• il y a 21 heures
À 8h20, les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme sont les invités du Grand Entretien. Ils publient l'enquête "Les juges et l'assassin" aux éditions Flammarion, sur la gestion de la crise sanitaire du Covid-19 en France. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-22-janvier-2025-8779355

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Transcription
00:00Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin deux journalistes d'investigation du quotidien
00:05Le Monde.
00:06Ils publient aujourd'hui chez Flammarion « Les juges et l'assassin ». Vous pourrez
00:10dialoguer avec eux au 01 45 24 7000 et sur l'application Radio France.
00:17Gérard Davé, Fabrice Lhomme, bonjour.
00:20Bonjour.
00:21Et bienvenue sur Inter pour parler de cette nouvelle enquête qui va faire du bruit comme
00:27toutes celles que vous avez publiées, que ce soit Sarko Mathieu, un président ne devrait
00:32pas dire ça, sur le mandat de François Hollande ou le traître et le néant sur le mandat
00:37d'Emmanuel Macron.
00:38Mais cette fois, il s'agit d'une instruction judiciaire fleuve avec un dossier de plus
00:44d'un million de pages, éverest juridique qu'ont gravi trois juges, ceux de la Cour
00:50de Justice de la République, la CJR, ce sont eux les juges du titre de votre livre.
00:56Et l'assassin, c'est un virus, le Covid-19, qui a fait 170 000 morts en France.
01:03Pourquoi vous semblez-t-il important de faire connaître au public les coulisses de l'enquête
01:09de la CJR qui a été clôturée le 30 décembre dernier sans aucune mise en examen ? Vous
01:15ne vouliez pas qu'elle finisse dans un tiroir, qu'on oublie ce qui s'était passé ?
01:21Exactement, parce que quand, avec Gérard Davet, nous avons réussi à prendre connaissance
01:27de cette procédure totalement secrète, rien n'a jamais fuité en cinq ans sur les développements
01:32judiciaires de cette affaire, on a eu un sentiment de vertige parce qu'on a découvert dans
01:37le dossier judiciaire des éléments parfois secrets défense, parfois des éléments tout
01:42simplement inédits, des échanges de mail ou de SMS au plus haut niveau de l'État,
01:47des secrets des conseils de défense ou des conseils des ministres, et tous ces éléments
01:51éclairaient d'un jour totalement nouveau la gestion de la crise du Covid, surtout les
01:55six premiers mois, c'est-à-dire de janvier à juillet 2020, et qui donnent une lecture
02:00totalement différente de cette affaire qui reste une affaire tout à fait inédite et
02:04même historique.
02:05Avant d'entrer dans le contenu et dans les révélations de votre livre, cette enquête
02:08qui devrait se finir sur un non-lieu, c'est ça la fin judiciaire qu'on attend dans les
02:16prochaines semaines, on est bien d'accord.
02:17C'est la fin annoncée, on ne le sait pas encore pour l'instant parce que les juges
02:20vont rendre leur verdict a priori au printemps 2020, 5, mais il y aura probablement un non-lieu
02:26général.
02:27Pour autant, est-ce que cela signifie que cette enquête n'était pas utile ? Nous
02:31considérons qu'au contraire, elle est extrêmement éclairante.
02:34Justement, un non-lieu probable, après avoir donné lieu à de très nombreuses auditions
02:38de ministres, d'Edouard Philippe à Olivier Véran, en passant par Agnès Luzin, cette
02:41enquête a été contestée et jugée abusive dans son principe par certains.
02:45Je vous en cite un, Olivier Beaud, professeur de droit public, qui déclarait dans La Croix
02:49au moment de la clôture de l'enquête « J'ai toujours qualifié ces poursuites de ridicules
02:53et de grotesques.
02:54D'un point de vue juridique, il est infondé de poursuivre pénalement des ministres en
02:56fonction.
02:57Il y a eu des commissions d'enquête créées dans tous les sens pour qu'ils se justifient.
03:00Cela suffisait largement.
03:01» Ce livre, c'est aussi pour répondre à ceux qui disent au fond à quoi bon cette
03:05enquête de la CGR, à quoi bon ces perquisitions, ces auditions.
03:08Vous vous dites, si ça a servi, c'est ça en gros ?
03:12Pour le moins, parce que c'est vrai qu'il y a eu une mission d'information de l'Assemblée
03:16et une commission d'enquête du Sénat qui ont été très intéressantes.
