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00:00Avec les débatteurs du soir, bonsoir Alexandre Malafaille, fondateur du think-tank Sinopia,
00:09bonsoir Raphaël Stainville, directeur adjoint de la rédaction du journal du dimanche.
00:14Notre invité est historien, il est normalien, il connaît la Vème République par cœur,
00:20il est auteur de Charles Pasqua, dans l'ombre de la République, aux éditions passées
00:25composées.
00:26Bonsoir Pierre Mananti.
00:27Bonsoir Pierre Devilleneau.
00:28Une question toute simple, pourquoi avoir choisi ce personnage, j'allais dire truculent
00:34de l'ancien ministre de l'Intérieur ?
00:36Je crois que vous l'avez dit, c'est un personnage dont on se souvient de la gouaille,
00:40la force politique, le dynamisme, c'est une grande figure de la droite, j'en suis pas
00:44à mon coup d'essai puisque c'est mon quatrième livre sur l'histoire de cette droite et notamment
00:48de la droite gaulliste et post-gaulliste.
00:50C'est votre deuxième portrait.
00:51C'est le deuxième portrait.
00:52On a vu Albin Chalandon.
00:53C'est vrai, Albin Chalandon qui était vraiment justement secrétaire général du parti gaulliste,
00:58du général de Pompidou, là avec Charles Pasqua, on est dans l'après De Gaulle, c'est
01:02l'homme qui fait cette transition entre De Gaulle et Pompidou et puis Jacques Chirac,
01:06la droite RPR et qui va être son compagnon pendant 20 ans.
01:08Mais vous avez un malin plaisir à choisir ceux qui sont, j'allais dire, au deuxième
01:12rang.
01:13Pourquoi ? Parce que tout le monde va faire Baladur, Villepin, peut-être un jour Bayrou,
01:19d'ailleurs ça a été fait, Sarkozy, etc.
01:23Les livres de Nicolas Sarkozy et puis les présidents par Catherine Ney, elle a fait
01:28pratiquement tous les présidents.
01:29Il y a une forme de goût pour ces personnages de Londres, ces gens qui comptent beaucoup
01:33et qui sont au deuxième rang, la formule est assez juste, et en même temps c'est
01:37souvent d'eux que viennent les solutions, d'eux que viennent les réussites.
01:40On dit souvent que derrière chaque grand homme politique se cache une grande femme.
01:44Il y a aussi souvent un second, un lieutenant et Charles Pasqua est l'homme sans qui Jacques
01:49Chirac n'aurait pas eu la carrière qu'il avait eue.
01:51Ça me tenait à cœur de raconter ce rôle particulier.
01:54Il y a eu deux choses qu'on peut retenir de Charles Pasqua, alors évidemment votre
01:58livre est beaucoup plus épais et donc il y a plein de choses que vous racontez qui
02:01sont d'ailleurs aussi beaucoup d'anecdotes personnelles, mais il y a deux choses, c'est
02:05que d'abord il y a eu la phrase « on va terroriser les terroristes », ça a marqué
02:09les esprits.
02:10Et puis surtout il fait partie d'une mouvance dans les années 90 qu'on a appelée les
02:15souverainistes.
02:16Alors il y a eu Séguin, il y avait Philippe de Villiers, il y avait Alain Madelin, il
02:20y avait quelques-uns comme ça qui ont cru et qui aujourd'hui d'ailleurs, Charles
02:25Pasqua n'est plus là pour nous le dire, mais qui pourraient dire « ben voilà, écoutez,
02:30vous voyez finalement on avait peut-être raison ».
02:31Ça a été un des grands combats de sa vie, il était persuadé comme le général que
02:38l'Europe devait être une Europe confédérale, une Europe des nations, qu'il ne fallait
02:41pas chercher l'homogénéisation entre des pays, des cultures trop différentes et que
02:46oui il fallait que l'Europe existe dans un contexte de guerre froide entre les Etats-Unis
02:49et la Russie, mais il fallait qu'elle savent aussi préserver ses particularismes, respecter
02:54l'indépendance de chaque pays, respecter les souverainetés nationales.
02:56Et donc c'est la raison pour laquelle il s'est engagé en 92 contre Maastricht, en
03:0197 contre Abcindam et puis c'est aussi la raison pour laquelle il s'est fâché avec
03:05Jacques Chirac, on a dit le compagnonnage que les deux hommes ont eu, les aventures
03:08politiques qu'ils ont eu, mais en 99, c'en est trop pour Charles Pasqua, il décide effectivement
03:13de faire cette liste indépendante avec Philippe de Villiers notamment et ça va être le
03:17dernier grand combat de sa vie puisqu'il va être un des porteurs de ce qu'on a appelé
03:20le souverainisme à la française.
