Pour ce nouvel épisode de "Chocs du monde", Édouard Chanot reçoit Hervé Juvin, ancien député européen, entrepreneur et fondateur du mouvement Les localistes.
Il était le cœur de la France, ce cœur bat désormais difficilement. Le monde agricole subit aujourd’hui de plein fouet la bureaucratie bruxelloise et le libre-échange de l’UE. Ce 7 janvier, la coordination rurale a revendiqué être entrée symboliquement dans Paris. Quelques tracteurs ont traversé la Capitale. Une nouvelle révolte agricole d’ampleur européenne couve-t-elle ? Les raisons de la crise n’ont certes pas disparu, alors que la menace de l’accord UE-Mercosur se fait pressantes et les agriculteurs croulent déjà sous les normes, les contrôles et la concurrence déloyale.
Il était le cœur de la France, ce cœur bat désormais difficilement. Le monde agricole subit aujourd’hui de plein fouet la bureaucratie bruxelloise et le libre-échange de l’UE. Ce 7 janvier, la coordination rurale a revendiqué être entrée symboliquement dans Paris. Quelques tracteurs ont traversé la Capitale. Une nouvelle révolte agricole d’ampleur européenne couve-t-elle ? Les raisons de la crise n’ont certes pas disparu, alors que la menace de l’accord UE-Mercosur se fait pressantes et les agriculteurs croulent déjà sous les normes, les contrôles et la concurrence déloyale.
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00:00Bonjour à tous et bienvenue dans Chocs du Monde, le magazine des crises et de la prospective
00:26internationale de TVL. Il était le cœur de la France, mais ce cœur bat désormais
00:30difficilement. Le monde agricole subit aujourd'hui de plein fouet la bureaucratie bruxelloise
00:35et le libre-échange international, et nous avec, sans le savoir vraiment. Peut-il survivre
00:41? Et bien pour répondre à cela, nous recevons Hervé Juvin, ancien député européen, entrepreneur
00:45et cofondateur du mouvement Les Localistes. Hervé Juvin, bonsoir.
00:49Bonsoir.
00:50Et merci encore d'avoir répondu présent à l'appel du Chocs du Monde. Alors, ce 7
00:53janvier, la coordination rurale a revendiqué être entrée symboliquement dans Paris. Quelques
00:58tracteurs ont traversé la capitale jusqu'aux Invalides. Mais la veille et l'avant-veille,
01:02des convois de tracteurs, donc se dirigeant vers Paris, ont été stoppés par les forces
01:06de l'ordre un peu partout à travers l'Hexagone. Un nouveau bras de fer semble s'installer,
01:10n'est-ce pas Hervé Juvin ? Mais croyez-vous à une nouvelle révolte agricole d'ampleur
01:15comme celle que nous avons connue l'année passée à travers l'Europe ? Soulignons-le.
01:19La révolte agricole que vous évoquez couvre depuis longtemps. Ce que j'ai senti chez
01:26un certain nombre d'agriculteurs que j'ai pu appeler, c'est une grande fatigue. Ces
01:31manifestations, ces convergences sur Paris de tracteurs, d'engins agricoles, n'ont
01:36pas jusqu'ici servi à grand-chose. Et la signature de l'accord de libre-échange avec
01:41le Mercosur, signée par Ursula von der Leyen par la Commission de Bruxelles, n'a fait
01:47que traduire la relative impuissance des mouvements agricoles à peser. Je pense qu'il
01:53faut, pour essayer d'apprécier cette crise agricole rampante, je pense qu'il faut remonter
01:59assez loin. Je pense qu'il faut remonter au modèle construit par Edgar Pisani sous
02:05le général de Gaulle, qui était fournir à la totalité de la population française
02:12une alimentation de bonne qualité, produite en France, à prix accessible à tous. C'est
02:18sur ce modèle-là que la France a vécu pendant plusieurs décennies. On leur a dit de produire
02:23et ils ont produit. Ça a été notamment la formidable ascension de la Bretagne, une
02:28des régions les plus pauvres de France dans les années 50, devenue une des régions prospères
02:32de France dans les années 80, parce que la Bretagne, notamment à travers les élevages
02:36de porc, les élevages de poulet, etc., s'est entièrement consacrée à produire pour la
02:42population française une nourriture de bonne qualité à prix accessible. Nous sommes totalement
02:47sortis de ce modèle. Sans doute est-ce qu'il faut revenir sur les causes, sans doute est-ce
02:51qu'il faut revenir sur les conséquences de cette sortie, mais aujourd'hui nous sommes
02:55sortis d'un modèle agricole bien défini, sans en définir un autre. C'est ce qui m'apparaît
02:59au fondement de la crise agricole actuelle. La France aujourd'hui n'a plus de modèle
03:05que les politiques aient élaboré, dont ils aient pris toutes les dispositions pour le
03:11soutenir et qu'ils appliquent. Nous n'avons plus de modèle alimentaire, nous n'avons
03:15plus de modèle agricole, nous n'avons plus de modèle de propriété et d'aménagement
03:18du territoire. Je pense que c'est la source profonde de la crise agricole que nous connaissons.