03:20Mais les sénateurs et les députés n'ont pas de moyens de coercition, ils ne peuvent
03:23pas faire des perquisitions, ils ne peuvent pas procéder de garde à vue, ils ne peuvent
03:27pas saisir de force des documents.
03:29Or, c'est en menant ces opérations que les juges ont obtenu des choses que personne
03:33n'avait obtenues.
03:34Or, ça apporte des choses.
03:35Et moi, ce qui me surprend dans l'intervention que vous citiez, chacun est libre de contester
03:41telle ou telle enquête, bien entendu, mais c'est très curieux de contester une enquête
03:43dont on ne connaît pas le contenu.
03:44Ce qui est intéressant, c'est de juger sur pièce.
03:46C'est pour ça que je renvoie à notre livre.
03:49Et pourquoi ? Parce que c'est la seule façon de connaître le contenu de cette enquête
03:52et de voir qu'en fait, il y a quand même des révélations qui sont instructives sur
03:56le fonctionnement, je dirais plutôt sur les dysfonctionnements de l'État, qui n'auraient
03:59jamais été mis en lumière si on n'avait pas eu accès à cette procédure.
04:02Votre livre, au fond, pose la question et toute l'enquête de la CJR également, question
04:08formulée dans l'introduction.
04:09Un ministre, quand il prend une décision politique, doit-il redouter d'en payer le
04:14prix plus tard sur le plan pénal ? C'est ça le cœur de votre réflexion ?
04:20Oui, fondamentalement, on s'est aussi appuyé sur Robert Ballinter, qui disait très clairement
04:24lui aussi qu'un ministre devait rendre des comptes, y compris sur le plan pénal.
04:27C'était le signe de démocratie mature.
04:29Effectivement, on a le sentiment, en ayant parcouru ce million de documents, c'est un
04:35Everest comme vous le disiez, qu'il y a des éléments qui sont incroyablement éclairants
04:39d'un point de vue administratif, pas forcément d'un point de vue pénal.
04:43C'est parfois un peu compliqué de faire la différence, mais objectivement, nous avons
04:47par exemple extirpé des documents qui prouvent, par exemple, qu'en septembre 2019, d'ores
04:52et déjà, il y a des agences de l'État qui disent qu'il ne faut pas reconstituer
04:56les stocks de masques.
04:57On ne le fait pas.
04:58Malgré la doctrine qui est très clairement établie, on ne le fait pas pour des raisons
05:02purement budgétaires.
05:03Et ça, c'est un élément qui est extrêmement, je trouve, à charge pour le fonctionnement
05:08de l'État au tout début de la crise.
05:09On va venir aux masques, c'est une des révélations de votre livre.
05:13Dès le début du livre, vous placez en miroir deux chiffres.
05:15D'un côté, les 170 000 décès impultables au Covid entre 2020 et 2025 et de l'autre,
05:20le nombre de rapports, de plans d'action, de circulaires produits par l'administration
05:24française ou le Parlement pendant 20 ans pour prévenir de l'imminence d'une pandémie
05:28et anticiper les moyens mis en œuvre pour l'antiquer.
05:30Il y en a eu 51.
05:31Pendant 20 ans, il y a eu 51 rapports ou circulaires pour dire attention, c'est en
05:36risque de pandémie.
05:37Voilà ce qu'il faut faire.
05:38Et vous, vous mettez en rapport le chiffre des morts.
05:41Qu'est-ce que vous voulez dire avec ça, avec cette mise en rapport de ces deux chiffres?
05:45Quelque chose de très simple, c'est que beaucoup d'observateurs et d'ailleurs nous-mêmes
05:50ont pensé lorsque la crise est apparue et même dans les semaines et les mois suivants
05:55que tout ça était imprévisible.
05:56Il nous tombait dessus quelque chose d'invraisemblable et on s'aperçoit à la lecture des documents
06:01qu'on révèle donc que non seulement ce n'était pas imprévisible, c'était prévisible,
06:06mais c'était plus que prévisible, c'était prévu.
06:08C'était prévu.
06:09Il y avait des rapports qui disaient qu'il y avait l'imminence d'une crise sanitaire
06:13était inéluctable, qu'on y aurait droit et qu'il y avait un moyen d'y parer du moins,
06:18au moins dans les premières semaines, d'être équipé, d'être outillé et ça se jouait
06:22notamment, pas seulement, mais notamment sur les masques, c'est-à-dire se doter de stocks
06:26considérables, etc.
