Thomas Voeckler a vécu une année 2024 assez singulière ! En tant que sélectionneur de l'Équipe de France, l'ancien coureur a forcément connu une saison particulière, avec les Jeux olympiques a domicile et les deux médailles remportées, mais aussi les Championnats du Monde et d'Europe comme échéances importantes. L'occasion pour lui de revenir au micro de Cyclism'Actu sur cette année folle, mais également d'évoquer de nombreux sujets, dans un monde du cyclisme en grande évolution, entre domination de Tadej Pogacar, départ de Patrick Lefevere, mercato animé... avec sa franchise, son humilité et sa bonne humeur habituelle. Une longue entrevue avec le sélectionneur des bleus, mais également suiveur assidu et commentateur de vélo, à retrouver ici.
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00:00Bonjour Thomas Beauclair, bienvenue sur Cyclisme Actu en cette fin de saison 2024.
00:09Tout simplement, j'aimerais savoir comment va le sélectionneur de l'équipe de France
00:13en cette inter-saison ? Qu'est-ce qu'il se passe pour Thomas Beauclair ?
00:16Bonjour à toutes et tous, ce qui se passe c'est que c'est un temps un peu calme mais
00:22dans le bon sens du terme, c'est vrai que comme pour tout le monde c'est la période
00:26un peu creuse et c'est un période que je mets à profit pour établir un petit peu,
00:33déjà prendre du temps d'un point de vue perso aussi avec mes enfants, mais également
00:39d'un point de vue professionnel pour, comme je le fais souvent, anticiper sur les échéances
00:44à venir et ça passe par un suivi, liste de contacts, selon les cas et puis aussi beaucoup
00:56de travail des autres collectifs, de tout ce qui forme la filière route au sein de la
01:03Fédération Française de Cyclisme, donc c'est clair que ce n'est pas parce qu'il n'y a pas
01:07de course qu'on n'est pas en train d'anticiper sur les déplacements, sur l'hébergement,
01:12sur le profil, en tout cas de mon côté, sur le profil des coureurs qui pourraient être rappelés,
01:16sur les programmations de course, sur qui va où, qui a progressé, qui a eu une année galère,
01:21pourquoi, dans l'échange et puis ça bouge au niveau du côté des coureurs dans les
01:26équipes, mais des fois des staffs, donc voilà, il faut se tenir au courant de tout ça et puis
01:32prendre des contacts selon la période creuse actuelle. C'est pas trop dur de repartir après
01:39une année 2024 qui a quand même été très intense et forcément très réussie avec ces deux médailles
01:45olympiques. On réalise après plusieurs mois comme ça ce succès pendant les gilots de Paris 2024
01:53qui ont été réussis ? Ouais, ça a été... En fait, moi de mon côté, ils étaient réussis avant même
02:00la course, j'ai envie de dire, avec l'approche et ce que je ressentais auprès des coureurs, bon,
02:06après c'est une course de vélo, alors du coup, c'est clair que ça a été plus que... Je sais même
02:13pas exactement pourquoi j'aurais signé comme résultat, c'est en termes d'état d'esprit de
02:17course en fait que je fonctionne, mais c'est clair que ça a dépassé, faut pas dire que...
02:27Regarder les choses effectivement, si on nous avait dit qu'il y aurait deux coureurs derrière
02:32Remco Evenpool sur le podium, deux coureurs français, j'y croyais à pouvoir jouer le titre,
02:37j'en étais même convaincu, mais comme je pense d'autres coureurs au départ, il n'y a qu'à voir
02:42le pédigree des coureurs qui sont dans le classement, si vous enlevez juste Pogacar,
02:46juste, c'est peut-être pas le bon terme, si on enlève Pogacar, voilà, après pour... D'ailleurs,
02:54juste une parenthèse sur Pogacar, je crois que ça aurait complètement changé la donne s'il avait
02:59été là, donc il y a des fois, on nous fait abattir les absents, on est toujours tort, ça m'a pas
03:03dérangé qu'il soit pas là, j'avais très peu commenté ça, mais je suis convaincu que ça aurait
03:07complètement changé la course. Bref, ça c'est tant mieux pour nous, je pense. Toujours est-il
03:12que pour répondre concrètement à la question, comment on fait ? Eh bien, écoutez, je vais être
03:15très honnête avec vous, pour moi, les JO, le samedi après la course, le lendemain, j'étais au
03:21volant de la voiture de Paul Brousse qui coachait les filles élites et la page était tournée.
