L'ancien commissaire au marché européen au Marché intérieur précise lundi 17 mars sur franceinfo qu'il "ne faut pas du tout" "négliger d'un revers de main" le conclave sur les retraites pour autant.
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00:00France Info soir, l'invité Agathe Lambret.
00:04Bonsoir Thierry Breton.
00:05Bonsoir.
00:06Vous avez été commissaire européen au marché intérieur, vous avez été ministre de l'économie.
00:10Différentes fonctions qui font que votre éclairage est utile dans cette période politique et géopolitique troublée.
00:16Pour commencer, je voudrais vous faire réagir à cette sentence du Premier ministre hier,
00:20interrogé sur le retour de l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans.
00:24François Bayrou a répondu non, c'était sur France Inter,
00:28alors que c'est lui qui avait confié aux partenaires sociaux la mission de plancher sur la réforme de 2023.
00:33Ce qu'il dit, est-ce que c'est une évidence ?
00:36Il y a d'abord l'aspect politique de votre question et puis l'aspect économique.
00:40Sur l'aspect économique, si vous le permettez, il est évident qu'aujourd'hui,
00:44quand on regarde ce qui se passe notamment dans les autres pays européens,
00:47où tout le monde maintenant est à 65, 66, 67 ans,
00:50l'allongement de la durée de vie va de pair évidemment.
00:54Dans beaucoup de nos pays voisins, avec l'allongement de la durée du travail
00:58tout au long de la vie, dans des conditions évidemment qui soient acceptables
01:02et en tenant compte de la pénibilité des carrières qui ne sont pas homogènes,
01:06par définition bien entendu, pour les uns et pour les autres.
01:10Ce débat français, c'est une aberration ?
01:13En tout cas, nous ne sommes le seul à le tenir, le seul.
01:16C'est l'aspect économique évidemment, et on sait bien qu'aujourd'hui,
01:20le régime des retraites est en déficit et que c'est absolument intenable.
01:23Donc il faut absolument le régler, ça a été du reste les propos,
01:26compte tenu et le Premier Ministre, mais aussi le Premier Président de la Cour des Comptes.
01:31Donc là-dessus maintenant, je pense que, j'espère qu'à la suite de ce conclave,
01:35et c'est donc la deuxième ou la première partie de votre question, l'aspect politique...
01:39Ce conclave des partenaires sociaux, est-ce qu'il n'est pas déjà enterré ?
01:43Je pense que ce qui est très important, c'est que l'ensemble des partenaires sociaux
01:47et de toutes les parties prenantes au sens large partagent le constat économique,
01:51qui est un constat qui ne peut durer en l'état, et donc trouve des solutions.
01:57Maintenant, est-ce qu'il faut avoir une réponse aussi tranchée ?
02:01Est-ce qu'on peut avoir des départs qui soient différenciés en fonction,
02:05encore une fois, du début du travail, du nombre d'annuités qui ont été accumulées
02:11tout au long de sa vie de travail, de la pénibilité des uns et des autres ?
02:15C'est peut-être ce qu'il faut discuter.
02:17Je pense que quand le Premier ministre dit qu'un retour stricto sensu, le même pour tous à 62 ans,
02:22ne semble pas possible dans le contexte économique tel que nous le connaissons,
02:26ça me semble être du bon sens.
02:27Et il n'est pas déjà dépassé ce conclave, comme dit Édouard Philippe.
02:30Finalement, est-ce que François Bayrou n'a pas mis en place ce conclave pour s'acheter un peu de temps ?
02:35Non mais, c'est effectivement la démarche politique.
02:38Il a fallu d'abord passer le budget, c'était absolument indispensable.
02:42On a quand même usé, pardon cette expression un peu triviale,
02:44mais enfin, trois gouvernements pour avoir un budget qui, par ailleurs, n'est pas,
02:49je ne vais pas agir à personne en le disant, vraiment glorieux.
02:51Parce que passer de 6% de déficit à 5,4, dont beaucoup nous disent qu'il sera très difficile même à atteindre
02:56et qu'on serait peut-être plus près de 5,7, 5,8, voire 6 encore en 2025, j'espère pas évidemment.
03:02Donc, on voit que ce n'est pas très glorieux.
03:04Mais enfin bon, c'est maintenant en tout cas, on a un budget.
03:07Cette discussion était une discussion qui faisait partie du consensus politique.
03:10Il ne faut pas du tout le négliger, n'a revers de main.