03:22Plus de modèle, vous allez jusqu'à parler du territoire. Je vous propose de revenir
03:27sur les arguments de la coordination rurale à l'égard du Mercosur que vous évoquez
03:31et du gouvernement, bien sûr. Je vous propose d'écouter ces propos-là pour que tout
03:35soit clair. L'agriculture est en train de mourir. Cela n'alerte personne. Au gouvernement,
03:41a dénoncé le 5 janvier sur RMC la présidente de la coordination rurale, Véronique Lefloch.
03:47Les agriculteurs disent ne plus pouvoir attendre. On cumule et on enchaîne toutes les crises depuis
03:53le Covid-19, expliquent-ils. L'aide supplémentaire de 270 millions d'euros promises par le gouvernement
04:00ne suffit pas. Ils craignent que le pire arrive avec l'accord commercial entre l'Union européenne
04:06et le Mercosur. Ils exigent aussi une réduction des contrôles dans les fermes et une augmentation
04:12de ceux-ci dans les grandes surfaces pour mieux appliquer les normes européennes et françaises
04:17sur les produits importés. Alors vous l'avez évoqué, le Mercosur, 90% des droits de douane
04:28entre le Mercosur et l'Union européenne seraient bientôt levés. 99 000 tonnes de bœuf par an
04:34pourraient entrer en Europe à un taux préférentiel de 7,5%, ainsi que 60 000 tonnes de riz et 45 de
04:40miel sans obstacles tarifaires. Alors de l'autre côté, les droits de douane du Mercosur seraient
04:45progressivement éliminés sur des produits européens tels que les voitures, les machines,
04:50les vêtements, les vins, les fruits frais ou les chocolats. Est-ce un deal, comme on dit,
04:54gagnant-gagnant pour l'Union européenne, comme le dit Ursula von der Leyen ? Le thème qui se
04:58répand dans les organisations agricoles, c'est qu'on sacrifie une fois de plus l'agriculture
05:03française à l'industrie allemande. Ce que vous venez de dire est très clair, ce sont essentiellement
05:07les produits allemands, automobiles aussi, machines, outils et quelques autres qui vont
05:12bénéficier de cet accord. L'agriculture française devant être probablement une des grandes perdantes.
05:18On peut incriminer la religion du libre-échange, mais on peut souligner deux choses. On peut
05:24souligner d'abord l'illusion qu'il y a à prétendre contrôler les immenses exploitations agricoles
05:30du Brésil, de l'Argentine, nous avons eu Miley, nous avons eu Lula, qui pensent que l'administration
05:36européenne telle qu'elle est, a un quelconque moyen de contrôler ce qui se fait réellement
05:41dans les exploitations en Argentine et au Brésil. Ce qui aboutit à une chose très simple, nous
05:45trouverons dans nos assiettes des produits et notamment de la viande dont les conditions de
05:49production seraient interdites aux producteurs européens. C'est évidemment une inégalité de
05:54concurrence et les agriculteurs français ont totalement raison de la dénoncer. Le second
05:59point, je me souviens des mots du président de la République Emmanuel Macron sur l'autonomie
06:03stratégique, quand on laisse filer son autonomie alimentaire, on se rend dépendant. Celui qui
06:10aurait dû être le secrétaire d'état à l'agriculture dans l'administration Trump,
06:13Joël Salatin, vient récemment donner une interview extrêmement intéressante dans laquelle il rappelle
06:19que 80% de l'alimentation des Américains est contrôlée par quatre multinationales seulement.
