Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, la gestion du maintien de l'ordre a créé de nombreuses polémiques en France. Voilà comment les choses ont évolué en seulement un an et demi.
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00:00On ne se rend pas compte, mais il y a dix ans, YouTube n'existait pas, Twitter n'existait
00:10pas, Facebook n'existait pas, dix, quinze ans, donc évidemment que ça bouleverse tout.
00:14Moi, je suis au cœur de l'action, on est en direct tout au long de la journée, il
00:24n'y a pas de coupure, c'est en continuité, tous les lives que j'ai pu faire sont toujours
00:27disponibles après coup.
00:28Il y a, je pense, le fait que beaucoup de Français de tous bords qui sont dans la rue,
00:38et donc les Français de plus en plus se disent, ça peut m'arriver à moi aussi.
00:42L'opinion publique prend conscience de ces violences policières systémiques.
00:49Moi, j'étais tout le temps en live pour Brut, des centaines d'heures de direct en
00:59immersion au cœur des cortèges.
01:01Dans cette vidéo, on va essayer de vous expliquer comment le maintien de l'ordre en France
01:05a évolué en seulement un an et demi.
01:07Pour bien comprendre le maintien de l'ordre dans l'histoire récente, en fait, il faut
01:16remonter au milieu des années 80.
01:18Le 6 décembre 1986, un jeune étudiant, Malik Ousekine, meurt sous les coups des policiers.
01:25J'ai vu trois CRS sortir de cet immeuble avec un mec qu'ils ont littéralement tabassé
01:31de façon extrêmement violente.
01:32Donc à ce moment-là, il y a des policiers à moto, ce sont des voltigeurs, ce sont eux
01:41qui tuent Malik Ousekine, deux policiers, le motard et son passager, qui descendent,
01:47qui le frappe à mort.
01:48Arrêt cardiaque consécutif aux coups portés par les policiers, arrêt cardiaque dû à
01:53la peur, une enquête est ouverte par l'inspection générale des polices pour déterminer les
01:57circonstances exactes du décès de ce jeune étudiant.
02:00C'est ce que la politique, les journalistes, les policiers ont appelé le syndrome Malik
02:06Ousekine.
02:07C'était l'idée que la police n'irait plus au contact.
02:11Le maintien de l'ordre à la française, hérité des années 80, notamment après
02:15la mort de Malik Ousekine, c'était une doctrine dans laquelle on allait très peu
02:18au contact, on restait à distance des manifestants, on considérait que la casse matérielle n'était
02:22pas très grave, tant qu'il n'y avait pas de blessés graves, et encore plus grave,
02:26un mort.
02:27Pendant des années, le modèle français, on va dire, c'était montrer sa force pour
02:31ne pas s'en servir, pour aller très vite, c'était contenir la foule, c'était la
02:35contenir à distance.
02:36Et on peut le dire, la France était plutôt bonne là-dedans, jusqu'au moment des gilets
02:44jaunes.
02:45Avec l'arrivée des gilets jaunes, il y a un changement de donne, puisque les gilets
03:01jaunes refusent d'organiser eux-mêmes leurs manifestations, refusent de les déclarer
03:04auprès des forces de l'ordre, refusent de tout contact, de toute négociation en amont
03:08sur le parcours, et donc les forces de l'ordre n'ont plus d'interlocuteurs comme c'était
03:12le cas avec les organisations syndicales.
03:14Donc il faut faire évoluer ce maintien de l'ordre, et en parallèle de ça, il y a
03:20une grande violence qui se déploie dans ces manifestations, de la part des manifestants,
03:23qui est réelle, qui, dès le début quasiment du mouvement des gilets jaunes, est plus importante
03:28que ce qu'on a connu par ailleurs.
03:30On remarque tout de suite que c'est un mouvement qu'on peut considérer d'insurrectionnel
03:42quelque part.
03:43Donc avec beaucoup de tensions, des personnes qui sont très en colère et des manifestations
03:48qui débordent vraiment de partout.
03:50Ce qui est marquant sur les premières semaines, c'est de voir des forces de l'ordre qui
03:59sont dépassées, en sous-effectif, et qui ne savent pas trop quoi faire face à ce
04:05mouvement.
