Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie, était l’invité de #LaGrandeInterview de Sonia Mabrouk dans #LaMatinale sur CNEWS, en partenariat avec Europe 1.
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00:00Bonjour Xavier Driancourt. Bonjour Sonia Mahbouk, bonne année.
00:03A vous aussi, meilleur vœu et bienvenue à la grande interview sur CNews et Europe 1.
00:07Votre parole est aussi rare que précieuse, vous êtes ancien ambassadeur de France en Algérie,
00:11vous avez été en poste entre 2008 et 2012, puis entre 2017 et 2020,
00:16autant dire que vous connaissez parfaitement le fonctionnement du régime algérien,
00:19ou en tout cas son rapport à la France, et vous avez publié, Xavier Driancourt,
00:23l'énigme algérienne aux éditions de l'Observatoire.
00:26Après l'arrestation de trois influenceurs, ou plutôt propagandistes algériens,
00:30véritables prêcheurs de haine numérique appelant à des attentats, à des viols en France,
00:35la question est de savoir si tout cela est orchestré par le régime algérien,
00:39est-ce que le régime peut ainsi actionner des leviers dans notre pays ?
00:42Quelle est votre analyse sur ce sujet ?
00:44Je ne dirais pas qu'il y a un plan organisé par Alger pour déstabiliser la France,
00:51mais j'ai en tête les propos tenus à mon égard par un ancien Premier ministre algérien,
00:58aujourd'hui en prison, qui me disait « Monsieur l'ambassadeur,
01:02nous vous connaissons beaucoup mieux que vous nous connaissez ».
01:06Et je crois que tout est dans cette formule,
01:08donc je ne crois pas qu'il y ait de plan organisé à Alger,
01:12mais le fait est que les Algériens ont des relais en France,
01:15on y reviendra peut-être, mais il y a un certain nombre de relais,
01:18et quand j'entends le ministre des Affaires étrangères français
01:22dire qu'il a des doutes vis-à-vis de l'Algérie, vis-à-vis des bonnes intentions de l'Algérie,
01:27je crois que l'or n'est plus au doute, l'or est à la certitude.
01:30Mais comment expliquer alors notre naïveté dans la phrase que vous citez
01:33de cet ancien responsable algérien « nous vous connaissons »,
01:36ça veut dire on connaît votre faiblesse ?
01:38Nous connaissons, nous avons des réseaux en France,
01:41nous avons des relais en France, parce qu'il y a quand même 6 millions,
01:447 millions d'Algériens franco-algériens en France,
01:47il y a des relais, il y a les consulats, il y a 20 consulats algériens en France,
01:52alors que nous n'en avons que 3 en Algérie,
01:55il y avait 18 consulats algériens,
01:57monsieur Darmanin en a octroyé 2 supplémentaires
02:01quand il était ministre de l'Intérieur, sans aucune contrepartie de l'Algérie,
02:05alors que nous, nous demandions un certain nombre de choses
02:09pour l'ambassade de France à Alger.
02:11Donc effectivement, il y a des relais algériens en France,
02:15et puis il y a 10% de la population française qui a un lien avec l'Algérie,
02:19ça explique beaucoup de choses.
02:21Mais comment expliquer notre pusillanimité par rapport à l'Algérie ?
02:25Certains disent, avec des mots forts,
02:28que nous sommes un paillasson sur lequel le régime s'essuie les pieds.
02:31Non, je n'irai pas jusque-là non plus,
02:33mais je dirais encore une fois que l'Algérie,
02:36c'est de la politique étrangère et de la politique intérieure.
02:39Quand, par exemple, le président de la République s'exprime,
02:42comme hier devant les ambassadeurs, sur la Chine ou sur les Etats-Unis,
02:47c'est de la politique étrangère et c'est tout.
02:50Mais quand il parle de l'Algérie, c'est de la politique étrangère,
02:54parce que l'Algérie est un État indépendant,
02:56mais c'est aussi de la politique intérieure française
02:59parce qu'il y a, encore une fois, 10% de la population...
03:01Qui explique la prudence, la bienveillance...
03:03Qui explique la bienveillance spontanée de la classe politique vis-à-vis de l'Algérie.
03:08Mais qui vient d'où ?
03:09À gauche et à droite.
03:09Xavier de Riancourt, qui vient d'où, de ce sentiment de culpabilité
03:12par rapport à l'histoire ?
03:13Oui, il y a les souvenirs, les remords, je dirais, de l'histoire,
03:18à gauche comme à droite.