03:22Alexandre Malafaille ?
03:23Oui, moi j'aimerais revenir sur l'homme que vous avez approché directement et indirectement
03:29à travers toutes les archives que vous avez consultées.
03:32Comment le qualifieriez-vous ? Que diriez-vous de lui ? Est-ce que c'était un personnage
03:37attachant ? Quelles étaient ses qualités ? On a cette espèce de personnalité incroyable
03:41qu'on connaît, il faut souvenir la libération des otages, à la mairie de l'école de Neuilly,
03:48il avait vraiment fait une conférence remarquante, il avait dit les mots justes, il avait une
03:52personnalité qu'on aimait.
03:53Quel était l'homme ? Qui était l'homme ?
03:55Je crois qu'il y a deux mots qui viennent à l'esprit quand on parle de lui, il y a
03:58d'abord le côté fidèle, fidèle aux idées, fidèle aux hommes, c'est quelqu'un qui n'a
04:03pas, contrairement à d'autres hommes de sa génération politique, enchaîné les
04:07trahisons ou les coups bas, il était vraiment persuadé de la justesse de sa cause, persuadé
04:13de devoir faire tout ce qui était en son possible pour certains hommes, ça a d'abord
04:15été le général de Gaulle, ça a ensuite été Pierre Mesmer.
04:17Il l'a connu ? Il l'a rencontré ?
04:18Alors il a rencontré le général de Gaulle, il a notamment joué un rôle au moment de
04:21l'élection présidentielle 65, il a ensuite été au moment des législatives 67 un des
04:25grands organisateurs de ces législatives, à travers le SAC, le service d'action civique
04:29dont il était un des pontes, et puis c'était quelqu'un de simple, et j'insiste sur ce
04:34mot parce que c'est quelqu'un d'abord qui venait d'une extraction très modeste, son
04:38père était policier, son grand-père était berger, il a commencé avec des petits boulots,
04:43détective privé, plagiste, des chargeurs de camions de cigarettes, il s'est fait tout
04:46seul, il a monté vraiment les échelons du pouvoir un à un, et il a su garder cette
04:53simplicité toute sa vie durant, et ça c'est vraiment des témoignages que moi j'ai pu
04:57réunir, des documents que j'ai pu consulter, on sent jusqu'au bout, jusqu'à la fin de
05:02sa vie, même après avoir été deux fois ministre de l'intérieur, ce souci de parler
05:06au français, de parler des problèmes du quotidien, de parler simplement autour d'un
05:10Ricard, d'une bière, d'un moment sympathique, toujours avec un morceau de saucisson corse,
05:14il étonnait beaucoup, mais en tout cas, ne pas perdre ce lien entre les français et
05:19les politiques, c'est quelque chose qu'il avait vraiment à l'esprit et à cœur.
05:22Raphaël Saint-Ville.
05:23Oui, j'ai toujours une question qui me taraude lorsque j'aborde ce genre de personnage
05:29comme Charles Pasqua, c'est de savoir où est-ce qu'il se situerait aujourd'hui, la
05:34question est délicate, presque impossible, mais pour autant je vous la pose quand même,
05:37est-ce qu'il se situerait parmi ceux qui voudraient que la droite gouverne comme c'est
05:44le cas aujourd'hui, quitte à se fonder, fusionner presque avec le macronisme, est-ce
05:47qu'il serait derrière Éric Ciotti, avec Laurent Wauquiez, ou peut-être même derrière
05:52Marine Le Pen, on sait, on se souvient de cette phrase en 88, lorsqu'il disait les
05:58valeurs communes avec Jean-Marie Le Pen, où est-ce qu'il se situerait aujourd'hui ?
06:01Alors c'est toujours difficile à dire, vous l'avez rappelé en propos introductif de
06:05coller le personnage sur une époque qui n'est pas la sienne, je pense qu'il y a deux éléments
06:09qui sont intéressants et qui permettent de dessiner une espèce de réponse, le premier
06:13c'est qu'il se trouvait des valeurs communes non pas avec Jean-Marie Le Pen mais avec les
06:18électeurs du Front National, et ça c'était vraiment quelque chose qui était un de ses
06:21combats, il estimait que si des électeurs du RPR étaient partis vers le Front National,
06:25c'est parce que la droite ne leur parlait plus des problèmes du quotidien, l'immigration,
06:29la sécurité, les questions de pouvoir d'achat, et donc il avait vraiment envie que le RPR
06:35retrouve, reprenne ces thématiques qui étaient fortes sous le général de Gaulle, qui défendait
06:38une droite sociale, une droite populaire, et donc on pourrait le retrouver dans cette
06:42mouvance de gens qui, comme Nicolas Sarkozy en 2007 et comme une partie de la droite républicaine
06:46aujourd'hui disent, il ne faut pas abandonner les débats sur la nationalité, sur l'identité,
06:50sur le pouvoir d'achat à l'extrême droite.