06:25Nous ne nous rendons pas compte que, faute d'un modèle agricole fondé sur notre indépendance
06:31alimentaire et sur notre sécurité alimentaire, fondé aussi sur une vision large et autoritaire
06:38de l'aménagement du territoire, nous laissons l'alimentation des Français aux mains de quelques
06:44multinationales. Et comme le disait très bien Henry Kissinger, on tient les états par l'énergie,
06:49mais on tient les populations par l'alimentation. Ça me paraît le point aveugle de la politique
06:54française et à cet égard, il faut dénoncer les politiques qui se sont succédées depuis au moins
06:5815 à 20 ans. Un aveuglement total sur le fait que quand on laisse le contrôle de l'alimentation à
07:05quelques multinationales, on livre son indépendance à ses intérêts privés qui ne sont pas les intérêts
07:13stratégiques de la France et qui ne sont pas ceux de la sécurité alimentaire de la population.
07:17L'alimentation en intérêt stratégique. Les agriculteurs évoquent, et peut-être y a-t-il
07:22une forme de paradoxe, évoquent des normes environnementales et commerciales plus strictes
07:25dans l'UE et réclament donc leur application à la concurrence. Mais après tout, selon vous Hervé
07:31Juvin, la solution n'est-elle pas plutôt d'alléger ces normes ?
07:34Je crois que les agriculteurs français sont très conscients d'un phénomène que j'ai
07:39constaté maintes fois au Parlement européen. Ce phénomène, il faut le nommer de nom un peu
07:46barbare, c'est la captation réglementaire. Très simplement, quand des normes sont élaborées par
07:51la Commission européenne, très souvent, derrière leur élaboration, vous trouvez des lobbies,
07:57vous trouvez des hommes d'influence, vous trouvez aussi des ONG qui sont financés par des
08:03multinationales. Et l'impact de ces normes, c'est tout simplement d'empêcher les PME,
08:10d'empêcher les moyennes entreprises, d'empêcher les agriculteurs d'être présents sur le marché,
08:15au seul profit des multinationales. Ce phénomène de captation réglementaire permet aux grandes
08:20entreprises ayant des budgets importants, notamment de lobbying, d'élaborer elles-mêmes
08:25les normes qui vont éliminer leurs petits concurrents. C'est un phénomène au cœur de ce
08:31que l'administration Trump veut changer aux États-Unis. La formule est un peu brutale,
08:36mais chaque fois qu'on édicte une nouvelle norme dans le domaine agricole, on élimine des dizaines
08:40de petits exploitants au seul bénéfice des multinationales. C'est probablement ce qu'il
08:44faut corriger. Je me permets de vous interrompre, parce que le chiffre est flagrant en France. En
08:481965, le code rural faisait 750 pages. En 2022, il en fait plus de 3000, 3063, soit 306%. Ça me
08:56semble illustrer ce que vous dites. Avec une conséquence très simple. Vous êtes une grande
09:00entreprise, vous avez un service juridique spécialisé dans l'interprétation et la
09:05compréhension du code. Ça peut passer. Vous êtes seul, qu'est-ce que vous faites ? Vous passez vos
09:11week-ends à essayer de comprendre ce qui vous est demandé. Vous allez souvent vous trouver en
09:14infraction. Vous avez une forme de désespoir. J'essaye de bien faire mon métier, je n'y parviens
09:22pas. Les normes s'opposent à tout ce que je sais faire. Ça se traduit notamment par des suicides
09:27d'agriculteurs, parce qu'on le dit trop peu. Il se trouve que j'étais à l'INRA il y a plus de 20 ans
09:32dans une émission télévisée pour parler du suicide des agriculteurs. 20 ans après, le phénomène est
09:37toujours le même. On a toujours un désespoir d'agriculteurs qui essayent de bien faire leur
09:42métier, qui sont écrasés par les normes, écrasés par les contrôles et par les règlements, qui sont
09:47probablement très adaptés à des multinationales, qui ne le sont absolument pas aux exploitations
09:51familiales et la petite propriété agricole qui était le cœur du modèle de l'aménagement du
09:56territoire français. Et qui ne l'est plus. Et qui ne l'est plus. Oui, d'ailleurs, les chiffres sont
10:01là. 10 heures par semaine de travail bureaucratique pour les agriculteurs. 10 heures, évidemment,
10:06c'est énorme. Alors, le Mercosur est la menace qui pèse immédiatement, a-t-on envie de dire. La France peut-elle
10:12encore vraiment bloquer l'accord ? S'il passe, que risque-t-on socialement, politiquement pour l'Union
10:18européenne, selon vous ? Bruxelles peut-il s'asseoir sur l'avis de la France ?