03:12C'est important, les consensus politiques, même s'ils sont fragiles,
03:16et il faut donc le mener à son terme.
03:18Et il y a, je crois avoir compris, un certain nombre d'éléments très importants,
03:22notamment pour les carrières qui sont des carrières longues,
03:26pour les femmes qui n'auraient pas peut-être le même nombre d'annuités
03:29que les hommes dans un certain nombre de cas dont il faut tenir compte.
03:33Il y a beaucoup de choses.
03:34En tout cas, la France, face au désengagement des Etats-Unis, face à la menace russe,
03:38cherche à se réarmer.
03:40Pour cela, il faut de l'argent.
03:42Mais sans toucher au modèle social, dit le Premier ministre,
03:45sans augmenter les impôts, dit Emmanuel Macron, est-ce qu'il y a quelque chose qui coince ?
03:49Je crois qu'il faut bien qu'on soit tous conscients que nous avons un modèle social
03:53qui est aujourd'hui, auquel d'abord le projet, notre projet de vivre ensemble,
03:59nous y sommes tous très attachés.
04:01Il repose effectivement sur ce fameux modèle social.
04:05Il ponctionne aujourd'hui à peu près un tiers de la richesse, 33% de la richesse.
04:11Je rappelle que la défense, c'est 2%.
04:14C'est pour que nos auditeurs aient bien les ordres de grandeur.
04:16On dépense 2% de la richesse nationale pour la défense.
04:19On dépense 33% pour l'ensemble de la sphère sociale.
04:24Donc il faut renoncer à quoi aujourd'hui, concrètement ?
04:26Il ne faut pas renoncer, il faut revoir ce montant absolument considérable.
04:30Je rappelle quand même que la dépense de l'Etat, c'est 1600 milliards.
04:33Donc vous voyez, un tiers de 1600 milliards, c'est gigantesque.
04:36Donc il faut voir maintenant, sur cette somme effectivement,
04:39tout en maintenant l'ensemble des objectifs qui sont à atteindre
04:44avec notre projet social commun,
04:46il faut voir si on peut travailler un peu mieux et peut-être dégager.
04:49Vous voyez, regardez, de quoi on parle ? 1% ?
04:51Si jamais on dégageait 1%, un petit pourcent,
04:55eh bien ça paierait l'augmentation de 2 à 3% de notre défense.
05:01Par exemple, en travaillant un jour de plus par an ?
05:04Mais je ne vais pas vous donner les solutions ici.
05:06Il faut se mettre autour de la table.
05:07C'est 1000 chantiers, comme disait Jacques Le Sourne,
05:11les 1000 chantiers de l'avenir.
05:12Ou au moins, je préfère dire les 1000 chantiers de l'avenir
05:15qu'il faut maintenant mettre ensemble, travailler sur ce projet.
05:19On maintient le projet, mais on regarde comment on peut peut-être économiser un tout petit peu.
05:23Je le redis, ce n'est pas des montants considérables
05:25par rapport à la masse de ce que nous dépensons.
05:27Mais si on le fait, ça peut effectivement contribuer à financer l'augmentation de défense
05:32qui, elle, est existentielle, on le voit aujourd'hui pour nous.
05:35Et tous les pays européens cherchent des financements.
05:38L'Europe cherche des financements.
05:39La semaine dernière, à l'Assemblée, les députés ont voté une résolution
05:42qui appelle à saisir les avoirs russes gelés pour aider l'Ukraine.
05:46On parle de 235 milliards d'euros au total.
05:49Est-ce que ce n'est pas ça la solution ?
05:50On entend un peu tout et son contraire.
05:52Certains disent que ce serait illégal.
05:54D'autres disent que ça ferait fuir les investisseurs.
05:56Raphaël Glucksmann, il balaye tous ses arguments.
05:58Il est pour cette idée.
06:00Qu'est-ce que vous en pensez, vous ?
06:01Est-ce qu'on peut le faire ou pas ?
06:04Je suis très en soutien avec ce que dit Raphaël Glucksmann dans beaucoup de domaines.
06:09Et je comprends bien pourquoi, du reste, il pousse avec beaucoup d'autres sur cette proposition.
06:14Je, personnellement, et vous faisiez référence au fait que j'ai été aussi ministre de l'économie et des finances,
06:20je serais un tout petit peu prudent sur le timing, sur le tempo.
06:24Je pense qu'il est beaucoup plus raisonnable de garder, pour l'instant, ce montant.
