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00:00Je suis très très heureux de recevoir pour la première fois un acteur, réalisateur, scénariste,
00:08il sait absolument tout faire et en plus figurez-vous qu'il a le bon goût d'être né un 13 mars comme moi.
00:14Donc j'ai envie de dire bonjour mon frère, bonjour Pascal Elbé, vous remontez sur scène
00:23aux côtés de Stéphane Guillon dans le chef d'oeuvre de Cressman Taylor, inconnu à cette adresse,
00:28c'est une pièce que vous connaissez puisque vous l'avez déjà jouée mais il y a longtemps,
00:32c'était il y a 14 ans et c'était déjà avec Stéphane Guillon, est-ce que vous aviez des restes
00:37ou est-ce qu'il a fallu tout réapprendre ? Tout réapprendre, hélas non pas, il ne me restait pas,
00:42évidemment il me restait le souvenir précis et marquant de cette aventure mais dans le texte
00:47il a fallu, oui parce qu'en fait c'était une correspondance, on écrit des lettres mais on
00:51les apprend pour les jouer, pour les incarner, pour qu'ils soient moins pénibles à jouer,
00:55surtout à regarder, mais non il ne me restait pas grand chose, mais la seule différence c'est
00:59qu'on va dire qu'on n'a pas le même ressenti qu'il y a 14 ans, c'est-à-dire que bizarrement la pièce
01:05résonne un peu plus douloureusement aujourd'hui, un peu plus fortement, et lorsqu'on n'était pas
01:09rendu compte il y a 14 ans, on se référait à l'histoire mais c'était derrière nous et puis
01:14là en plus on est en pleine commémoration, donc évidemment que ça résonne, mais comme je le dis
01:20souvent c'est d'abord une dramaturgie qui est dingue, c'est une heure dix de pièce où c'est
01:25vengeance silencieuse, c'est surtout prenant, avant même d'être quelque chose qui résonne
01:30aujourd'hui. Avec une montée en puissance, mais alors il faut rappeler quand même l'histoire
01:33pour ceux qui ne la connaissent pas, d'inconnus à cette adresse, c'est l'histoire de deux amis
01:36qui aux Etats-Unis ont un business de vente de tableaux, et vous Pascal Elbé, vous jouez le
01:43rôle de Max, juif américain d'origine allemande, ami de Martin qui est joué par Stéphane Guillon,
01:49et ce Martin, donc votre ami, il vient de partir des Etats-Unis pour aller habiter à Munich avec
01:54sa famille, et on est en 1932, et là où la pièce et l'écriture est particulièrement originale,
02:00c'est qu'il n'y a pas de dialogue au sens propre. C'est ça, et c'est assez énorme, il n'y a pas de
02:06dialogue, et bizarrement le travail tel qu'il a été fait, on a vraiment l'impression qu'on joue
02:11ensemble, alors qu'on ne se regarde jamais, on s'autorise un regard à la toute fin, et on a
02:15vraiment l'impression de jouer ensemble. C'est uniquement un échange de lettres, 19 lettres
02:20exactement, qu'il s'échange entre 1932 et 1934, au moment où Adolf Hitler et le national-socialisme
02:26émergent en Allemagne, et ce qui est fort dans cette histoire, c'est qu'on va suivre l'évolution
02:32notamment de votre ami, qui est un type ordinaire, sympa, qui va progressivement se convertir aux
02:39idées d'Hitler, comme une grande partie de l'Allemagne d'ailleurs, qui bascule complètement
02:43dans cette idéologie à ce moment-là. Oui, dans cette folie nationale-socialisme, à l'Arendt, la banalité
02:51du mal, de toute façon ces gens-là, ce n'étaient pas des diables quand ils étaient en CM1, ils ont
02:56été finalement comme nous, et aujourd'hui on voit les masques tomber, on a vu des discours
03:01se radicaliser, et on se demande toujours, mais c'est parti quand ? A partir de quand ? Vous savez, quand