03:28C'est dur comme ça, mais moi, c'est comme ça que je fonctionne.
03:32Oui, je n'ai pas ressenti les mêmes émotions que vous. J'ai beaucoup entendu parler de cette
03:39ambiance, de ces images, de cette ferveur. Moi, j'étais dans la voiture concentré et c'est vrai
03:45que même quand Valentin a franchi la ligne, je n'ai pas eu de réaction dans la voiture, j'attendais
03:51de voir ce que ça allait donner Christophe parce que je ne le disais pas, mais intérieurement,
03:55je ne vois pas comment il peut faire autre chose. Et là, après, on a gueulé dans la voiture,
04:01quand Christophe a fait la médaille, a passé la ligne, tout ça pour dire que c'est passé,
04:07mais ce n'est pas plus loin que ça m'était quelques jours après. Quelques jours après,
04:13je me suis converti en spectateur lambda des JO à distance, je ne suis pas resté sur site,
04:18j'étais sur la ville de Noirmoutier avec mes enfants, je regardais un petit peu entre la
04:24plage et la télé. Et puis, on pense aux championnats du monde, aux championnats d'Europe.
04:30Et là, c'est clair que c'est très loin les JO, mais je tourne la page, mais ça ne veut pas dire
04:35que je ne suis pas fier et que je ne savoure pas les gars et que je ne suis pas fier de ce qu'ils
04:38ont fait, de l'aventure qu'on a vécue et tout ça. Je tourne la page, mais je sais savourer à
04:44juste titre parce qu'il faut aussi. Vous avez parlé de Tadej Pogacar tout à l'heure, vous
04:50l'avez croisé au Vélo d'Or la semaine dernière. Évidemment, c'est difficile de retenir autre
04:56chose de cette saison 2024 d'un point de vue extérieur. La domination de Tadej Pogacar est
05:01due à eux, Team Emirates. Vous l'avez d'ailleurs vécu, cette domination sur les mondiaux en Suisse,
05:08à Zurich. On a ressenti une certaine lassitude du peloton, de certains coureurs, de certaines
05:15équipes, des suiveurs du cyclisme, tout simplement. Comment vous l'apercevez-vous,
05:18cette année 2024 de Pogacar et cette domination qui est parue assez écrasante ?
05:25C'est une année à la Mer, dans une époque qui n'est plus l'époque de Merckx, où tout a évolué,
05:31où la concurrence est normalement beaucoup plus mondialisée, où tout le monde a un peu les mêmes
05:36méthodes de travail, où il n'y a pas de secret normalement. Ce que je veux dire, c'est que les
05:45techniques d'entraînement, le matos, la nutrition, tout le monde est au point. C'est encore plus fort
05:50ce qu'il a fait que ce que faisait Merckx. Des coureurs comme Eddy Merckx, Bernard Hinault étaient
05:55plus forts, plus forts à la base. Ils appuyaient sur les pédales, on peut parler de tactique de
06:01course. Bernard Hinault, de temps en temps, il me dit « de toute façon, c'est quand tout le monde
06:06est mort qu'il faut en mettre une ». Ça, c'est quand on est le plus fort. Pogacar était le plus
06:10fort, alors même qu'aujourd'hui, dans le vélo, tout est optimisé. Il y a beaucoup de coureurs.