06:28C'est effectivement 200 milliards qui sont donc gérés aujourd'hui par Euroclear à Bruxelles.
06:34Je rappelle que les intérêts qui sont générés, ça, on les a pris.
06:38On les utilise.
06:39On les utilise précisément pour financer.
06:41Mais c'est beaucoup moins important comme ça.
06:43Oui, mais on finance quand même un prêt qui va jusqu'à 35 à 40 milliards.
06:47Ça a soi, donc c'est quand même des montants qui sont considérables.
06:49Pourquoi vous êtes partisan de laisser ces fonds, alors ?
06:51Pour deux raisons, je dirais.
06:53La première, c'est qu'effectivement, on est, nous, un état de droit.
06:59Peut-être le dernier état de droit de la planète, mais nous y sommes très attachés.
07:02Et il n'y a pas de règles aujourd'hui.
07:03On peut saisir comme ça.
07:05Il n'y a pas de guerre.
07:07Je rappelle que nous ne sommes pas en guerre contre la Russie.
07:10Donc, on n'est pas en guerre.
07:12Et saisir comme ça...
07:14Oui, l'Ukraine est en guerre.
07:16Mais là, il ne s'agit pas de l'Ukraine.
07:17Donc, il faut être attentif.
07:19Je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire.
07:21Mais je pense que ce qui est très important, c'est de garder cette potentialité.
07:25Vous avez peur du signal envoyé à certains pays ?
07:27Je n'ai pas le signal.
07:28C'est tout simplement selon quelles règles de droit.
07:30Deuxièmement, et je crois qu'il faut y être conscient,
07:34la Russie a aussi des avoirs qui sont aujourd'hui immobilisés, bloqués,
07:38dans de nombreuses entreprises européennes, très nombreuses même.
07:42Donc, il faut toujours veiller aux effets de réciprocité.
07:45Qu'est-ce que ça peut provoquer ?
07:47Et puis, troisièmement, et tout ceci n'est pas négligeable,
07:50et puis troisièmement, personnellement, je pense qu'il est peut-être plus judicieux.
07:55On trouvera les moyens pour financer.
07:57On en reparlera peut-être tout à l'heure.
07:59Je rappelle quand même que le PIB de l'Europe, c'est entre 17 000 et 18 000 milliards d'euros.
08:06Donc, on trouvera les moyens.
08:07En revanche, discuter ensuite.
08:10On espère tous qu'on arrivera à un moment où on va discuter d'un cessez-le-feu.
08:14Et puis, on l'espère tous, c'est une paix.
08:16Et quand il viendra dans les discussions des modalités de ce cessez-le-feu, voire de la paix, de la réparation,
08:24parce qu'il faudra parler de la réparation, et en particulier, il y a un pays agressé, il y a un pays agresseur,
08:28garder, je dirais, ses réserves à ce moment-là me semblerait plus judicieux, à la fois tactique,
08:35mais également d'un point de vue juridique.
08:37Voilà, c'est pour ça que je suis plutôt dans une dynamique
08:41où je pense qu'il est très important de maintenir la pression sur l'existence de ces avoirs
08:45et le fait qu'on peut les mobiliser, peut-être à un moment,
08:48mais le faire plutôt quand on sera plus avancé, je dirais, du cessez-le-feu et de l'arrêt des hostilités.
08:54Justement, Donald Trump et Vladimir Poutine doivent se parler au téléphone.
08:58Les Européens sont exclus des discussions, mais ils essayent de peser.
09:02Ils discutent avec le Canada, avec l'Australie, avec le Royaume-Uni, 5 ans après le Brexit.
09:08Est-ce qu'on assiste aussi à une reconfiguration de l'ordre européen en ce moment ?
09:13Alors, tout le monde le voit, il y a une discussion aujourd'hui qui s'est opérée,
09:16qui s'opère entre les États-Unis et en particulier Donald Trump et la Russie avec Vladimir Poutine.
09:24Très bien, on y discute.
09:26On ne peut pas se plaindre du fait que maintenant certains veuillent aboutir à un cessez-le-feu.
09:33C'est quand même une situation qui est dramatique sur le front.
09:36Le nombre de victimes par jour est absolument considérable, des deux côtés du reste.
09:40Donc voilà, c'est une chose qui est vue évidemment positivement.
09:44Maintenant, à quelles conditions et comment ?
09:46Alors bon, pour l'instant, ils discutent ensemble.
09:48Très bien.
09:49Eh bien nous, voyez-vous, Européens, on a décidé de faire ce que nous devions faire.
