Aymane avait 15 ans, et participait à des combats de rue. Il a été assassiné. Brut a rencontré ses proches pour connaître son histoire.
Réalisé par Yagmur Cengiz
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00:00Ah, il y avait quelqu'un d'urgent !
00:02Oh, il a mis une porte à téléphoner !
00:04Oh, il l'a accouché, il l'a accouché !
00:05Des vidéos de bagarres comme celle-ci, j'en ai vu défiler plusieurs sur des comptes Instagram ou Telegram.
00:14J'ai contacté la plupart de ces comptes pour comprendre ce phénomène de combat de rue
00:17et pourquoi les personnes qui tiennent ces comptes les mettaient en ligne.
00:20Tous ont refusé de me rencontrer pour une interview,
00:22seule une personne a accepté de me répondre par téléphone et de manière anonyme.
00:26Les gens, ils aiment ça, ils aiment la bagarre.
00:29J'en suis à énormément de messages en disant qu'on veut plus de chaos.
00:32J'en suis à des messages en disant, tiens, j'ai mon pote qui s'est battu,
00:35je peux t'envoyer la vidéo, tu peux la reposte.
00:37C'est chaud, là ! C'est chaud, c'est chaud !
00:39Après, je me demande s'il y en a qui disent,
00:41il ne faut pas esprit de se battre pour m'envoyer des vidéos.
00:43J'en suis à énormément de vidéos aussi de collégiens qui snappent.
00:50Ça me paraît important de mettre en garde sur les dangers de tel contenu.
00:53C'est pour ça que dans cette vidéo, j'ai décidé de vous parler de l'histoire d'Eyman.
00:56Eyman, c'est un jeune boxeur de 15 ans qui vivait à Bondy.
00:59Après plusieurs bagarres et des altercations filmées,
01:02il est tué par le grand frère d'un de ses amis en février 2021.
01:05Avec Hugo Bayardi, on a essayé de retracer l'escalade de la violence
01:08qui a mené à la mort d'Eyman.
01:16La première fois que j'ai rencontré Eyman, c'était un forum des associations.
01:23J'ai mis une paire de gants.
01:25Il a tapé un peu dans mes pattes d'ours.
01:28Et il a eu un déclic.
01:33Je lui avais dit, si t'es sérieux, je vais te mettre en compétition,
01:36si tu travailles bien.
01:37Et puis, dès le début, il m'avait dit, je vais faire de la compétition.
01:40Je vais faire de la compétition, je vais être champion du monde.
01:45Eyman !
01:51Sa première compétition, c'était les championnats d'Ile-de-France.
01:54Ça faisait pas très longtemps qu'il faisait de la boxe.
02:02J'ai vu Eyman commencer à faire son combat.
02:05Et j'ai dit, oh, il a faim.
02:08Il en veut, quoi.
02:10Il en prenait, mais il avançait.
02:15Eyman !
02:20Eyman !
02:24Et ils ont levé le bras de Eyman.
02:27Ça m'a fait, ici dans le cœur, ça m'a fait tout bizarre.
02:32Et après, j'ai regardé sa grand-mère,
02:35j'ai regardé ses parents qui pleuraient,
02:37son papa qui était vachement fier,
02:40même étonné de voir son fils champion de l'Ile-de-France.
02:44Je le cache pas, j'ai pleuré, quand il a gagné la médaille d'or
02:48et il s'est qualifié pour la championnat de France.
02:50C'est toujours, même nous, il nous dit,
02:52un jour, je serai champion, je serai champion.
02:54Il m'a demandé de lui acheter pas mal de trucs
02:56pour faire la boxe, même à la maison, pour l'entraîner, tout ça.
02:59Et là, j'ai compris que, franchement, il est dedans.
03:02Ça, c'est ses affaires de boxe.
03:05On va les ranger ici.
03:07On va les laisser ici.
03:11Il a acheté ça et il a fait deux entraînements avec, pas plus.
03:16On va les mettre ici.
03:25Franchement, il était adorable.
03:27Il était plein d'énergie.
03:29C'était comme un turbo.
03:31Il joue, il bouge, il fait des blagues, même à la maison.
03:38C'est comme lui, l'acteur.
03:40Le but, c'est d'attirer l'attention vers lui.
03:44À force de gagner des combats de boxe taille,
03:46il prend confiance et il lui arrive de participer
03:48à des combats de refilmés.
03:50Et ça, ses parents et ses proches n'en savaient rien.
03:57Dans ses vidéos, on voit Aymen et d'autres jeunes se battre.
04:00J'ai jamais entendu parler de ces combats sauvages.
