Gagarine est une cité qui a été détruite en 2020. Le réalisateur Adnane Tragha a documenté les souvenirs des habitants de cette cité.
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00:00Quand je voyais Gagarine, je voyais surtout ceux que je connaissais qui habitaient dedans.
00:07Il y a un moment où je me dis, vas-y, il y a une histoire à raconter.
00:10Gagarine, pour nous, c'était comme si c'était un être à part entière.
00:14On parlait de Gagarine comme une personne pratiquement, pas forcément comme un lieu de vie.
00:19C'était notre lieu de vie, mais on parlait de Gag, Gagarine.
00:30J'habitais au premier étage, là, et j'avais vu direct, il y avait des grands arbres,
00:50donc on ne voyait pas vraiment le terrain de jeu.
00:53Moi, je voyais le grand immeuble de briques rouges hantées.
00:56Je voyais le chez-soi de mes copains.
01:00Là, il y avait le terrain de tennis, juste derrière.
01:04Et la cité, c'est là où ils ont mis les arbres.
01:07Le C, c'était là.
01:08Juste là.
01:09Ça, c'était le C.
01:10Ça fait bizarre.
01:11Ma fenêtre, tu vois, elle était juste là.
01:13Des fois, on tapait la balle sur le mur de ce bâtiment.
01:16Ça fait bizarre de voir.
01:17Moi, ça fait longtemps que je ne suis pas venu.
01:18La dernière fois que je suis venu, c'est pour le tournage du documentaire.
01:21C'est presque joli, maintenant.
01:22Quand tu habites dans une grande cité comme Gagarine,
01:24tu as juste à sortir de chez toi et tu vois tes potes.
01:27Puis, tu vas jouer.
01:28Tu descends.
01:29Tu n'as même pas besoin.
01:30À l'époque, il n'y avait pas de téléphone, tout ça, portable.
01:32Donc, tu descends et tu rencontres un tel.
01:34Ça se fait comme ça.
01:35De la petite enfance, je n'ai que des bons souvenirs.
01:38Quand on m'a dit que Gagarine se détruit,
01:40ça m'a fait un pincement au cœur.
01:41Ça m'a surpris parce que je me suis dit, moi,
01:43quand j'ai quitté Gagarine, j'ai tourné les talons à tout jamais.
01:46Et c'est la preuve que c'est beaucoup moins simple qu'on le pense.
01:50Je n'étais pas prédestiné à faire un film sur Gagarine.
01:53Le truc, je ne sais pas.
01:54Ça ne s'explique pas.
01:55Quand j'ai appris que ça allait être détruit,
01:57ça m'a fait quelque chose.
01:58Ça m'a touché.
01:59Dans mes films, j'essaie de montrer les quartiers populaires
02:03de façon motivante, positive, pas fantasmée.
02:08Je ne dis pas qu'il y a plein de choses qui ne vont pas,
02:11mais j'étais plus dans une démarche de réhabilitation
02:17de l'image des quartiers populaires.
02:19Souvent, on parle des jeunes des quartiers,
02:21on dit qu'ils ne se sentent pas français,
02:24qu'ils ne veulent pas bosser, qu'ils n'étudient pas,
02:27qu'ils tiennent les murs, qu'ils galèrent.
02:29J'avais envie de prendre ces ex-jeunes 20 ans plus tard
02:33et de montrer ce qu'ils sont devenus.
02:35Je suis partie à chaque fois jusqu'à partir aux États-Unis
02:38pendant 6 ans, à Boston, à Harvard.
02:40Vous me voyez comme la petite Frenchie qui arrivait.
02:42C'est d'ailleurs aux États-Unis que je me suis sentie
02:45pleinement française, bizarrement.
02:47Je ne me voyais pas partir.
02:48Je ne me voyais pas sortir d'ici.
02:50L'extérieur, quand j'appelle ça l'extérieur,
02:54la frontière n'était pas très loin,
02:56deux, trois rues plus loin.
02:57Vous pouvez faire peur.
02:58Il y a une phrase qui m'a toujours marqué.
03:00Un jour, un ami me dit
03:02« J'ai l'impression qu'il y a deux mondes.
03:04Il y a eux et puis il y a nous. »
03:06Alors que c'est tout simplement des barrières qu'on se met.
03:11Ce pour qui ça a été le plus difficile de quitter la cité,
03:15c'est les retraités.
03:17C'est la génération de nos parents
03:19à qui on a dit qu'il va falloir partir
03:24et qu'ils se sont rendus compte qu'ils n'étaient que locataires
03:27et que ce n'était pas chez eux.
03:28Sinon, pour la plupart de ceux de ma génération,
03:33il y avait un côté « Elle a fait son temps. »
03:37On est passés à autre chose.
03:38Et puis en même temps, il y a tous les souvenirs.
03:43Tout à l'heure, je me baladais dans les appartements.
03:45C'est ma Madeleine de Proust.
03:48On a montré le film dans plein de villes
03:51comme Montpellier, Toulouse
03:53ou pas mal aussi en banlieue parisienne.
03:55Il y a toujours des personnes qui témoignent
03:58à la fin du film de la projection
04:00et qui disent « Chez moi, c'était pareil. »
04:02Moi, les murs, je ne les aimais pas.
04:04Et je ne les aime toujours pas.
04:05Mais je vois que les gens des quartiers,
04:07moi, j'ai une empathie pour eux.
04:09Et les gens avec qui j'ai grandi,
04:12je les aime en vrai.
04:13Ce film, c'est un peu une déclaration d'amour
04:16à ce qu'était notre jeunesse
04:19dans un quartier populaire
04:21et à ce qu'on est devenus.