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Xerfi Canal a reçu Paul Charon, Directeur du domaine « Renseignement, anticipation et stratégies d’influence, Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM), pour parler de l'influence de la Chine.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour Paul Charon. Bonjour. Vous êtes directeur du domaine renseignement, anticipation et stratégie
00:13d'influence à l'Institut de recherche stratégique de l'école militaire, l'IRSEM. Ouvrage que vous
00:19publiez qui est issu d'un rapport de l'IRSEM à l'origine, ouvrage que vous publiez « Les
00:25opérations d'influence chinoise à un moment machiavélien ». Je fais le pitch très très
00:29brièvement. La Chine, finalement, s'est laissée séduire par Machiavel. Voilà. Elle qui voulait
00:34séduire, s'est finalement laissée séduire par Machiavel. Elle préfère être crainte plutôt
00:38qu'aimée. Et en ce sens, votre thèse, c'est qu'elle s'est russianisée. Voilà. Elle s'est
00:43russianisée. Alors, aujourd'hui, finalement, le bilan qu'on peut dresser, votre rapport de la
00:51tête 2021, donc plusieurs années, quel bilan on peut dresser ? C'est finalement un succès ou
00:57une petite part d'échec ? Alors, c'est d'abord de nombreux succès tactiques. Effectivement,
01:04ces opérations ont permis à la Chine d'obtenir des gains qui peuvent être des gains à court terme,
01:11mais des gains significatifs. D'abord, il faut dire que ce qu'on observe depuis ces trois,
01:18quatre dernières années, c'est une montée en gamme de ces opérations d'influence chinoise.
01:23Ces opérations sont de plus en plus sophistiquées. Elles sont aussi de plus en plus clandestines. Et
01:29ça, on peut l'expliquer, je pense, de manière assez mécanique, en fait, parce que ce qui s'est
01:34passé depuis la publication du rapport en 2021, c'est une espèce de réveil quand même, non
01:41seulement en France, mais aussi en Europe, en Occident et même ailleurs. J'ai été assez
01:47frappé, par exemple, en 2019, lors de… J'étais parti faire un travail de terrain au Japon et il se
01:55sentait assez peu concerné par les questions de désinformation, notamment chinoise. Et ce n'est
02:00plus du tout le cas aujourd'hui, puisqu'ils considèrent que c'est vraiment une question
02:03fondamentale, une menace importante. Donc, on voit bien qu'il y a eu un revirement un peu partout
02:09dans le monde, une prise de conscience de cette menace. Et donc, la mise en place de dispositifs
02:13de lutte. En France, Viginube en est une illustration. Viginube ne travaille pas que sur
02:19la Chine, mais elle travaille sur toutes les opérations de désinformation, dont les opérations
02:23chinoises. Donc, ces dispositifs, ce réveil un petit peu mondial face à ces opérations, rendent
02:32plus difficiles les opérations d'influence chinoise. Malgré tout, et c'était la conclusion
02:39du rapport en 2021 qu'on a maintenue dans la publication de 2024, il nous semble que d'abord,
02:46la russianisation n'est pas complète. La Chine continue d'avoir un certain nombre de différences
02:52avec les opérations russes. D'abord, la Chine est moins capable quand même, c'est-à-dire que les
02:57opérations sont moins bien ficelées, ils font plus d'erreurs que les russes. Ensuite, les opérations
03:06sont moins intégrées. Par exemple, on se rappelle qu'en 2016, les russes avaient pratiqué une
03:11opération de hack and leak, donc ils avaient capté des données par moyen cyber et ensuite on les
03:15rend publiques, donc les fameux courriels d'Hillary Clinton ou du parti démocrate pendant l'élection
03:21de 2016. Les Chinois font beaucoup de hack, ils collectent énormément de données par moyen cyber,
03:26mais ils ne rendent jamais ces données publiques. Ils ne font pas de leaks. On ne sait pas pourquoi,
03:31peut-être parce qu'ils utilisent ces données uniquement pour nourrir leurs intelligences
03:35artificielles, peut-être pour mener des opérations d'espionnage, mais voilà une différence majeure
03:40avec les russes. Les Chinois maîtrisent moins bien également les écosystèmes locaux, notamment les
03:46écosystèmes informationnels, médiatiques. Ils font plus d'erreurs alors que les russes sont très à
03:52l'aise. Par exemple, en Afrique, les Chinois parlent surtout d'eux-mêmes. Ils montrent la Chine sous un
03:57jour très positif, ils parlent de leur succès, mais sont moins capables d'exploiter l'actualité
04:04locale, alors que les russes vont utiliser cette actualité locale en accusant leurs adversaires,
04:09les français ici, les américains là-bas, etc. Donc, un certain nombre de différences comme ça
04:14qui perdurent. Autre point important de cette conclusion, c'est qu'effectivement, un peu
04:21partout dans le monde, ces opérations d'influence chinoise ont provoqué une levée de boutelier et
04:28un effondrement de l'opinion publique, un effondrement des opinions favorables en
04:33faveur de la Chine. Et ça, c'est vrai en Occident, mais aussi ailleurs, en tout cas dans le monde
04:41assez développé disons. Au Japon bien sûr, où l'opinion de la Chine n'était pas très élevée
04:46même avant, mais en Corée du Sud par exemple, il y a vingt ans, la Chine avait 69% d'opinions
04:52favorables. Elle n'en a plus que 19% aujourd'hui. Donc, il y a un effondrement dans tout un tas de
04:57pays des représentations que les populations ont de la Chine. Donc, peut-être que c'est un
05:05échec stratégique de ce point de vue-là, mais échec stratégique qu'il faut nuancer. D'abord,
05:10parce que la Chine continue d'obtenir des gains importants dans toute une partie du monde,
05:15notamment en Afrique par exemple, en Amérique latine, et que ces gains stratégiques dans
05:22ces parties du monde lui permettent de promouvoir une transformation du système international,
05:29un changement des institutions internationales vers un éloignement du système, du modèle de
05:36la démocratie libérale, et c'est sans doute l'enjeu des années à venir. Merci à vous.

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