La députée Perrine Goulet a été placée en foyer quand elle avait 9 ans. Elle raconte cette période difficile et le combat qu'elle mène pour que les enfants placés ne soient pas les "oubliés de la République"…
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00:00Je caresse le doux rêve que d'autres enfants placés comme moi siègent un jour dans l'hémicycle.
00:09J'ai été placée suite au décès de ma maman.
00:18Au début, effectivement, j'ai été très mise sous pression par des plus grandes
00:23qui essayaient de me voler mes affaires, qui me demandaient de faire leur corvée ménagère.
00:30Malheureusement, après, c'est moi qui étais comme ça avec les autres.
00:35Je n'ai jamais frappé un enfant, je n'ai jamais agressé sexuellement un autre enfant,
00:39mais je leur ai fait faire mes corvées, je leur faisais peur.
00:44Parce que c'était comme ça que ça fonctionnait.
00:46Les plus grands devenaient, entre guillemets, les bourreaux.
00:49J'ai vu des agressions sexuelles sur le lit d'à côté, puisque c'est des chambres collectives.
00:54C'est vraiment un no man's land, c'est la loi du plus fort.
00:59Moi, à l'époque, c'est la loi du plus fort.
01:01Il y a des éducateurs que je ne me souviens pas du tout.
01:04Par contre, je me souviens très bien des éducateurs qui n'étaient pas bien à leur métier,
01:11qui s'occupaient mal de nous.
01:13Je m'en souviens très bien, les prénoms, les visages, je les croise dans la rue,
01:16je change de trottoir parce que je pense que je serais capable de leur sauter dessus.
01:19Moins maintenant, mais à l'époque, c'était ça.
01:21Par exemple, le jour où j'ai eu mes règles, j'ai pris une baffe par mon éducatrice.
01:27C'était le rite pour passer à l'âge adulte.
01:32Des violences, c'est « t'es malade, on te laisse toute la nuit sur le carreau,
01:36dans les toilettes parce que c'est le seul endroit où il fait frais,
01:39c'est le seul endroit quand t'as de la fièvre où ça fait baisser,
01:41personne ne vient te voir, personne ne te donne de cachet ».
01:43Il n'y a pas de gestes tendres comme on peut avoir,
01:46il n'y a pas d'au revoir gentil au coucher, il n'y a pas d'histoire,
01:50il n'y a pas tout ça.
01:52Tout ce qui se ferait dans une famille normale, il n'y a pas.
01:55Des bons moments, si, des sorties avec les éducateurs que j'aimais bien.
02:00Et puis après, effectivement, je m'en rappelle beaucoup,
02:03j'ai essayé tout le temps de sortir, d'aller au hand, d'aller au hand,
02:05parce que c'était vraiment ma bouffée d'oxygène le mercredi et le week-end.
02:09Toutes ces années, on construit sur un château de câbles qui est sur un terrain meuble.
02:16Et puis, on avance, moi j'avais envie d'avoir ma famille,
02:20je n'en avais jamais eu, donner de l'amour, etc.
02:22J'ai eu mes enfants jeunes, et puis tout est revenu.
02:27Le château de cartes tombe parce que tout ce que je n'avais pas soigné,
02:32toute l'instabilité, puisque j'étais instable plus jeune,
02:36mais du coup j'étais encore instable, tout s'effondre.
02:40Et donc je me fais soigner, longue thérapie, et je ne suis plus la même.
02:45Cette thérapie m'a fait un bien fou, fou.
02:48Et c'est dommage qu'on ne l'ait pas fait avant,
02:50parce que je pense que j'aurais peut-être fait moins de mal autour de moi.
02:53Et c'est pour ça que je plaide vraiment,
02:56pour que ces enfants ne les voient pas comme les chiants de service,
02:59mais vraiment comme des enfants en grande souffrance
03:03qu'il faut aider psychologiquement et au point de vue santé.
03:07C'est primordial.
03:09C'est primordial si on veut que derrière,
03:11on ait des adultes bien construits dans leur tête.
03:13C'est primordial.
03:14Quand j'entends certains qui me disent
03:16« cet enfant dans un foyer, il est infernal, on n'en veut pas, etc.
03:20Il est pénible. »
03:21S'il est pénible, c'est qu'il ne va pas bien.
03:23Un enfant n'est pas pénible pour être pénible.
03:25Il est pénible parce qu'il ne va pas bien.
03:26Donc il faut comprendre pourquoi il ne va pas bien.
03:28Je suis sortie du foyer, j'ai fermé la porte.
03:31Dans mon esprit, partout.
03:34J'ai tout fermé, la porte.
03:36Mes conjoints ont su que j'étais en foyer,
03:38mais peu de choses.
03:40Je ne me suis pas réintéressée à ça.
03:42J'avais déjà assez de choses à gérer entre ma famille et mes démons
03:45pour aller me replonger dans ce qui se passait.
03:49J'ai été élue députée.
03:52L'aide sociale en France ne fait plus partie de ma vie.
03:56Ça ne fait plus partie de ma vie.
03:58Je suis rapporteure sur le budget du sport.
04:01Je suis partie sur le sport.
04:02Je m'occupe de la ruralité parce que c'est important.
04:05Je m'occupe des sujets de santé
04:08parce que dans mon territoire, c'est criant.
04:10Le sujet est revenu.
04:13J'ai commencé à rencontrer des enfants, des éducateurs.
04:19Au fur et à mesure, leur témoignage m'a interpellée.
04:22Ça fait 20 ans, mais il y a énormément de témoignages.
04:25Les jeunes sont sortis il y a 5, 6, 7 ans.
04:27C'est hier.
04:28C'est pour ça que j'essaie d'aller dans les institutions.
04:32C'est très frileux.
04:34C'est-à-dire qu'il est plus compliqué pour moi en tant que députée
04:36d'aller dans un foyer de l'enfance que d'aller à la prison.
04:39C'est quand même étonnant.
04:41Alors aujourd'hui, je vous demande, madame la ministre,
04:43que comptez-vous mettre en place pour rendre l'aide sociale à l'enfance
04:46égalitaire, réellement efficiente
04:48et pour permettre à ces oubliés de la République d'avoir un avenir ?
04:51Je vous remercie.
04:53Il faut vraiment que tout le monde se requestionne
04:58sur cette protection de l'enfance, sur les structures collectives,
05:01sur l'appui aussi aux familles d'accueil,
05:04pour avoir un peu entendu les professionnels.
05:07On est tombés là dans un cercle parce qu'on ne sait pas forcément
05:11mettre l'argent au départ sur la formation,
05:14sur le suivi, sur un nombre suffisant,
05:16sur le suivi psy pour tout le monde,
05:18soit les enfants ou les professionnels.
05:20Il faut vraiment qu'on voit cette politique autrement
05:23et qu'on la change.
05:24Ce n'est pas juste mettre des enfants à l'écart
05:26en disant on les a mis, on les a protégés.
05:28Non, il faut les préparer à être les citoyens de demain.
05:30J'ai tellement souffert dans mon enfance
05:32d'avoir cette étiquette « enfants placés »
05:34et d'avoir des relations biaisées avec les gens à cause de ça
05:38que c'est un peu ce qui me fait peur aujourd'hui.
05:40Je me dis là, quand je vois l'état de cette protection de l'enfance,
05:44tant pis si je dois être le porte-parole des ex-enfants.
05:47Si je dois me rester, ça me restera,
05:49mais il faut se battre pour ces enfants.