06:52En même temps, c'est quelqu'un, pour répondre à la question « se serait-il fondu avec
06:57le macronisme et la majorité centriste ? », il préférait être dans l'opposition, être
07:03tout seul, qu'abandonner un millimètre de ses idées politiques.
07:06Et il l'a montré en 99, quand il part contre le RPR, contre Nicolas Sarkozy, qui est la
07:11tête de liste, il l'a montré en 2002, il ébauche une candidature...
07:14On est sur une élection européenne en 99.
07:16Exactement, il montre une liste indépendante aux élections européennes, en 2002 il pense
07:19même pourquoi pas se présenter à l'élection présidentielle et puis il ne va pas aller
07:23au bout de cette démarche mais il ne va ne rallier personne parce que c'était les idées
07:28avant tout Charles Pasquoi.
07:29On peut dire ça de beaucoup de monde, les idées avant tout.
07:33Oui, mais il a pris le risque de se marginaliser vis-à-vis de sa propre famille, alors qu'il
07:38aurait pu jouer un rôle beaucoup plus important, à différents moments, il va se fâcher avec
07:42ceux qui l'entourent, avec ceux qui l'accompagnent, parce qu'au fond il avait une boussole qui
07:47était sa vision du gaullisme, et notamment sur les questions de souveraineté, et cette
07:51boussole lui traçait une espèce de nord qu'il ne voulait pas lâcher.
07:54La raison pour laquelle il n'a jamais voulu fusionner, entre guillemets, ou en tout cas
07:58de faire ce qu'on appelle aujourd'hui, pour certains c'est encore un vœu pieux de faire
08:03l'union des droites, il n'a jamais voulu aller avec Jean-Marie Le Pen, pourquoi ? Parce
08:07que c'était l'homme Jean-Marie Le Pen et la question qui vient juste derrière c'est
08:11est-ce qu'il aurait eu une possibilité de se tourner vers Marine Le Pen ou alors est-ce
08:16qu'il ne voulait pas aller vers le Front National parce qu'au-delà d'un mouvement
08:21de droite, c'était aussi un mouvement populiste ?
08:23Alors il y avait d'abord l'homme Jean-Marie Le Pen, ses propos outranciers pour lesquels
08:27il a été plusieurs fois condamné, et ça, parce quoi le résistant qui s'était engagé
08:31dans le combat pour la France Libre dès l'âge de 15 ans, ça lui était insupportable, donc
08:34ce n'était pas discutable.
08:35Il a été hermétique à ça, il ne pouvait pas faire une fusion avec quelqu'un qui tenait
08:41ce genre de propos.
08:42Tout à fait, mais en même temps il a aussi entretenu des liaisons dangereuses comme on
08:45les a rappelées à l'époque, ça a été, vous l'avez dit à quelques instants, l'homme
08:48qui en 88 justement tente de négocier une alliance de second tour, et il savait cultiver...
08:52Comme avait fait Jean-Claude Godin d'ailleurs pour la mairie de Marseille en 84.
08:55C'est le cas, et puis ça a été aussi le cas au moment des élections régionales de
08:581998 où plusieurs présidents de région ont été élus grâce aux voix du Front National
09:03à l'époque.
09:04Il n'était pas contre cette stratégie d'alliance d'aller rechercher des électeurs, mais l'homme
09:08lui était par contre insupportable.
09:09Est-ce qu'aujourd'hui, du coup, alors c'est toujours difficile de faire de la politique
09:15fiction, le nom de Retailleau me vient assez à l'esprit, est-ce que, je pense qu'il serait
09:21à peu près dans les mêmes souliers que Bruno Retailleau qui lui-même a été dans
09:25les souliers de Philippe de Villiers, on le sait très bien, donc c'est la continuité
09:29j'allais dire des idées souverainistes qui ont peine à s'imposer aujourd'hui dans notre
09:33pays, mais est-ce qu'une entente avec Marine Le Pen aurait été plus possible qu'avec
09:38Jean-Marie Le Pen ?
