Épuisée après la 1re vague, Nora Sahara a quitté son métier d'infirmière. Manque de moyens, de considération… Elle témoigne.
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00:00Bravo, bravo !
00:06Depuis septembre, j'ai arrêté le métier d'infirmière
00:08parce que je n'ai pas pu faire, comme beaucoup d'infirmières,
00:10on était 10% à être encore à un arrêt,
00:12je n'ai pas pu faire face à la deuxième vague,
00:14autant physiquement que psychologiquement,
00:17et aujourd'hui, je suis toujours infirmière,
00:19mais je n'exerce plus, comme beaucoup.
00:21Pendant la première vague, on était tous toutes solidaires,
00:24on a fait face, même si on était face à l'inconnu,
00:26parce qu'on n'avait pas beaucoup d'informations,
00:28on était très angoissés, c'est la première fois en 15 ans de carrière
00:31que j'étais angoissée en allant au travail.
00:33Je suis tombée malade, j'ai fait partie des premiers soignants contaminés,
00:36même si au début j'ai fait un déni, pour moi ce n'était pas possible,
00:38je ne pouvais pas avoir le Covid, j'étais là pour soigner,
00:40et en fait j'ai eu des symptômes très rapidement,
00:43j'ai passé 15 jours assez compliqués,
00:45et puis en revenant au travail, je me suis rendu compte
00:47que c'était un retour normal,
00:49on ne m'avait pas testé, on n'avait pas testé mes collègues, rien du tout,
00:52on faisait comme si on n'était pas en pleine crise,
00:55et au fil du temps, j'ai fait une rechute,
00:57je me suis arrêtée, et c'est ce qui a fait que les mois à venir,
01:00je n'arrivais plus à faire face à la situation.
01:03Aujourd'hui quand on parle du manque de moyens,
01:05c'est par exemple quand on arrive dans un service en chirurgie,
01:07qu'on a 20 patients, qu'on est toute seule avec une aide-soignante,
01:10et qu'il n'y a pas de médecin sur place la nuit,
01:12pas de réanimateur, rien du tout,
01:14donc on a des patients qui sont opérés le jour même,
01:16et s'il y a une urgence, on est obligé de faire face.
01:18C'est aussi une infirmière dans un EHPAD,
01:20qui a 100 patients à charge,
01:22donc je ne sais pas comment on peut soigner 100 patients toute seule,
01:25avec 4 aides-soignantes, c'est inhumain.
01:27C'est aussi ce manque de matériel,
01:29quand une infirmière me raconte qu'on prend un drap,
01:31et qu'on coupe des morceaux pour faire des gants.
01:33Lorsqu'on est à un dîner en famille, c'est notre jour de repos,
01:35et on nous appelle et on nous demande de venir.
01:37Mais on nous met la pression parce qu'on nous dit qu'il faut venir,
01:40sinon le jour où on demandera un congé, peut-être qu'on ne l'aura pas.
01:42C'est ça la réalité du terrain aujourd'hui,
01:44et c'est ça que dénoncent les soignants.
01:46Dans son livre Hôpital, si les gens savaient,
01:48Nora Sahara a recueilli des centaines de témoignages de soignants,
01:51partout en France.
01:53J'ai voulu aller sur le terrain, rencontrer les infirmières,
01:55parce qu'il y a eu les manifestations en 2019,
01:57et je me suis dit, encore une fois, des manifestations,
01:59on n'est pas entendus.
02:01Et puis il y a cette image qui m'avait marquée,
02:03c'était ces infirmières gazées.
02:05Et en fait, pendant plusieurs jours, on n'a parlé que de ça,
02:07dans les médias, mais on n'a pas parlé du message,
02:09de ce qu'elles demandaient.
02:11Et donc je me suis dit, je vais aller sur le terrain,
02:13dans le pays, et je vais rencontrer ces infirmières et les interroger.
02:15Ce qui m'a frappée, c'est vraiment ce mal-être sur le terrain.
02:17J'ai rencontré des étudiants,
02:19quand ils me parlent de tentative de suicide,
02:21parce qu'ils étaient à bout, au bout du deuxième stage,
02:23et qu'ils ont fait face à la mort, à la maladie,
02:25et qu'on ne les avait pas préparés, ça m'a marquée.
02:27Quand j'ai entendu des infirmières de bloc opératoire
02:29qui ont fait des fausses couches par la charge du travail,
02:31ça m'a encore plus marquée.
02:33Et j'ai trouvé ça révoltant et injuste.
02:35Injuste parce qu'ils sont là pour soigner,
02:37et en fait, qui les soigne ? Personne.
02:39Personne ne s'occupe d'eux.
02:41Il y a une détresse psychologique énorme,
02:43et en fait, elle est balayée d'un revers de main.
02:45On leur demande d'être là, au poste,
02:48Unanimement, les infirmières aujourd'hui me disent
02:50qu'elles sont épuisées, elles sont à bout.
02:52Il y a celles aujourd'hui qui sont encore en service,
02:54donc qui tiennent, mais jusque quand ?
02:56Et puis, il y a toutes celles qui sont parties
02:58après la première vague.
03:00Il y avait déjà des départs avant le Covid,
03:02mais là, ça a accéléré, les départs se sont accélérés.
03:04Et puis, il y a celles qui vont partir en retraite
03:06et qui ont accéléré leur retraite,
03:08et qui me disent, on préfère partir maintenant,
03:10parce que là, on n'en peut plus.
03:12Rien ne change sur le terrain, et si on fait un arrêt sur image,
03:14c'est pire qu'au début de la première vague.
03:16On nous a érigés en tant qu'héros,
03:18mais en fait, non, on faisait juste notre métier,
03:20ce qu'on fait depuis des années.
03:22Mais là, pour une fois, on a vu la réalité du terrain,
03:24et on a vu ô combien c'était nécessaire
03:26qu'on travaille dans des bonnes conditions.
03:28Pourquoi ? Parce qu'on était tous des patients potentiels.
03:30On s'est tous dit, peut-être qu'on va se retrouver à l'hôpital.
03:32Et c'est là où on a vu l'importance du système de soins
03:34et l'importance des soignants.
03:36Mais après, aujourd'hui, il en reste très peu de choses.