Rixe mortelle entre adolescents en plein Paris : comment expliquer et endiguer la violence des mineurs ? Jean-Pierre Rosenczveig, magistrat honoraire, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny de 1992 à 2014, membre du CNPE (Conseil national de la protection de l'enfance), est l'invité de Amandine Bégot.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot du 18 décembre 2024.
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00:00RTL Matin
00:03Avec Amandine Bégaud et Thomas Soto.
00:05Il est 8h15, l'interview d'Amandine Bégaud au coeur de l'actualité ce matin, l'incompréhension et la colère
00:10après la mort hier d'un ado de 16 ans. C'était lors d'une RICS devant un lycée parisien.
00:14Pour en parler, pour essayer de comprendre comment on en arrive là, vous avez choisi d'inviter Jean-Pierre Rosenzweig.
00:19Il a présidé pendant des années le tribunal pour enfants de Bobigny. Bonjour et bienvenue à vous.
00:23Bonjour.
00:24Merci.
00:25Et bienvenue au tribunal de Bobigny qui est le plus grand tribunal pour enfants de France. Vous avez vu défiler...
00:29Aucun mérite. C'est le seul tribunal pour un grand département.
00:33Voilà. Et vous avez vu défiler des milliers d'enfants et d'adolescents dans votre bureau.
00:39C'est aussi pour ça que votre regard nous intéresse.
00:43Thomas parlait à l'instant de cette RICS et de ce jeune de 16 ans tué hier en plein Paris.
00:48Ce week-end, c'est une adolescente de 15 ans qui a été tuée à coup de couteau à Limoges.
00:52Celui qu'il a tué, 15 ans aussi, a expliqué vouloir lui voler son téléphone portable.
00:55Alors bien sûr, ce sont deux histoires qui n'ont rien à voir. Complètement différentes.
00:59Mais nous, en tant que spectateur de tout ça, on est frappé à la fois par la violence, par l'usage d'armes blanches,
01:05par le très jeune âge aussi des victimes, des agresseurs. Est-ce que tout ça, c'est nouveau ?
01:09Ah non. Non, non, non. C'est pas nouveau. Non, non. Il y a un effet de loupe.
01:13Et puis en plus, quand les événements se croisent ou se chevauchent dans le même temps...
01:19Il y a 6 mois, sur une semaine, il y a eu 4 ou 5 affaires qui ont mis en cause des adolescents qui ont tué.
01:26Dans des conditions tout à fait... Là, il y a un effet de loupe.
01:29Ça ne veut pas dire qu'il faut ignorer l'importance et les enjeux autour de ces situations.
01:35Mais des histoires de rixes entre bandes, il y en a toujours eu.
01:41Sauf que là, les chiffres, en tout cas ceux de la préfecture de Paris,
01:44disent plus de 10% de rixes en Ile-de-France au cours de cette dernière année.
01:49Avec un nombre de victimes plus important. Ça veut dire des rixes aussi plus violentes.
01:54Vous les avez vus évoluer, ces jeunes ? Est-ce que les jeunes d'aujourd'hui sont différents de ceux que vous voyez dans votre bureau il y a 10 ou 15 ans ?
02:00Ce qui est sûr, d'une manière générale, dépassant les drames de ces jours-ci,
02:06il y a plus de violence dans le comportement des jeunes aujourd'hui que par le passé.
02:10Enfin, au moins dans le passé récent, parce qu'autant jadis, il y a eu aussi des comportements très très très violents.
02:16Et c'est vrai que ça nous choque, puisqu'on est dans une civilisation de plus en plus civilisée.
02:19On dialogue et on ne sort pas avec un couteau, normalement, ou avec une arme.
02:24Alors effectivement, il y a des phénomènes de bandes dans un certain nombre de lieux,
02:27notamment à Paris, mais pas qu'à Paris.
02:29À Paris, avec effectivement des guerres qui sont soit des guerres de territoire,
02:34soit des guerres autour des trafics de drogue, des problèmes de filles.
02:39Enfin, j'en passe et des meilleurs.
02:41Et effectivement, avec de plus en plus souvent des jeunes qui sortent, entre guillemets, avec des armes de défense.
02:47Ça c'est assez nouveau, enfin assez récent, non ?
02:50Non, sur les dernières décennies, non c'est pas récent.
02:53J'ai pratiqué sur les 4 dernières décennies, si vous voulez, j'ai connu ce type de situation il y a 40 ans.
03:01Ce gamin, j'ai en tête, ce gamin qui a été planté d'un coup de couteau dans le cœur pour lui prendre sa montre.
03:06Et ça c'était il y a combien de temps ?
03:08C'était en 1995, 2000.
03:11C'était hier, si vous le voulez.
