• il y a 3 jours
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00:00Donc en trois jours, trois fusillades à Bruxelles, des images qui font le tour du monde, on y voit deux gars
00:05sortir de la bouche de métro avec des kalachnikovs où ils tirent en l'air.
00:09Qu'est-ce que ça renvoie aujourd'hui comme image de Bruxelles ?
00:11Denis Gouman, vous qui êtes juge au tribunal de première instance de Bruxelles.
00:15Ça renvoie bien sûr une image totalement déplorable et ça pose certainement la question de savoir
00:21si force est encore réservée à la loi.
00:24Parce que quand on constate effectivement que le mercredi matin vous avez une fusillade,
00:28en tout cas des coups de feu tirés à la kalachnikov, pour être précis,
00:31devant une station de métro Clémenceau à Anderlecht, qui fait un tapage mondial.
00:36CNN est sur le coup, ça fait la une du JT de TF1, donc vous imaginez le retentissement international
00:43par rapport à ces faits d'une gravité particulière.
00:47Et que quelques heures plus tard, il ne faut même pas attendre le lendemain,
00:50dans le courant de la nuit qui suit, vous avez une autre fusillade au même endroit.
00:55On peut quand même se demander si les personnes qui font ça croient encore qu'elles peuvent être inquiétées
01:00par la police et la justice.
01:01Et après je vous expliquerai pourquoi je pense que ces personnes jouissent d'un sentiment d'impunité
01:05tout à fait inadmissible.
01:08Mais ça pose réellement la question de savoir si on a encore les moyens de lutter
01:12contre des personnes qui effectivement se croient tout permis,
01:15puisque en quelques heures, ils reviennent au même endroit retirés.
01:18Mais comment ça se fait qu'il n'y a pas une équipe de police qui est sur place,
01:21en tout cas qui s'est déplacée ou qui rôde entre temps ?
01:23Mais c'est bien là la question, c'est de savoir si les moyens peuvent être déployés.
01:27Ça vous pose donc la question de savoir qu'est-ce qui peut être mis en place.
01:30J'entends qu'il y avait des patrouilles de police qui circulaient,
01:32mais manifestement pas suffisamment en masse pour pouvoir sécuriser l'endroit,
01:38puisqu'on a retiré au même endroit quelques heures plus tard.
01:41Et aujourd'hui, cette nuit, donc un jour plus tard,
01:44on tire à quelques centaines de mètres de là,
01:48dans un hotspot ultra connu à Bruxelles qui est le parc du Peterboss.
01:52La cité du Peterboss où là, effectivement, il y a eu un mort ce matin.
01:56Et donc, ça pose vraiment la question de se dire, est-ce que oui ou non,
02:00on a les moyens de lutter contre des personnes qui viennent tirer dans les rues toutes les nuits ?
02:05Là, aujourd'hui, ces images font évidemment beaucoup de bruit,
02:07elles circulent dans le monde entier,
02:09mais l'année dernière, il y avait déjà eu par moins de 90 fusillades.
02:12Vous avez le sentiment qu'aujourd'hui, les gens se réveillent en disant
02:14« Attention, à Bruxelles, il y a énormément de fusillades »,
02:16mais ça existe depuis longtemps et on a fermé les yeux ?
02:18Mais c'est déjà un processus qui est en route depuis des dizaines d'années.
02:23Vous savez, moi, ça fait 20 ans cette année que je suis intéressé,
02:29où je travaille dans le milieu judiciaire, avocat, procureur et puis maintenant juge.
02:33Ça fait 20 ans.
02:34Et depuis 20 ans, on parle toujours des mêmes endroits, des mêmes rues,
02:39des mêmes places où vous avez des supermarchés de stupéfiants à ciel ouvert,
02:44où les gens font la file à quelques mètres d'une école
02:47ou à quelques mètres parfois d'un commissariat,
02:49où ils font la file, où ils vont se procurer des produits stupéfiants.
