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Trois ans après la publication du livre-enquête "Les Fossoyeurs", Victor Castanet revient sur la gestion des Ehpad en France. Le vaste plan de contrôle lancé par l'État a permis d'identifier 55 structures particulièrement problématiques, qui ont écopé de "sanctions graves".

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Transcription
00:00Bonjour Victor Castranet, en janvier 2022, votre livre « Les Faussoyeurs » avait déclenché un scandale.
00:13Il dévoilait des cas de maltraitance de personnes âgées dans certains établissements du groupe Orpea.
00:18S'en est suivi un vaste plan de contrôle de ces EHPAD et on apprend donc que 55 structures particulièrement problématiques ont été identifiées, sanctionnées.
00:2811 ont d'ailleurs été définitivement fermées. Est-ce que vous saluez cette avancée ?
00:33Il faut toujours saluer quand il y a un système de contrôle qui se montre plus efficace que ce qu'il était.
00:38Orpea, c'est quand même l'histoire d'un groupe qui a dérivé pendant plus de 20 ans.
00:42C'est des pratiques de détournement d'argent public, d'optimisation des coûts, on enlevait des postes de soignants au détriment de l'argent public et surtout des pensionnaires.
00:49Bon, le drame de cette histoire, c'est qu'Orpea, qui était le leader mondial, a pu faire ça pendant 20 ans.
00:55Pourquoi il a pu faire ça pendant 20 ans ?
00:57D'ailleurs, c'était à l'époque Jean-Christophe Combes, le ministre de l'autonomie, qui avait avoué ça au sein de l'hémicycle.
01:03Il avait dit qu'en général, en France, un EHPAD est contrôlé en moyenne tous les 20 ans.
01:08Et bien, c'est exactement ça.
01:09Du coup, comme les EHPAD étaient contrôlés, il y en avait certains qui pouvaient dériver.
01:13Donc, il faut saluer le fait que ces trois dernières années, les EHPAD, les 7500 EHPAD français, aient été contrôlés.
01:21Il ne faut pas mettre une forme de...
01:23Est-ce que ça va vous amener à se répéter ? Parce que là, on parle d'un gros contrôle qui a suivi votre grande enquête.
01:29Mais est-ce que ça va être amené à être plus régulier ? Parce qu'un tous les 20 ans, effectivement, ça pose question.
01:33Alors, je pense que les contrôles seront plus réguliers et surtout plus efficaces.
01:37C'est-à-dire qu'avant, ils ne savaient pas où regarder.
01:39Maintenant, ils ont compris qu'il ne suffisait pas de regarder, par exemple, dans les établissements.
01:43Il fallait regarder aussi au siège les pratiques financières.
01:46Orpea, les pratiques de détournement d'argent public, elles ne se voyaient pas nécessairement dans les établissements.
01:51Donc, ça demande des inspecteurs formés sur ces questions.
01:54D'ailleurs, s'il faut saluer les contrôles, il faut aussi souligner ce qui a été défaillant.
02:01Il y a un certain nombre de représentants syndicaux, des inspecteurs qui expliquent que certains contrôles ont été réalisés.
02:08Ils parlent de contrôles low cost.
02:09Bon, ils estimaient qu'il fallait faire des contrôles en général sur deux jours.
02:12Ils ont eu une demi-journée ou qu'il y a eu seulement un tiers des contrôles qui se sont faits sur place, c'est-à-dire dans les établissements.
02:19Les deux tiers, ça veut dire sur pièce.
02:21Sur pièce, c'est quoi ?
02:22On vous donne des documents, mais après tout, Orpea, transmettez des documents en racontant n'importe quoi, trafiqués.
02:28Quand on vous donne des documents, vous ne sentez pas l'ambiance au sein de l'établissement, la manière dont le personnel se comporte.
02:35Il y a quoi dans l'assiette des résidents ?
02:37Il faut aller sur place, évidemment.
02:39Donc, on ne peut que souhaiter…
02:40Et ça, ça concerne, dans ce cas précis, un tiers des contrôles.
02:43Oui, il n'y a qu'un tiers des contrôles où il y a eu des contrôles…
02:46Des déplacements sur place.