04:04Moi-même, si j'en étais au courant, je serais intervenu.
04:07C'est du n'importe quoi, parce que sur un ring,
04:09il y a un arbitre, il y a des règles,
04:11il y a des codes, il y a des valeurs.
04:14Là, c'est tout l'inverse de ce qu'on leur apprend.
04:21C'est pas possible.
04:23C'est pas possible.
04:25C'est pas possible.
04:27C'est pas possible.
04:30C'est pas possible.
04:38On salue !
04:40Tout d'abord, bonjour à tous.
04:42Merci d'être au rendez-vous.
04:44Franchement, ça fait plaisir de vous revoir.
04:46Je pense que moi et les coachs,
04:48ça fait énormément plaisir.
04:50Tout le monde sait ce qui s'est passé avec Aymen.
04:53Oui.
04:55Je trouve pas les mots, mais bon,
04:57ça nous a beaucoup touchés,
04:59parce que c'est un membre, on va dire, de notre famille.
05:06Un jour, Aymen propose à un de ses amis,
05:08qu'on appellera Sofiane, de le suivre au club.
05:10Sofiane a deux ans de plus qu'Aymen,
05:12et il commence à prendre des cours de boxe style lui aussi.
05:17À la base, ils s'entendaient bien,
05:19c'était des bons copains,
05:21ils faisaient toutes leurs sorties ensemble,
05:23et après, du jour au lendemain,
05:25c'est parti pour la boxe.
05:31C'est ce qu'il m'avait dit.
05:33On s'amusait à taper de plus en plus fort.
05:35Je lui ai fait mal, il a mal pris la chose.
05:38Quand il y a des rivalités entre élèves,
05:40et que ça se passe pendant l'entraînement,
05:45on va prendre les deux élèves,
05:47on les amène à soi,
05:49et en général, j'ai dit stop, on n'en parle plus.
05:53On se fait la bise, on se serre la main.
06:01Il y a eu peut-être un échange,
06:03où il a tapé un peu plus fort,
06:05et puis après la boxe,
06:07il se chamaille là-dessus,
06:09il se chambre,
06:11et puis derrière, il y a les réseaux sociaux,
06:13les gens filment,
06:15et puis ça attise la violence.
06:23Les bagarres qui les opposent sont filmées
06:25et partagées à Bondy,
06:27et le grand frère de Sofiane finit par s'en mêler.
06:29La première altercation, je sais qu'elle était ici,
06:32son frère est venu devant le gymnase,
06:34il a voulu régler ses comptes.
06:36Le grand est venu voir Aymen,
06:38pour défendre son frère.
06:40Il y avait des adultes à côté, autour de lui,
06:43et Aymen a tapé le grand frère de 27 ans.
06:46Et lui, il ne l'a pas accepté.
06:48Un trafiquant de drogue,
06:51comme un grand,
06:53il l'a tapé devant les adultes,
06:55et c'était lui, c'était la honte.
06:57Il voulait tenir sa réputation de
06:59« je fais peur, je suis quelqu'un ».
07:02Il était au palais de sport, il est sorti,
07:04ils l'ont appelé, ils lui ont dit
07:06« viens, on va parler comme des adultes ».
07:08En fait, ils l'ont pris dans un coin,
07:10ils ont pris l'insecteur, ils l'ont commencé à taper,
07:12ils lui ont ouvert la tête, et c'est quoi.
07:14Il m'a dit « papa, papa, j'ai la tête ouverte,
07:16qu'est-ce qui t'es arrivé ? »
07:18Il m'a dit « regarde-toi, à 15 ans,
07:20à 1m82, tu tombes comme un enfant ».
07:22Il m'a dit « oui, oui, je suis tombé ».
07:24Je lui ai dit « écoute, je ne comprends pas cette histoire,
07:26il y a quelque chose derrière, je pense ».
07:28Après, il ne voulait pas me parler.
07:30Moi, je ne voulais pas briser cette confiance de
07:32« tu me dis quelque chose, moi je répète à tes parents ».
07:34Il n'attendait pas grand-chose des adultes.
07:36Il aimait bien raconter ce qui s'est passé,
07:38sa journée ou quoi, mais il ne voulait pas
07:40qu'on intervienne pour lui.
07:42Il aimait bien se débrouiller tout seul.
07:44Je lui ai dit « Aymen, tu as menti,
07:46quand il a parlé, j'ai dit ok.
07:48Et maintenant, la solution, c'est quoi ?
07:50Il t'a tapé une fois, deux fois, il t'a ouvert la tête.
