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TERRORISME - Il y a dix ans, lorsque François Molins apparaissait sur notre télévision, c’était rarement pour apporter de bonnes nouvelles. Lui qui fut procureur de la République de Paris entre 2011 et 2018 a eu à relater, lors de conférences de presse retransmises en direct sur les chaînes d’information en continu, les circonstances des attentats jihadistes les plus meurtriers que la France ait connu, notamment entre le 7 janvier et le 13 novembre 2015. Une décennie plus tard, il laisse pourtant l’image d’un magistrat rassurant, qui a tenté d’expliquer l’innommable dans les moments les plus sombres.

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Transcription
00:00Moi, j'aurais préféré dans l'absolu que mon visage reste dans l'anonymat dans lequel j'étais et qui me convenait bien.
00:05Mais bon, j'ai fait avec, on dira.
00:08Les faits sont donc les suivants. Vers 11h30 ce matin, un véhicule Citroën C3 se présentait devant l'immeuble au siège de Charlie Hebdo.
00:16Véhicule duquel descendait deux individus habillés de noir, cagoulés et porteurs d'armes automatiques du type fusil d'assaut Kalachnikov.
00:27Dans une situation de chaos, il faut nommer les choses et mettre des mots sur les choses.
00:33On a besoin d'une parole qui soit claire, qui soit précise, qui soit rigoureuse et qui soit vraie.
00:39Il faut respecter la présomption d'innocence, il faut respecter la dignité des victimes.
00:42Il y a des choses qu'on ne peut pas s'autoriser à dire et il faut essayer d'assurer la confidentialité des investigations.
00:48Donc le procureur, en respectant tout ça et en naviguant entre tout ça, il est là effectivement pour expliquer ce qui s'est passé,
00:56expliquer les mesures qu'il a prises dans le cadre de sa compétence,
00:59et donner un maximum d'éléments aux gens pour qu'ils soient informés, qu'ils comprennent ce qui se passe
01:03et qu'ils comprennent en fait que les composantes de l'État qui doivent s'occuper de tout ça, en l'occurrence la justice, font leur travail.
01:09Dans le cadre de cette enquête, il y a beaucoup de travail qui a été effectué
01:14et qui a permis d'obtenir par la téléphonie et les surveillances et les témoignages des éléments
01:20qui pouvaient laisser penser que le nommé Abaoud était susceptible de se trouver dans un appartement conspiratif.
01:27On employait beaucoup ça à l'époque du terrorisme basque, mais c'est une expression qui est parlante.
01:32Un appartement conspiratif, c'est un appartement dans lequel vous allez cacher votre logistique,
01:38dans lequel vous allez vous abriter, dans le cadre de la conspiration.
01:42L'association de malfaiteurs, c'est une conspiration.
01:45Je ne veux pas penser que ça retiendrait l'attention des médias comme ça.
01:48Effectivement, ça m'avait un peu amusé, ça.
01:51À chaque fois, la France traumatisée avait besoin d'informations fiables
01:55pour essayer de comprendre l'incompréhensible et c'est François Mollins qui s'en chargeait,
02:00avec sa voix calme, avec son accent pyrénéen, avec des mots très précis, un vocabulaire très particulier.
02:05Il énonçait les faits et c'était rassurant.
02:08Dans la communication qu'on a voulu délivrer, ce facteur rassurant n'existait pas, au tout début.
02:13Je reconnais que c'est quelque chose qu'on a intégré dans notre façon de fonctionner,
02:18à telle enseigne qu'à un moment donné, on continuait à avoir des attentats,
02:23mais qui étaient peut-être un peu moins importants.
02:25La question qu'on s'est posée, c'est de savoir si on allait continuer à communiquer ou pas.
02:28Une grande partie de mon équipe voulait qu'on arrête parce que c'est beaucoup de travail,
02:32c'est quand même assez lourd et je n'ai pas voulu.