02:54Et on a toujours, sans doute parce qu'au départ c'était du cannabis
02:57et qu'il y avait une certaine tolérance par rapport à ça,
03:00on a toujours, entre guillemets, un peu fermé les yeux,
03:03où on a poursuivi, évidemment.
03:04Il ne faut pas croire que tout le monde pouvait faire ça tout le temps,
03:07mais on a poursuivi parce qu'on n'avait pas les moyens de poursuivre
03:10chaque personne, chaque consommateur ou chaque dealer.
03:13Et quand il y en avait un qui était arrêté,
03:15effectivement on leur donnait une peine
03:18et puis finalement il y en a d'autres qui revenaient pour le remplacer.
03:23Et donc finalement on a laissé proliférer ce type de méthode
03:28et ce n'est pas compliqué.
03:30À partir du moment où vous avez un business tellement important
03:33et c'est rajouté à ça la vente de cocaïne,
03:35qui a évidemment explosé en Belgique et notamment à Bruxelles,
03:39et à partir de ce moment-là ça draine tellement d'argent
03:42que vous pensez bien que les organisations criminelles,
03:44là où ils pensent avoir une faille,
03:46ou en tout cas estimer qu'ils sont plus riches finalement
03:49que le budget qu'on met pour lutter contre elles,
03:51ils prolifèrent et on en arrive évidemment à une guerre de territoire.
03:55Quand on sait que la station de métro en question,
03:57vous avez 30 000 euros en moyenne par jour de bénéfices à la vente de drogue,
04:03vous imaginez que ça fait 600 000 euros par mois,
04:07rien qu'à cet endroit-là, ça veut dire que ça fait des millions
04:09et des dizaines de millions à Bruxelles par mois
04:12que rapporte la vente de drogue.
04:14Vous pensez bien qu'à ce niveau-là,
04:16les mafias et autres organisations criminelles
04:18essaient de prendre position, prendre place
04:21et à gagner évidemment le bénéfice de cet argent.
04:24Un trafiquant comme ça qui tire en l'air avec une Kalachnikov,
04:27qu'est-ce qu'il risque aujourd'hui ?
04:28C'est une très bonne question que vous posez.
04:30Tout dépend de la qualification pénale retenue.
04:33Si une vice personne,
04:34on ne peut pas l'accuser d'avoir tenté de tuer quelqu'un,
04:36s'il tire en l'air par exemple avec une Kalachnikov,
04:38il y a tout le moins un port d'armes prohibé,
04:41à savoir évidemment la Kalachnikov.
04:43Et donc à ce niveau-là,
04:44la peine est de 5 ans de prison maximum.
04:48Imaginons qu'il soit majeur
04:50et qu'un juge prononce le maximum,
04:52la sévérité maximum prévue par la loi,
04:555 ans de prison ferme.
04:56À l'heure actuelle,
04:59je ne veux vraiment pas vous garantir
05:01combien de jours ou de semaines il va faire.
05:04Parce qu'on sait que depuis quelques mois,
05:08les peines inférieures à 5 ans
05:11ne sont plus réellement exécutées comme elles l'étaient avant
05:13parce qu'il y a une surpopulation carcérale.
05:15Donc il n'y a plus de place dans les prisons.
05:17Donc on doit aménager toutes ces peines
05:19pour avoir des systèmes de congés
05:21où une personne sort un mois et revient un autre mois.
05:23Enfin, ça n'a absolument aucun sens.
05:25Vous pensez bien que ces gens s'en donnent un cœur joie.
05:28Ils profitent de ces difficultés d'application des peines.
05:32Et donc par rapport à un majeur là,
05:34il prend le maximum.
05:36Donc ceux qui disent qu'il faut être plus sévère.
05:37Mais là, je prends l'hypothèse la plus sévère.
05:40Je ne suis vraiment pas certain de savoir combien de temps il va passer en prison.
05:43Premièrement, imaginons,
05:44et ça s'est déjà arrivé, qu'il s'agisse d'un mineur.