06:27Or, tous ces rapports, toutes ces recommandations sont restées lettres mortes et c'est absolument
06:32fascinant de voir que ce n'est pas un rapport dans un coin, c'est des dizaines et des dizaines
06:36de rapports des plus hautes autorités administratives de l'État qui sont restés sans suite.
06:40Vous posez cette question, comment malgré tous ces documents officiels dont on vient
06:46de parler, rédigés avant l'irruption du virus, ont-on pu comptabiliser autant de morts,
06:52100 par jour, depuis 5 ans ? Mais si on compare avec les pays européens, 230 000 morts au
06:58Royaume-Uni, 190 000 en Italie, 175 000 en Allemagne, sans parler de la Bulgarie et de
07:05la Bosnie qui ont payé le plus lourd tribut, il y a une anomalie française de votre point
07:14de vue ? Il y a une exception française ?
07:16Oui, très clairement.
07:17Pourquoi ? Parce que nous, on s'est focalisé sur les 6 premiers mois, 2 chiffres.
07:21Le 11 mars, il y a 48 décès qui sont comptabilisés en France, le 11 mars 2020.
07:25Le 11 juillet, on en est à 32 000.
07:27Il y a eu, grosso modo, 280 morts par jour en l'espace de 4 mois.
07:31C'est sur ces 6 mois-là que les juges ont concentré leur enquête et que nous, on s'est
07:36focalisé.
07:37Pourquoi ? Parce que c'est là que tout a manqué.
07:38Il n'y avait pas de tests, il n'y avait évidemment pas de vaccins, il n'y avait pas de masques,
07:42il n'y avait pas de stratégie d'isoler tracé.
07:44Mais est-ce différent de ce qui s'est passé en Europe ?
07:47Ce qui est différent, c'est que la France, j'allais dire, a fait aussi mal qu'un certain
07:54nombre d'autres pays.
07:55Le problème, c'est qu'on aurait dû, et on était les meilleurs, on aurait dû être
07:58les meilleurs.
07:59Et de loin, en 2006, il y avait un rapport de l'OMS qui disait que la France était
08:03le pays sans doute, en tout cas, un des pays les mieux équipés pour faire face à une
08:07pandémie.
08:08On sait que jusqu'en 2009-2010, on avait en stock plus de 2 milliards de masques.
08:132 milliards.
08:14Quand la crise survient, on est à quelques dizaines de millions dont certains sont périmés
08:17et d'autres sont encore valables et on les détruit.
08:19C'est surréaliste, c'est loufoque.
08:21Donc ça signifie que quand on entre dans la bataille, dans la crise, on est complètement
08:25désarmé alors qu'on devait être sur-équipé.
08:27On aurait dû être les meilleurs et de loin.
08:29Et c'est une des questions que vous posez, c'est où est, où était, où sont passés
08:34le milliard de masques manquants alors qu'on avait des stocks et ça, vous le dites, c'est
08:39prouvé, on avait des stocks d'un milliard et qu'on arrive au début de la pandémie
08:45avec à peine 100 millions de masques.
08:49Votre enquête est très détaillée et vous dites qu'il y a eu des réductions de masques,
08:55des destructions de masques, des décisions d'exporter les masques en Chine au tout début
08:59de la pandémie.
09:00Bref, des erreurs en chaîne et que chacun s'est rejeté la patate chaude en disant
09:04« c'est pas moi, c'est la faute de lui ».
09:06Oui, exactement.
09:07Et c'est été, j'allais dire, une lente déliquescence puisqu'en gros, à partir
09:11des années 2010, l'État a commencé à ne plus vraiment s'occuper de ses stocks.
09:15Mais en 2017, lorsque Emmanuel Macron arrive au pouvoir, on a encore près de 800 millions
09:20de masques en stock.
09:21C'est insuffisant par rapport aux préconisations, mais c'est quand même pas mal.
09:24Et ce qui va se passer, c'est que de 2017 à 2020, les stocks vont fondre.
09:30Il n'y aura quasiment pas de commandes en regard.
09:32Donc, tout ça va disparaître alors qu'encore une fois, il y a des alertes, mais les alertes
09:37restent lettres mortes.
09:38Personne ne veut les entendre.
09:39Personne ne s'y intéresse.
09:40Et donc, ça signifie que là où on avait encore une fois plus qu'un milliard, on a
09:44été jusqu'à plus que deux milliards de masques.
09:46On n'a plus rien.
09:47On n'a plus rien en caisse.
