• il y a 22 heures
À 7h50, Ginette Kolinka, survivante de la Shoah, est l'invitée de Sonia Devillers. Elle témoigne de ce qu'elle a vécu dans les camps, et raconte son espoir que "ceux qui nous ont écouté" perpétuent cette mémoire quand tous les survivants seront partis. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-22-janvier-2025-7117591

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Transcription
00:00Bonjour Ginette Kolinka.
00:02Bonjour.
00:03Au début de l'année 1945, vous vous trouvez à Bergen-Berlsen, qui est un camp de concentration
00:10qui n'est pas au Schwyz.
00:12Pourquoi vous a-t-on déplacé ?
00:13Alors pourquoi ? Je ne l'aurais jamais demandé et puis ils ne m'ont jamais dit.
00:20Mais ce que je pense, c'est qu'ils commençaient à évacuer un peu le camp de Schwyz et j'ai
00:28été heureuse de faire partie de ce premier départ parce que sinon, j'attendais comme
00:35tous mes camarades, j'allais travailler jusqu'en janvier 1945 et là, c'était
00:45la marche à pied, ce qu'on appelle la marche de la mort.
00:48C'est ça.
00:49Donc moi j'ai échappé à ça.
00:50C'est-à-dire que les nazis ont quitté Auschwitz en emmenant avec eux un très grand
00:55nombre de détenus et la marche de la mort, ça a été un cauchemar.
01:00Pour ceux qui sont partis de janvier de Bergenault, ça a été terrible.
01:08Moi j'ai des camarades qui me racontent, enfin on ne sait pas, ceux qui résistent,
01:14ceux qui ne résistent pas, c'est pareil.
01:17Comment ça c'est pareil ?
01:19Et bien oui, parce que souvent quand je raconte, on me dit « moi je n'aurais pas résisté
01:23».
01:24Et quand je dis « moi je n'aurais pas résisté de faire la marche de la mort »,
01:28il y a quand même des camarades qui l'ont faite et qui s'en sont sortis.
01:33Donc on ne sait pas.
01:34Ce qui fait que quelqu'un tient au goût, quelqu'un secoue.
01:37L'être humain a des ressources qu'on ignore.
01:41À Bergen-Belsen, le quotidien était plus facile qu'à Auschwitz ?
01:46Oui, personnellement, les souvenirs que j'ai de Bergen-Belsen ne sont vraiment pas désagréables
01:53du tout.
01:54On ne travaillait pas, tellement on mangeait moins, mais par contre on n'était pas battus
02:02et on ne travaillait pas, c'était déjà beaucoup.
02:04Alors qu'à Auschwitz, le quotidien ?
02:05Bien que non, c'était tous les jours un travail selon le commando que vous aviez.
02:11Il y a des commandos qui étaient plus doux les uns que les autres, mais moi j'ai fait
02:16des travaux de terrassement et c'était tous les jours, tous les jours, par n'importe
02:21quel temps, dehors.
02:23Mais le travail, c'est qu'une chose, c'étaient les capots qui nous surveillaient, c'est
02:29celles-là qui nous faisaient souffrir.
02:32Auschwitz-Birkenau, c'est un centre de mise à mort et les mois que vous y aviez passé,
02:41vous vous êtes dit constamment que vous étiez en danger de mort, vous vous êtes dit constamment
02:47que la mort vous guettait ?
02:49Non, non, non.
02:50Si mes souvenirs ne sont pas mauvais, je ne me disais rien du tout.
02:56Du jour où je suis rentrée dans le camp de Birkenau, j'ai perdu tout ce qui était
03:06mon être humain.
03:07Je ne suis devenue plus rien du tout.
03:11Ça veut dire quoi ?
03:12Ça veut dire que je suivais, j'étais un toutou, on me commandait, je le faisais et tout.
03:21Alors, est-ce que c'est pour tous les camarades comme ça ou est-ce que c'est simplement
03:25pour moi ?