05:48Il y a actuellement 100 mineurs en attente d'une place dans une IPPJ.
05:53Il y a des mineurs qui ont commis des faits graves,
05:55de viols, de braquages,
06:00de port d'armes notamment, comme ceux qu'on a vus.
06:02Et qui sont actuellement en attente de dire
06:05« Tiens, peut-être que dans 4-5 mois il y aura une place pour être en IPPJ ».
06:09Donc impunité totale.
06:11Imaginons que pour, pas ces faits-ci,
06:14mais que des faits de moindre gravité,
06:17mais liés par exemple au deal de cannabis.
06:21Imaginons qu'on donne une peine alternative,
06:24plus constructive, qui est une peine de travail.
06:27Aujourd'hui, en communauté Wallonie-Bruxelles,
06:29en fédération Wallonie-Bruxelles,
06:30il faut entre un an et demi et deux ans
06:33avant qu'une peine de travail puisse être effectivement exécutée.
06:37C'est une demande d'impunité totale.
06:39Donc, quand on vous dit qu'actuellement le problème
06:43n'est pas tellement de dire « il faut être beaucoup plus ferme »,
06:47« il faut être tolérance zéro »,
06:49« on l'entend, il faut nettoyer les rues »,
06:51tout ça sont discours où beaucoup de gens adhèrent.
06:54Mais il faut créer les conditions pour le permettre.
06:56Et ça, les responsables d'aujourd'hui,
07:00je parle évidemment des responsables d'aujourd'hui à x années en arrière,
07:04n'ont jamais été en mesure de pouvoir créer les conditions
07:08pour permettre cette tolérance zéro.
07:10Donc tout ça, c'est de la poudre aux yeux.
07:12— Vous avez le sentiment que votre travail a encore un sens aujourd'hui ?
07:14— Alors, merci de me poser la question.
07:16J'ai le sentiment que pour une série de personnes,
07:18ça peut avoir un sens, parce qu'il ne faut pas non plus
07:21croire qu'on a devant nous que des personnes
07:22appartenant à des organisations criminelles.
07:24Mais je pense très clairement que pour que ça ait un réel sens
07:29et une réelle... Enfin, si on veut vraiment lutter,
07:32c'est ça la question, si on veut vraiment lutter,
07:35si ce n'est pas simplement des paroles en l'air ou de la poudre aux yeux
07:37que de dire qu'il faut poursuivre, nettoyer les rues,
07:40alors à ce moment-là, il faut créer des conditions.
07:43Il faut quoi ? Il faut beaucoup plus de policiers,
07:47la police judiciaire fédérale.
07:48Et depuis dix ans, on demande, le directeur, tous les ans,
07:50il dit « mais voilà, je suis en déficit, je ne sais pas lutter adéquatement ».
07:53— C'est ça, aujourd'hui, la solution, c'est une police fédérale
07:55plus présente sur le terrain ? — Mais pas que ça !
07:57Il faut une police judiciaire fédérale,
07:59il faut des gens qui puissent lutter contre les trafics
08:01de drogue, l'agent de quartier, il est bien sympa,
08:05mais je veux dire, il ne va pas risquer sa vie
08:07avec des gens qui tirent à la kalachnikov à côté de lui.
08:09Donc je veux dire, il faut des gens qui puissent réagir par rapport à ça,
08:11des policiers formés pour ça et pour intervenir.
08:14Il en faut beaucoup plus parce qu'on nous dit,
08:16et on le répète et on le constate,
08:18qu'on est en déficit, qu'on ne sait pas le faire.
08:20Alors il faut également, une fois qu'on arrête des gens,
08:22il faut des magistrats pour pouvoir gérer les dossiers,
08:24de pouvoir poursuivre au parquet les personnes devant le tribunal.
08:28La volonté du procureur du roi a été affichée récemment
08:30et il a vraiment cette volonté d'y aller.
08:33Mais pour ça, il doit être entouré.