02:35Dans la période dans laquelle on vit, je pense que si on avait arrêté,
02:38la société n'aurait pas compris et nos concitoyens se seraient demandé
02:42pourquoi du jour au lendemain, il n'y avait plus de communication sur cet attentat.
02:46Je pense qu'avec les théories complotistes et tout ce qu'on connaît,
02:49on aurait alimenté une théorie consistant à dire que finalement, on cachait quelque chose.
02:53Donc on a continué jusqu'au bout.
02:56À 21h40, un véhicule polo de couleur noire se stationne devant, vous le savez,
03:01la salle de spectacle Le Bataclan au 50 boulevard Voltaire.
03:05Trois individus porteurs d'armes de guerre en sortent.
03:08Ils vont faire irruption dans la salle et tirer en rafale en plein concert
03:13pour ensuite prendre en otage le public qui semble-t-il a été regroupé
03:17devant la fosse, devant l'orchestre, ce qui explique que ce soit là
03:21que l'on trouve le plus de victimes.
03:23Pourquoi est-ce qu'il y en a qui tiennent le choc et d'autres qui ne le tiennent pas ?
03:26Je pense que ça renvoie à des formes de personnalité, à des coefficients de solidité.
03:32On se regardait, on s'observait beaucoup les uns les autres
03:35et donc on avait bien vu qu'il y avait quelques collègues qui n'allaient pas bien du tout.
03:38Donc j'avais demandé à l'époque à Mme Taubira, qui est des gardes des sceaux,
03:41d'avoir un psychologue, qu'on a eu tout de suite.
03:43Et donc du coup, on a été une dizaine à aller le voir.
03:46Moi, je pense que ce qui m'a beaucoup aidé, c'est que d'abord,
03:49j'étais dans un cadre conjugal, familial, sécurisant.
03:54Mon épouse m'a bien assisté.
03:58Je pense que ce qui m'a aidé aussi beaucoup, c'est la foi dans ce que je fais
04:02et la passion que j'ai pour mon métier.
04:04Je pense que quand vous êtes face à des situations comme ça,
04:06vous avez conscience que vous êtes face à des enjeux qui sont véritablement hors normes.
04:10Dans ce genre de situation, on s'aperçoit en réalité qu'on est capable de choses
04:14qu'on n'aurait jamais pensé être capable d'accomplir.
04:17Donc finalement, l'événement, quelque part, va vous transcender.
04:20Et le courage collectif.
04:22Parce qu'un parquet, c'est une équipe.
04:24Et dans une équipe, quand on se serre les coudes,
04:27effectivement, on est beaucoup plus fort.
04:29Ces terroristes sont donc atrocement frappés.
04:31Il s'agit d'une tragédie pour les victimes et leurs proches,
04:34auquel je rends un nouveau hommage ce soir.
04:36Sachez, et j'en terminerai par là simplement,
04:38que les pouvoirs publics et le parquet de Paris restent totalement mobilisés
04:43au service de la prise en charge des victimes et de tous leurs proches.
04:47Des regrets, bien sûr, parce que rien n'est jamais parfait.
04:50Il y a eu des loupés.
04:52D'abord, cette époque est très frustrante parce qu'on a beau toujours mieux travaillé,
04:56on n'arrive pas à endiguer le flot des attentats.
04:59On peut même parfois avoir une forme de culpabilité collective
05:03face à des attentats en se disant
05:05qu'on n'a pas été suivis à un moment pour les enrier.
05:08Ce n'est pas toujours facile à vivre non plus,
05:10même s'il n'y a pas de dysfonctionnement majeur.
05:12Donc ça n'a pas été parfait, on a toujours essayé de s'améliorer,
05:14mais pour autant, on était dans une sorte de spirale infernale.
05:18On avait beau travailler, réfléchir à améliorer nos dispositifs,
05:21les attentats revenaient.
05:23Donc effectivement, c'est dur à vivre,
05:25mais avec le recul, on a vraiment tout fait
05:28pour faire du mieux que l'on trouvait.

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