03:26Parce que j'ai eu le remord toujours d'avoir dit à mon père et à mon petit frère de
03:33monter sur les camions parce que les nazis, à la descente du fameux voyage qu'on a
03:41fait, si vous êtes fatigué, si vous êtes malade, si vous n'aimez pas marcher, le train
03:48s'est arrêté, mais ce n'est pas le cas, il va falloir marcher.
03:53Quatre kilomètres.
03:54Il y avait quatre kilomètres de distance.
03:55Et j'ai du coup conseillé à mon père et à mon petit frère de prendre ce camion
04:02et toujours, toujours, je me suis sentie responsable alors que je ne l'étais pas du tout.
04:08Parce que ces camions, ils allaient directement vers les chambres à gaz.
04:12Les camions, c'était pour les emmener vers les chambres à bord, mais naturellement,
04:16ces nazis nous ont toujours menti, donc on les croyait.
04:21On descend du train, on est fatigué et tout.
04:24On vous propose de vous emmener à l'endroit où vous devez aller en camion.
04:29Vous savez, Ginette Kolinka, qu'il y a énormément de survivants d'Auschwitz qui ont ce souvenir
04:35atroce d'avoir conseillé à leurs vieux-parents de monter dans les camions parce que les quatre
04:40kilomètres à pied, ils étaient très fatigants et qu'ils les ont conseillé de monter dans
04:44les camions et qui portent ce remord de les avoir fait monter dans les camions, qu'ils
04:47allaient directement vers les chambres à gaz.
04:48Je ne sais pas pour les autres, mais pour moi, c'est un grand remord.
04:52Alors qu'en réalité, ça n'en est pas un.
04:56De toute façon, pour les autres, je ne sais pas, mais pour moi, les parents, mon père
05:04était trop vieux pour rentrer dans le camp parce qu'ils avaient quand même des critères.
05:10Pour les femmes, c'était 15 ans, 45 ans et les hommes, c'était 15 ans, 50 ans.
05:17Mon père avait 61 ans et mon petit frère avait 12 ans, donc ils étaient faits pour
05:26mourir.
05:27Mais c'est moi qui leur ai dit.
05:29Donc vous pensez que c'est ça qui fait que ensuite, quand vous êtes interné à
05:32Auschwitz-Birkenau, vous perdez toute forme de conscience, de lucidité ?
05:37Ça fait partie de là, mais ensuite, vous savez, tout ce qui arrive, on vous arrive,
05:45on vous enlève, on vous met nu devant des… Moi, je n'ai pas vu d'hommes, mais des
05:51femmes, vous ne les connaissez pas, on vous met nu.
05:54Ça a été pour moi la pire des choses.
05:57Et puis après, on va vous tatouer, on va vous enlever vos cheveux, les poils du sexe,
06:05toujours devant tout le monde.
06:08Vous imaginez les poils du sexe ? Vous avez tout le monde que vous ne connaissez pas,
06:14que des femmes, et vous en avez eu… Tout ce qui était pour nous humilier, les nazis
06:22ont trouvé ce qu'il fallait.
06:24On va revenir à l'année 45, vous êtes donc à Bergen-Belsen, où les conditions
06:30sont moins difficiles qu'à Auschwitz, mais vous attrapez le typhus.
06:35Je ne me rappelle plus de ça.
06:38Vous attrapez le typhus, et ensuite, on vous emmène à Theresienstadt.
06:42Peut-être.
06:43Parce que moi, dans mes souvenirs, le fait est, j'arrive à Theresienstadt et je ne
06:51me rappelle de rien parce que j'apprends que j'ai le typhus.
06:55C'est ça, vous êtes déjà gravement malade.
06:57Est-ce que vous vous souvenez quand même de ce voyage en train entre Bergen-Belsen
07:04et Theresienstadt ? Le train, encore ?
07:06Pas tellement, mais est-ce que c'est là que j'avais cet… Voyez, j'arrive maintenant
07:15à confondre tout.
