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00:00Europe 1 Soir Week-end, 19h21, Pascal Bellator-Dupin, bonsoir Frédéric Ploquin, bonsoir, merci
00:08d'être avec nous en direct sur Europe 1, journaliste, spécialiste du grand banditisme
00:11et auteur de l'ouvrage Confessions d'un patriote corse, des services secrets français
00:16au FLNC aux éditions Fayard.
00:18Frédéric Ploquin, je voulais vous entendre parce qu'on a tous été ébahis par une
00:22nouvelle actualité à Grenoble, cette fois-ci on a peut-être franchi une ligne rouge, êtes-vous
00:27surpris ? C'est une grenade, une grenade à armes de guerre qui a été lancée dans
00:32un bar dans un quartier sensible de Grenoble avec 15 blessés à la clé, une grenade,
00:38vous êtes d'accord ? Frédéric Ploquin, c'est du jamais vu dans ces circonstances.
00:41Oui, est-ce que c'est encore du banditisme, est-ce qu'on n'est pas déjà dans le terrorisme,
00:47est-ce qu'on n'est pas dans ce qu'on pourrait appeler une forme de narcoterrorisme ? L'individu
00:52qui se présente devant ce bar rempli de personnes qui sont rassemblées apparemment
00:58pour regarder un match de foot de la Ligue des champions a pour objectif visiblement
01:05par ce geste de terroriser la population, que ce soit le patron du bar, le gérant du
01:10bar, les habitants du quartier, en tout cas le résultat il est de ce... il sème la terreur
01:16d'une certaine manière, donc c'est pour ça que je parle volontiers aujourd'hui de narcoterrorisme
01:21puisque ça aurait un rapport, ça pourrait avoir un rapport avec cette économie souterraine.
01:25Et en même temps, effectivement, il se balade comme ça avec sa cagoule dans la rue, sa kalachnikov
01:30en rondouillère et cette grenade. Mais comment c'est possible Frédéric Ploquin ? Ces armes
01:35de guerre, elles viennent d'où ? Comment on peut se balader avec des armes de guerre
01:38à Grenoble ou ailleurs ? Déjà pour ceux qui en doutaient, on peut considérer acter
01:44le fait que Grenoble est d'une certaine façon un petit Marseille, et moi j'ai envie d'évoquer
01:49l'idée que les méthodes qu'on découvre ces derniers temps à Marseille dans le cadre
01:56de l'éclosion de ce qu'on appelle la Désenne Mafia sont en train de s'étendre à d'autres
01:59parties du territoire. Grenoble a toujours été un terreau favorable, il y a toujours
02:05eu un écosystème favorable, on va dire, au gormonitisme et au crime organisé et ceci
02:10depuis des années. Donc à partir de là, le fait que les armes de guerre arrivent jusque
02:15là, si vous voulez, les armes de guerre... Mais elles viennent d'où ces armes de guerre
02:18? Et ça coûte combien, Frédéric Ploquin, juste pour avoir une idée ? Je ne vais pas
02:22vous donner les tarifs exacts, mais c'est très cher par rapport aux revenus d'un trafiquant
02:28de stupéfiants ou de quelqu'un qui est dans ce monde. Ce n'est pas quelque chose de cher.
02:32Je veux dire, si vous mettez quelques milliers d'euros sur la table, vous vous équipez largement.
02:37Donc simplement, elles viennent d'où ? Elles viennent des pays où elles sont fabriquées.
02:41Il y a énormément de déstockage, je pense, actuellement, notamment, vous savez, il y
02:46a énormément de militaires qui, à un moment donné, dans certains pays, ne disposant pas
02:52d'une paie suffisante, décident de se livrer à la contrebande d'armes. Ils se moquent
02:57complètement de savoir entre les mains de qui elles vont atterrir ces armes, mais ils
03:01savent très bien qu'elles ne vont pas servir à faire la guerre, parce qu'ils les livrent,
03:04ils les amènent en Espagne, en Italie, en France. Beaucoup en Espagne, elles arrivent
03:09directement par conteneur, parfois directement depuis la Russie, qui est un grand pourvoyeur
03:14qui a toujours été un grand pourvoyeur sur le marché parallèle en armement, et
03:19à partir de là, si vous voulez, ce n'est pas très compliqué pour qui on a besoin
03:24de s'en procurer pour des sommes assez ridicules.