03:14Alors, c'est pas du tout nier la réalité de ces phénomènes, c'est pas du tout nier la violence de ces phénomènes,
03:20la gravité de ces phénomènes, bien entendu pour les victimes et leurs proches,
03:23et pour les gamins aussi, qui sont les gamins, c'est pas affectueux, parce qu'ils sont mineurs.
03:28C'est pour bien montrer qu'ils sont mineurs.
03:30Les conséquences que ça va avoir pour eux sur l'ensemble de leur vie.
03:34Ils sont, dans tous les sens du terme, irresponsables, c'est-à-dire qu'ils ne mesurent pas les conséquences de leur acte.
03:38Ils vont devoir en rendre compte, à leur conscience d'abord, et à la justice ensuite.
03:42Et Dieu sait quel va être leur itinéraire dans les temps qui vont venir, malgré tout ce qu'on va tenter de faire.
03:46À chaque fois qu'il y a ce type de drame, on relance le débat autour de la façon d'enrayer ou pas cette violence.
03:54Il y a quelques mois, après une autre série de drames,
03:56Gabriel Attal avait appelé un sursaut d'autorité pour indiquer cette violence des jeunes.
04:00Est-ce que c'est un problème d'autorité ?
04:02Oui et non. Autorité, oui.
04:04Il faut que des adultes soient présents auprès des enfants pour faire autorité, pour les cadrer, pour les encadrer,
04:10pour leur dire quelle est la loi et quel est le sens de la loi,
04:14et quels sont les comportements à avoir et à ne pas avoir.
04:16Oui, il y a besoin d'un encadrement de ces jeunes.
04:19Mais est-ce que c'est seulement par l'autorité au sens de la violence qu'on peut résoudre ?
04:23On peut faire autorité sans violence.
04:25Vous savez que récemment, on a été amené à faire voter une loi qui veut qu'on puisse élever ces gosses sans les frapper.
04:31On peut faire autorité sans violence.
04:33Alors le problème, si vous le voulez...
04:35Une autorité respectée, vous avez écrit ça dans une tribune du Monde au mois de mai, justement, au moment de ces annonces.
04:40Une autorité respectée, pas seulement parce constituée, mais parce que respectable.
04:45Oui, vos gosses vous obéissent parce qu'après avoir râlé sur...
04:49Ils n'ont pas envie de manger leur soupe, ils ont envie de plus de chocolat, ils ont envie de sortir, etc.
04:53Et puis ils ont râlé, mais finalement, ils vont vous respecter parce qu'ils savent bien à l'expérience
04:57que quand vous dites des choses, ce n'est pas totalement idiot.
04:59Mais ça veut dire que les jeunes ne respectent plus la police, la justice ?
05:03Oui, pour beaucoup de jeunes, pour beaucoup, pas pour l'immensité des jeunes de France,
05:08la loi n'est pas respectable parce que de leur point de vue, la loi au sens large du terme,
05:12la loi familiale, la loi scolaire, la loi de la rue,
05:15elle n'est pas respectable parce qu'elle ne leur apporte aucun bénéfice, si vous le voulez.
05:19Ils la respectent. Ils ont tort.
05:21Puisque la loi, effectivement, les protège, malgré les difficultés.
05:25Mais pour revenir au fond de votre question,
05:28ce qui se passe aujourd'hui, on l'avait prévu, un certain nombre d'entre nous, il y a quelques années.
05:33Pourquoi ? Parce qu'effectivement, de plus en plus, il est difficile de savoir qui fait autorité
05:37au sein de la famille sur les enfants.
05:39Et notre loi n'est pas venue, j'allais dire, tenir acte des pratiques familiales modernes,
05:44notamment...
05:45C'est-à-dire les familles monoparentales, les familles recomposées ?
05:47Les familles ne sont jamais monoparentales, c'est les foyers qui sont monoparentaux.
05:50Il y a toujours un père ou une mère quelque part.
05:52Mais les foyers sont monoparentaux.
05:53Et effectivement, souvent, il n'y a qu'un parent qui exerce réellement ses responsabilités.
05:56Non pas son autorité, mais ses responsabilités.
05:59Deuxièmement, il y a au sein de la famille des gens qui ne sont pas les parents biologiques.
06:02Les beaux-parents.
06:03Il y a 2 millions d'enfants qui vivent avec un beau-père et une belle-mère.
06:062 millions d'enfants, 2 millions de pères, 2 millions de mères, 2 millions de beaux-pères et de belles-mères,
06:11ça fait 8 millions de la population française qui est concernée.
06:14Donc il faudrait changer la loi, d'après vous, sur tout ça ?
06:16Non, même pas la changer.
06:17Simplement venir dire dans la loi, celui qui vit quotidiennement avec l'enfant
06:20est en droit et en devoir d'exercer à son égard les responsabilités de la vie courante.
06:25La loi, il n'a pas la changé, elle n'existe pas.
06:28Napoléon, il n'a pas prévu ce coup-là.