07:16J'ai 100 ans bientôt.
07:18Oui, 100 ans le 4 février.
07:20Ce n'est pas tout jeune, alors mon cerveau commence à me faire un jeu de détour.
07:25Je ne sais pas si c'est à ce moment-là que j'ai la personne qui est morte à côté
07:31de moi et que je garde alors que je ne la croyais pas morte.
07:35Je croyais qu'elle dormait puis qu'elle commençait à m'embêter de tomber sur
07:39moi.
07:40À chaque fois, je la redressais.
07:42À un moment donné, je me fâche et puis je lui dis « Réveille-toi ! ». Et puis
07:47réveille-toi, elle est tombée sur moi et elle était morte.
07:51En fait, c'est ça, d'avoir vécu les camps de concentration, c'est d'avoir
07:56vu des morts et des morts et des morts à un âge où normalement on n'en voit pas.
08:02D'avoir vécu les camps de concentration, je crois que ça nous apprend ce que c'est
08:07que d'être un être humain.
08:10On peut être aussi bien que ceux qui font les capots, les capots sont infects.
08:19Donc d'une certaine manière, Ginette Kolinka, puisque vous arrivez à Theresienstadt dans
08:27un demi-coma, en fait, vous ne l'avez pas vécu, la libération des camps ?
08:33Pas du tout.
08:34Vous ne vous souvenez de rien ?
08:35Non.
08:36Et j'ai demandé à des camarades « Vous, vous avez vécu la libération ? Est-ce que
08:43vous avez fait comme on voit quand Paris était libérée ? Les gens qui s'embrassent,
08:49qui sautent de joie, qui chantent, qui dorment ? »
08:52Les camarades m'ont dit « Non.
08:55Non, non, on n'a pas vécu ça.
08:59Pourquoi ? Parce que d'abord, primo, c'était les Russes qui nous libéraient et vous savez
09:06cette peur des Russes, on va les violer et tout, elles ont eu peur de ça.
09:12Et puis ensuite, quelle est la déportée qui n'a pas perdu quelqu'un dans le camp ?
09:20Ne serait-ce que, si ce n'est pas de la famille, c'est des amis, c'est des copines.
09:24On ne s'est pas fait beaucoup d'amis, mais on en avait quand même de dranciers qu'on
09:28avait.
09:29Et moi, je n'ai pas connu ça.
09:33Comment vous êtes rentrée en France ? Vous vous souvenez de ça, comment vous êtes rentrée
09:39en France depuis Theresienstadt ? C'est flou.
09:42J'essaye de me rappeler parce que je voudrais écrire mes souvenirs de cette partie-là,
09:49mais je crois que s'il fallait que je me rappelle, il faudrait que je fouille bien
09:53dans mon cerveau.
09:54Certainement que ça reviendrait.
09:57Est-ce que vous savez comment vous êtes arrivée à Paris ? Est-ce que vous êtes arrivée
10:00à Paris comme beaucoup de déportées à l'hôtel Lutetia ?
10:03Oui, bien naturellement.
10:05Moi, j'ai atterri à Lyon.
10:09J'ai pris l'avion de Theresienstadt et c'était la première fois que je prenais
10:15l'avion.
10:16C'était le baptême de l'air, mais je ne m'en suis même pas rendue compte.
10:20On atterrit à Lyon et à Lyon, on nous amène dans un centre d'accueil et c'est là que
10:30on nous amenait des… les gens venaient nous voir avec des photos.
10:35Est-ce que vous avez connu ? Est-ce que vous avez rencontré ? Est-ce qu'il y en a qui
10:40amenaient de l'argent ? Il y en a qui amenaient de la nourriture ?
10:42Il y a une dame qui veut… est-ce qu'elle a des photos ? Est-ce qu'elle veut me donner
10:51quelque chose ? Elle fait comme les autres, elle passe pour nous interroger, elle s'arrête
10:58devant moi et elle me reconnaît comme étant une fille Tcharkovsky.
