Catégorie
📺
TVTranscription
00:00Est-ce qu'aujourd'hui, c'est difficile de dire que la France est un pays raciste ?
00:05La France est un pays raciste. Period.
00:08Non, c'est pas difficile. En tout cas, moi je le dis.
00:11Il y a certaines personnes peut-être pour qui c'est dur à entendre.
00:13Pour une personne qui n'est pas noire,
00:15comprendre que la négrophobie est partout, même au sein de sa famille,
00:19même dans la bouche de son oncle, au déjeuner, aux fêtes d'anniversaire,
00:23c'est tout un travail en fait.
00:25On est tout le temps sans cesse en train de plaider notre humanité.
00:28La charge raciale, ce sont des stratégies d'adaptation
00:31que les personnes racisées mettent en place pour survivre dans des espaces majoritairement blancs.
00:35Il va s'agir de modifier son apparence, sa personnalité, sa manière de se comporter.
00:40Cette charge, elle est à la fois historique,
00:42elle est donc institutionnelle et elle est tout aussi intime, intrapersonnelle.
00:46C'est très difficile d'être soi au travail,
00:48mais en tant que personne noire, racisée, on va porter ce masque-là.
00:52Le fait par exemple d'être une personne introvertie,
00:54ça va être très mal vu quand on est une femme noire.
00:56On va forcément avoir un certain soupçon.
00:59On va nous percevoir comme hautaine, ou agressive, ou très solitaire.
01:05Alors que c'est déjà un trait de personnalité,
01:08mais surtout aussi dans un milieu comme ça, où on est en général minoritaire,
01:12c'est une manière de se protéger aussi.
01:14Les femmes noires sont perçues avec des archétypes qui sont très ambivalents.
01:17Donc la angry black woman, les hommes noirs, les hommes racisés,
01:20face aux violences policières, subissent aussi de la violence de genre.
01:24Ils sont tués, attaqués, malmenés, incarcérés, profilés racialement,
01:31parce que des masculinités dites subalternes a dominé, abolir, etc.
01:36On est tout le temps renvoyé à un ailleurs,
01:38on est tout le temps renvoyé à la figure de l'étranger.
01:41C'est ce qui nous fait le plus mal.
01:43Nos parents nous l'ont rappelé, nous ont prévenu.
01:45Nous on le vit, et peut-être que les gens qui viendront après nous le vivront aussi.
01:49Ma mère m'a fait comprendre qu'il fallait que j'en fasse trois, quatre fois plus.
01:53C'est ce qu'aux Etats-Unis on appelle « the talk », la discussion.
01:57Nous, dès l'enfance, on perd cette insouciance-là.
02:00On n'a pas le luxe d'être insouciants et innocents face au racisme et face à la vie.
02:05Alors que les enfants blancs, ils sont plutôt préservés.
02:09Les enfants noirs voient beaucoup plus des enfants blancs que l'inverse,
02:13notamment à la télé.
02:15A chaque fois qu'on va dénoncer, pointer du doigt une attitude, une remarque,
02:19un comportement raciste, la personne en face va vraiment inverser
02:22la culpabilité. Et donc ça aussi, ça fait partie de cette charge raciale-là,
02:26que de toujours ravaler justement et de ne pas dire les choses telles qu'elles sont.
02:30Cette charge raciale, elle est dangereuse, elle est fatigante.
02:33Il y a cette peur face à l'institution médicale, parce qu'il y a le syndrome méditerranéen,
02:39où notre douleur, notre souffrance face aux institutions médicales
02:43n'est pas prise en compte, ou en tout cas elle est perçue comme exagérée.
02:46Et de l'autre, à cause du stress permanent, quotidien, de ces stratégies d'adaptation,
02:51du racisme vicarian, la peur de voir une personne dont on t'entourage mourir,
02:56tout ça, ça crée du stress. Et le stress, littéralement, c'est le poison numéro 1 de notre corps.
03:01On va avoir des crises cardiaques parfois, prématurées, des infertilités,
03:06des fausses couches, donc des comorbidités que les personnes noires,
03:09parce que précaires, parce que racialisées, vont se traîner tout au long de leur vie.
03:14Et tu parles aussi de l'espace urbain, qui est un musée de l'histoire coloniale française.
03:19Oui, et la question de l'espace, qui est fondamentalement colonial, sexiste,
03:26c'est pour moi les derniers vestiges de cet inconscient collectif.
03:30On passe devant ces statues à chaque fois, et la France nous crache un peu au visage,
03:36en nous disant que vos victoires, vos combats, vos luttes,
03:40elles ne sont pas assez importantes. Et vouloir les revendiquer,
03:44ce serait effacer une histoire à laquelle on tient beaucoup trop.
03:48Comme si notre histoire, comme si l'histoire des luttes à Haïti,
03:53en Martinique, en Guadeloupe, dans des anciennes colonies françaises en Afrique,
03:57ne valait pas la peine d'être érigée en monument.
04:00Pour les personnes blanches qui veulent justement que se décrètent alliées antiracistes,
04:05est-ce que j'écoute réellement quand on me parle ? Est-ce que je fais le travail pédagogique
04:09parce qu'on se croit toujours être une bonne personne ?
04:11C'est aussi peut-être trouver une histoire familiale qui est déplaisante.
04:17Ce n'est pas narcissique de comprendre ce qu'on a vécu dans l'enfance,
04:20ce qu'on a vécu dans l'adolescence, parce qu'en tant que personnes noires et racisées,
04:24on est tellement dans la survie qu'on a du mal à faire cette enquête-là de soi.
04:28C'est très difficile de combattre le racisme, de lutter contre cet état des choses
04:33quand on ignore les blessures qu'on porte en soi.
04:37Je pense que c'est très important pour les personnes qui le peuvent
04:41d'aller chercher en termes de thérapie, de faire une archéologie de soi.