06:15Les propos qui m'ont marqué, par exemple, pour rester dans le cyclisme moderne d'aujourd'hui,
06:21Romain Bardet, il disait bien dans une interview en début d'année que ce que 10 coureurs étaient
06:29capables de faire il y a 7-8 ans, aujourd'hui, il y a 40 coureurs capables de le faire dans le
06:33peloton. Ça vous donne un peu une idée. Ce n'est pas quelqu'un qui parle en l'air comme ça, Romain
06:37Bardet. Et à côté de ça, on est dans un cyclisme qui s'est mondialisé, où tout a progressé et on
06:42a un coureur qui domine autant que Merckx le faisait, en tout cas sur l'année 2024. Comment
06:46je le perçois ? Moi, j'ai trouvé ça magnifique, les exploits qu'il a faits, le panache. Je pense
06:51qu'on ne peut qu'aimer Tadej Pogacar. Franchement, je l'adore. Par contre, c'est ennuyeux. Je suis
06:59désolé, mais quand il part si loin de l'arrivée, après, c'est pour la place de deuxième. C'est
07:03super palpitant, mais pour la place de deux. Je crois qu'il ne faut pas résumer néanmoins à Tadej
07:08Pogacar, parce que si on prend les classiques avec Mathieu Van Der Poel, il a fait la même à Paris-
07:13Roubaix. Et c'était ennuyeux aussi. C'était magnifique. Quand on voit les images sur les pavés,
07:18c'est... L'autre jour, au Vélodor, justement, on voyait des images de Tom Boonen sur les pavés,
07:23on avait l'impression que c'était il y a 40 ans. Pourtant, Tom Boonen, c'est la légende de l'enfer
07:31du Nord. Ce que je veux dire, c'est que oui, c'est normal qu'on résume cette saison à la
07:35domination de Pogacar. N'oublions pas que Vingegaarde était parti pour faire une sacrée
07:40année aussi avant sa chute. Jusque-là, il avait aussi survolé les débats. Je suis curieux de
07:44savoir ce que ça aurait donné. N'oublions pas que Pogacar n'a pas eu d'opposition autour d'Italie
07:48et qu'il a pu gagner un Tour d'Italie sans forcer au-delà de ses deux contre la montre. Donc,
07:53il est arrivé frais au Tour de France. Il est reparti travailler en stage à l'altitude
07:59après Giro. C'est pour vous dire s'il a besoin de récupérer. Bien sûr, une très bonne domination
08:04de Pogacar. Le bon côté, c'est que ça attaque de loin de l'arrivée comme ces dernières années.
08:08Et c'était super palpitant ces dernières années. Merci aux grands champions Julian,
08:12Van Der Poel, Van Aert et Pogacar de déclencher les courses si loin de l'arrivée parce que c'était
08:17super intéressant. Aujourd'hui, Pogacar ou autres, ça peut être Remco Evenpool, par exemple,
08:23pas Liège cette année, mais les deux années d'avant. Quand il s'en va dans la redoute,
08:29c'est plus intéressant à regarder. Je ne leur en veux pas. C'est magnifique ce qu'ils font.
08:32C'est les plus forts et ils ont du panache d'attaquer aussi loin. Mais je pense que le
08:36sens de votre question, tout le monde serait à peu près d'accord avec moi. Après, on ne trouve
08:40plus trop grand-chose à dire. Une fois qu'on a dit c'est super fort, il y a du panache. C'est
08:45extraordinaire. Il est au-dessus du lot. Même si la deuxième place sur un monument ou sur un
08:52championnat du monde, c'est quelque chose qui a de la valeur. On ne s'en bat pas de la même
08:57manière quand il y a du suspense pour la victoire. C'est clair. Sur un grand tour, c'est pareil.
09:03Julien Laphilippe, on sait que vous avez une relation un peu particulière avec lui. Forcément,
09:07avec ces deux titres de champion du monde, vous étiez à la tête de l'équipe de France.
09:11Changement d'équipe à l'intersaison, il part chez Tudor. Comment vous jugez ce choix,
09:19ce changement de carrière ? Est-ce que c'est bon pour Julien, pour la suite de sa carrière ?
09:26C'est la suite qui le dira. Je n'ai pas forcément d'avis à donner. Ce n'est pas à moi de juger.
09:32Pour revenir à Julien, ce qui me chagrine pour lui, c'est plus la manière dont il a fini la
09:38saison 2024 sur une route le long d'un champ à Zurich au bout de 60-70 kilomètres. Alors même
09:47qu'il venait de terminer 3e du Grand Prix de Montréal en courant n'importe comment et en
09:51faisant n'importe comment. Je pense qu'il aurait pu finir la saison mentalement autrement que ça.