03:19Les politiques de gauche ont le souvenir de la bataille d'Alger,
03:23des condamnés à mort envoyés à la guillotine par François Mitterrand,
03:27alors ministre de la Justice dans le gouvernement Mendes France,
03:32des propos bienveillants de François Mitterrand,
03:35président de la République vis-à-vis du FIS en 1992.
03:40Il ne faut pas arrêter le processus électoral.
03:43FIS, mouvement islamiste algérien.
03:44Voilà.
03:45Et à droite, il y a les souvenirs et les remords du, je vous ai compris,
03:50du général de Gaulle, du retour en 62 des rapatriés, des harkis en France.
03:57Donc, tous nos politiques de droite comme de gauche ont une bienveillance spontanée,
04:03je dirais, vis-à-vis de l'Algérie.
04:04Ce qui n'est pas le cas vis-à-vis des autres pays.
04:07Du Maghreb, notamment.
04:07Du Maghreb et de l'Afrique et de l'Indochine.
04:11Bien sûr, mais Xavier Driancourt, c'est une autre génération de politiques.
04:14Aujourd'hui, quand on voit que ces propagandistes,
04:16ces influenceurs algériens,
04:17sont capables quand même de menacer la France sur son propre sol,
04:21qu'un écrivain, on va y revenir longuement,
04:23franco-algérien, Boalem Sansel,
04:24est emprisonné, jusqu'où le régime algérien peut aller ?
04:29Mais le régime algérien, le président de la République,
04:34le disait lui-même, le régime algérien trouve sa légitimité
04:38dans la rente mémorielle et donc dans la falsification de l'histoire,
04:43disait M. Macron, dans une interview au Monde, il y a quelques années.
04:48Et c'est ça, le carburant du régime algérien.
04:50Et donc, à force de répéter, de rabâcher,
04:54d'inoculer dans la tête des jeunes Algériens d'Algérie,
04:59mais aussi de France, qui lisent la presse algérienne,
05:02qui lisent les réseaux sociaux algériens, etc.,
05:05tout ça finit par entrer dans la tête de ces gens.
05:08Qui peut donner quoi ? Un tel poison inoculé à haute dose ?
05:11Ça peut donner ce qu'on voit en ce moment en France,
05:14une déstabilisation du pays.
05:16C'est pour ça que je ne crois pas qu'il y ait de plans organisés à Alger,
05:19mais tout ça est la conséquence d'une politique
05:21qui a été sciemment décidée en Algérie.
05:25Et qu'on nourrit parfois.
05:26Et qu'on nourrit parfois.
05:28Emmanuel Macron qui a dénoncé hier, Xavier Driancourt,
05:30le déshonneur de l'Algérie au sujet de Boalem-Sensal.
05:34Mais où en est-on dans les vraies actions de représailles ?
05:36Autrement dit, le gel des avoirs de certains responsables,
05:39les fameux biens mal acquis, issus de l'argent de la corruption.
05:42Où en est-on aussi des accords de 68 ?
05:45Accords que vous avez dénoncés aujourd'hui.
05:47Est-ce qu'il y a un moindre pas qui est fait ?
05:50Écoutez, je crois qu'il faudrait poser la question
05:52à un représentant du gouvernement
05:54ou un représentant du ministère des Affaires étrangères.
05:57Sans révéler de secret, vous avez des contacts.
05:59Je ne suis pas forcément au courant de ce qui se dit
06:02ou de ce qui se fait au Quai d'Orsay ou à l'Elysée.
06:06Mais le fait est qu'il y a un certain nombre de paroles.
06:09Hier, le président a parlé de déshonneur.
06:11Mais il faut passer à l'acte.
06:13Encore une fois, on n'est plus à l'heure des doutes,
06:15comme le disait M. Barron.
06:16On est à l'heure de la certitude.
06:18Et donc, il faut prendre des mesures vis-à-vis de l'Algérie.
06:21Alors, vous avez cité l'accord de 68.
06:23Mais il y a un échange de lettres de 2007
06:26sur les visas diplomatiques algériens,
06:28sur les passeports diplomatiques algériens
06:31qui sont exemptés de visa pour venir en France.
06:33Il y a l'accord de sécurité sociale franco-algérien de 1986.
06:38Il y a les réseaux des consulats algériens en France,
06:42qui sont autant, encore une fois,
06:44de réseaux du pouvoir algérien en France.
06:4820 consulats sur tout le territoire français.
06:52Il y a les réseaux des mosquées, de la mosquée de Paris notamment.