08:35Il faut des magistrats, des juges du fond,
08:37pour pouvoir condamner ou pas, mais en tout cas,
08:41condamner les personnes, juger les personnes.
08:43Et puis, il faut surtout des moyens considérables
08:46pour qu'on puisse, le cas échéant, gérer les prisons.
08:50Désengorger ces prisons.
08:52Désengorger, surtout pour pouvoir, le cas échéant,
08:54poursuivre si on donne cinq ans ferme,
08:57qu'au moins il y ait la moitié ou le tiers qui soit appliqué,
08:59ce qui n'est certainement pas le cas aujourd'hui.
09:02Premièrement, et ensuite, il faut aussi,
09:04tout ce qui concerne les assistantes de justice,
09:06ce sont des centaines de millions, voire milliards,
09:10qui doivent être mis sur la table si l'on veut réellement
09:13solutionner ou en tout cas se mettre dans les conditions
09:16pour solutionner ce problème.
09:18Et ce n'est pas simplement dire, il faut être plus sévère, il faut...
09:21— On entend dire aussi, il faut remettre les militaires dans les rues.
09:24— Alors les militaires, pourquoi pas sécuriser ?
09:27J'entends qu'il y a certains qui disent, effectivement,
09:28ça permet d'avoir une certaine peur, de se dire,
09:30ben voilà, c'est des militaires partout.
09:32Je ne suis pas certain, effectivement, que ça donne une belle image.
09:35Mais bon, peut-être qu'à un moment, il faut, voilà,
09:37à la guerre comme à la guerre, on va dire, sans jeu de mots,
09:40et qu'il faut réagir.
09:41Mais ces militaires ne sont pas habilités
09:43pour démanteler des trafiquants de drogue.
09:45Ces militaires n'ont pas des pouvoirs judiciaires.
09:47Ça veut dire qu'en gros, ils ne peuvent pas courir derrière un trafiquant,
09:50l'interpeller, le menotter, le conduire au commissariat...
09:52— Mais justement, la N-VA voulait arriver à un moment donné
09:54à leur donner une nouvelle mission,
09:56procéder au contrôle d'identité, menotter, neutraliser...
09:59— Là, c'est la question aussi de la société dans laquelle on veut vivre.
10:02Et puis, on vous dira aussi que, voilà,
10:05il faut qu'il y ait des garanties
10:07et qu'on ne peut pas retomber dans un état où...
10:10ben, policiers, en tout cas, dans un état de militaires,
10:13où vous avez des militaires qui peuvent faire tout et n'importe quoi.
10:15Donc, en soi, ça, c'est des réflexions qu'il faut avoir.
10:18Ça, ça ne m'appartient pas.
10:19Je ne suis pas Premier ministre,
10:21je ne suis pas ministre intérieur, je ne suis pas ministre du budget.
10:23Je dis simplement que les acteurs de terrain dont je fais partie
10:28constatent qu'en réalité, l'impunité qui règne,
10:32c'est en premier lieu parce qu'on ne peut pas exécuter
10:36les peines qui sont déjà données par les juges.
10:38On peut les rendre plus sévères, mais si elles ne sont pas exécutables,
10:41ça n'a aucun sens.
10:43Donc, travaillons là-dessus, investissons là-dessus.
10:45— Un tiers de peine purgée, c'est suffisant ?
10:48— Ça dépend en fonction de la personne, encore une fois.
10:50Quand je dis un tiers, la loi prévoit un tiers pour un délinquant primaire
10:55en fonction de certaines infractions.
10:57Donc, tout ça est complexe.
10:59Si c'est un récidivisme, c'est deux tiers,
11:01mais encore faut-il voir au niveau des infractions commises.
11:04Donc, en soi, il faut certainement, en tout cas,
11:09que quand une peine de prison est prononcée,
11:12qu'il y ait immédiatement une sanction pour un mineur
11:16lorsqu'il a commis un fait très grave,
11:18qu'on a déjà essayé toutes les mesures possibles
11:20pour essayer de le remettre dans le droit chemin.
