Tout d’abord ne pas les fuir, ne pas penser qu’on va pouvoir s’en débarrasser en le décidant, ou en pensant simplement à autre chose. Ne surtout pas tomber dans ce que Pascal appelle, dans les Pensées, le « divertissement »…
La question philo par Charles Pépin dans le 6/9 de France Inter (22 Février 2025)
Retrouvez toutes les chroniques de Charles Pépin sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-de-charles-pepin
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00:00On passait la question philo tous les samedis, vous répondez aux questions des auditeurs d'Inter et aujourd'hui, c'est Charles.
00:06Charles, vous avez choisi celle de Louis sur Instagram. Que faire de nos angoisses de mort ?
00:11Eh bien, Louis, tout d'abord, ne pas les fuir, ces angoisses de mort.
00:15Ne pas penser qu'on va pouvoir s'en débarrasser en le décidant ou en pensant simplement à autre chose.
00:19Ne surtout pas tomber dans ce que Pascal appelle le divertissement.
00:22Alors le divertissement pascalien, définition, c'est cette manière de fuir la pensée de la mort
00:27en se perdant dans les mondanités, l'agitation superficielle ou même les guerres.
00:31Exactement, ou même toute action destinée à éviter de penser à la mort qui nous attend,
00:35c'est-à-dire au fond à notre humaine condition.
00:37De toute façon, ce divertissement serait inefficace.
00:40Tôt ou tard, on serait rattrapé par la pensée de ce que l'on a voulu fuir.
00:44Ce à quoi on évite de penser nous revient tôt ou tard en un effet boomerang
00:48et l'angoisse est alors plus épaisse encore.
00:50C'est d'ailleurs une autre manière de montrer les limites de ce qu'on appelle le volontarisme.
00:54Vous savez, ce « quand tu veux, tu peux » qui a fait récemment l'objet d'une autre question philo.
00:58Et bien voilà, ici encore, il ne suffit pas de vouloir ne plus penser à la mort pour le pouvoir.
01:04Bon, alors pas de divertissement, on fait comment ? On se laisse dévorer par l'angoisse ?
01:07Et bien non, on ne se laisse pas dévorer par l'angoisse,
01:10mais on ne nourrit pas non plus l'illusion de s'en débarrasser complètement.
01:13Et on revient à Pascal.
01:15« Nous sommes embarqués, écrit Pascal joliment dans les pensées, embarqués dans cette existence.
01:20Et à la fin de cette existence, il y a la mort.
01:22Et la mort, nous ne savons pas ce que c'est.
01:24Nous assistons parfois à la mort des autres, mais la mort des autres ne nous dit rien de notre propre mort.
01:29Philosopher, c'est apprendre à mourir, se préparer à mourir, disent les philosophes de Socrate à Montaigne,
01:35en passant par les stoïciens, mais la belle affaire.
01:38Comment se préparer à quelque chose dont on ignore la véritable nature ?
01:42À quoi faut-il donc se préparer ?
01:45Peut-être au fait que nous ne serons pas prêts le jour où la mort viendra.
01:49Et peut-être que le sage, c'est celui qui est prêt à bien vivre le fait qu'il ne sera pas prêt.
01:55Peut-être que la vraie sagesse, c'est de se préparer, dans la vie comme dans la mort,
02:00au fait qu'il y aura toujours une relative impréparation et qu'il faudra faire avec.
02:05Et c'est ça qui est censé nous rassurer, nous aider à être moins angoissés ?
02:09Et bien oui, finalement, parce que cela revient à dire que notre angoisse de mort est normale.
02:16L'idée n'est pas de s'en débarrasser, mais simplement qu'elle ne nous paralyse pas.
02:20Bref, d'apprendre à vivre avec la pensée de la mort.
02:23On peut donner des rendez-vous réguliers à cette pensée de la mort,
02:26ainsi que nous y inviter les stoïciens, la fréquenter le plus souvent possible,
02:30de manière à nous habituer à l'idée, pour en user le caractère angoissant.
02:35On sait d'ailleurs aujourd'hui, grâce au progrès des neurosciences,
02:37que ce n'est pas vraiment qu'on s'habitue à l'idée, c'est plutôt qu'on la voit autrement,
02:41en créant de nouveaux chemins neuronaux à force de revenir,
02:43de nouvelles connexions neuronales dans notre cerveau.
02:46Par exemple, au lieu de voir l'idée de la mort simplement négativement,
02:49on la voit comme ce qui donne son sel à la vie,
02:51et comme un mystère qui est finalement plus électrisant qu'angoissant.
02:54Et si tout ça ne marche pas, Charles ?
02:56Ça marchera toujours mieux que d'éviter d'y penser.
02:58Mais si toutefois ça ne suffit pas, alors pensons à la vie.
03:01Qu'est-ce qui est important dans ma vie ?
03:03Qu'est-ce que je dois avoir fait avant de mourir ?
03:05Car si la mort nous angoisse tant, c'est parce qu'elle menace de venir trop tôt
03:09et de nous empêcher de faire ce que nous avons à faire.
03:12Eh bien, empressons-nous de le faire.
03:15Et cette action-là ne sera pas un divertissement pascalien,
03:18parce qu'en elle, nous l'accomplirons avec l'idée de la mort en tête.
03:23Nous vivrons, comme l'a écrit Montaigne, à propos.
03:26Et la conscience de notre mort nous rendra non pas plus angoissés,
03:29mais plus lucides, plus responsables et surtout plus vivants.
03:32Pour modérer cette angoisse de la mort, il y a la joie.
03:36C'est le titre de votre pièce de théâtre,
03:38les 3 et 10 mars prochains au Théâtre du Montparnasse à Paris.
03:41Merci Charles Pépin.