mot.
05:29Il y a une expression « observer le silence » que vous reprenez pour l'analyser.
05:34Qu'est-ce qu'on voit en soi quand on observe le silence, sachant qu'il y a des silences ?
05:39Ils sont pluriels, ils sont protéiformes, il y a deux régions, deux versions du silence.
05:45Les silences qu'on choisit, ceux qu'on subit.
05:48Justement, quand on observe le silence, tout dépend à quel genre de texte intérieur on va se relier.
05:54On peut observer une minute de silence souvent en hommage à une catastrophe, à une tragédie qui vient de se produire.
06:00Donc là, je pense qu'on va chercher en nous une forme de fil universel et qu'on va être dans un temps de deuil, d'accompagnement.
06:07Ça, ça va être un temps qu'on va choisir, un silence qu'on va choisir aussi, par exemple comme « observer le silence sous la torture » pour la Résistance.
06:15Oui, vous prenez cet exemple, un livre extraordinaire, « Le silence de la mer » de Vercors,
06:20mais on pense évidemment aussi à Jean Moulin, on pense à Pierre Brossolette,
06:25on pense à tous ceux qui n'ont pas parlé, qui ont gardé le silence sous la torture.
06:30Et c'est vrai que dans le livre, quand je parle de cette muse latine, Angerona,
06:34qui est la muse du silence choisi, la muse de l'endurance et de la persévérance,
06:38j'ai d'abord pensé aux Résistants, à ceux qui n'avaient pas parlé, à ceux qui avaient gardé ce silence,
06:44aux Justes qui ont, par leur silence, protégé également.
06:48Et puis dans l'autre région, il y a le silence qu'on subit et qui nous écrase.
06:54– Expliquez-nous celui-là justement, ce silence qu'on subit et qui nous écrase parce qu'il y a, comment dire, une loi du silence.
07:03Il y a le silence qui est celui de la violence subie, le silence des abus que l'on ne peut pas, que l'on ne doit pas dire.
07:10Vous citez Neige Sinaud, une extraordinaire écrivaine, justement.
07:14Il se combat ce silence-là, vous la clinicienne, vous la psychanalyste ?
07:18– Bien sûr. D'abord, cette loi du silence, on l'apporte tous.
07:23On est tous les héritiers, à un moment de notre vie, de ces lois du silence.
07:27Je crois qu'il n'y a pas d'exception.
07:28On a tous, dans notre généalogie, des choses qui ont été cachées, des accidents de parcours,
07:33qu'on n'a pas souhaité nous dire.
07:36Et à l'intérieur de cette loi du silence qu'on a en nous, mais parfois, elle peut être complètement subie.
07:42C'est-à-dire qu'on va nous dire « tais-toi, tu ne répéteras pas ».
07:46Et ce qui m'intéresse énormément dans l'époque contemporaine,
07:49et c'est vrai que Neige Sinaud, dans « Triste Tigre », l'explique et l'écrit de manière absolument bouleversante,
07:56c'est ce moment où on va franchir du texte intérieur, du récit de notre expérience et on va mettre le son.
08:02C'est-à-dire qu'on va dire ce qui nous arrive.
08:05Mais pour ça, il faut inventer des nouveaux récits et pouvoir créer des liens entre nous pour ces sorties du silence,
08:12et des liens de confiance.
08:13Justement, dans « Triste Tigre », Neige Sinaud, elle refuse pendant un long moment de prononcer le mot « viol »,
08:17puisqu'elle se fait violer par son beau-père, c'est ça l'histoire.
08:20Elle refuse de prononcer le mot « viol ».
08:22Et vous, vous racontez qu'on a inventé, très récemment, ce nouveau mot « silencier ».
08:28C'est ça, c'est faire subir le silence à quelqu'un.
08:31Exactement, c'est entré dans le dictionnaire en 2002.
08:33Il est rentré dans le dico, ouais.
08:35En 2022.
08:36Et donc, cette silenciation, c'est le fait de passer sous silence de manière volontaire.
08:44Et on peut même penser aussi à une forme de collusion au-dessus, en fait, de ces silenciations.
08:51Et c'est le fait de volontairement passer sous silence des agressions et un continuum de violence, en fait.
08:58Et par rapport à ce que vous dites, il y a une scène extraordinaire dans « Triste Tigre »,
09:03où Nechino est en train de faire la vaisselle, sa mère parle avec une amie,
09:09et elle s'imagine pouvoir, à un moment, dire à haute voix « il me viole, il me viole sans arrêt ».