11:22Un accompagnement social, un éducateur,
11:26un centre ouvert où il peut aller et venir pour être repris en main,
11:30et tout ça n'a pas porté ses fruits.
11:32Et quand on dit, voilà, maintenant, vu l'effet de cette gravité-là,
11:35on va te mettre dans une IPJ fermée, ce qui n'est pas une prison,
11:39c'est un endroit de rééducation, mais clos,
11:42eh bien, que ce soit applicable.
11:45Si on dit à ce jeune, on te rappellera.
11:48C'est vraiment la personne qui vient et qui dit,
11:50ah oui, merci d'être venu, on vous rappellera.
11:52C'est ça que le juge de la jeunesse est confronté chaque jour
11:55à ce type de choses où lui, il dit,
11:57mais vous avez quelqu'un qui a commis un viol en réunion,
12:01une tournante, participé à une tournante, par exemple,
12:03qui doit recevoir dans son bureau et lui dire, c'est très grave,
12:07cher monsieur, chère madame, en l'occurrence, c'est le cher monsieur,
12:10mais comme il n'y a pas de place,
12:13j'ai d'autres solutions que de te libérer aujourd'hui.
12:16Mais sache que dans 4-5 mois,
12:17tu vas être convoqué, attention.
12:19C'est comme si vous disiez à votre enfant
12:21qui est en train de repeindre les murs du salon,
12:24qu'il sera privé de dessert dans 4 mois.
12:26Vous pensez vraiment qu'à ce rythme-là,
12:29il a le temps de mettre le feu à la maison ?
12:31Un narcotrafiquant aujourd'hui qui est arrêté, ça se passe comment ?
12:35Un narcotrafiquant, alors ce qui va se passer,
12:37c'est qu'il va effectivement être arrêté
12:40via disposition du parquet, transféré à un juge d'instruction
12:44avec certainement une demande de mandat d'arrêt.
12:46Mandat d'arrêt qui aura, pour être effectif,
12:50certainement si on est dans ce type-là.
12:52Il ne faut pas croire qu'on libère comme ça des gens qu'on arrête.
12:54Ce n'est pas la question.
12:55C'est que cette personne va rester en détention préventive
12:58un bout de temps, en fonction aussi de ce qu'il en est.
13:01On rentre dans le milieu carcéral avec les complications que cela engendre.
13:05Si cette personne est jugée,
13:06elle le sera probablement avec une peine de prison réelle.
13:11Mais là, à ce moment-là, le pouvoir judiciaire perd un peu la main
13:16parce qu'en gros, si vous avez un système carcéral
13:19qui ne permet pas à cette personne de purger un minimum de sa peine,
13:23on va lui dire que vous avez bénéficié de congé.
13:25Il va y avoir peut-être une surveillance électronique.
13:29Mais le problème, c'est qu'une surveillance électronique
13:30pour les trafiquants de drogue,
13:32s'il la respecte, il ne saura peut-être plus sortir en rue.
13:36Mais il pourra toujours agir de chez lui.
13:39Et on sait que malheureusement,
13:40une série de personnes agissent dans le trafic de drogue
13:43uniquement de chez eux ou parfois même depuis la prison.
13:45Ce qui est encore un autre débat.
13:47Julien Moinil, le procureur du Brois de Bruxelles,
13:49pointait le fait que les narcotrafiquants disaient qu'en Belgique,
13:52on pouvait venir parce que là-bas, on faisait un tiers de la peine.
13:55Donc aujourd'hui, c'est quoi ?
13:56C'est le no man's land, la Belgique ?
13:57C'est devenu le nouvel état de la drogue ?
13:59Mais il ne faut pas...
14:01Vous savez, les grands mots...
14:03Ce que moi, je voudrais simplement passer comme message,
14:05c'est que ça fait déjà des années qu'on tire la sonnette d'alarme
14:11et qu'on dit attention parce qu'on va arriver.
14:14On n'est pas dans un narco-État.
14:16Ce n'est pas les trafiquants de drogue qui dirigent l'État.