04:06C'est vrai que sur certains moments off, vous avez des membres des forces de l'ordre
04:15qui peuvent venir se confier à vous, à dire que les ordres ne sont pas adaptés à la
04:20situation, qu'ils sont fatigués, qu'ils sont épuisés.
04:22Moi c'est la première fois que je vois en dehors des policiers qu'on peut voir blessés,
04:26des policiers qui vont s'asseoir sur un banc quelques minutes en disant « moi j'en peux
04:30plus, je suis KO ».
04:31Très rapidement, ce qu'on remarque, c'est que toutes les forces de l'ordre sont mobilisées
04:37et pas que celles qui sont normalement destinées sur le maintien de l'ordre.
04:41C'est-à-dire qu'on retrouve des policiers qui ne sont pas du tout formés à ça, et
04:44parmi ces forces-là, il y a notamment la BAC.
04:51Les brigades anticriminalités ont été créées pour intervenir dans les quartiers populaires.
04:58Et ce sont ces brigades anticriminalités qui ont été exportées dans le maintien
05:03de l'ordre, c'est-à-dire qu'ils sont intervenus dans les manifestations avec l'expérience
05:07qu'ils avaient acquis dans les quartiers populaires.
05:10On assiste finalement à une extension du domaine de la violence policière des quartiers
05:22populaires vers les manifestations, ce type de violence en tout cas, avec l'usage de
05:27ces armes dites « intermédiaires », comme les LBD40, comme les grenades, et ces armes
05:33causent énormément de dégâts.
05:34Et c'est notamment à partir de ce moment-là qu'on remarque une multiplication des blessés,
05:43des mutilés, au fur et à mesure des manifestations.
05:45Et si aujourd'hui on en parle de ces violences, c'est parce que les manifestations sont désormais
06:03filmées sous tous les angles, en direct, et ensuite les images sont diffusées sur
06:07internet.
06:08On ne se rend pas compte, mais il y a 10 ans, YouTube n'existait pas, Twitter n'existait
06:21pas, Facebook n'existait pas, 10-15 ans.
06:23Donc évidemment que ça bouleverse tout.
06:25Ça ne veut pas dire qu'avant il n'y avait pas de violence policière, non, ça veut
06:27dire qu'elle n'était pas diffusée.
06:29Aujourd'hui elles sont diffusées, elles sont contextualisées.
06:32C'est cette visibilisation par les vidéos, par l'usage des vidéos grâce au téléphone
06:45portable ou grâce à la présence de journalistes indépendants qui a permis la visibilisation
06:50de ces violences policières.
06:51Là l'avantage c'est qu'on est en direct tout du long, du début à la fin, donc on
07:00a l'événement déclencheur jusqu'à, entre guillemets, sa résolution jusqu'à
07:03sa fin.
07:04Donc il n'y a pas de coupure, c'est en continuité, et l'ensemble des vidéos qu'on a pu tourner
07:16c'est-à-dire que tous les lives que j'ai pu faire sont toujours disponibles après
07:19coup.
07:20Avec la diffusion de toutes ces violences pendant le mouvement des gilets jaunes, les
07:23français commencent à s'interroger sur le maintien de l'ordre dans le pays.
07:27Mais c'est la mort d'un jeune Nantais dans un contexte festif qui va faire prendre
07:30conscience à l'opinion publique qu'il y a un problème avec la doctrine policière
07:34actuelle.
07:35La police des polices saisie à Nantes après une opération controversée des forces de
07:44l'ordre durant la fête de la musique vendredi, un jeune est toujours porté disparu.
07:48Fête de la musique, sur les quais de Loire, il y a des DJs, la police arrive, demande
07:55aux DJs d'arrêter, tous les DJs arrêtent, sauf un, qui relance ses platines et qui
08:01met un morceau des Bergeria Noire qui s'appelle Porchevel, qui est une chanson anti-flic.
08:06A 4h30 du matin, la police intervient pour faire cesser la musique, comme on le voit
08:12sur cette vidéo tournée par des fêtards.
08:15Très vite, la situation dégénère.
08:18Vous avez des lacrymogènes, des jets de projectiles, etc, etc, à charge de police,
08:27tombe dans la Loire un certain nombre de personnes et une ne remontera pas, Steve.