03:27Ça paraît dingue, j'imagine aussi pour les auditeurs d'Europe 1, ça paraît dingue,
03:30on peut se trimballer avec des kalachnikovs ou des grenades, pardon, mais des grenades !
03:33Si vous voulez, ça rappelle, je ne sais pas, ça rappelle la guerre, plutôt, et c'est
03:39troublant, si vous voulez, la dernière fois, oui, pendant la guerre d'Algérie, par exemple,
03:46je le rappelle, des grenades étaient régulièrement lancées dans des cafés, que ce soit pour
03:50atteindre des clients français défavorables à l'indépendance, ou l'inverse, dans les
03:57deux camps, et à l'époque, ça faisait énormément de morts, mais on était en guerre.
04:01Là, on n'est officiellement pas en guerre, mais on a des individus qui, dans leur tête,
04:06en tout cas, soit pour une vengeance, soit pour, je veux dire, pour qui sont totalement
04:12aveuglés par le projet, on va dire, criminel, et là, il s'agirait potentiellement, on a
04:17l'impression qu'on a référé à une vengeance, et dès lors qu'on veut se venger, bon, finalement,
04:22peu importe le fait qu'on va se faire prendre, parce qu'il y a de fortes chances pour qu'il
04:27se fasse prendre.
04:28En fait, l'idée, c'est la vengeance qui aveugle celui qui l'a commis, et à Marseille, on
04:33a vu récemment des cas similaires avec des balles, on va dire, qui faisaient des tas
04:39de victimes collatérales, c'est ça qui est nouveau, en fait, dans le marco.
04:42Vous, Frédéric Ploquet, en France, est-ce que vous avez déjà vu ça ?
04:46Dans le marco-vendettisme, le crime organisé, quand vous êtes membre du crime organisé,
04:50vous n'avez pas intérêt à faire des victimes collatérales, c'est pas dans votre intérêt,
04:54c'est même complètement, si vous réfléchissez deux minutes, complètement contre-productif.
04:58Dans la voyoucratie française, pendant 40-50 ans, les comptes n'ont jamais cessé de se
05:06régler, mais c'était face-à-face, avec des armes de poing, et puis il n'y avait jamais
05:13de balles perdues, on va dire, et donc là, oui, c'est ce qui est nouveau.
05:16Mais quand est-ce qu'on a basculé, Frédéric Ploquet ? Et pourquoi ?
05:19Cette génération, il n'y a pas très longtemps, il y a une dizaine d'années.
05:22Mais vous l'expliquez comment, la bascule dans cette ultra-violence ?
05:25D'abord, il y a un rajeunissement permanent des acteurs du narcotrafic, parce que la police fait,
05:29il faut quand même le dire, relativement bien son travail, et donc la police désingue en
05:34permanence des réseaux bien établis, et donc quand les grands frères, on va dire,
05:39se retrouvent en prison, leur premier réflexe, ça va être d'essayer de commanditer,
05:43de continuer à tenir leur possession, leur business depuis l'intérieur de la prison,
05:48mais ils vont s'appuyer sur les plus jeunes, et puis c'est toujours comme ça,
05:52ça fonctionne toujours comme ça, les plus jeunes finissent par prendre le pouvoir,
05:55et chaque génération se montre finalement un peu plus dingue, un peu plus violente,
06:01un peu plus débridée sur le plan de la violence, et avec de plus en plus une espèce d'alignement
06:06comme ça, mythologique, sur les gangs criminels sud-américains ou mexicains.
06:10Alors justement, Frédéric Ploquet, vous évoquiez la prison.
06:13Que pensez-vous de l'idée de Gérald Darmanin, le garde des Sceaux, de mettre en place une
06:20espèce de super prison pour les narcotrafiquants, c'est-à-dire qu'il a déjà une liste établie,
06:24semble-t-il, de trafiquants, qu'il mettrait dans un même établissement,
06:29est-ce que ça peut aider d'une manière ou d'une autre, et comment ?