10:22Non, l'illusion de bloquer l'accord, il faut probablement y renoncer. D'abord, parce qu'il n'y a pas
10:27vraiment de clause d'opting out en matière d'accords commerciaux internationaux. Ensuite, parce que
10:34l'accord a été signé. Et enfin, parce que j'ai maintes fois constaté l'hypocrisie des pouvoirs publics de
10:39différents pays, mais notamment de la France, qui acceptent très volontiers à Bruxelles, qui sont
10:45d'une certaine manière ravis de déléguer leurs responsabilités aux institutions européennes, pour
10:50revenir en France et dire, nous nous sommes battus, mais nous n'avons rien pu faire. Il y a quelque part
10:54un déni de responsabilité qui est tout à fait important. Donc, je ne pense pas qu'on revienne sur le
10:59Mercosur. Je ne pense pas qu'on puisse obtenir des aménagements très substantiels. Et très clairement,
11:04la dépendance alimentaire de la France à l'égard des producteurs d'autres pays et essentiellement à
11:09l'égard des multinationales qui gèrent la circulation des produits agricoles et qui gèrent le marché
11:15international des produits agricoles, cette dépendance ne va faire qu'augmenter.
11:18Vous dites que Macron, l'Élysée, le gouvernement entretient un double langage à l'égard des
11:24agriculteurs, à l'égard de Bruxelles. Je l'ai consacré à ma entreprise.
11:28Ce qui frappe, vous l'avez dit, c'est que la France, il y a deux décennies, a été encore la deuxième
11:33puissance agricole mondiale. Aujourd'hui que nous n'avons plus de modèle, vous dites vous, nous avons
11:37en fait perdu la maîtrise de cette puissance.
11:39D'abord, nous sommes en déficit commercial. La France, puissance agricole, comme vous le disiez, il y a
11:44quelques décennies, est devenue déficitaire en matière agricole avec, pour moi, deux éléments très
11:50importants. Le premier élément, j'y reviens, c'est l'abandon de toute politique d'aménagement du
11:55territoire. Christiane Lambert, qui a été présidente des jeunes agriculteurs avant de devenir
12:00présidente de la FNSEA, avait une formule qui avait marqué en son temps, il y a déjà longtemps, nous
12:05avons plus besoin de voisins que d'hectares.
12:09Aujourd'hui, je ne peux que constater, dans des cas que je connais, que les SAFER, Société
12:14d'aménagement foncier, qui devraient en principe favoriser l'installation des jeunes agriculteurs,
12:19favorisent presque toujours l'extension des exploitations existantes, ce qui fait que nous avons
12:24continuellement une perte d'exploitation et que nous dirigeons vers un modèle français où on aura
12:28peut-être 100, 200 000 exploitations agricoles, grandes exploitations, certainement pas
12:33davantage. C'est la première question.
12:35Est-ce que la France accepte la désertification de son territoire ?
12:39Est-ce que le moment n'est pas venu de redéfinir une politique volontariste d'aménagement du
12:42territoire ? C'est naturellement au cœur du projet politique des localistes.