09:14Et c'est un passage extraordinaire du livre, parce qu'on voit comment la littérature, à ce moment-là,
09:18c'est une montée en puissance aussi, vers la parole.
09:20Nechino, qui est en exergue de votre livre « Puisque j'ai la parole,
09:23puisqu'on me l'a donnée ou parce que je l'ai prise, j'irai jusqu'au bout »,
09:28où elle parle comme Vanessa Springora quand elle parle du consentement comme d'autres.
09:33Et on a beaucoup d'exemples en tête.
09:35Il y a de nombreux auditeurs de France Inter, qui ont des réactions assez contradictoires.
09:41Il y a Chantal qui dit « j'ai perdu mon mari depuis plus d'un an,
09:44et je subis de plus en plus le lourd silence de mon habitation.
09:49On peut mettre la radio, mais je ne peux pas la mettre H24 ».
09:54Il y a Gilles, par exemple, qui dit que le silence est pour lui une richesse.
09:58« Le silence permet de me souvenir, de réfléchir.
10:01C'est pour moi très important, d'où cette richesse primordiale pour l'esprit.
10:06Cette contradiction, cette opposition, elle est installée au cœur même de nos silences. »
10:13Absolument, c'est pour ça que j'ai choisi ce pluriel « à nos silences »,
10:16parce que Chantal aussi, c'est très juste ce qu'elle dit,
10:21et j'en parle dans le livre en pensant à ma grand-mère.
10:24C'est-à-dire, c'est ce moment où elle, si je ne l'appelais pas,
10:27il y avait la radio aussi, personne n'allait lui parler.
10:30Et la journée, elle s'organisait comme ça, au fur et à mesure du silence,
10:35et ça demande de solliciter énormément de textes intérieurs
10:39et de ressources, en fait, pour traverser ces journées.
10:41Avant de rejoindre Bruno au Standard de France Inter,
10:44on peut mourir du silence.
10:46C'est assez frappant, même fascinant, puisque vous décrivez ce qui s'est passé,
10:52par exemple, autour du psychiatre René Spitz,
10:55au sujet des bébés orphelins de guerre qui grandissaient dans le silence
10:59jusqu'à plus de cinq mois.
11:01Et Laurence Joseph, ça c'est absolument dramatique pour un bébé.
11:04C'est la mélancolie du nourrisson, on appelle ça l'hospitalisme,
11:08ou on appelle ça aussi le syndrome des pouponnières.
11:11C'est Spitz qui a mené ces recherches après la Seconde Guerre mondiale,
11:15et lorsque la mère ou l'adulte tutélaire,
11:18qu'importe si c'est la mère biologique,
11:20mais l'adulte tutélaire ne pouvait plus visiter son bébé.
11:22Et à partir d'un seuil de cinq mois,
11:25l'enfant, en fait, on va perdre son regard, il ne pleure plus,
11:28il arrête le développement de sa croissance.
11:30Et on voit très bien que oui, on peut mourir de silence quand la voix
11:35la plus fondatrice pour nous va, au fur et à mesure, disparaître
11:38ou brutalement disparaître.
11:40Bonjour Bruno.
11:41Bonjour.
11:42Et bienvenue sur France Inter.
11:44Vous aviez une question à poser à notre invité ?
11:48Ou une intervention, une contribution au débat ?
11:51Peut-être, je ne sais pas s'il sera une grande contribution,
11:54mais voilà, je disais à vos collaborateurs au Standard que...
11:58Tout d'abord, vous voyez, excusez ma voix, je suis un tout petit peu enroué.
12:03On vous entend parfaitement.
12:05Merci.
12:06Je disais à vos collaborateurs au Standard que j'ai eu la chance d'habiter
12:10à l'étranger pendant de nombreuses années,
12:12dont la Finlande, Helsinki, pendant près de trois ans.
12:16Où la notion de conversation telle qu'on l'entend nous sur nos latitudes
12:21n'est pas la même.
12:22D'une part, ils ont un débit verbal bien plus lent que le nôtre.
12:26Oui.
12:27Et d'autre part, ils ont des silences fréquents, que ce soit à table,
12:32que ce soit sur le processus conventionnel, en tête à tête ou à plusieurs,
12:37des silences s'installent de manière fréquente chez nos amis nordiques.
12:42Là où nous on dit un ange passe, où on va briser le silence,
12:46au fond, en Finlande, on n'est pas gêné.
12:49Il y a un mot d'ailleurs, Laurence Joseph, pour dire cette frénésie de mots
12:55qui existe dans les conversations à la française.