02:47Sur site, exactement.
02:48Et ce que ça raconte aussi, c'est qu'il y a 55 établissements avec des sanctions très graves,
02:55mais en vrai, il y en a des centaines qui ont eu des injonctions.
02:59Pas juste des recommandations, des injonctions.
03:01C'est « en fait, vous ne respectez pas les ratios de personnel »
03:04ou « le circuit du médicament n'est pas conforme »,
03:07c'est-à-dire des infractions relativement graves.
03:09Donc, il y avait un gros sujet.
03:11Et maintenant, de toute façon, on a mis en cause un certain nombre de pratiques.
03:17Le vrai problème, maintenant, c'est un problème structurel,
03:19c'est un problème de financement politique.
03:21Donc, j'ai envie de dire maintenant, le sujet, c'est comment le gouvernement
03:25va s'emparer de ce sujet pour faire changer les choses en profondeur.
03:29Et pour qu'il y ait plus de recrutement, notamment, ça reste un vrai problème.
03:32Alors que la ministre, quand même, et je vais donner les chiffres,
03:35elle a annoncé hier soir, suite à la diffusion de votre documentaire sur cette question-là,
03:39une augmentation de 50 000 équivalents temps plein jusqu'à 2030.
03:42Et elle dit que cette année, ce qui a été budgété, c'est 6 500 équivalents temps plein,
03:46supplémentaires pour cette année 2025.
03:49Donc, ça bouge, mais pas assez là-dessus ?
03:51Oui, ça bouge. En fait, toute la question de ce secteur,
03:54ce n'est pas un scoop, c'est que tant qu'on sera à ces ratios de personnel
03:58qui sont en gros à 6, 6,5 pour 10, c'est-à-dire qu'il y a à peu près 6 soignants pour 10 résidents,
04:04alors que dans des pays du nord de l'Europe, comme la Suède,
04:07vous êtes à 10 sur 10.
04:09Tant qu'on n'aura pas augmenté ces ratios de personnel à 8 pour 10,
04:12c'est ce que dit par exemple la défenseuse des droits,
04:15bon, vous savez quoi, il y aura des situations de maltraitance en France, c'est inévitable.
04:20Donc, les établissements font ce qu'ils peuvent,
04:22mais tant qu'ils ne sont pas refinancés et qu'on ne change pas les règles du jeu,
04:26il y aura des drames.
04:27Ça veut dire qu'il faudrait recruter combien d'êtres soignants, combien de personnes en ce moment ?
04:33Ça veut dire que dans chaque établissement, il y a 7500 établissements,
04:38donc il faut augmenter les ratios d'à peu près un soignant en plus par résident,
04:45un soignant et demi, ça veut dire qu'il faut effectivement,
04:48le chiffre qui a été annoncé, 50 000 dans les années qui viennent,
04:52ça va changer fondamentalement les ratios de personnel,
04:55donc vous allez diminuer le nombre de cas de maltraitance.
04:58Ce qu'il faut dire aussi quand même, moi j'ai eu cette discussion-là avec la ministrière,
05:02c'est qu'il faut aussi changer les règles du jeu.
05:04C'est-à-dire qu'aujourd'hui, moi je m'en suis rendu compte dans mon enquête
05:08et je m'en rends compte tous les jours,
05:09quand vous êtes une famille et que vous vous retrouvez un peu dans l'urgence
05:12à devoir placer votre maman, votre papa ou vos grands-parents,
05:16vous avez le choix entre des établissements, c'est impossible de pouvoir comparer.
05:21Personne ne peut vous dire que cette EHPAD est mieux qu'une autre.
05:24Donc en fait, vous faites au pif, là où il y a de la place,
05:27souvent d'ailleurs conseillé par des boîtes qui vous trouvent une place
05:31et qui sont commissionnées par les groupes.
05:33Moi, je pense depuis des années, comme un certain nombre d'acteurs du secteur,
05:37qu'il faut mettre en place des indicateurs, c'est-à-dire des indicateurs de qualité.
05:41C'est-à-dire, il y a combien d'effectifs dans votre EHPAD ?