11:04Oui, je suis une fille Tcharkovsky, ça je me rappelle et elle m'apprend…
11:10Tcharkovsky, c'était le nom de qui ?
11:11C'est le nom de ma jeune fille.
11:12C'est votre jeune fille.
11:13Et elle m'apprend que ma mère et mes sœurs sont vivantes, elles n'ont pas été déportées
11:20et même elles ont récupéré l'appartement que nous avions à Paris, parce que quand
11:27les juges partaient, les appartements étaient complètement vidés et le propriétaire à
11:34l'époque, ce n'était pas un propriétaire par appartement, un immeuble et il est propriétaire.
11:41C'est son grand-père, il loue l'appartement qui était vidé et notre appartement, quand
11:50j'ai appris ça par mes sœurs, a été loué à des collaborateurs.
11:56Ils avaient fait de notre appartement un bureau d'embauche pour envoyer les jeunes travailler
12:03en Allemagne.
12:04On les appelle les STO, je crois.
12:09Et de Lyon à Paris, vous arrivez à Paris, vous transitez par l'hôtel Lutetia.
12:13Est-ce que votre mère vient vous chercher à l'hôtel Lutetia ?
12:16Alors à l'hôtel Lutetia, moi je voulais, j'avais rencontré quelqu'un à Lyon et
12:22elle m'avait dit, ma mère, mes parents sont là, je n'ai pas besoin d'aller ailleurs.
12:26Moi je descends du train et je suis assez grande pour prendre un taxi et puis aller
12:31chez moi.
12:32Non, il faut obligatoirement passer par l'hôtel Lutetia.
12:37Donc, l'hôtel Lutetia, c'était plusieurs bureaux avec toujours les mêmes questions
12:46pour savoir si on était vraiment… Les tatouages, c'est de la blague ! Un collaborateur
12:54qui veut se faire passer pour un déporté, il se fait faire un tatouage et puis voilà.
12:58Donc on vous interroge.
13:03Et puis, quand enfin je suis débarrassée, mais j'avais, à Lyon, quand j'ai appris
13:07que mes sœurs étaient vivantes et tout, j'avais demandé qu'on vienne me chercher
13:12à l'hôtel Lutetia.
13:14Elles ne sont pas là, moi je n'ai pas la patience d'attendre.
13:19Donc vous avez fini ?
13:20Je prends un autobus, il y avait les autobus qui nous emmenaient dans les endroits où
13:24on voulait aller.
13:25Je prends l'autobus, je sais que je suis boulevard Beaumarchais, la rue de… Ah non,
13:30la rue d'Angoulême a changé de nom, elle s'appelle la rue Jean-Pierre Thimbault.
13:35Attendez, Ginette Colin-Cassez, vous revenez des camps de concentration et vous rentrez
13:41chez vous en autobus ?
13:42Eh bien oui !
13:43Toute seule en autobus ?
13:44J'ai pas oublié de prendre le taxi !
13:45Non, mais vous étiez très amégrée, vous étiez très affaiblie.
13:51Naturellement, mais ça je ne me rappelle pas de ça.
13:54On ne me rappelle pas si j'étais affaiblie ou pas affaiblie.
13:57Je sais que je reviens à la maison.
14:00Est-ce que j'ai rencontré des gens dans la rue ? Je n'en sais rien, je ne me rappelle
14:05pas non plus.
14:06En tous les cas, c'est que j'arrive dans mon immeuble, la concierge elle est dans la
14:12cour, c'est celle qui était là quand on a été arrêté, quand on est parti je veux
14:18dire.
14:19Et elle croit reconnaître mon frère.
14:21Votre petit frère qui est moraliste.
14:24Et malheureusement ce n'était pas mon frère, c'était moi.
14:27Mais elle croit reconnaître votre petit frère qui s'appelait Gilbert.