14:20C'est vrai, c'est toujours vrai.
14:21On n'est pas dans un narco-État.
14:23Mais on dit attention parce qu'on va commencer à basculer.
14:26Parce que si on n'injecte pas des moyens suffisants
14:28pour lutter contre ce phénomène-là,
14:31les organisations criminelles et les mafias vont prendre le pouvoir,
14:36vont tout doucement s'implanter parce qu'eux ont l'argent.
14:40Je confère au nombre d'argent,
14:43quand je dis plusieurs millions d'euros,
14:45tous les jours ou tous les mois à Bruxelles,
14:48qui sont issus de la drogue.
14:51Donc, ces gens vont venir et ils ont les moyens de venir s'implanter.
14:55Ils ont les moyens de venir faire venir de la drogue, etc.
14:57Et s'il y en a un qui est arrêté,
14:58il y en a un autre dans la seconde qui vient voir d'eux.
15:01Donc, je veux dire, en soi, ces gens ont les moyens
15:03vu l'argent qu'ils brassent, l'argent sale qu'ils brassent.
15:07Et donc, si on n'investit pas autant d'argent
15:10et plus pour pouvoir les arrêter,
15:12alors le système va s'inverser.
15:14Et donc, là, on risque de basculer dans un réel narco-état.
15:18On voit bien qu'aujourd'hui, on n'est plus à l'époque,
15:20je parlais des 20 ans de carrière que j'ai dans le milieu judiciaire,
15:24je veux dire, on n'était pas dans cette optique-là.
15:27C'était les deals de cannabis, il y avait des endroits où on savait, etc.
15:30Aujourd'hui, on est à des luttes du territoire pour le trafic de cocaïne.
15:34Et donc, on a bien vu l'évolution néfaste de ces 15-20 dernières années.
15:38Donc, à un moment, si ça continue dans ce même optique-là,
15:42dans 20 ans, se posera quand même la question.
15:44Si vous me reposez la question,
15:46peut-être, sinon que l'occasion et la chance de se revoir dans 20 ans,
15:49peut-être que là, je vais vous dire,
15:50si je suis toujours là pour le dire, qu'on est peut-être dans un narco-état.
15:54Est-ce qu'il faut aujourd'hui s'attaquer aux consommateurs ?
15:56Alors, c'est la grande question des consommateurs.
15:58On parle effectivement, certains mettent en place des amendes
16:01de type administrative ou des amendes pénales.
16:04Est-ce que ça ne va pas encore alourdir la tâche, justement ?
16:06Mais c'est un petit peu la même chose que quand...
16:09Enfin, je veux dire, beaucoup de gens reçoivent des amendes en matière de roulage
16:14parce qu'ils ont roulé trop vite.
16:16Est-ce que ça empêche, quand vous circulez sur l'autoroute,
16:18de voir des gens qui font des excès de vitesse ?
16:21Je ne suis pas certain.
16:23Ça peut évidemment être, entre guillemets, embêtant,
16:26parce qu'on va dire, mince, je viens chercher un paxon de cocaïne
16:31qui m'a coûté 50 euros et maintenant, je reçois une amende de 300.
16:35Si la personne est addicte à la cocaïne,
16:37je peux vous dire qu'il ne va peut-être pas se retenir au même endroit
16:40parce qu'il va dire, là, je me suis fait griller, il va aller ailleurs.
16:43Donc, c'est évidemment un débat plus large.
16:45Je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire pour pouvoir avoir une réaction
16:47et pouvoir montrer que les gens qui consomment la cocaïne,
16:51d'abord, ils mettent en danger leur santé.
16:52Vous savez qu'il y a une étude de l'Institut National qui démontre
16:55qu'une personne sur 100 fera un arrêt cardiaque
16:58en tant que consommateur de cocaïne.
17:00Une personne sur 100, ce n'est pas rien.
17:03Elle va en mourir, elle va mourir d'un arrêt cardiaque suite à l'absorption de cocaïne.