12:47Nous devons redéfinir une politique d'aménagement du territoire, d'occupation du territoire et
12:52d'activités harmonieusement réparties sur tout le territoire national.
12:55On ne peut pas laisser l'aménagement du territoire au marché.
12:58Il y a un second élément qui m'apparaît plus important, qui a été souligné par Joël
13:01Nsalatine aux Etats-Unis, qui a été souligné par un rapport passé totalement inaperçu à
13:07l'Université de la Santé de Londres, qui dit très clairement, je ne citerai pas de nom
13:12d'entreprise, que si l'on supprimait les sodas et les boissons sucrés, que si l'on supprimait
13:19les produits hyper transformés et notamment cette junk food, cette nourriture de mauvaise
13:25qualité, malheureusement vendue dans les fast food, etc.
13:29On pourrait probablement réduire les dépenses maladies d'un quart.
13:34Ce qui signifie qu'il y a une solution très simple pour réduire les dépenses de santé,
13:38solution très simple que personne ne veut regarder.
13:41Si on limitait la consommation qui provoque l'obésité, qui provoque le diabète, notamment
13:45précoce, 76% des adultes américains sont en état d'obésité, mais près de 40% des enfants de
13:5210 à 20 ans sont en état d'obésité et ont des cas de diabète précoce.
13:58C'était totalement inconnu dans les sociétés avant les nôtres.
14:02C'était totalement inconnu avant le monde de la junk food, le monde des aliments hyper
14:06transformés et le monde des aliments auquel on ajoute des sucres et des graisses pour les
14:11rendre addictifs. Il suffirait de taxer ces produits, voire d'en interdire la distribution,
14:19par exemple dans les écoles, les lycées, par exemple dans des lieux de consommation
14:22collectifs, pour probablement avoir une solution rapide et efficace au problème du
14:29déficit de la sécurité sociale et aussi naturellement à ce qui est l'une des grandes
14:33dimensions du projet de Donald Trump aux Etats-Unis.
14:35Make Americans Healthy Again, rendre les Français en bonne santé, continuer d'augmenter
14:43leur expérience de vie.
14:44Je vous rappelle qu'aux Etats-Unis, comme dorénavant en Grande-Bretagne, l'expérience de
14:47vie est en train de se réduire.
14:50Alors, vous avez évoqué la possibilité d'avoir davantage d'exploitation agricole.
14:54Il y a quand même des chiffres qui sont assez inquiétants.
14:5636% de la population était agricole en 46, d'ailleurs 20 points de plus qu'aux Etats-Unis.
15:02C'est dire que la France était une terre agricole.
15:04Aujourd'hui, on en est à 1,5%.
15:06Mais alors, peut-on relancer l'agriculture, les exploitations agricoles sans avoir, j'ai
15:11envie de dire, les ressources humaines pour cela ?
15:14D'abord, une remarque. Vous avez commencé sur les manifestations agricoles, ces tracteurs
15:19qui voulaient converger sur Paris.
15:21Il faut arrêter de penser qu'une révolte du monde agricole va mettre la France à genoux.
15:26Comme vous l'avez dit très justement, le monde agricole n'est plus seulement minoritaire,
15:31il est devenu marginal.
15:33Dans beaucoup de villages de France, dans ces villages où on avait des dizaines d'agriculteurs
15:38qui comptaient électoralement, qui comptaient auprès de la municipalité, qui comptaient
15:41dans les choix publics, il n'y a plus que deux ou trois grandes exploitations dont très
15:45souvent les propriétaires n'habitent plus sur les lieux d'exploitation.
15:49C'est notamment le cas du nord de Paris.
15:51Je ne vais pas citer toutes ces exploitations, notamment de Bétrave, dont les propriétaires
15:56habitent dans le 17e arrondissement ou dans le 8e arrondissement parisien.
15:59Mais c'est une réalité.
16:01Nous sommes sur une réalité de la production agricole qui est devenue hautement
16:06capitalistique. Les engins agricoles, ça coûte très cher.
16:11Un établissement d'élevage de bétail, un établissement de traite automatisée, ça coûte
16:15très cher. L'agriculture est devenue une industrie capitalistique.