10:02Au-delà de ça, sur le choix de l'équipe, je pense qu'il est suffisamment entouré avec
10:07de l'expérience pour, mon avis est qu'il a bien choisi. Mais ça, de toute façon,
10:12mon avis compte peu. Ceci dit, si on regarde concrètement avec l'année qu'il avait vécue de
10:18par les déclarations de son patron, qui d'ailleurs a un petit peu passé la main au sein de la
10:23structure à laquelle il appartenait. Tout simplement, ça ne sert à rien d'anticiper ou
10:30quoi. On verra bien. Il faut qu'il travaille dur. On sait que Julien, c'est un gros travailleur. Je
10:35pense qu'il est dans une équipe qui est staffée pour l'encadrer comme il faut. Je crois qu'il
10:40faut, au-delà de parler de changement d'équipe ou quoi, il faut retenir le niveau auquel Julien
10:45était revenu en 2024 depuis le Giro. C'est ça qu'il faut retenir en fin de compte par rapport
10:49à 2023-2022. Parce que si on nous avait dit, à vous, à moi, avant le Giro, que Julien allait
10:54gagner l'étape autour d'Italie de cette manière-là, qu'il serait tous les jours devant,
10:59qu'il allait être dans le jeu à la pédale sur des courses, avec du dénivelé, avec les meilleurs
11:03du monde, qu'on va à Montréal ou aux Jeux Olympiques où il arrive dans le groupe pour
11:08la médaille. Franchement, on n'y aurait pas beaucoup cru parce que ça fait deux ans qu'il
11:12a recherché son meilleur niveau. Donc je crois que c'est ça qu'il faut retenir.
11:15On avait parlé, le départ de Patrick Lefebvre, ça vous évoque quelque chose ? Vous l'avez côtoyé
11:20pendant des années. C'est évidemment une figure historique du vélo. Est-ce que ça vous évoque
11:24quelque chose ? Non, ça ne m'évoque rien du tout. Voilà, Patrick Lefebvre, j'ai pris le plaisir à le
11:30saluer quand je le vois. Je n'oublie pas qu'il a été très facile, très sympa lorsque Julien était
11:39à son prime et que j'étais en contact quand Julien venait en équipe de France. Ensuite,
11:43avec l'avènement de Remco Evenpool, je n'oublie pas non plus. Je n'ai pas de relation autre que…
11:51Donc, ça ne m'évoque rien du tout. Pas de souci.
11:57Mais j'apprécie Bonhomme, il me fait sourire. Si on revient un peu sur le Mercato…
12:03Tout de même, je peux juste rajouter qu'on est obligé d'avoir quand même du respect pour l'ensemble
12:10de son œuvre. Ne pas rester sur ses déclarations aussi mal placées. Peut-être volontairement elles
12:16ont été en 2024. On est obligé de retenir quand même le manager que ça a été parce qu'on a beau
12:22jouer. Il y a quand même eu pendant un paquet d'années à la Quick-Step un esprit collectif
12:31qu'il n'y avait pas forcément ailleurs. Et ça, ça ne peut venir que de quelqu'un en haut.
12:35Si on prend un peu de recul sur le Mercato en général, et même le cyclisme en général,
12:40on a encore eu des cas de transferts un peu litigieux. On a eu Maxime Wenghils l'année
12:45dernière. On avait eu Ken Wisterbrooks, des coureurs avec leur agent qui partent un peu
12:50au clash entre guillemets. Des notions d'argent qui rentrent en jeu. On a l'impression d'avoir
12:54un peu une footballisation du cyclisme. C'est un peu le terme qui revient parfois. Quel est
12:59votre regard sur cette évolution du Mercato, des relations entre les coureurs, les agents,
13:03les équipes ? En fait, dans les textes, ça n'a pas beaucoup changé. Ça n'a même pas changé dans
13:10les textes. Je ne suis pas un pro de la réglementation, mais si je ne dis pas de bêtises,
13:13pour quitter une équipe lorsqu'on a un contrat, sauf si on a une clause particulière qui permet
13:17de rejoindre une équipe à l'échelon supérieur, ça peut arriver. Sinon, il faut un accord de l'équipe
13:25qu'on laisse, un accord de l'instance internationale et un accord de l'équipe, un accord tripartite.