09:39C'est difficile d'y répondre parce qu'elle est aussi avant tout la fille de son père
09:50et Charles Pasquois c'est quelqu'un pour qui le sens de la famille, l'unité familiale
09:53était important, il n'empêche que le RN d'aujourd'hui n'est plus ce qu'était le Front National
09:58de l'époque, est-ce qu'il aurait pu engager des discussions, des négociations, je ne sais
10:03pas.
10:04Par contre, vous avez raison d'évoquer le nom de Bruno Retailleau et je pense que là
10:07on a une forme de mimétisme entre les deux hommes, d'abord parce qu'ils ont tous les
10:10deux été ministres d'intérieur et puis parce que c'est le cas depuis quelques semaines
10:14mais particulièrement ces derniers jours, Bruno Retailleau dans son style, dans la forme
10:17des propos publics qu'il peut avoir, dans le côté manche retroussée, main dans le
10:21cambouis, quitte à avoir des propos qui peuvent blesser.
10:24Vous le dites très bien dans votre livre, Charles Pasquois ça a été aussi le plagiste,
10:29ça a été l'enfant de la balle, ça a été celui qui a gravi les échelons chez Ricard
10:34à l'époque, ça a été aussi un homme qui a connu l'entreprise, ce n'est pas juste
10:40un archétype du moule de l'exécutif, ce n'est pas quelqu'un qui est allé faire
10:47les nains et qui est sorti en faisant ça.
10:50C'est quelqu'un qui savait parler vrai, qui n'avait pas peur des mots qu'il employait,
10:54qui savait se fâcher, qui ne cherchait pas.
10:56Il y en a d'autres aujourd'hui, je peux vous les montrer.
10:58C'est vrai, il y en a encore quelques-uns dans ce studio.
11:01Il ne cherchait pas la convenance, l'alliance.
11:03Il ne se fâche jamais, ça dépend des jours.
11:07C'est en tout cas une certaine dérive de la droite vers un propos plus modéré, un
11:12propos plus centriste, un propos plus convenu sur l'Europe qu'il a fâché avec Chirac,
11:16avec le RPR et finalement c'est cette droite qui ne mâche pas ses mots à laquelle il
11:21était attaché.
11:22L'union des droites, c'est un concept auquel vous croyez, vous permanentez, en observant
11:27la vie politique aujourd'hui ?
11:29C'est difficile à dire parce que d'abord l'échec qui est politique a beaucoup changé
11:33depuis l'époque du Général De Gaulle et même du RPR.
11:35Vous êtes un nostalgique de la qualité de la personne politique ?
11:41Oui, définitivement, et puis un nostalgique de cette époque où…
11:44Vous êtes dans le « c'était mieux avant » ?
11:46Je ne sais pas si c'était mieux avant, mais en tout cas on avait…
11:49Vous préférez les Rolling Stones à Welsan ?
11:51Un petit peu, c'est vrai.
11:52Non, mais on avait un regard sur l'avenir plein de promesses, plein d'enthousiasme,
11:59on était confiant, on était fier d'être français, on était fier d'être gaulliste,
12:02on était fier d'être de droite et ça c'est quelque chose que les hommes politiques pourraient
12:06redonner aux français, avoir envie d'eux.
12:08Alexandre, est-ce que vous avez le sentiment en tant qu'historien, après avoir observé
12:12pas mal de figures politiques de cette famille gaulliste, que le fait d'avoir été trempé
12:16quand même dans l'histoire douloureuse, pour ne pas dire plus que ça, du XXe siècle
12:21a fait qu'on avait chez ces personnes à l'âge politique quelque chose quand même
12:25à la ligne des grands hommes, quelque chose qui les amène à transcender leur personnalité
12:30parce qu'ils avaient vu et vécu l'histoire de près avec tout ce qu'elle contient de compliqué
12:34et qu'aujourd'hui on a une classe politique qui est assez éloignée de ces grandes crises ?
12:37Oui, tout à fait, l'épreuve de la résistance a forgé une génération d'hommes politiques
12:41de droite comme de gauche d'ailleurs, qui sont nés, ont été madrés par l'idée
12:47qu'il fallait dépasser des clivages politiques, dépasser des contingences pour se mettre
12:51au service du pays, au service d'une cause.
12:53Leur engagement politique était d'autant plus brut, intégral, authentique
12:57qu'ils avaient failli mourir pour la France.
12:59Charles Pasqua, dans l'ombre de la République, aux éditions Passé Composé.
13:03Merci Pierre Mananty d'avoir été en direct sur Orpins pour parler de ce livre.