16:20Le monde agricole de l'élevage et de la boucherie parle du minerai pour parler de la
16:25viande. Un grand établissement en fabriquant des yaourts parlait de la masse blanche.
16:31Donc, nous sommes complètement sortis de ce modèle de petites propriétés agricoles
16:35servant des marchés de proximité dont les clients connaissent l'origine.
16:40Nous sommes complètement sortis de ce modèle sans le vouloir et sans l'avoir choisi.
16:44Et ce qui m'apparaît très grave et ce qui est probablement aussi très lourd dans la crise
16:48agricole, qui n'est qu'un reflet de la crise politique française, c'est l'absence de choix,
16:52l'absence de projet et l'absence de volonté politique.
16:55Je ne vois aucun politique aujourd'hui qui définisse un projet pour l'agriculture française,
16:59un projet pour l'aménagement du territoire et un projet pour l'alimentation des Français.
17:04Le mouvement localiste s'y consacre très largement parce que ce dont nous avons besoin,
17:08c'est d'un projet, c'est de la volonté politique d'appliquer ce projet et c'est de la capacité
17:12de décider pour nous-mêmes de ce qui nous concerne.
17:16Alors, il y a encore un paradoxe.
17:18Nous sommes en France le premier producteur européen, encore malgré la crise, malgré notre
17:22déclin agricole, 17% de la production de l'Union.
17:26Mais bien se nourrir coûte cher, si ce n'est même très cher.
17:29Je ne parle même pas du bio.
17:32C'est probablement l'explosion du modèle français.
17:35Je le rappelle, une bonne nourriture de bonne qualité produite en France à prix accessible
17:39pour tous. Nous allons de plus en plus vers un modèle qui est notamment le modèle américain
17:44et le modèle de marché.
17:46Pour une grande partie de la population, le prix de l'alimentation devient une part très
17:51importante du budget et donc on a une consommation de ce qu'on appelle la junk food,
17:55ces aliments hyper transformés, souvent avec ajout de sucre, de graisse, etc.
18:01etc. Avec des conséquences, je l'ai déjà dit et je le répète, dramatiques sur
18:06l'obésité, sur le diabète, voire sur les cancers et sur les maladies dégénératives
18:10précoces. On a une alimentation qui coûte de plus en plus cher, dont on sait à peu
18:16près d'où elle est produite, de bonne qualité, dont les prix ont tendance à augmenter.
18:21Et puis, on a pour une population qui en a les moyens, en effet, une alimentation bio
18:27sourcée, contrôlée, dont tous les ingrédients, dont tous les composants sont
18:33connus et sont identifiés.
18:35Mais cette nourriture-là coûte de plus en plus cher et je ne peux qu'observer depuis
18:38maintenant plus d'un an le déclin des ventes de bio.
18:42On sait que beaucoup des chaînes de distribution bio sont en grande difficulté, tout
18:46simplement parce qu'une partie croissante des Français qui le souhaiteraient n'a plus
18:50les moyens d'acheter de la nourriture bio.
18:52C'est aussi une crise du pouvoir d'achat.
18:54C'est une crise du modèle de production.
18:56Probablement, est-ce qu'on a trop renoncé ou trop renié sur les aides à l'installation
19:00des producteurs en bio, sur la transformation des exploitations ?
19:04Mais j'y reviens, c'est une question de choix politiques et c'est une question de moyens
19:08de ces choix. A-t-on la volonté d'appliquer un modèle alimentaire de qualité, préservant
19:13la santé des Français ?
19:15Vous disiez que quatre multinationales aux États-Unis nourrissaient 80% de la
19:19population américaine, ce sont vos chiffres, mais socialement, en France, une
19:22révolution, bien sûr, a eu lieu.
19:24Les Français ont rompu avec la terre.
19:26À quoi, à la fois notre territoire, notre modèle agricole, peuvent-ils ressembler à
19:31court, moyen, long terme ? Nous dirigeons, nous, vers ce modèle américain avec une
19:35poignée de multinationales qui nous nourrissent tous.