13:29À partir de là, dans l'idée générale, pour moi, du fait qu'il y a plus d'argent dans le vélo
13:38aujourd'hui qu'à mon époque, et à mon époque, il y en avait plus qu'à l'époque de Bernard Hinault
13:42et tout ça. Aujourd'hui, il y a vraiment des sommes très importantes qui sont engagées dans
13:46le vélo. Quand on dit qu'on va vers une footballisation, c'est comme si on diabolisait,
13:54mais il faut peut-être plus anticiper ça. Est-ce qu'on va pouvoir rester dans... Le vélo évolue
14:01en général. Est-ce que les contrats évoluent aussi ? Aujourd'hui, il y a des coureurs qui signent
14:04des contrats sur cinq ans, six ans. C'était juste inenvisageable il y a encore une dizaine
14:12d'années ou une quinzaine d'années. Donc en fait, ça évolue. Donc moi, je ne suis personne pour dire
14:16qu'il faut faire comme ça. Mais c'est clair que chaque année, là, on voit un transfert Tom
14:22Pitcock. À cette époque-là de l'année, ça n'arrivait pas. Alors si je ne dis pas bêtise,
14:28il était encore sous contrat. C'est un peu comme sur l'ensemble de l'année. J'observe beaucoup,
14:35je parle peu. En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'il faut que les coureurs soient bien encadrés
14:42parce que l'intérêt des agents n'est pas toujours l'intérêt du coureur. C'est vrai qu'il
14:48faut que l'entourage familial et un peu plus profond soit aussi bien au fait de ça. Ça ne
14:56m'inquiète pas tellement. Il y a un côté qui m'inquiète un peu davantage, c'est le jeunisme
15:06à outrance. Mais alors il y a un bon côté parce que les très jeunes sont très performants très
15:09tôt. Moi qui étais comme beaucoup convaincu que le vélo était un sport à maturité tardive,
15:14qu'il fallait attendre 27 ans pour avoir son meilleur niveau, c'est de constater que ce n'est
15:19plus vrai. Tant mieux pour les jeunes. Moi, j'adore les jeunes. Mais je pense à ceux qui
15:22sont appelés, qui sont recrutés, mais qui ne vont pas faire carrière. Qu'est-ce qu'ils deviennent ?
15:29C'est plus à ceux-là que je pense plutôt qu'à ceux ou quelques-uns sur les vingtaines,
15:34trentaines chaque année à qui on fait croire qu'ils vont faire carrière, qui dédient leur
15:38vie au vélo, peut-être en laissant l'école de côté, en se coupant de liens sociaux aussi. Et puis,
15:43au bout de deux ans, trois ans, voilà. Ce qui me fait un peu peur, c'est que j'ai l'impression
15:48que si on n'est pas professionnel à 19 ans, c'est foutu. Et au-delà de ça, j'ai l'impression que
15:53si on n'est pas professionnel tout court, le vélo c'est foutu. Et je suis convaincu qu'on peut être
15:58passé professionnel plus tard, mais aussi et surtout être épanoui en faisant du vélo à haut
16:04niveau. Ce n'est pas un échec de ne pas passer professionnel. On peut être épanoui en pratiquant
16:08du sport à haut niveau et d'avoir un autre projet professionnel à côté. Je crois qu'on oublie un
16:13petit peu ça, le plaisir de faire du vélo à haut niveau, ou pas à haut niveau d'ailleurs. Le vélo,
16:18ça reste 19 ans si on n'est pas professionnel. Un message qui est important de faire passer
16:22effectivement. Le vélo, c'est avant tout un plaisir et un moyen de transport très intéressant
16:26pour tout le monde. Si on prend un peu le prisme des équipes françaises, on a l'impression que
16:32justement cette évolution du cyclisme avec énormément d'argent, toujours plus d'argent,
16:36toujours plus de moyens mis en oeuvre, les équipes françaises ont un peu de mal à suivre le rythme.
16:42On a eu beaucoup de managers qui ont tiré la sonnette d'alarme pendant l'intersaison. On pense
16:47notamment à Manuel Hubert avec Arkea. Le cyclisme français est-il en danger de ce point de vue-là ?