07:52C'est quoi la solution ? »
07:54Aymen avait peur que son père aille au commissariat
07:56directement, c'est pour ça.
07:58Nous, dans nos quartiers,
08:00il y a un peu ce truc de « vas-y,
08:02t'as une balance, tu vas aller voir les chemises ».
08:04Ce genre de réflexion.
08:06Il n'y a pas un jeune à qui tu vas dire
08:08« oui, lui t'a tapé, est-ce que tu vas aller porter plainte ? ».
08:10Il n'y en a aucun qui va dire « oui, je vais aller porter plainte ».
08:12Le 26 février 2021, c'est les vacances scolaires
08:14et comme à son habitude, Aymen
08:16rejoint ses amis au centre d'animation de la ville.
08:18La directrice, elle m'appelle, elle me dit
08:20« M. Caïd, c'est la directrice qui m'appelle,
08:22ça veut dire que Aymen, il a quelque chose ? »
08:24Parce qu'elle ne m'appelle pas assez souvent.
08:26Je lui ai répondu, je lui ai dit « qu'est-ce qui se passe ? »
08:28Elle m'a dit « il n'y a rien de grave, il n'y a rien de méchant,
08:30ne vous inquiétez pas. » Juste pour vous dire que
08:32Aymen, il y a deux personnes
08:34qui l'ont tapé et
08:36je lui ai dit « c'est qui les deux personnes ?
08:38C'est qui ? » Et là, elle m'a parlé,
08:40j'ai dit « ouais, j'ai compris. »
08:42En fait, c'était les deux mêmes.
08:46J'ai vu l'altercation d'Aymen,
08:48la bagarre,
08:50Aymen qui tenait le grand.
08:52Quand je suis rentré au centre, Aymen,
08:54il avait le visage rouge,
08:56il avait peur, je ne sais pas,
08:58j'ai senti qu'il y avait un truc qui ne va pas.
09:00Je lui ai dit « Aymen, qu'est-ce que tu penses ? »
09:02Et devant la directrice et les autres,
09:04on va régler cette histoire.
09:06Soit on va parler aux parents, comme toi tu connais la maman,
09:08soit on va à la police.
09:10J'ai dit « qu'est-ce que tu penses ? On va aller voir la maman, tu connais la maman ? »
09:12Elle m'a dit « oui ».
09:14Ça allait vite, tu as les jeunes qui étaient devant la porte,
09:16le papa est sorti, il avait les jeunes avec une barre en métal dans les mains.
09:18Le papa était
09:20plutôt dans le contexte d'aller discuter avec lui.
09:22Son frère, il a 27 ans.
09:24Dans ma tête, 27 ans, c'est un homme.
09:26On peut parler, on peut discuter, on peut trouver une solution.
09:28On peut régler l'histoire entre nous, adultes.
09:30Aymen, il a commencé à s'approcher.
09:32L'autre, il a pris une barre de ferraille et il a essayé de le taper.
09:34Et là, je suis intervenu.
09:36Il y avait un bagarre entre nous
09:38pendant deux petites minutes.
09:40Après, ça allait super vite.
09:42J'étais avec les jeunes de mon côté,
09:44en train de leur demander de rentrer chez eux
09:46parce qu'ils n'avaient pas à voir tout ça.
09:48Du coup, au moment où je suis revenu, ils étaient beaucoup plus loin dans la rue.
09:50C'était encore en pleine altercation.
09:52Moi, je suis arrivé en courant.
09:54T'as le grand qui a dit « je reviens dans cinq minutes, ne bougez pas ».
09:56Et voilà.
09:58Ensuite, j'étais avec Aymen.
10:00J'étais en train de discuter avec lui.
10:02J'étais en train de lui dire
10:04« c'est quoi cette histoire ?
10:06Ça en est venu aux mains avec ton père.
10:08On va rentrer dans la structure, attendez que ça se repose un peu. »
10:10Et la directrice, elle a dit
10:12« il faut bien fermer la porte. »
10:14Et moi, j'étais avec mon fils, face à face, en train de parler.
10:16Il m'a dit « papa ».
10:18Il m'a dit ça et ça, je ne l'oublie pas.
10:20Il m'a dit « il est capable de tirer sur nous ».
10:22Il me l'a dit comme ça.
10:24J'avais mon collègue Mamadou qui était à gauche.
10:26Moi, j'étais à droite. Aymen, il était en face avec son père
10:28et le stagiaire.
10:30On a entendu le beloui sur la porte.
10:32C'est comme quelqu'un qui a essayé de tirer à la porte, d'ouvrir la porte.