03:07vous regardez les gens dans les yeux, on se dit non, ça a été un enfant, il a dû aimer sa mère, il a dû
03:11regarder Michel Drucker, à partir de quand ? Ça a basculé. Oui, à partir de quand ? Il a basculé, à partir de quand
03:17il a établi sa construction, à partir de l'âne de l'autre ou du rejet de l'autre ? C'est une vraie
03:23question de se dire, comment on peut résoudre, comment on peut aller à l'origine du mal, pour
03:27essayer de le contrer ou de l'orienter différemment ? C'est bizarre, qu'est-ce qui fait qu'un jour on
03:33bascule et on peut tourner le dos à son ami d'enfance ? On ne va pas se raconter trop, mais vous savez, moi depuis le 7 octobre, j'ai eu une ou deux personnes avec qui on m'a opposé des silences qui m'ont blessé, évidemment quand je joue la pièce, il y a quelque chose qui résonne immédiatement,
03:52c'est pas la peine d'aller faire de l'acteur studio, il suffit de puiser dans sa vie pour se dire,
03:57donc ça peut revenir, et d'ailleurs, pardon, c'est revenu. C'est revenu, c'est revenu, et c'est là où elle est
04:05terriblement actuelle cette pièce, parce qu'elle nous rappelle qu'on peut en fait tous se
04:11laisser séduire à petits pas comme ça, par des idées nauséabondes, et ça arrive à beaucoup de gens.
04:17Mais oui, la peur, la peur est le meilleur moteur pour basculer, c'est évidemment qu'aujourd'hui on est, la société est tentée par le repli communautaire, par le repli nationaliste,
04:31on est quelque chose qui se passe là, on est un peu cerné. C'est quand même une belle leçon, je pense qu'encore une fois, il faut souvent en tirer les leçons de l'histoire.
04:41Mais visiblement c'est une leçon qui n'a pas franchement servi, malheureusement.
04:45Oui, mais parce qu'on a oublié l'histoire, vous savez, il y a eu récemment, je crois, une enquête qui a été faite, il y a un jeune sur deux qui n'a pas entendu parler de la Chouard,
04:54si on est dans le déni de notre histoire, notre histoire à nous, c'est aussi l'histoire de France, ce n'est pas que l'histoire de la civilisation, on sera condamné comme toujours à la revivre.
05:05Et encore une fois, c'est compliqué souvent de faire face à son histoire, ça peut être douloureux, mais c'est nécessaire.
05:14Et aujourd'hui, c'est vrai qu'on est tous un peu effarés de constater ces dégâts, c'est fou cette société en personnalité, alors qu'on a tout pour eux, on a tout.
05:27Évidemment que c'est compliqué, mais je ne l'avais pas vu arriver comme ça, cette histoire, il y a 10-15 ans, je n'aurais jamais pensé que la société française et même l'européenne et mondiale basculent de cette façon-là, se radicalisent des deux côtés.
05:41Et vous avez l'impression que l'accueil du public est différent aujourd'hui ? Vous le sentez ça ?
05:45Oui, on l'entend par le silence du public, il y a un silence vraiment profond, il y a quelque chose qui est très lourd à entendre, bizarrement, on se dit que c'est que ça résonne.
05:56Ce silence-là, je ne l'ai jamais connu, et même il y a 14 ans, quand j'ai joué la pièce, il n'y avait pas ce silence-là.
06:02Ça nous dépense à ce qu'il s'était passé, c'est terrible, là il y a quelque chose dans la salle, on voit bien que ça résonne très fortement.
06:11Et elle est importante à aller voir cette pièce, inconnue à cette adresse, avec Pascal Elbé, Stéphane Guillon, avec une mise en scène aussi, on va en parler, de Jérémy Lippmann, qui est excellente, c'est à voir en ce moment au Théâtre Antoine.
06:22Dans un instant, on va parler série avec Eloïse Gouin, à tout de suite sur Europe 1.