09:48Et on se retrouve avec, justement, des extraits des conseils de l'Effense et des conseils
09:52de ministres auxquels nous avons eu accès parce que les ministres, pendant les conseils
09:55de l'Effense et les conseils des ministres, prennent des notes.
09:57Ces notes ont été saisies par les juges.
09:59Donc, on a eu accès à ces notes prises par les juges, par les ministres.
10:03Donc, on sait ce qui s'est dit pendant les conseils des ministres et on se retrouve
10:05par exemple avec Edouard Philippe qui était Premier ministre à l'époque qui dit « quitte
10:09des masques ».
10:10Il se demande « quitte des masques ».
10:11Que s'est-il passé sur les masques ?
10:12Et ensuite, on va se retrouver avec ces mêmes premiers ministres et ministres qui, devant
10:16les médias, vont dire « oh, ce n'est pas vraiment un souci, il n'y a pas d'obligation
10:20de mettre des masques, etc. ».
10:21Et c'est là qu'on peut caractériser avec Fabrice et dire que clairement, il y a eu
10:24une volonté de dissimuler la pénurie de masques.
10:27Quel rôle a joué Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé, dans la gestion des
10:32stocks de masques et dans la baisse de ces stocks ?
10:35Il joue un rôle clé puisqu'il est effectivement à la DGS, à la Direction Générale de la
10:40Santé.
10:41C'est le « bras droit » des ministres successifs.
10:44Il était déjà sous Marisol Touraine, il était déjà en poste en fonction, avec un
10:50rôle important.
10:51Donc, c'est celui qui sait en réalité la vérité.
10:54C'est-à-dire qu'il a des retours de son administration qui montrent bien qu'il n'y
11:00a plus de masques en stock.
11:01On a des échanges de SMS, notamment entre lui et Agnès Buzyn, où il annonce déjà,
11:07il pressant les ennuis à venir en disant « Agnès, s'il le faut, je te servirai de
11:10fusible ». Donc, il sait parfaitement dans quelle situation on est.
11:13Il peut sauter.
11:14Voilà.
11:15Et pour autant, devant les médias, c'est le visage qu'on connaît, quelqu'un de
11:18très rassurant, qui donne l'impression de tout maîtriser, alors qu'en fait, on
11:21sait que dans la coulisse, c'était la panique.
11:23Alors que les politiques, quand on lit votre livre, on a l'impression que les politiques
11:27mises en cause essayent de dire « moi, j'ai plutôt bien fait ». Globalement, tous,
11:31ils se défendent.
11:32Il y en a un qui avoue franco des défaillances, c'est Benoît Ribadeau-Dubas.
11:37Ribadeau-Dubas, l'ancien directeur de cabinet d'Édouard Philippe à Matignon.
11:41Face au magistrat, il déclare « oui, on peut considérer qu'on s'est trompé deux
11:45fois.
11:46D'abord dans la préparation, parce que la décision de laisser tomber le stock de masques
11:49de 1 milliard à 100 millions peut être aujourd'hui analysée comme une erreur.
11:52Ensuite, on s'est trompé, on s'est trompé en répétant pendant deux mois qu'il ne
11:57fallait pas mettre de masques dans la population générale.
12:00On se rappelle, pas besoin de mettre des masques, mais on l'a dit parce que les scientifiques
12:05nous le disaient et parce qu'il fallait protéger l'accès des masques aux soignants.
12:08Ces deux erreurs, il sera le seul à les avouer.
12:11Il est le seul.
12:12On a épluché toutes les auditions des uns et des autres devant la CGR.
12:15Il est le seul à reconnaître clairement ce qui s'est passé et à avoir un discours
12:19absolument franc sur la question.
12:22Les autres, Edouard Philippe, Olivier Véran, Agnès Buzyn et quelques autres, ne se sont
12:27jamais départis d'une attitude qui était de dire « on a fait le maximum, on aurait
12:32pu peut-être faire mieux, mais comparons-nous aux autres, ce n'est pas si mal ».
12:35Or, nous, on considère qu'une crise qui a créé autant de tristesse, de malheurs
12:40dans ce pays, 170 000 victimes quand même, on ne peut pas mettre un coin de tapis dessus
12:46en se disant « on aurait pu faire mieux, mais finalement ce n'est pas si mal ».
12:48Et vous auriez aimé entendre quoi de leur part ?
12:50On a commis des erreurs, c'est ça ?
12:51Eh bien, pour le moins, parce qu'effectivement, des erreurs ont été commises incontestablement.
12:55Alors, le distinguo entre erreur et faute est toujours délicat à faire.