06:33L'idée, elle est partie, je pense, de ce qu'on a vu récemment à Marseille,
06:38où des magistrats se sont satisfaits du fait qu'un certain nombre de cadres présumés de la
06:45fameuse Design Mafia, qui étaient incarcérés et qui commanditaient des meurtres depuis la prison,
06:51ont vu la surveillance resserrée, notamment aux Beaumet, autour d'eux.
06:56C'est la surveillance resserrée, ça veut dire plus de personnel concentré sur eux,
07:00plus de pression, etc., au point d'ailleurs qu'ils se sont révoltés, ce qui est le signe que ça
07:07les dérangeait, puisqu'il y a eu, à partir des Beaumet, la volonté explicitée de s'en prendre
07:14à la vie d'un membre de l'administration pénitentiaire. Ça veut dire que ça les touchait.
07:18Ça part de là, cette réflexion, et en fait, ce qui se dit entre les magistrats aujourd'hui
07:24et le ministre de la Justice, c'est est-ce qu'on ne pourrait pas dupliquer ce modèle ?
07:30Vous y croyez ?
07:32Je vois très bien, moi je crois que c'est un rêve sympathique.
07:36Donc vous n'y croyez pas, vous n'avez plus qu'un ?
07:38Il y a deux écueils. Le premier, c'est qu'il faut savoir, si on se met du point de vue des surveillants,
07:45que le plus difficile pour un surveillant de prison, c'est précisément de surveiller,
07:49d'avoir affaire à ces caïds, pleins de pognon, pleins d'ambition, capables de tout au niveau de la corruption, etc.
07:58Ce sont les clients les plus difficiles. Donc si vous mettez 100 clients difficiles dans un établissement...
08:03Il y a déjà la liste, Gérard Darmanin.
08:06Qui peut y avoir sur cette liste ?
08:09Mettez-vous deux secondes à la place des surveillants, c'est-à-dire que ça va être potentiellement extrêmement explosif.
08:16Donc moi je dis sur le papier, ça paraît sympathique, on va les isoler.
08:20Il y a ce premier écueil qui est que les surveillants vont souffrir.
08:23Il va falloir changer le personnel tous les mois ou tous les deux mois, tous les six mois,
08:27si on veut éviter qu'ils craquent, si on veut éviter les cas de corruption, si on veut éviter tout ça.
08:32Et deuxièmement, il y a cette idée de la prison...
08:36On ne peut pas restaurer le bagne de Cayenne.
08:41Mais c'est vrai que l'idéal dans ce rêve, c'est un peu ça.
08:45C'est-à-dire une prison où il y ait très peu de parloirs ou pas de parloirs du tout.
08:50Aucune corruption, pas de téléphone portable, pas de possibilité d'en introduire.
08:54C'est une prison... Je ne sais pas techniquement et juridiquement comment...
08:59Vous y croyez pas ? Vous dites que c'est un peu de la conne de Gérald Darmanin
09:03qui veut montrer les muscles, mais dans l'application, vous dites que ça n'a pas l'air possible.
09:08Mais il a dit quand même qu'on l'était.
09:10J'ai quand même commencé par dire que ça dérangeait les caïds.
09:13Donc c'était bon signe du point de vue du ministre de la Justice.
09:16C'est un bon signal en tout cas, un bon signal.
09:18Paradoxalement, le fait qu'il y ait eu cette tentative de s'en prendre à l'avis d'un membre de l'administration pénitentiaire
09:26signifiait que les méthodes utilisées vis-à-vis de ces malfrats fonctionnaient.
09:31Au point qu'ils aient envie de s'en prendre à l'avis d'un membre, d'un fonctionnaire.
09:36Moi je crains un peu pour les fonctionnaires qui travailleront dans ces prisons
09:39parce que vous allez rassembler 100 millionnaires,
09:43tous avec un portefeuille énorme et capable d'acheter la terre entière,
09:51tous avec des ambitions et des égos démesurés.
09:54Ça va être une cocotte minute.
09:56Ou bien ils vont s'entendre, mais pour l'instant ils sont plutôt en concurrence les uns les autres.
10:02Donc soit ils vont s'entre-tuer dans cette prison,
10:04soit, alors là pourquoi pas, mais ça serait vraiment très contre-productif.