12:58« Loquès ».
12:59Ah oui, la loquelle, c'est la manière dont, en fait, c'est Barthes qui parle de ça,
13:04dont on ne cesse pas en nous, comme un retour sans cesse dans notre esprit,
13:08on répète les mêmes mots.
13:10Merci pour votre appel.
13:13C'est très intéressant, justement, de voir que, pour certaines personnes,
13:16le silence est très confortable, parce que finalement,
13:19on partage plein de choses dans ce moment de silence.
13:23On arrive à être ensemble différemment.
13:25Moi, je trouve ça très apaisant d'être ensemble en silence.
13:27C'est intéressant.
13:28Pas à la radio, mais...
13:29C'est intéressant cet exemple finlandais, parce qu'il y en a d'autres.
13:31Par exemple, en Indonésie, à Bali, il y a un jour par an, la tranquillité est obligatoire.
13:36Donc, les voitures s'arrêtent, les téléphones s'arrêtent, etc.
13:38Au Japon, on peut choisir un taxi, un coiffeur silencieux.
13:44Est-ce que le silence est un besoin physiologique ?
13:46Est-ce qu'on devrait mettre en place, par exemple en France,
13:49des îlots de silence comme cela ?
13:51Oui, je pense que c'est une nécessité aussi pour nous, pour rentrer un peu.
13:56On est dans une frénésie du temps, une frénésie de l'action, de la rentabilité.
14:01C'est aussi un moment où on peut se retrouver au contact de notre propre poésie,
14:06à condition justement de ne pas oublier ceux qui subissent le silence,
14:09notamment dans la solitude, dans des journées qui semblent éternelles,
14:13où on n'a pas pu même parler aujourd'hui.
14:16Tu connais cette phrase ?
14:17« Ah, aujourd'hui, j'ai parlé à personne ».
14:19Oui, « aujourd'hui, j'ai parlé à personne ».
14:21Comment ça se passe dans votre cabinet au moment des consultations ?
14:24Puisque le silence fait partie intégrante de votre métier.
14:28Et un silence qui, au fond, est souvent un cri chez celui qui vient vous consulter.
14:33Je crois que c'est dans mon cabinet que j'ai appris à aimer le silence
14:37et à avoir envie de l'étudier.
14:40Parce que quand on écoute le silence de ses patients,
14:43on se rend bien compte que le silence n'est pas un, mais il est complètement multiple.
14:47Et donc, ça peut être le silence de la honte,
14:50ça peut être le silence qui va arriver après un cri,
14:53puisque là, on va parler du cri.
14:55Parce qu'il peut arriver qu'un patient crie, justement.
14:58Bien sûr, il peut arriver.
14:59Et souvent, souvent, ce sont dans les premières consultations,
15:02un patient va crier précisément parce que jusqu'ici,
15:05personne n'avait suffisamment écouté ou prêté attention à son discours.
15:10Et donc, ce sentiment d'être écouté pour la première fois, entendu,
15:14il y a toute la détresse, en fait,
15:16qui va pouvoir sortir d'un coup d'une histoire toute comprimée.
15:19Le silence de l'effacement qui entoure la maladie,
15:22c'est les maladies mentales, notamment les dépressions que vous citez
15:25et que décrivait magnifiquement Georges Perrec.
15:27Oui, et on a notre collègue récemment, Nicolas Demorand,
15:31qui occupe ce micro pendant toutes les matinales du lundi au jeudi,
15:34qui a levé le silence, lui, sur sa maladie, sur sa bipolarité.
15:38Il s'est confié, il dit qu'il l'a caché pendant des années.
15:41Il dit « Je voudrais dire à tous ceux qui souffrent qu'il est possible de parler,
15:45crever en silence n'est pas un destin ».
15:48Il appelle de ses voeux un « me too » de la maladie mentale.
15:52Est-ce qu'il faut ça pour briser ce silence ?
15:55Oui, je pense. J'ai été évidemment extrêmement touchée comme clinicienne
16:00et comme humaine aussi par ce qui s'est passé cette semaine.
16:03Et quand on lit son interview, on voit comment il a traversé trois temps de silence.
16:09Et il le dit, c'est-à-dire qu'il y a un premier temps de silence qui a été un cocon protecteur.
16:13C'est un silence qui lui a permis de s'approprier ce qui se passait.
16:16Il y a eu un deuxième silence qui était celui de la honte,
16:20où l'on confond qui nous sommes et ce qui nous arrive.