14:31Oui, mais parce que je n'avais pas de cheveux, on m'avait mis sur le dos alors que c'était
14:37l'été, je ne sais pas pourquoi, une veste de soldat et peut-être parce que j'étais
14:43très très maigre ou peut-être que j'étais mal habillée, je ne sais pas.
14:4626 kilos, vous l'avez raconté il y a longtemps Ginette Colinca, vous pesiez 26 kilos, vous
14:52aviez les cheveux rasés.
14:53Comment ?
14:54Vous pesiez 26 kilos.
14:56C'est pas gros.
14:57Non, c'est pas gros.
14:58C'est pas gros quand je montre aux élèves qu'ils me disent « combien tu pèses toi
15:04? ». Il a 10 ans, il pèse 34-35 kilos.
15:10Les élèves, c'est les élèves à qui vous allez parler dans les lycées, infatigablement
15:15depuis plusieurs années.
15:16Et pourtant à Theresienstadt, quand vous apprenez que la guerre est finie, entre deux
15:21bouffées de coma, vous vous dites « j'embêterai plus jamais personne avec ça, plus jamais
15:27».
15:28Oui, exact.
15:29Et je l'ai fait.
15:30Vous n'avez pas parlé.
15:31Mes neveux nièces me disent que leurs parents, c'est-à-dire mes petits-neveux, mes sœurs,
15:44mes sœurs auraient aimé que je leur parle comme je parle aux élèves.
15:50Aujourd'hui.
15:51Je ne les ai jamais mis au courant.
15:53Mais je ne pouvais pas.
15:55Je ne pouvais pas raconter ce que j'avais vécu alors que je suis la seule de toute
16:02la famille à être rentrée.
16:04Je vais tuer deux fois les gens qui sont morts avec moi.
16:10Vous allez les tuer deux fois ? C'est ce que vous vous dites à ce moment-là ?
16:14Oui.
16:15C'est pour ça que je ne voulais pas parler.
16:20Je ne voulais pas parler.
16:21Parce que vous rentrez chargé de la culpabilité de la mort de votre père et de la mort de
16:26votre petit frère ?
16:27Peut-être un petit peu de ça, mais pas seulement de ça.
16:31C'est parce qu'on a énormément souffert dans les camps.
16:38Et moi, je vais raconter à des enfants et à des parents ce que j'ai souffert.
16:47Ils savent que leurs parents sont morts, mais c'est tout.
16:51Ça s'arrête là.
16:52Et moi, je vais leur donner des détails de tout ce qu'ils ont pu subir avant de mourir.
16:57Et ça serait méchant de ma part.
17:00Et je n'ai pas envie de le faire, et je ne l'ai pas fait.
17:04Vous ne l'avez pas fait pendant très longtemps, maintenant vous le faites.
17:06Maintenant, je me rattrape.
17:08Oui, vous vous rattrapez.
17:10Puisque vous dites à plusieurs reprises « dans ma mémoire, c'est difficile, je
17:19vais avoir 100 ans », qu'est-ce que la mémoire garde et qu'est-ce que la mémoire
17:23efface ?
17:24Elle ne garde que les choses, à mon avis, que les choses mauvaises.
17:31Je ne garde rien de ce qui a pu être bien.
17:38D'abord, il n'y a rien eu de bien dans le camp.
17:41Non.
17:42Tout ce que je peux raconter du camp, il n'y avait rien de bien.
17:49J'ai eu des amis, mais pas dans le camp, à Drancy.
17:56Oui.
17:57Dans le camp, j'ai pas fait d'affaires.
17:59Drancy, pour que tout le monde comprenne bien, vous, vous avez été arrêtée à Avignon,
18:03mais on pouvait être arrêtée n'importe où en France.
18:05D'abord, on était emmenée à Drancy, on était internée à Drancy, et ensuite,
18:09de Drancy, partait les trains pour Auschwitz.
18:11À Drancy, vous avez noué des amitiés.
18:14À Drancy, je me suis fait des amis et ce petit groupe d'amis, je l'ai toujours
18:19gardé.