12:59C'est au juge de le faire.
13:01Pour l'instant, ils ont plutôt considéré qu'on était dans le registre de l'erreur.
13:05Mais je pense que c'est la moindre des choses de pouvoir envoyer ce message à nos concitoyens.
13:10Si il y avait eu des erreurs ou des fautes, il y aurait eu des mises en examen.
13:13Eh bien, justement, je pense qu'une erreur ne se sanctionne pas forcément par une mise
13:16en examen.
13:17On a effectivement une succession d'erreurs.
13:20Je rappelle quand même qu'Agnès Buzyn, à un moment, a été mise en examen par les
13:24juges de la CJR.
13:25La Cour de cassation a estimé que l'incrimination ne tenait pas.
13:29Donc, on voit qu'il y a quand même un débat juridique qui a eu lieu et qui peut continuer
13:33d'avoir lieu.
13:34L'enquête n'est pas totalement terminée.
13:35Elle va revenir aux juges, ils peuvent encore agir.
13:37Mais même si on est d'accord que, sans doute, ça finira en non-lieu et c'est sans doute
13:40normal.
13:41Mais en revanche, ce qui ne serait pas normal, c'est de ne pas avoir un débat public sur
13:45ce qui s'est passé, sur ce qui ne s'est pas passé.
13:47Parce que si demain, une nouvelle crise survient, et là encore, tout le monde est d'accord
13:50pour dire que ça va arriver, si on ne tire pas les leçons des défaillances que l'on
13:55met au jour, on sera dans la même panade et on aura les mêmes drames.
13:59Ce qui frappe dans votre livre, c'est le sentiment d'une administration kafkaïenne
14:05qui produit des rapports que personne ne lit, qui prend parfois des décisions aberrantes,
14:11mais aussi d'une administration appauvrie.
14:15Vous parlez de la baisse du nombre de fonctionnaires dans toutes les agences de l'État chargées
14:19de prévenir ces pandémies.
14:22Vous avez voulu montrer ce double aspect-là ?
14:24Oui, c'était important de rentrer au cœur de l'administration.
14:27En fait, ce livre, c'est vraiment pour nous une immersion en haute zone administrative.
14:34On est rentré dans le bureau du président de la République, mais aussi dans les bureaux
14:37des différents administrateurs de l'État pour bien comprendre ce qui s'était passé.
14:40Et oui, il y a eu un appauvrissement complet de l'administration.
14:44Il y a eu un appauvrissement complet aussi des structures.
14:47En Sainte-République-France, par exemple, on a retrouvé une note qui dit clairement
14:51qu'on n'a pas les moyens de lutter contre une pandémie si elle arrive.
14:53Ça, c'est juste avant la pandémie.
14:55C'était dit clairement noir sur blanc.
14:57On n'en a pas tenu compte.
14:58Donc, c'est quand même un souci.
14:59Et on peut aussi parler, évidemment, on parle des masques, mais il y a tout le reste.
15:03L'empilement des structures qui ne servent à rien.
15:05On reproduit des schémas absolument incroyables de lutte contre le Covid, où on s'aperçoit
15:12qu'il y a des dizaines de structures dans tous les sens et qui se phagocytent mutuellement.
15:17Donc, comment lutter efficacement dans ces conditions ? C'est impossible.
15:21On a découvert, et pour nous ça reste à la fois fascinant et très préoccupant, que
15:25le changement de doctrine de l'État par rapport aux masques, qui a été entériné
15:30en deux temps, en 2011 et en 2013, notamment par un secrétariat général de la Défense
15:35Nationale que peu de gens connaissent, mais qui a un pouvoir considérable, qui est une
15:38autorité administrative.
15:39Ce changement de doctrine, qui est fondamental, qui fait qu'en gros, on s'est débarrassé
15:43des masques, personne ne sait, personne n'est capable de dire qui l'a décidé.
15:46C'est extraordinaire.
15:47Même les ministres eux-mêmes qui ont été entendus disent « ah non, je ne sais pas ».
15:50Parfois, certains disent « je n'en ai pas entendu parler ».
15:52Donc, on a laissé un pouvoir à l'administration qui, elle, fait son travail, mais qui a la
15:57nature horreur du vide.
15:58Le politique s'est déchargé sur l'administration, un, en la privant de moyens et deux, en lui
16:04laissant libre cours à des décisions qui, normalement, relèvent de l'autorité politique.