17:06Donc, en soi, on est quand même dans un réel danger.
17:12Mais effectivement, de plus en plus de banalisation par rapport à ce type de produit
17:17qui, au début, était soi-disant réservé à une certaine élite riche.
17:21Et aujourd'hui, on voit une sorte de démocratisation, d'estompement de la norme
17:25puisque moi, je vois des jeunes qui n'ont pas d'antécédent judiciaire,
17:29qui ont un boulot et qui décident, comme ça, de répondre à une annonce Snapchat
17:35pour vendre, pendant une semaine, pour payer une petite dette ou que sais-je,
17:39leur facture d'électricité, qui acceptent d'aller vendre la cocaïne.
17:43Et ça arrive toutes les semaines dans le tribunal.
17:44Donc, c'est là que se posent la réelle question du fait que...
17:47Est-ce qu'aujourd'hui, on est capable, justement, de traquer ces petites mains,
17:51finalement, de ces réseaux de trafiquants avec les réseaux sociaux ?
17:54Mais vu l'ampleur... Mais oui, mais encore une fois, il faudrait...
17:58Tu sais, il suffit d'aller voir certaines applications.
18:01Vous devez mettre quelques personnes à temps plein pour pouvoir traquer ça.
18:05C'est une question de moyens. Alors, bien sûr qu'il y a des possibilités au niveau technologique
18:10de pouvoir avoir des gens qui surveillent.
18:12Mais vous imaginez le nombre de personnes qu'il faut ?
18:14Mais la question, c'est de savoir.
18:15Si on a cette volonté-là et si on dit,
18:18on va éradiquer... Il faut que le criminel ait peur et pas l'inverse.
18:23Parce qu'actuellement, vous savez, le criminel a plus peur
18:25de l'autre criminel de la bande rivale que de la police.
18:28Et moi, je voudrais vous poser une question qui ressort régulièrement
18:31de la part de nombreux Belges, c'est que s'ils sont attrapés au volant
18:33pour excès de vitesse, ils ont plus de chances de recevoir une amende
18:36si elle n'est pas payée, de se retrouver devant le tribunal
18:38qu'un trafiquant qui sort une calache en rue.
18:41Est-ce qu'il y a plus de chances de se faire avoir parce qu'il y a un excès de vitesse
18:44que quand on sort une calache dans la rue ?
18:46Non, ça, je ne suis pas... Je ne partagerai pas cet avis-là parce que...
18:50Vous savez, voilà, j'ai entendu qu'il y avait déjà une arrestation dans le cadre d'un dossier.
18:54On arrête, hein, je veux dire, il ne faut pas croire que les gens font ça de manière impunie,
18:58que tout le monde... Enfin, le problème, c'est le nombre de personnes impliquées
19:00et que donc, forcément, il y a des gens qui passent...
19:03C'est tout un maillon de chaînes.
19:03On arrête souvent, évidemment, le petit dealer qui est payé
19:07les clopinettes par l'association pour vendre.
19:10Après, il faut remonter déjà au niveau intermédiaire.
19:13Et puis, vous avez les énormes dirigeants qui sont dans les pays du Golfe.
19:17Mais donc, ça, c'est un peu les différentes étapes.
19:21Mais on en arrête.
19:22Alors, de venir dire qu'on a plus de chances de passer au trisane pour un excès de vitesse,
19:26c'est difficilement comparable parce que ce sont deux choses...
19:28On ne lutte pas de la même façon contre les deux phénomènes, je pense, réellement.
19:33Et il faut lutter contre des gens qui commettent des infractions routières.
19:36On l'a vu, le drame que ça peut engendrer aussi,
19:40parce qu'il ne faut pas... Parce qu'on parle d'une chose, il ne faut pas parler des autres choses.
19:43Donc, venir dire qu'il ne faut plus s'attaquer à la délinquance routière,
19:46vous avez des... Qui font... Qui font aussi des morts, hein, je veux dire...