10:34Et la directrice, elle a dit
10:36« si c'est lui, il ne faut pas ouvrir la porte. »
10:38Il a mis le pistolet
10:40sur la fente de la boîte à lettres là.
10:42Il a tiré, il a tiré un coup
10:44et il a touché directement mon fils au thorax.
10:48On a entendu la détonation.
10:50On a vu de la poudre, de la fumée blanche, il y avait l'odeur.
10:52Au début, j'étais en train de crier
10:54« calmez-vous, calmez-vous, c'est à blanc. »
10:56Parce que je n'avais jamais vu, j'avais jamais eu affaire à une vraie arme.
10:58Je me suis dit que c'est impossible qu'un adulte
11:00puisse tirer sur un enfant.
11:02Impossible, ce n'était pas un scénario envisageable.
11:04Quand j'ai vu mon fils, il n'a pas parlé,
11:06il n'a rien dit.
11:08Je me suis dit « peut-être que c'est des balles à blanc
11:10pour tourner des films ou pour jouer. »
11:12Et j'ai dit « c'est vrai, tu penses que c'est des balles à blanc ? »
11:14« Parce que je ne vois rien là, c'est le truc. »
11:16Après, on le voit, il mène
11:18un peu plus loin, retirer
11:20sa doudoune, sa sacoche, se poser
11:22lentement au sol.
11:24Mon fils m'a dit « papa, papa, j'ai mal. »
11:26Moi, j'ai enlevé la veste, j'ai enlevé le t-shirt
11:28et j'ai vu qu'il y avait, c'est l'autorax quand il gosse là,
11:30il y avait la trace de la balle.
11:32J'ai essayé de le faire parler,
11:34« reste avec moi. »
11:36Je n'avais jamais eu affaire à ce genre de scénario
11:38et jamais je ne me suis dit que ça allait arriver.
11:40Du coup, je procédais un peu comme dans les films,
11:42« reste avec moi, serre-moi la main,
11:44parle-moi. »
11:46J'ai essayé tout ce que mon cerveau m'a dit de faire.
11:52Ahmed, le papa de Ahmed,
11:54m'appelle en catastrophe
11:56et je n'entendais pas trop,
11:58parce que c'était brouillé, il y avait du bruit autour de lui.
12:00Et puis, « Ahmed, Ahmed,
12:02il est par terre,
12:04il est tombé. »
12:06Et puis après, il me dit « bon, écoute, je te laisse,
12:08je suis avec le SAMU,
12:10la police, les pompiers. »
12:16Moi, j'ai envoyé un message,
12:18« tiens-moi au courant de l'état de santé
12:20de Ahmed, s'il te plaît.
12:22J'espère que tout va
12:24rentrer dans l'ordre, Chris. »
12:26Quand j'ai touché le visage avec la main droite,
12:28il était froid, froid.
12:30Après,
12:32je l'ai parlé, je l'ai parlé,
12:34j'ai vu qu'il ne répond pas. Après, c'est bon.
12:36Surtout quand le médecin m'a dit
12:38« il y a plein de sang
12:40à l'intérieur, il a une hémorragie interne,
12:42il n'arrête pas de respirer. » J'ai compris
12:44que c'était trop tard.
12:46Il m'a répondu à 20h47,
12:48« il est parti, il ne reviendra plus. »
12:54« Aujourd'hui, l'instruction est toujours en cours
12:56et Sofiane et son grand-frère sont en détention provisoire. »
12:58Ahmed est parti,
13:00il est parti pour nous.
13:02Ça fait très mal, c'est bizarre.
13:04Même quand on rentre à la maison,
13:06des fois, franchement, j'ai vu sa maman
13:08derrière la fenêtre, elle regarde.
13:12C'est ça.
13:16C'est comme la dernière fois, je l'ai entendue,
13:18parce qu'elle était en train de parler avec sa copine,
13:20elle a dit « j'attends Ahmed qui rentre. »
13:24C'est ça.
13:40C'est bizarre, je sais qu'il n'est plus là,
13:42mais dans le coin de ma tête, je me dis
13:44qu'il est encore là.
13:48J'essaie de ne pas y penser.
13:50Il y a des fois où ça reste,
13:52mais c'est compliqué
13:54à chasser ces idées-là de la tête.
13:56J'ai deux hommes
13:58qui ont du mal.
14:08C'est compliqué un peu.
14:10C'est dur.
14:14« C'était important pour moi
14:16de vous raconter l'histoire d'Ayman
14:18et comment des vidéos de bagarres
14:20sur Instagram ou des messageries peuvent amener un drame.
14:22À bientôt. »