06:56Parlons-en, parce que la grande mosquée de Paris
06:57et son recteur, Shams Eddin Hafiz,
06:59a publié un communiqué pour dénoncer les propos
07:02du lanceur d'alerte Shaouky Bezera,
07:04qualifié par la grande mosquée, je cite, de blogueur obscur.
07:07C'est ce lanceur d'alerte qui a permis
07:09l'arrestation des influenceurs algériens.
07:11Vous aussi, vous êtes cité dans ce communiqué.
07:13La chaîne également, CNews,
07:16qui vous donne la parole comme un temps d'autre
07:18et qui a donné la parole à ce lanceur d'alerte.
07:20Et les propos vous concernant sont particulièrement durs
07:23et vous mettent une cible dans le dos, monsieur l'ambassadeur.
07:27Comment vous réagissez ce matin ?
07:28Je trouve que c'est tout à fait indigne
07:30de la part du recteur de la mosquée de Paris.
07:33J'étais ahuri quand j'ai lu ce communiqué de la mosquée de Paris
07:38qui lance une fatwa contre Shaouky Bezera et contre moi-même.
07:44Et je crois que je reprendrai ou je paraphraserai le recteur
07:47en reprenant ses propos et en disant qu'il fait preuve d'une...
07:53Je crois que sa formule, il fait preuve...
07:55Il est connu pour son hostilité aveugle
07:58contre le pays dans lequel il est en fonction.
08:01Donc je dirais au recteur qu'il s'occupe de religion,
08:04mais qu'il ne fasse pas de politique.
08:06Il n'est pas l'ambassadeur officieux de l'Algérie.
08:09Et pour faire un parallèle,
08:11le cardinal archevêque d'Alger, Monseigneur Vesco,
08:16s'occupe de religion et s'occupe fort bien des catholiques,
08:19des rares catholiques qui restent en Algérie,
08:21mais ne fait pas de politique
08:22et ne vient pas chercher ses ordres à l'Elysée.
08:26Autrement dit, le recteur serait donc un agent d'influence.
08:30C'est évident, mais il ne s'en cache pas.
08:35Avec tout ce que vous venez de dire et avec votre connaissance,
08:38votre expérience, je le rappelle,
08:41vous avez aussi parlé de ce pourcentage quand même important
08:43de la population ici en France,
08:44qui a un lien direct ou indirect avec l'Algérie.
08:47Que craignent en réalité les autorités françaises, selon vous,
08:50au-delà de ces leviers, de ces propagandistes et influenceurs algériens,
08:53est-ce qu'ils craignent des réactions plus importantes
08:55d'une partie de la population ?
08:57Il y a effectivement la population algérienne en France.
09:02Il y a cette bienveillance spontanée dont je parlais tout à l'heure.
09:06Et puis, on craint aussi des réactions de l'Algérie,
09:09du pouvoir algérien qui fait aujourd'hui
09:13l'objet d'une sorte de fuite en avant
09:16avec l'arrestation de Boalem Sansal.
09:20Celle-ci s'inscrit dans un continuum
09:24d'une très forte dégradation de la relation franco-algérienne
09:28depuis six mois, depuis la reconnaissance de la marocanité,
09:32comme on dit, du Sahara occidental,
09:34depuis la visite du président Macron à Rabat,
09:39visite d'État, du reste.
09:41Il y a eu l'attribution du prix Goncourt à Kamel Daoud.
09:44Et tout ça fait que le pouvoir algérien voit
09:48un complot franco-maroco-sioniste, comme ils disent.
09:54Donc voilà, il y a l'idée d'un complot
09:57et il faut réagir face à ce complot.
10:01Et l'arrestation de Boalem Sansal s'inscrit dans cette dégradation
10:05continue de notre relation avec l'Algérie.
10:07Relation qui, d'ailleurs, n'a jamais été simple depuis 62.
10:10Il y a toujours eu des hauts et des bas.
10:12Mais aujourd'hui, on est dans une période baissière depuis 62.
10:16Et un homme en est l'otage.
10:18C'est un prisonnier politique aujourd'hui ?
10:20Boalem Sansal est pris en otage par les autorités algériennes.
10:25Il faut rappeler, Sonia Mabrouk, qu'il y a 30 ans,
10:28l'Algérie était l'intermédiaire entre l'Iran et les Etats-Unis
10:32au moment de la prise d'otage de l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran.
10:39Et aujourd'hui, l'Algérie n'est plus médiateur.
10:42L'Algérie est preneur d'otage.
10:44Elle est du côté des preneurs d'otage et des groupes terroristes
10:48qui prenaient en otage les Américains.
10:51Comment réagit-on face à un preneur d'otage ?