18:20On a eu la chance, ce petit groupe, de revenir et on s'est retrouvés.
18:25On s'est retrouvés au retour.
18:28Après, il y a eu les mariages, il y a eu des enfants, on s'est tous séparés.
18:33J'ai juste gardé comme amie Marceline.
18:36Marceline Loridan et Marce.
18:38Mais Marceline Loridan, dernièrement, je me suis rendu compte qu'elle a eu beaucoup
18:46de chance.
18:47Elle était jeune, elle était petite.
18:50Comment sait-il qu'elle ait passé au travers de la sélection ?
18:56Parce que la sélection, c'était simplement la force physique.
19:00À la descente du train, il ne voulait garder les Juifs vivants que pour ceux qui pouvaient
19:08travailler.
19:09Et j'avais comme critère 15 ans, 45 ans pour les femmes.
19:15Et pour les hommes, c'était 15 ans, 50 ans.
19:20Marceline est toute jeune, elle a à peine 15 ans.
19:24Elle est toute petite, elle a des cheveux rouges frisés et tout.
19:29Comment sait-il qu'elle ait passé au travers de ce critère ?
19:33Ce n'est pas méchamment que je dis ça, c'est parce que j'aurais dû lui demander
19:43à elle, comment tu as eu la chance de rentrer ?
19:47Elle a dû s'enfiler.
19:48Quand on est arrivé, ils ne l'ont pas vue.
19:53Et vous ne pouvez plus lui poser la question, je m'être colloquée.
19:56Je ne peux pas.
19:57Mais ce n'est pas méchamment.
19:59Il ne faut pas croire que c'est parce qu'elle l'a achetée, non, non.
20:03Vous ne pouvez plus lui poser la question Ginette Colinca, parce que Marceline Lauridon-Evins
20:07est morte il y a quelques années.
20:09En fait, vous êtes une des dernières survivantes.
20:12Je crois que je suis vraiment une des dernières.
20:16Il y en a encore quelques-unes.
20:18Alors après vous, qui va parler des camps de concentration ?
20:21Ce n'est pas mon problème.
20:26Ça, ce n'est pas mon souci.
20:29Alors là, pas du tout, pas du tout, pas du tout.
20:33Mais il y a des historiens qui raconteront, il y a des livres qui seront écrits, les
20:40gens qui seront intéressés trouveront toujours un moyen de s'intéresser.
20:45Et puis ceux qui veulent dire que ça n'a pas existé diront toujours que ça n'a pas
20:51existé.
20:52Et je compte sur ceux qui nous auront écoutés.
20:55Sur tous les enfants de tous les lycées qui vous ont rencontrés, vous et Marceline Lauridon-Evins.
21:02Nous, on a vu.
21:07Parce que pour l'instant, on les a calmés, parce qu'ils sont contre-avention et même
21:16prison.
21:17Alors ils se sont calmés.
21:18Imaginez, il n'y a plus de survivants pour se défendre et pour les faire encore se taire.
21:27Ils sont là pour dire.
21:31Alors ça ne sera peut-être pas eux, mais ça sera leur famille qui ont entendu et qui
21:37prendront encore la place de ces personnes.
21:40Mais si je parle, je dis toujours, ce n'est pas pour faire pleurer les gens, c'est pour
21:52leur dire que ce qui est arrivé, il n'y a pas de problème, on peut réfléchir.
21:58Pourquoi tout ça ? C'est parce qu'un homme qui s'appelait Hitler détestait les
22:06Jouges.
22:07C'est pour ça que je dis attention, dès qu'on dit, je n'aime pas cela, je n'aime
22:14pas cela.
22:15Mais c'est ça l'histoire.
22:16Si tu n'aimes pas, eh bien attention, c'est un pied dans la chute.
22:20Saskia de Villecourt-Lemoyne Merci Ginette Colinca.
22:24Ginette Colinca Pas de quoi.

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