16:08Vous pénétrez au cœur de l'administration, dans les secrets de l'administration, vous
16:11dites qu'on a réussi à pénétrer dans le cœur du bureau du Président de la République
16:16et des ministres vont pénétrer aussi dans votre livre, dans les SMS, parce que vous
16:19avez, et c'est ce qui est d'ailleurs assez vertigineux, vous avez accès, vous avez vos
16:24sources, vous n'allez pas les citer, on imagine quand même que vous avez pu lire ce dossier
16:29de la CGR, donc quelqu'un vous l'a donné, mais les SMS, notamment, que s'envoient les
16:34ministres, les insultes, on ne va pas les citer ce matin, à deux noms où chacun se
16:42late, comme on dit de manière violente aujourd'hui, c'est très violent, entre Agnès Buzyn, Jérôme
16:50Salomon, Olivier Véran, Raoult, on va y venir, mais bon, c'est très violent, Agnès Buzyn
17:01notamment, vous citez un de ce message hallucinant qu'elle envoie à Édouard Philippe en lui
17:04disant « Réveillez-vous, globalement, Édouard, écrit-elle, vous êtes en dehors de la plaque
17:07complètement, prenez une décision de confinement car nous avons 15 jours de retard, je ne
17:10perds pas mes nerfs, je suis lucide, derrière vos décisions, ce sont des gens qui vont
17:14mourir, le discours du Président ce soir est incohérent, faites de la politique, prenez
17:17vos responsabilités ». Et là, on n'a pas cité les insultes, mais c'est comme ça,
17:21c'est comme ça partout dans tout le livre.
17:23Oui, « Derrière vos décisions, des gens vont mourir », cette phrase, elle est absolument
17:26terrifiante.
17:27Et maintenant, le ministre de la Santé qui a quitté son poste, je vous le rappelle,
17:30en pleine pandémie pour conquérir une chimère, c'est-à-dire la mairie de Paris, on reconnaît
17:34la suite.
17:35Donc oui, ces SMS sont éclairants, on ne les a pas tous cités, il y en avait vraiment
17:39des centaines, vraiment des centaines dans le dossier, on a fait un tri pour mettre ceux
17:43qui étaient d'intérêt général à notre avis, pour montrer à quel point ces gens-là
17:46parfois ont un discours qui est très contraire au public, qui est très contraire à ce qu'ils
17:51disent en réalité.
17:52On n'est pas là pour dire qu'ils mentent en permanence, on est juste là pour dire
17:55que, et oui, une enquête, ça sert à ça aussi, à savoir exactement ce qui s'est
17:59dit et ce qui se trame, est-ce que les uns pensent réellement des autres ?
18:02Allez, on passe au standard d'Inter.
18:04Bonjour Florence.
18:05Bonjour.
18:06Vous nous appelez de Paris, on vous écoute.
18:09Oui, alors j'ai eu le temps de lire les cent premières pages du livre qui vient tout
18:14juste de sortir, mais ce qui me marque déjà dans ces premières pages, c'est que beaucoup
18:18de choses sont jugées à partir des connaissances que l'on a aujourd'hui.
18:22Or au début, il y avait beaucoup d'inconnus.
18:24Par exemple, on peut difficilement reprocher au Premier ministre de ne pas savoir l'ampleur
18:28de la pandémie le 6 janvier 2020, alors que les autorités médicales nationales chinoises
18:34ne le savaient pas non plus à l'époque, à cause de rédentions d'informations qui
18:38avaient lieu.
18:39Et l'autre chose qui me marque, c'est aussi une sorte de recherche de coupable, alors
18:44que dans un exercice rétrospectif, il y a aussi des leçons à tirer.
18:49Donc ça a déjà été un peu mentionné jusque là, mais à partir de toutes les informations
18:53qu'ils ont collectées et des analyses qu'ils ont faites, qu'est-ce que vous recommandez
19:02pour faire mieux la prochaine fois ? Parce qu'il y aura une prochaine fois.
19:05Merci, merci beaucoup Florence.
19:07Deux questions plus simples de réécrire l'histoire ou de l'écrire a posteriori,
19:13ça c'est la première question.
19:15Maintenant qu'on sait comment elle s'est déroulée.
19:17Tout à fait.
19:18Alors, juste pour prendre l'exemple d'Edouard Philippe, on ne l'accuse de rien au début.
19:22Nous, on restitue sa prise de connaissance des informations successivement et le fait
19:27qu'effectivement Agnès Buzyn alerte très rapidement et que personne ne l'écoute vraiment,
19:31y compris Edouard Philippe.