16:54Alors, ça serait facile. J'en entends beaucoup qui disent qu'il faut faire comme si, il faudrait
17:02faire comme ça, il faut qu'ils arrêtent de se plaindre. Je crois que c'est très très
17:06compliqué. Je suis même convaincu que c'est très compliqué et que les managers d'équipes
17:09françaises ou d'équipes de vélo en général, comme les managers de clubs professionnels,
17:16quelque part, ont beaucoup de mérite parce qu'il y a une entreprise à faire tourner, il y a des
17:21salariés à faire vivre et puis il y a des objectifs à atteindre, tout ça avec la pression de résultats,
17:26des contrats commerciaux à renégocier et une belle image à dégager, des résultats à aller chercher.
17:32Voilà, penser à la formation, c'est vraiment... Je ne ferai certainement pas le donneur de leçons.
17:38Est-ce que le cyclisme français est en danger ? Il faut voir aussi le bon côté des choses. On est
17:43le pays qui a de très loin le plus... Voilà, quatre équipes pour le tour. On a des équipes
17:49pro-continentales qui sont très saines, une. Et ce que je veux dire, c'est qu'on a un gros
17:54réservoir. Au-delà de ça, est-ce que les équipes françaises sont pénalisées de par la fiscalité,
18:03comme ça peut être le cas dans d'autres sports ? Je ne pense pas disposer suffisamment. Je ne veux
18:09pas dire de bêtises, donc je ne connais pas assez. Je ne suis pas à leur place et je préfère les
18:14écouter plutôt que de commenter des situations puisque je ne suis pas fiscaliste, je ne suis pas
18:23expert et je ne suis pas manager d'équipe. Donc je garderais bien de porter un jugement sur
18:28telle chose. Mais en tout cas, je n'ai pas le sentiment qu'à court terme, le cyclisme français
18:33soit en danger. C'est quand même un sport historique. On a le Tour de France qui est un
18:39vecteur de communication énorme, qui est une course de vélo mais qui est la seule course de vélo qui
18:47dépasse le cadre du vélo justement, qui est un événement historique, qui fait partie du
18:51patrimoine français au-delà du sport. Et puis on a toutes les courses en France. On est le pays
18:54qui organise le plus de courses. Je parle d'un point de vue professionnel plus que l'Italie,
19:00qui est aussi un pays historique de vélo, qui n'a plus d'équipe World Tour au plus haut niveau.
19:03Et pour terminer là-dessus, le cyclisme français est pour moi en bonne santé. Il y a des jeunes
19:09qui arrivent, il y a des équipes de jeunes. Donc pour moi, le cyclisme professionnel français n'est
19:14pas en danger à court terme. Je pense qu'il faut plus encore être vigilant sur le cyclisme dans 10
19:23ans, 20 ans. Et là, je pense plus au club. Et je sais que c'est la problématique parce que si on
19:28n'a pas de club, si on n'a pas de courses de jeunes d'organiser ou de courses, si les clubs ne vivent
19:33pas, si c'est trop dur pour les clubs de vivre, donc là, le cyclisme français sera en danger.
19:39Je sais qu'il faut que beaucoup de monde ait conscience de ça et que c'est ça qui est important
19:45parce qu'après, les équipes nationales, les entreprises qui s'engagent pour parrainer une
19:50équipe, c'est vrai qu'elles viennent dans le vélo souvent parce que les grands dirigeants aiment le
19:54vélo puisqu'il y a des boîtes, il faut qu'elles fassent de la communication. Et si on aime le
20:00basket, on va dans le basket. Si on aime le rugby, on va dans le rugby. Mais c'est un fait. Le vélo
20:05est un bon vecteur de communication et on n'investit pas dans le vélo pour perdre de
20:10l'argent, mais pour avoir des retombées en termes de notoriété, des retours, que ce soit pour ses
20:19collaborateurs ou pour ses employés ou pour l'image que ça donne. Et le vélo est un sport qui est
20:24énormément adulé par le public puisque que ce soit Pogacar ou le 135e du placement général du
20:31Tour de France, les valeurs de travail, de souffrance, d'abnégation, d'ambition et de ne
20:36pas baisser les bras, de courage, c'est partagé par tous les acteurs de ce sport. Si on se projette
20:42un peu sur 2025, évidemment, on a une année 2024 très riche du point de vue de l'équipe de France,
20:47mais 2025 s'annonce également très intéressante. On a les Mondiaux au Rwanda à Kigali avec un
20:53parcours a priori pour grimpeurs. On a les championnats d'Europe en France, Andromardèche
20:59sur un parcours qu'on connaît très bien et qui s'annonce également très difficile. Comment on
21:05aborde ces deux épreuves pour l'année prochaine en tant que sélectionneur ? Avec ambition,
21:10avec beaucoup d'ambition, de réalisme. Les parcours, bien sûr, je ne vais pas vous dire
21:20que je vais voir comment c'est en temps utile. Je sais exactement où on va mettre les roues,
21:24je sais à quel type de coureur ça peut s'adresser selon comment la course se déroule.