06:30Il n'a pas prévu qu'on allait copuler en mariage.
06:33Quand vous entendez le débat autour de l'excuse de minorité,
06:37le durcissement des sanctions à l'égard des parents,
06:40tout ça, ça ne fonctionne pas ? C'est ce que vous dites ?
06:43Ça ne marcherait pas, ça ne changerait pas ?
06:45Les réponses ne sont pas les bonnes réponses.
06:46Mais il faut effectivement...
06:47On ne peut pas laisser quelqu'un être malade sans le soigner.
06:50Commençons par le début.
06:51Le début, c'est qu'il faut identifier les gens qui font autorité à l'égard de l'enfant,
06:54qui ne sont pas nécessairement ses géniteurs.
06:56Deuxièmement, il faut étayer un certain nombre de familles qui sont en difficulté.
06:59Et là, aucun homme politique, aucun homme ou femme politique ne dit à l'heure actuelle,
07:03tous les services de proximité, d'aide aux familles, sont actuellement en rouge.
07:06La protection maternelle et infantile, le service social scolaire,
07:09le service de santé scolaire, la psychiatrie infantile.
07:1118 départements, par rapport au sujet qui vous intéresse aujourd'hui,
07:1518 départements d'ores et déjà supprimés,
07:17les clubs et équipes de prévention qui vont au contact des jeunes
07:20pour qu'en difficulté, ils ne basculent pas dans la délinquance.
07:24C'est notre intérêt à nous, société,
07:26que de faire en sorte qu'un gamin qui est en difficulté
07:29ne viole pas la loi et n'agresse personne.
07:31Donc, il faut identifier au sein de la famille qui fait quoi.
07:33Il faut remettre des services de proximité.
07:35Et effectivement, troisième étape,
07:37à ce moment-là, il faut traiter les quelques situations qui le justifient.
07:42Mais il ne faut pas zapper l'étape 1 et 2 que vous venez d'évoquer.
07:45Sinon, on ratouille et on ne comprend rien.
07:47Ils n'ont rien à cirer d'être agressés par un primo-délinquant
07:49ou par un multi-récidiviste.
07:51Ils ne veulent pas être agressés du tout.
07:52Donc, il faut traiter l'un et l'autre.
07:54Et dans le temps où on traite mieux ceux qui ont déjà violé la loi,
07:57il faut faire en sorte qu'il n'y ait pas de nouveaux qui viennent violer la loi.
08:00Alors après, on retrouve la question posée par M. Attal.
08:02Est-ce que c'est simplement en punissant les parents
08:05ou est-ce que c'est en incarcérant plus les enfants
08:08qu'on va au final protéger la société ?
08:10Parce que l'objectif est de...
08:11Je dis non. On le sait tous.
08:13La prison est criminogène.
08:14Ce qu'il dit, c'est un imperfide dans le rapport sur la violence en 1979.
08:17Donc, ce n'est pas d'aujourd'hui, si vous le voulez.
08:19On le sait tous.
08:20Donc, ça ne suffit pas.
08:21Bien entendu qu'il faut cadrer.
08:22Il faut marquer des limites.
08:23Quand un gamin a tué, notamment,
08:25il faut lui dire qu'il a commis quelque chose qui est abominable.
08:28Il doit être puni pour ça.
08:29Mais la punition n'est pas une fin en soi.
08:31Elle est rétributive par rapport à l'acte commis.
08:34Mais elle a un objectif pédagogique
08:36de faire en sorte que celui qui a violé la loi une fois
08:38ne réitère pas son comportement.
08:40Et là, les réponses qui nous sont apportées
08:42dans des propositions comme celles qui étaient avancées
08:44par l'ancien Premier ministre devenu député
08:46sont hors sol.
08:47Mais de longue date, elles sont hors sol.
08:49Elles ne tiennent pas la route.
08:50Merci beaucoup, Jean-Pierre Eusenbeck, d'être venu.
08:52Merci à vous.
08:53Ce matin, sur RTL, on pourrait continuer la discussion
08:56pendant des heures et des heures
08:58parce que c'est un sujet à la fois passionnant
09:00et vous êtes passionnant.
09:01Igor, merci.
09:02Il faut cadrer, il faut marquer des limites.
09:03Mais la punition, on doit faire en sorte que celui qui a commis la faute
09:06ne réitère pas ce qui se passe.
09:08On l'avait prévu.
09:09Et de plus en plus, on ne sait pas
09:10qui fait autorité sur les enfants.
09:12C'est là un des principaux problèmes.
09:13C'est vrai qu'on aurait pu vous écouter pendant des heures, Jean-Pierre Eusenbeck.
09:15Vous faites un très bon résumé.
09:16J'essaye.
09:17Remarque.
09:18Face à un magistrat, j'essaye d'être un peu rigoureux.
09:21Ça m'arrive de temps en temps.