19:49Malheureusement, tous les week-ends, on entend régulièrement
19:51parce qu'une personne a roulé sous imprégnation alcoolique, en a tué une autre.
19:55Donc, je veux dire, on ne peut pas faire fi de ça.
19:57Ce qu'il faut faire, c'est que si on veut vraiment s'attaquer au phénomène de la drogue,
20:03c'est qu'il faut vraiment mettre des moyens considérables, considérables.
20:07Vous savez, quand... Je prends l'exemple, si l'État, ça représente votre maison,
20:11et qu'à un moment, depuis x années, on constate de l'infiltration d'eau, etc.,
20:15et on ne fait pas les réparations,
20:16eh bien, à un moment, votre maison, elle risque de s'écrouler.
20:19Et donc, à ce moment-là, et c'est là que je suis plus ou moins...
20:22J'estime être au niveau du parallèle qu'on fait avec la lutte contre la drogue,
20:26si votre maison est en passe de s'écrouler, eh bien, il faut faire des énormes travaux.
20:31On a peut-être pu faire des travaux un peu moins importants et moins coûteux il y a quelques années,
20:35mais la constat est qu'on ne l'a pas fait.
20:37Eh bien, maintenant, il faut faire des... Il faut quasi reconstruire toute la maison.
20:40Et pour ça, ça coûte, évidemment, beaucoup plus cher que des petits travaux.
20:43Mais si on ne veut pas qu'elle s'écroule, ça mérite quand même l'investissement.
20:46Mais j'attire donc l'attention de ceux qui disent...
20:49Il y a plein de choses à faire, et il faut être sévère, et il faut poursuivre,
20:52et il faut, effectivement, que la peur change de camp.
20:54Il faut qu'ils mettent les conditions, il faut qu'ils mettent les moyens
20:58pour que les conditions de ce qu'ils veulent puissent être appliquées,
21:01ce qui n'est actuellement pas le cas.
21:03— Est-ce que légaliser la drogue, ce serait une solution ?
21:05Parce qu'on a déjà entendu certains le dire.
21:07— Eh bien, si vous estimez que ce n'est pas très grave
21:10qu'une personne sur 100 fasse un arrêt cardiaque de la cocaïne,
21:12et que, finalement, s'il y en a d'autres qui consomment plus...
21:15Parce qu'il y a quand même encore des personnes qui ont certains scrupules
21:17à aller acheter de la drogue parce que c'était interdit,
21:20et que d'autres se diront « Ben, maintenant que c'est permis, pourquoi pas ? »
21:23Et que vous avez vos soins de santé qui explosent,
21:24votre sécurité sociale qui explose, parce qu'il y a toute une série de gens qui...
21:28Il ne faut pas oublier que ça tue des gens, hein.
21:29Et le cannabis, j'ai encore entendu un témoignage
21:33sur une autre antenne il y a quelques semaines,
21:35où vous avez un père qui est mortifié parce que sa fille a sombré dans le cannabis
21:41par l'abus de cette absorption de fumée, le cannabis,
21:46et qui est un légume, il y en a beaucoup d'exemples,
21:48ils ne savent plus rien faire de leur vie à 25 ans,
21:50parce qu'ils en ont fumé depuis qu'ils ont 12-13 ans.
21:52Si on estime que ça, finalement, bon, il faut s'en accommoder,
21:56voilà, c'est un débat de société.
21:57Moi, je ne suis pas de ceux qui pensent que...
22:00Parce qu'en gros, on est submergés,
22:03parce que maintenant, il y a des gens qui ont commis des choses affreuses,
22:06qu'il faut légaliser cela et permettre leur business.
22:09Maintenant, les questions se posent, et l'avenir nous dira.
22:11Il y a d'autres pays qui font d'autres choix.
22:13Il faudrait peut-être voir aussi la criminalité qui se passe dans ces pays-là,
22:17et voir si ça évolue et comparer.
22:19Merci beaucoup, Denis Goumane.
22:20Avec plaisir.

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