21:28Il faut attendre de voir quel coureur prépare un objectif, que ce soit pour les Mondiaux ou pour
21:34les championnats d'Europe. Et puis, il faut aussi et surtout attendre, prendre le temps de voir comment
21:38se déroule la première partie de saison 2025, comment se passe l'hiver 2024-2025 selon les
21:42coureurs. Et ça va être deux en Europe pour la France, ça sera un temps fort, évidemment,
21:48parce que c'est à domicile. Les championnats d'Europe, ce n'est pas une épreuve au rabais.
21:51C'est vrai que ça arrive la semaine qui suit le Rwanda, ça s'adresse peut-être au même type
21:57de coureur selon la perception qu'on peut en avoir. Donc, clairement, c'est deux challenges
22:04excitants, très excitants, à double titre. Premier championnat du monde en Afrique avec
22:10une ferveur populaire, mais je ne sais même pas si on s'imagine, je ne crois pas qu'on aura déjà
22:13connu ça sur un championnat du monde. Malouvin 2021, post-Covid, la Belgique, un pays fou de vélo,
22:19je crois que ça sera, à qui il a dit, ça va être un truc de malade, donc il faut en tenir compte.
22:23Il y a les conditions météo, la climatisation aussi, le type de parcours, l'opposition. Si le
22:31Slovène décide de s'énerver à 100 km de l'arrivée, ce n'est pas la même course que s'il y a une
22:35course d'attente. Les chiffres, 270 km, 5300 m de dénivelé, vous rajoutez à ça la chaleur,
22:44l'humidité, une bonne boucherie, quel que soit le déroulement de la course. Et puis, dans la
22:50semaine suivante, il y a le championnat d'Europe en France, c'est vrai. Donc, j'ai déjà hâte d'y
22:55être, même si on est à la mi-décembre. Et j'espère, je sais que des coureurs ont ces deux
23:03échéances en tête et j'espère avoir du mal à bâtir la sélection, avoir vraiment beaucoup de mal à
23:09bâtir, mais dans le bon sens du terme, à bâtir la sélection pour ces deux événements. C'est la
23:15première fois qu'un tel enchaînement mondiaux Europe en une semaine, ça se prépare d'une
23:20manière particulière ? Oui, de toute façon, ça se prépare, ça se prépare toujours d'une manière
23:24particulière selon les parcours au poids, mais là, c'est clair que dans ce sens-là, d'avoir le
23:30championnat du monde et une semaine après, c'est déjà arrivé deux semaines après, notamment en
23:372023 avec Glasgow et ensuite les championnats d'Europe, il y a déjà eu l'enchaînement dans
23:42le sens mondial. Dans les années classiques, c'est championnat d'Europe et ensuite championnat du
23:47monde 15 jours après. Je parle des courses en ligne. Là, c'est vrai que c'est la première
23:51fois qu'il y aura le championnat du monde et une semaine après la course en ligne du championnat
23:55d'Europe, sachant que le championnat du monde n'est pas sur le même continent, même s'il n'y a pas
23:59de décalage horaire et que c'est un championnat du monde hyper exigeant. Donc voilà, ça se prépare,
24:05ça se prépare chacun à sa manière. Nous, de notre côté, de l'équipe de France, on a notre
24:11manière de l'aborder, que ce soit chez les élites hommes, les élites femmes et les catégories de
24:17jeunes filles et garçons. Mais c'est clair qu'on n'a pas la science infuse et qu'on est sur le
24:24sujet, on travaille dessus et ça ne s'improvise pas. Mais on n'a pas commencé qu'il y a une
24:28semaine pour préparer tout ça. Je sais que ma question ne va pas forcément vous plaire, vous
24:33n'allez pas forcément faire un choix, mais champion du monde à Kigali ou champion d'Europe à domicile
24:37en France à Andromardèche ? Si vous aviez un choix à faire, vous feriez lequel ? Les deux,
24:42évidemment. Les deux. C'est comme si vous demandiez à un coureur, est-ce qu'il préfère
24:53gagner l'étape du Tour de France ou porter le maillot jaune ou être champion de France ? Dans
24:58le vélo, on ne choisit pas, on essaye d'aller chercher ce qu'on peut aller chercher. Un dernier
25:04mot pour finir cette interview sur l'année 2025. Si vous aviez une petite envie comme ça,
25:09qui sort un peu du lot pour l'année prochaine en tant que sélectionneur, en tant que consultant,
25:14en tant que suiveur du cyclisme, est-ce qu'il y a quelque chose comme ça qui vous ferait plaisir ?