19:32Après, sur le principe de refaire l'histoire après coup, en fait, je pense que l'histoire
19:36ne se fait qu'après coup par définition.
19:38Et une enquête judiciaire revient sur des faits qui ont déjà eu lieu et une enquête
19:43journalistique également.
19:44Donc c'est le propre de toutes les enquêtes.
19:45En revanche, ce qu'il faut effectivement, c'est remettre des éléments de contexte.
19:48Et c'est ce que l'on fait dans le livre à travers des éléments qui sont déjà
19:51connus et surtout à travers beaucoup de documents exclusifs qui permettent de mieux comprendre
19:56ce qui s'est passé.
19:57Et enfin, sur la deuxième question, nous, on ne cherche pas des coupables.
20:00C'est un terme que je réfute totalement.
20:01D'abord parce qu'on n'est pas juge.
20:02Ensuite, ce n'est pas le principe.
20:04Ce n'est pas le projet.
20:05Ce n'est pas le propos.
20:06Le propos, c'est éventuellement de discerner des responsabilités et surtout d'expertiser
20:10ce qui s'est passé pour faire mieux la prochaine fois.
20:13C'est ce que vous demande l'auditrice et qui recoupe par exemple Ève sur l'appli
20:18d'Inter qui vous dit je me questionne avec la mise en perspective de ce qui se passe
20:21par rapport au climat.
20:22Par exemple, il y a plein de rapports qui ne sont pas pris en compte.
20:25S'il y a une nouvelle épidémie, s'il y a une catastrophe climatique massive et
20:31majeure qui arrive là demain, qu'est ce qu'il faut faire de mieux ?
20:34Honnêtement, la première recommandation, j'allais dire la première et peut-être
20:37la seule finalement, c'est que ceux qui sont aux manettes, au pouvoir, écoutent
20:43les gens qui sont en place, en prise avec le réel et qui font des analyses, des rapports,
20:49des recommandations et en tenir compte parce que c'est ce qui est frappant.
20:52Il vous répondrait s'ils étaient là, si les politiques étaient là, il vous dirait
20:55mais le conseil scientifique lui-même était divisé.
20:57Non, il ne répondrait pas ça exactement parce qu'il y a plus.
21:00Ils peuvent répondre ça ponctuellement sur le conseil scientifique, bien entendu, mais
21:03à plusieurs reprises, on le voit à travers certaines auditions.
21:05Les politiques eux-mêmes disent ce rapport, ah ben non, je suis désolé, j'en ai jamais
21:09entendu parler, il n'est pas remonté jusqu'à moi ou je ne l'ai pas lu, on ne me l'a pas
21:12transmis.
21:13Il y a un problème quand même, il y a vraiment un problème au cœur de l'État.
21:16C'est le problème bureaucratique général, j'ai envie de vous dire, qui devient mortel
21:21ou criminel quand il s'agit d'une épidémie.
21:23On est tout à fait au cœur du sujet.
21:24Pour prenez l'enquête parlementaire qui a eu lieu, le rapport Ciotti en l'occurrence
21:28à l'Assemblée, on révèle dans le livre la façon dont ce rapport a été miné de
21:34l'intérieur, c'est-à-dire qu'il y avait des députés au sein qui étaient rapporteurs,
21:37qui étaient dans cette enquête parlementaire, qui renseignaient en sous-main à Yves Buzyn
21:43qui devait être auditionné quelques jours plus tard, en lui transmettant des documents
21:46confidentiels.
21:47Comment voulez-vous ensuite qu'on puisse tirer des leçons de ces commissions d'enquête
21:52qui sont forcément minées de l'intérieur ?
21:54Et puis quand on parle du Covid, on parle évidemment du professeur Raoult.
21:57Oui, on se souvient de la visite très médiatisée d'Emmanuel Macron au début de la pandémie
22:03pour voir Didier Raoult dans son fief marseillais vous révéler que le défenseur de l'hydroxychloroquine
22:10est resté finalement assez longtemps en cours à l'Elysée mais aussi au ministère de
22:16la Santé où il était en contact avec Olivier Véran.
22:21Comment qualifiez-vous les relations entre Raoult et les autorités françaises ?
22:27Il y a une version officielle qui était qu'au départ ce professeur iconoclaste, on va dire,
22:33est apparu comme pouvant détenir la solution miracle et après tout, pourquoi pas, on se
22:38raccrochait à tous les espoirs, c'est ce qu'a fait Emmanuel Macron qui, un peu imprudemment
22:42quand même, a cautionné son remède miracle immédiatement.