10:09Vous parliez du pouvoir de l'argent Frédéric Ploquin,
10:12mais ce matin on a traité un sujet sur Europe 1.
10:15Trois mineurs et un survivant de prison qui viennent d'être mis en examen après des livraisons de drogue et de téléphone.
10:21Donc vous craignez la corruption à ce niveau-là, c'est ça ?
10:24Quand on a 100 d'Africains multimillionnaires dans la prison, il y a risque de corruption.
10:31Pour rassembler les plus riches, il suffit qu'ils fassent un petit pot commun.
10:35Ils vont largement avoir de quoi faire miroiter des billets sous le nez d'agents de l'administration
10:43qui ne sont pas forcément extrêmement bien payés.
10:46Et d'ailleurs je vais jusqu'au bout, si ça ne fonctionne pas l'argent,
10:49ce sera encore pire, ce sera la menace.
10:52C'est-à-dire que je crois qu'il pourrait y avoir des cas de corruption complètement subies,
10:59c'est-à-dire que sans même toucher le moindre billet,
11:01mais simplement sous la pression et sous la peur,
11:04vous pourriez vous retrouver avec des fonctionnaires qui, pour survivre,
11:08pour sauver leur peau, introduisent du matériel dans une prison.
11:11C'est tout à fait envisageable.
11:12Alors vous évoquez la corruption, juste un mot encore Frédéric Ploquin,
11:15parce que malheureusement le temps nous manque.
11:18Un mot sur cette affaire.
11:21Vous avez peut-être entendu parler de ce narcotrafiquant,
11:24qu'on appelle dans le milieu Jacques Chirac,
11:26qui pourrait retrouver la liberté avec un bracelet électronique
11:29pour une vice de procédure.
11:32Vice de procédure dans la mise à jour de son dossier
11:34par la grève du juge des libertés et de détention.
11:38Du coup les avocats ont pu faire appel à la cour d'appel qui leur a donné raison.
11:43Là on est dans le vice de procédure.
11:45On évoquait hier avec Georges Fenech, qui était avec moi dans ce studio.
11:49Effectivement, il y avait déjà des greffiers qui ont été mis en examen.
11:54Parce que, voilà, corruption.
11:57Cette affaire, est-ce que ça fait écho chez vous ?
12:02D'abord dire que les avocats sont payés pour faire leur boulot.
12:06On est dans un état de droit.
12:08Effectivement ils sont très bien payés.
12:10Mais on a des très bons avocats.
12:13C'est la première chose à dire.
12:14On doit avoir un personnel de justice et des policiers
12:16qui font des procédures en béton, irréprochables et qui sont bien formés.
12:20Ça c'est le premier point.
12:21Si on ne veut pas avoir ce genre de risque.
12:24La deuxième chose que j'ajoute,
12:27c'est ce que je disais tout à l'heure vis-à-vis de l'administration pénitentiaire.
12:31C'est qu'effectivement, aussi bien les avocats que les greffiers
12:34peuvent eux aussi être approchés, subir des pressions, subir des approches.
12:38Ça peut être les deux.
12:40Ça peut être en échange d'un billet de banque.
12:43Ou ça peut être sous la menace.
12:45On oublie une date, on oublie une petite signature quelque part.
12:49Et on a la vie sauve.
12:51Pourquoi pas ?
12:52Donc il faut prendre en considération les deux cas de figure.
12:54Ce ne sont pas uniquement des faits de corruption.
12:57Ça peut être effectivement des faits de pression.
13:00Merci beaucoup Frédéric Ploquin d'avoir été en direct avec nous sur Europe 1.
13:05Merci beaucoup journaliste spécialiste du grand banditisme
13:08et auteur de l'ouvrage Confessions d'un patriote corse
13:10des services secrets français au FLNC.
13:13Vous vous souvenez de ce que disait Éric Piolle
13:15dans les colonnes de Libération cette semaine à propos de la sécurité ?
13:17Je m'en fous !
13:19Je m'en fous !
13:20C'est marrant !
13:21C'est marrant Gilles Torres,
13:22parce qu'il a un tout petit peu changé ce soir à la télévision.
13:25On va écouter Éric Piolle dans un instant sur Europe 1.