25:19Ce qui me ferait plaisir, c'est que la France remonte dans la hiérarchie mondiale. Ce que je
25:27veux dire par là, c'est qu'il y a eu des belles pertes, mais au classement mondial, c'est vrai
25:34qu'à Paris, on avait cinq coureurs. Fin 2023, donc, au classement UCI des nations, on était
25:40cinquième, on a failli être sixième. Pourquoi je dis ça ? Ça nous permettait d'être quatre
25:46coureurs à Paris et non pas trois. Là où en 2019-2020, on était première ou deuxième nation
25:53mondiale. Mais ce n'est pas tant le classement qui m'intéresse. C'est parce que forcément,
25:59quand le vélo rétrograde un petit peu dans la hiérarchie, c'est qu'il y a l'ensemble des
26:04performances qui est peut-être un petit peu moins élevé que ce qu'on a pu l'être, ce qu'on est
26:13capable de faire peut-être. On a une génération qui s'en va tout doucement. Romain Bardet va
26:17arrêter. Julien est encore à son meilleur niveau, mais ça ne va pas durer encore dix ans. Et on a
26:22des jeunes qui arrivent. On a des coureurs qui sont dans la moyenne d'âge, comme David Gaudu,
26:25qui sont encore capables de très grandes choses et heureusement, parce qu'il n'a pas 30 ans le
26:30garçon. Et puis, on a des jeunes qui arrivent, des très jeunes, des moins jeunes. Mon souhait,
26:38c'est qu'on soit plus présent au très haut niveau, parce que des victoires, on en a eu beaucoup,
26:44mais je ne suis certainement pas à dire qu'il faut qu'il se bouge. Je sais qu'il donne le
26:49meilleur de même et j'y crois avec une progression et surtout, ne pas tomber dans le truc. À quoi bon,
26:57de toute façon, ils sont trop forts parce que le vélo, il n'y a pas que la force qui compte. Même
27:01si je ne suis pas bête quand il y a un parcours difficile et qu'il y a des coureurs qui sont au
27:05dessus du lot qui s'en vont, c'est dur d'aller lutter pour une sixième place. On ne se bat pas
27:09comme si c'était pour la victoire. Mais je crois que pour résumer, ce que je souhaite, c'est que le
27:15cyclisme français retrouve sa place tout en haut, parce qu'on n'est pas loin d'être tout en haut,
27:20même s'il y a beaucoup de victoires. Je crois que les coureurs en sont capables et les équipes font
27:24un super travail pour permettre à leurs coureurs français de permettre au cyclisme français que
27:32quand il y a un super résultat, qu'on se dise que c'est un coup d'une fois, que ça devienne
27:36récurrent et qu'on montre qu'on est là à la France parce qu'on est là. La lettre au Père Noël est
27:42passée. On espère évidemment aussi de notre côté que votre souhait se réalisera. Évidemment, le
27:47cyclisme français tout en haut, c'est ce qui nous fait rêver et on espère que l'équipe de France
27:50nous fera également encore rêver comme elle l'a fait ces dernières années l'année prochaine.
27:53Merci Thomas Vauclair de cette interview sur Cyclisme Actuel. On vous retrouvera avec plaisir
27:57l'année prochaine et d'ici là, bonne fin d'année. Bonne fête à vous toutes et tous et à très bientôt en 2025.