08:32Moi je me suis rendu là-bas justement pour brut, pour faire un live, pour montrer un
08:36peu ce qu'il s'y passait, pour montrer l'émotion qui était énorme justement dans
08:40cette ville.
08:41Ils avaient fait une chaîne humaine face à la Loire, à l'endroit où il avait disparu.
08:44Police partout, justice nulle part !
08:54Steve, de mon point de vue, c'est l'aboutissement d'un maintien de l'ordre en roues libres,
08:59puisque là, a priori, les forces de police en présence, c'est plutôt des BAC, c'est
09:04plutôt des compagnies d'intervention, c'est plutôt des policiers qui sont formés à
09:09l'anti-émeute, pas du tout au maintien de l'ordre.
09:15Et la mort de Steve, elle rappelle évidemment Malik Oussekine, elle rappelle les disparitions
09:22qui deviennent des enjeux politiques.
09:24Le fait qu'un jeune homme comme les autres qui part faire la fête, le soir de la fête
09:30de la musique, puisse trouver la mort au cours d'une opération de maintien de l'ordre,
09:35ça semble inacceptable pour l'ensemble des Français.
09:37Messieurs les forces de l'ordre, je vous demande aujourd'hui à vous de vous regarder
09:40dans un miroir.
09:41L'opinion publique prend conscience de ces violences policières systémiques.
09:45Les violences policières systémiques, ça veut dire une chose très simple, c'est qu'elles
09:48font système dès lors qu'elles sont suffisamment nombreuses pour considérer que ce ne sont
09:54pas que des bavures et pas des dérapages.
09:56Et après la mort de Steve, le gouvernement, il n'a plus vraiment le choix, il doit réagir.
10:01Il y a une enquête qui a été déclenchée par moi-même, avant même d'ailleurs que
10:06nous apprenions la disparition de ce jeune homme sur les conditions dans lesquelles
10:11l'opération, l'intervention policière a eu lieu.
10:13L'IGPN, l'inspection générale de la police nationale est saisie.
10:17L'IGPN, c'est la lessiveuse.
10:19Elle nous explique qu'il y a une charge de police, mais qu'il n'y a pas de lien entre
10:25la charge de police et le fait que des personnes aient plongé dans la loi.
10:30À ce moment-là, il y a une crise qui s'instaure entre une partie de la population, la police,
10:35et l'autre partie de la politique.
10:36Je viens de faire un point de situation avec le M. le ministre de l'Intérieur sur la
10:40disparition de M. Steve Maillac-Anissot.
10:43Edouard Philippe prend la parole, flanqué de Christophe Castaner, totalement muet, sur
10:50le perron de Matignon.
10:51À l'issue du travail de l'inspection générale de la police nationale, des questions restent
10:55donc posées.
10:56L'enchaînement des faits reste confus.
10:59Je ne peux évidemment pas m'en satisfaire.
11:04Cette phrase est intéressante, parce qu'il reconnaît qu'il y a quelque chose qui ne
11:09va pas.
11:18Les gens ont peur de venir manifester, des gens qui venaient à toutes les manifestations
11:22ne viennent plus forcément.
11:23C'est des choses qui marquent, et même encore aujourd'hui, je veux dire, il ne faut pas
11:27oublier que quand on est journaliste, on est aussi des êtres humains derrière avec une
11:31sensibilité.
11:32Les événements, on les a vécus en première ligne, c'était des situations humaines au
11:36travers de ces blessés qui étaient assez dures à vivre et assez prenantes.
11:40Aujourd'hui, clairement, la police française et le gouvernement se cherchent sur la question
11:47du maintien de l'ordre.
11:48Quand un policier commet une violence, est-ce qu'il est responsable individuellement ou
11:52est-ce qu'il y a aussi une responsabilité de l'État, des autorités, de sa hiérarchie
11:56qui ne lui a pas donné les moyens, qui ne lui a pas donné la formation nécessaire.
11:59Et cette responsabilité de l'État, de l'autorité, du ministère de l'Intérieur, elle est rarement
12:04questionnée.
12:05Le maintien de l'ordre à la française, c'est quelque chose qui a existé, mais qui a été
12:11pulvérisé sous nos yeux, mois après mois, semaine après semaine.
12:16Et donc aujourd'hui, on reparle constamment du maintien de l'ordre à la française,
12:21mais en fait, c'est un souvenir.