09:53C'est-à-dire, un, se mettre en mouvement pour augmenter très sensiblement notre outil de production industrielle de défense.
09:59On pourra peut-être en parler, c'est très important.
10:01Il faut le faire, reprendre notre destin en main.
10:03Voilà, c'est très important.
10:05Et deuxièmement, commencer aussi à travailler entre nous sur l'architecture, les modalités de l'architecture de sécurité
10:12qu'il faudra mettre en place pour sécuriser ce que nous espérons être un cessez-le-feu, voire peut-être un traité de paix.
10:18On sait que Vladimir Poutine n'en respecte aucun.
10:21On est quand même maintenant, je dirais, payé pour le voir, depuis maintenant hélas de trop nombreuses années.
10:26Donc tout ce qui sera signé doit être garanti par des modalités, y compris peut-être,
10:32et c'est ce qui est discuté aujourd'hui avec les alliés, vous parlez d'une trentaine de pays.
10:36C'est une première où tous les pays européens, bien entendu, mais aussi la Grande-Bretagne, mais aussi la Norvège.
10:42Vous avez parlé de l'Australie et du Canada, mais on pensait aussi de la Turquie.
10:47Tout le monde se réunit parce qu'on veut jouer, on sait que c'est de notre intérêt européen,
10:53mais aussi en ce qui concerne peut-être des pays comme le Canada, des pays comme l'Australie,
10:58de ce que nous représentons, de ce que représentent aussi pour nous les valeurs qui font de notre état de droit ou nos états de droit.
11:04Donc c'est absolument indispensable que l'on travaille aujourd'hui en parallèle.
11:07On verra bien où vont aboutir les discussions.
11:10Le moment venu et ce moment va venir.
11:12Il faudra une tierce partie, évidemment, nous garantissons donc, je dirais, les modalités de cette paix.
11:18Et c'est ce qui est en train de discuter avec ou sans, et je pense que ce sera plutôt avec, un backstop venant des Etats-Unis.
11:24Mais là, le fait que les chefs d'état-major de ces 30 pays se réunissent sous l'égide du Président de la République et du Premier ministre britannique,
11:33me semble être une avancée importante, et que nous fassions, nous, ce que nous avons à faire,
11:38on augmente notre capacité de production, on augmente notre soutien à l'Ukraine,
11:41et on commence à travailler sur les modalités de l'architecture de sécurité.
11:45Et le plan de 800 milliards d'euros annoncé par l'Union Européenne, dont 150 milliards de prêts pour réarmer l'Europe, il va dans le bon sens ?
11:51Alors, ce n'est pas un plan aujourd'hui. C'est uniquement les premiers, les tout premiers, les premières modalités que la Commission européenne a annoncées.
11:58C'est évidemment un début, très insuffisant, mais c'est un début, il faut se féliciter de ce début.
12:03Il dit d'autres choses, il dit, compte tenu de l'urgence dans laquelle nous sommes, on va libérer les clauses du pacte de stabilité et de croissance
12:10qui contraignent, vous savez, les 3% de déficit et les 60% d'endettement, on va les lever.
12:14Donc, comme on l'avait fait du reste pour le Covid, c'est rien de nouveau.
12:17Sauf qu'il n'y a pas de don d'argent.
12:19Sauf que, on dit simplement, vous pouvez dépenser jusqu'à 1,5% de plus sans être rattrapé par les règles du pacte de stabilité et de croissance.
12:27Alors, si jamais on calcule, on dit que chaque pays dépense 1,5% pendant 5 ans, ça ferait 800 milliards.
12:32Mais ça, c'est les pays, donc tout ceci, évidemment, ça n'existe pas.
12:34C'est les modalités qui vont permettre ou non de déclencher un investissement supplémentaire.
12:39Et pour les pays qui auraient un peu de difficulté à s'endetter sur les marchés, une facilité pour utiliser le bilan de la Commission, pour avoir un accès au marché.
12:47Voilà, donc là, on en est au tout début.
12:49Maintenant, il faut travailler sur des projets industriels, sur des projets de défense, comme par exemple un dôme de sécurité aérien,
12:56comme par exemple un cyber shield pour protéger contre les attaques cyber, etc.
13:00Et ça, c'est ceci devant nous.
13:02Merci beaucoup Thierry Breton, ancien ministre de l'économie, ancien commissaire européen d'avoir répondu aux questions de France Info.
13:07Et merci Agathe Lambret, on se retrouve à 20h pour les informer.