22:45Et ensuite, évidemment, quand on s'est aperçu que tout ça relevait plutôt de l'imposture,
22:50il a été lâché.
22:51Mais il a été lâché publiquement.
22:52Et nous, ce qu'on révèle à travers notamment, mais pas seulement des SMS, des mails et des
22:57interrogatoires aussi auxquels on a eu accès, c'est qu'en fait Raoult a continué de conseiller
23:01en sous-main le nouveau ministre de la Santé parce qu'autant, il faut lui reconnaître
23:05ça, Agnès Buzyn se méfiait totalement de Raoult et ne voulait pas en entendre parler.
23:08Elle l'appelle le dingue de Marseille en écrivant un texto à Edouard Philippe, toujours, le
23:11dingue de Marseille prêt à sauter sur nos compatriotes avec ses seringues.
23:15Voilà, tout à fait.
23:16Le dingue de Marseille, entre guillemets, son successeur a continué d'entretenir des
23:19relations assez étroites avec lui et manifestement...
23:22Olivier Véran et qui d'autre aussi ?
23:24Et Jérôme Salomon, en gros l'architecture du ministère de la Santé, qui continuait
23:29à entretenir des relations courtoises avec cet homme qui était pourtant décrédibilisé.
23:35On aurait aimé aussi interroger Emmanuel Macron sur la question.
23:37Il se trouve qu'Emmanuel Macron est protégé par son immunité présidentielle et c'est
23:40un élément important de l'livre où on explique et on révèle comment les trois
23:44juges de la Cour de justice de la République ont été empêchés dans leur action par
23:49l'Elysée d'aller beaucoup plus loin pour questionner le pouvoir présidentiel qui était
23:53majeur pendant la crise.
23:54Et Didier Raoult, vous l'avez interrogé ?
23:56Non, on ne l'a pas interrogé.
23:57Pourquoi ?
23:58A toutes ses auditions et c'était largement suffisant pour bien comprendre ce qui s'est
24:02passé.
24:03Au terme de cette enquête, qu'est-ce que vous retenez, vous écrivez, les faits sont
24:08là en dépit des cris d'orfraie des ministres mis en cause, indignés que l'on vienne
24:12leur chercher des noix ou de l'Elysée qui s'est barricadée sans vouloir aider les
24:17juges.
24:18Les faits indiquent que de manière difficilement contestable, le pouvoir a fauté.
24:22Le pouvoir a fauté selon vous ?
24:24Oui, je pense qu'on ne peut pas dire autrement quand on fait la somme de tous les documents
24:29échanges, courriers et comptes rendus confidentiels.
24:33Oui, bien sûr, des fautes ont été commises de manière répétée, pas forcément consciemment,
24:39pas forcément volontairement.
24:40Mais lorsqu'on ignore autant d'alertes, parce que c'est vraiment ça qui s'est
24:43passé.
24:44Il y a eu une succession d'alertes, y compris quand la crise était en cours et qu'on les
24:47ignore à ce point.
24:48Oui, le pouvoir a été en faute.
24:51Le maintien des élections municipales qui est un élément très important aussi.
24:54Le 1er tour des municipales le 15 mars, en pleine pandémie.
24:57Et l'obsession pour la réforme déjà des retraites à l'époque qui prend le pas largement
25:02sur l'imminence de la pandémie.
25:03Tout ceci constitue des fautes à tout le moins politiques.
25:07Il y a une question sur l'appli de Vincent.
25:09Avez-vous découvert une bonne surprise ? Avez-vous découvert une décision française intéressante
25:14qui a permis de sauver des vies ?
25:15Moi, j'ai découvert, en tout cas en lisant tous ces documents, qu'il y avait une profusion
25:20de grands esprits scientifiques.
25:22Ils n'ont pas tous été nuls pendant la pandémie.
25:24Il y en a plein qui ont alerté, qui ont vraiment vu les choses, qui ont prévu ce qui allait
25:29se passer.
25:30Et malheureusement, ils n'ont pas été écoutés.
25:31Donc l'idée, ce serait plutôt aujourd'hui de faire confiance aux vrais esprits scientifiques.
25:35Gérard Davé, Fabrice Lhomme, merci d'être venu nous parler ce matin de votre dernier
25:42livre « Enquête, les juges et l'assassin » publié chez Flammarion.
25:47Merci encore.
25:48Il est 8h48.

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