05:45C'est quoi le taux de turnover ? Le taux d'absentéisme ?
05:48Est-ce que les équipes sont bien ?
05:49Ce qui est prévu quand même dans la loi sur le bien vieillir adoptée en 2024,
05:52ces indicateurs de qualité.
05:53En fait, c'est toute la question.
05:54Il faudrait ces indicateurs de qualité et depuis trois ans,
05:57moi je rencontre des ministres tous les six mois,
05:59parce qu'ils changent tous les six mois,
06:00il faut le dire aussi, cette instabilité gouvernementale,
06:03c'est un drame pour le secteur.
06:04Je rencontre des ministres qui tous les six mois me disent
06:06« Dans six mois, les indicateurs de qualité seront publiés
06:09et les gens pourront aller sur un site internet et tout pareil. »
06:11Mais ce n'est pas encore mis en place, c'est ce que vous nous dites.
06:13Non, ce n'est pas encore mis en place et il faut comprendre pourquoi ce n'est pas mis en place.
06:16Moi, je me suis posé souvent la question,
06:18il y a beaucoup d'acteurs du secteur qui vous disent
06:20« Mais pourquoi ce n'est pas mis en place ? »
06:21Parce que quand ce sera mis en place, on va se rendre compte de quoi ?
06:24Que c'est une catastrophe aussi dans les EHPAD publics
06:27et que l'État se rendra compte de sa responsabilité
06:30et verra qu'eux non plus dans les EHPAD publics,
06:32ils ne respectent pas ni les ratios de personnel,
06:34ils ne mettent pas suffisamment d'argent dans la nourriture.
06:36Il y a un problème qui touche l'ensemble du secteur aujourd'hui.
06:39Vous avez des questions de téléspectateurs ?
06:41Vous y avez pas mal répondu.
06:42Christine voulait savoir si c'était mieux d'aller finalement dans un EHPAD public.
06:45Est-ce qu'il y avait davantage de garanties et de meilleures conditions ?
06:48Non, je ne dirais pas ça aujourd'hui.
06:51Je dirais que le plus important, c'est d'aller sur place,
06:54de rencontrer le personnel, de voir l'ambiance
06:56et de vérifier ça justement si, par exemple,
06:58c'est la même directrice depuis six ans
07:00ou si vous avez eu six directeurs en six ans.
07:03Si vous avez une instabilité du personnel,
07:05c'est le premier signe qu'il y a un dysfonctionnement.
07:08Donc, moi, je ne ferais pas cette différenciation-là,
07:11sachant qu'il faut le dire, aujourd'hui, le secteur est en crise.
07:16C'est-à-dire, moi, dans mon enquête,
07:17j'ai raconté comment des groupes faisaient des hyperprofits.
07:20C'était la période avant ce scandale hors PA
07:23où on pouvait faire 34 % de marge dans un établissement
07:27et c'était public.
07:29Et ces marges montraient une pression financière
07:32extrêmement importante sur les structures.
07:34Aujourd'hui, c'est le problème inverse.
07:36C'est qu'aujourd'hui, il y a deux tiers des EHPAD de France
07:39qui sont en situation de déficit.
07:41Ce n'est pas bon d'être en surprofit.
07:43C'est une catastrophe d'être en déficit
07:46parce que quand vous êtes en déficit et que vous êtes directeur,
07:48qu'est-ce que vous faites ?
07:49Vous êtes obligé de rogner sur les coûts.
07:51Vous allez enlever un poste là.
07:53Vous allez diminuer un peu sur la nourriture.
07:55Vous allez nécessairement dégrader la qualité.
07:58Et en plateau hier, c'est ce que disait un directeur lui-même,
08:01il avait 100 000 euros de déficit sur son EHPAD public.
08:03Il était obligé de baisser un peu la qualité de la prise en charge.
08:07Merci beaucoup, Victor Castaner.
08:09Merci à vous.
08:10Vous avez été menacé depuis la publication de ce livre.
08:12Un mot ?
08:13Pas depuis la publication de ce livre.
08:14Je pense que la médiatisation de ce sujet nous aide tous.
08:17Et moi et les lanceurs d'alerte protégés.

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