19:38S'il n'y a pas de décision politique, de projet politique et de volonté de
19:43l'appliquer, si nous laissons les institutions européennes continuer de
19:48livrer au marché, au soi-disant marché dominé par la préoccupation de
19:53rendement financier, la sécurité alimentaire des Français, nous allons très
19:57clairement vers un monde, et je dis bien un monde, dominé par probablement
20:03six à huit plateformes mondiales de circulation des
20:08flux alimentaires, quatre de ces plateformes étant américaines, deux ou trois
20:12pouvant être chinoises ou pouvant venir d'autres puissances.
20:15Je ne suis pas sûr qu'il y ait un seul établissement qui soit européen et ce
20:20dont je suis en revanche certain, c'est que ces plateformes de circulation,
20:27de négociation des flux alimentaires à travers le monde, détiendront et
20:31contrôleront la sécurité alimentaire.
20:34Rien n'est plus facile que de mettre un pays ou un continent en insécurité
20:39énergétique. C'est ce dont l'Europe est victime depuis les sanctions prises
20:43contre la Russie et depuis la crise ukrainienne.
20:47Rien ne sera plus facile également que de provoquer des crises alimentaires à
20:51partir du moment où quelques plateformes dans le monde pourront gérer la
20:55totalité ou la quasi totalité des flux alimentaires.
20:57C'est déjà la situation dans laquelle se trouvent les États-Unis, c'est déjà la
21:00situation dans laquelle se trouve l'Europe.
21:02Et pour nous, évidemment, il est urgent de reconquérir notre souveraineté
21:06alimentaire. Il est urgent, y compris par une politique des prix et par une
21:10politique des revenus, de favoriser la production alimentaire en France par
21:15des exploitants français harmonieusement répartis sur le territoire.
21:18Et donc, vous êtes en faveur de mesures drastiques comme cette espèce de
21:22contre-révolution agricole alimentaire de l'administration Trump aux États-Unis.
21:27Il va être très intéressant de voir ce qui va être effectivement appliqué par
21:31l'administration Trump.
21:32Mais les premiers signaux dont on peut disposer à travers les nominations de la
21:36secrétaire à l'agriculture, à travers la nomination des conseillers, j'évoquais
21:40Salatin, je pourrais évoquer Massy, je pourrais en évoquer d'autres.
21:44J'en parlais récemment avec un expert d'origine française installé aux États-Unis
21:48en matière d'agriculture régénérative, Renaud Beauchard, que j'aurai le plaisir
21:52d'accueillir bientôt à Paris pour une conférence.
21:54On voit bien que l'administration Trump veut redonner vie à la petite et moyenne
21:58entreprise agricole, qu'elle veut alléger les contrôles parce qu'il est aberrant
22:02d'imposer les mêmes contrôles à une exploitation familiale, locale, qui sert
22:07échantillonnement le marché local, que les réglementations qu'on va appliquer à
22:10Nestlé, qu'on va appliquer à des trusts mondiaux.
22:13Il faut évidemment adapter la réglementation à la réalité des exploitations.
22:18Je pense que ça s'implique également en Europe.
22:20Si on simplifait la réglementation, si on allégeait les contrôles et le temps
22:24administratif imposé aux exploitants, on aurait probablement moins de faillite et
22:28on aurait probablement moins de suicides.
22:31Ce sont des décisions qui peuvent être prises relativement rapidement.
22:34Ce sont des décisions qui demandent d'abord de la volonté politique et du
22:37courage politique.
22:39Redonner vie aux petites et moyennes entreprises agricoles, eh bien, ce sera le
22:42mot de la fin. Hervé Juvin, merci beaucoup d'être encore une fois présent
22:46dans Chocs du Monde. Je rappelle que vous êtes cofondateur du mouvement Les
22:49Localistes et ancien député européen.
22:51Merci à tous d'avoir suivi ce nouvel épisode de Chocs du Monde, le magazine des
22:54crises et de la prospective internationale de TVL.
22:57Surtout, n'oubliez pas de commenter et de partager cette émission.
23:00Merci à tous et bonne soirée.