10:54Comment réagit-on ?
10:55C'est de la discussion, c'est de la négociation.
10:59Mais de temps en temps, il faut faire preuve de force.
11:02Il y a 30 ans exactement, il y avait eu la prise d'otage
11:05de l'Airbus d'Air France à l'aéroport d'Alger.
11:10Il y a eu au début de la négociation, de la discussion avec les preneurs d'otage.
11:14Et puis à la fin, ça s'est terminé par un assaut.
11:17Donc voilà, il faut pouvoir utiliser les deux aspects.
11:20La question, Antoine Defond, Xavier Hédry, en cours,
11:22c'est aussi celle de l'immigration.
11:24Immigration incontrôlée.
11:26Le ministre de l'Intérieur, Bruno Rotailleau, ce matin,
11:28affirme qu'il faut un référendum pour reprendre le contrôle.
11:33Est-ce que vraiment on peut reprendre le contrôle sur ce domaine ?
11:36Je crois qu'il est possible de reprendre le contrôle,
11:41mais à condition, effectivement, d'en avoir la volonté politique
11:45et à condition de pouvoir jouer sur, je dirais,
11:49toutes les touches du clavier administratif dont la France dispose.
11:55Le problème, c'est que nous sommes, nous, Français,
11:58dans un État démocratique, dans un État de droit.
12:01Le problème, dites-vous ?
12:02Oui, dans un État ouvert.
12:05Et l'Algérie, c'est un régime autoritaire, policier.
12:10Donc, encore une fois, ils nous connaissent
12:11et ils connaissent nos faiblesses beaucoup mieux que nous ne les connaissons.
12:14Nos faiblesses se lovent-elles dans cet État de droit ?
12:17Nos faiblesses, c'est effectivement un État de droit
12:22avec une jurisprudence très prononcée de la part des juges français,
12:27des juges européens.
12:28Les Algériens connaissent tout ça.
12:31C'est un jour particulier en ce 7 janvier 2025.
12:34Vous avez, Dreyencourt, dix ans après les attentats,
12:36les massacres de Charlie Hebdo, l'Hyper Cacher et Montrouge,
12:40face à l'Iden islamiste.
12:41Est-ce que, selon vous, au-delà des lois,
12:44est-ce qu'on est armé moralement et mentalement ?
12:47Nous l'avons été, oui, il y a dix ans, vous le rappeliez,
12:51il y a eu cette grande marche pour Charlie.
12:54Moi-même, j'y ai participé avec des amis algériens, du reste à l'époque.
13:00Mais est-ce qu'aujourd'hui, cette arme morale n'a pas faibli
13:04face à un environnement qui est complètement différent ?
13:08On peut se poser la question.
13:10On comprend sans doute la réponse.
13:11Vous avez aussi été, Xavier Dreyencourt, je le rappelle,
13:13dans votre carrière, conseiller diplomatique à Matignon,
13:16directeur général de l'administration du Quai d'Orsay,
13:18chef de l'inspection générale des affaires étrangères.
13:21Lorsque vous entendez Emmanuel Macron dire devant les ambassadeurs hier
13:25que la France n'a pas vraiment reculé en Afrique,
13:29mais qu'elle se réorganise, comment réagissez-vous ?
13:31Oui, c'est un langage très diplomatique.
13:34Et dans la réalité, cela donne quoi ?
13:35Dans la réalité, nous avons quand même été mis à la porte,
13:40sortis du Sénégal récemment, du Tchad, du Mali, du Niger.
13:47Donc effectivement, tout cela, c'est une forme de réorganisation,
13:51mais c'est une réorganisation contrainte.
13:54Face à des régimes et parfois aussi face à des mouvements djihadistes
13:59et terroristes qui se sont transformés, qui sont arrivés au pouvoir,
14:02comme en Syrie, quand vous voyez que la diplomatie européenne
14:06s'est rendue dernièrement à Damas face au nouveau leader syrien,
14:11est-ce que, selon vous, un islamiste inclusif existe ?
14:17L'islamisme modéré, c'est comme le communisme modéré.
14:24Bien, je pense que la réponse est assez claire.
14:26Merci, monsieur l'ambassadeur, Xavier Driancourt.
14:28Je rappelle votre ouvrage, parce que tout est contenu dans ce livre depuis bien longtemps.
14:33Et peut-être que des responsables politiques auraient pu le lire il y a déjà longtemps.
14:36L'énigme algérienne aux éditions de l'Observatoire.
14:39Je vous remercie, je vous souhaite une bonne journée.
14:40Merci à vous.