16:23Et là, c'est un silence asphyxiant.
16:25Et puis, il y a eu maintenant cette sortie du silence,
16:28mais elle n'aurait pas pu se faire sans son amitié avec Léa Salamé.
16:32Et c'est ça qu'il écrit. Et je trouve que c'est extraordinaire.
16:34Et sans non plus l'institution dans laquelle vous travaillez, à Saint-Alain.
16:37Bien sûr, et sans l'institution dans laquelle je travaille.
16:40Et la rencontre aussi, évidemment, avec un médecin qui va pouvoir accueillir,
16:45traiter, soigner, ne pas lâcher.
16:48Et on voit bien qu'il faut plusieurs choses, plusieurs rouages pour sortir du silence.
16:53Et on l'embrasse, Nico, malgré tout.
16:55Mais expliquez-nous ce paradoxe. C'est un tableau qu'on a tous en tête.
16:57La toile, elle est silencieuse par définition.
17:00On voit un visage qui se tient les oreilles.
17:02Il hurle. C'est même devenu un emoji.
17:05C'est le cri de Munch. Il crie.
17:08Et pourtant, c'est silencieux.
17:10Comment expliquer aussi qu'on entende aussi fort ce hurlement,
17:15alors qu'il n'y a pas de bruit qui sort de la bouche d'un tableau ?
17:21C'est très juste.
17:22Je pense que si on l'a tous en tête, il est quasiment universel.
17:26Et c'est devenu un emoji, comme vous dites, donc il fait partie de nous.
17:29Parce qu'on a tous été traversés par ce cri.
17:32On a tous été traversés par ce moment d'horreur,
17:35notamment quand on apprend la mort de quelqu'un qui nous est cher.
17:38Je ne dis pas qu'on pense tout de suite au cri de Munch,
17:40mais il y a quelque chose dans l'horreur, la sidération, dans le hurlement,
17:45c'est presque notre miroir parfois, ce tableau.
17:49Et je pense que c'est pour ça qu'il nous habite tous.
17:51Il y a le silence des amoureux aussi, le vivons heureux, vivons cachés.
17:55Vous en parlez, ça m'a fait penser à La Petite Sirène.
18:00Vous savez, le conte d'Andersen où La Petite Sirène,
18:02elle est contrainte au silence par la sorcière de la mer qui lui coupe la langue
18:05pour pouvoir se rapprocher du prince.
18:08Est-ce que ça, ce silence, ça peut être une condition de l'amour ?
18:11Alors, le silence comme punition, je ne pense pas.
18:16Elle n'est pas punie en l'occurrence, c'est la condition, le sacrifice.
18:20Bien sûr, bien sûr.
18:22Je pense que parfois, la surexposition peut mettre en danger un amour.
18:27Et comme vous le dites, je pense que le silence, à un moment,
18:31dans la rencontre amoureuse, elle va faire partie de l'amour.
18:34Parce qu'au début, le trouble qu'on va ressentir en rencontrant quelqu'un,
18:38quand on se rend compte que cette personne va nous plaire,
18:40que son visage nous bouleverse, nous fait bouger en fait,
18:44est en train de nous transformer.
18:46Comme parfois, les mots sont un peu usés, on ne va pas savoir comment le dire.
18:49Et je pense que ce silence, justement, ça va être la marque de notre trouble.
18:53Et donc oui, là, je suis d'accord.
18:54D'où les fragments du discours amoureux que vous citez régulièrement de Roland Barthes.
18:57Quel est le rapport entre le silence et l'orgasme ?
19:01Puisque c'est la fin de notre entretien,
19:02autant terminer par quelque chose de joyeux et de libérateur.
19:06Alors, mais absolument, je pense que l'orgasme, en tout cas,
19:11c'est quelque chose qui nous traverse, qui va traverser notre corps et notre esprit.
19:18Et ensuite, il y a peut-être quelque chose, justement,
19:21des mots qui, dans ces cas-là, sont suspendus et que c'est une forme de silence,
19:26mais un silence qu'on partage avec l'autre, en fait,
19:28qui va nous unir encore plus que des mots très usés.
19:31Passionnant. C'est vraiment un livre que nous recommandons chaleureusement.
19:35Nos silences, donc, c'est apprendre à les écouter.
19:39Et avec vous, Laurence Joseph, le livre est publié chez Autrement,
19:43dans une collection qui parle bien son nom.
19:45Les grands mots. Merci infiniment et très belle journée.
19:48Merci.