Généralement, lorsque l’on parle de « dette » dans les médias, il s'agit de la dette publique, celle que l’État doit rembourser à ses prêteurs. Il s'agit donc d'une dette financière, bien distincte de la dette écologique, qui est plus abstraite et désigne l'héritage environnemental que nous léguons aux générations futures.
Cette dette écologique englobe plusieurs dimensions, avec un impact profond sur les sociétés humaines et l’environnement : pollution, épuisement des ressources naturelles, perte de biodiversité, etc. Parmi ces dimensions, l'une des plus visibles est la dette climatique, qui traduit le fait que le climat que connaîtront nos enfants dépendra directement des choix que nous faisons aujourd'hui en matière d'émissions de gaz à effet de serre.
La dette climatique, cependant, est avant tout une dette biophysique, mesurée en gigatonnes d'équivalent CO2. Pour l'appréhender concrètement et la comparer à des indicateurs plus familiers, il faut la convertir en valeur monétaire, c'est-à-dire attribuer un prix au climat.
Ainsi, après avoir effectué certains arbitrages méthodologiques, nous parvenons à une estimation de cette dette en termes d’investissements nécessaires pour la décarbonation. Ce chiffre devient alors un indicateur puissant qui nous permet d’évaluer les besoins financiers futurs pour lutter de manière sérieuse contre le changement climatique.
Pour comprendre l’origine de la dette climatique, son évolution conceptuelle, son mode de calcul, ce qu’elle révèle et ce à quoi elle pourrait servir, nous avons interrogé Cyprien Batut, économiste à l’Institut Avant-garde et auteur principal du rapport sur la dette climatique.
Cette dette écologique englobe plusieurs dimensions, avec un impact profond sur les sociétés humaines et l’environnement : pollution, épuisement des ressources naturelles, perte de biodiversité, etc. Parmi ces dimensions, l'une des plus visibles est la dette climatique, qui traduit le fait que le climat que connaîtront nos enfants dépendra directement des choix que nous faisons aujourd'hui en matière d'émissions de gaz à effet de serre.
La dette climatique, cependant, est avant tout une dette biophysique, mesurée en gigatonnes d'équivalent CO2. Pour l'appréhender concrètement et la comparer à des indicateurs plus familiers, il faut la convertir en valeur monétaire, c'est-à-dire attribuer un prix au climat.
Ainsi, après avoir effectué certains arbitrages méthodologiques, nous parvenons à une estimation de cette dette en termes d’investissements nécessaires pour la décarbonation. Ce chiffre devient alors un indicateur puissant qui nous permet d’évaluer les besoins financiers futurs pour lutter de manière sérieuse contre le changement climatique.
Pour comprendre l’origine de la dette climatique, son évolution conceptuelle, son mode de calcul, ce qu’elle révèle et ce à quoi elle pourrait servir, nous avons interrogé Cyprien Batut, économiste à l’Institut Avant-garde et auteur principal du rapport sur la dette climatique.
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00:00Il y a une autre épée de Damoclès tout aussi redoutable,
00:05celle de la dette écologique.
00:07La dette écologique.
00:08Et sur la dette écologique.
00:11Généralement, lorsqu'on parle de dette, on fait référence à la dette publique
00:15pour désigner la somme d'argent que l'État doit rembourser à ses prêteurs.
00:19Il s'agit là d'une dette financière
00:21et n'a en apparence pas grand-chose à voir avec la dette écologique,
00:24qui désigne plutôt l'héritage environnemental
00:26que les générations présentes transmettront aux générations futures.
00:30Jamais sacrifier l'avenir au présent.
00:33Et c'est au cœur de cette dette écologique
00:35que se niche une autre dette encore plus pressante,
00:37la dette climatique,
00:38qui traduit le fait que le climat que connaîtront nos enfants
00:41dépendra des choix que nous faisons aujourd'hui
00:43en matière d'émissions de gaz à effet de serre.
00:45C'est par hasard au final que le Premier ministre
00:47a directement opposé dette financière et dette climatique.
00:50Le fait d'utiliser le même mot, ça a une utilité discursive.
00:53Ça permet de dire qu'il n'y a pas forcément qu'un seul type de dette.
00:56Mais la dette climatique est avant tout une dette biophysique
00:59exprimée en gigatonnes de CO2 équivalents.
01:02Et pour l'appréhender concrètement,
01:03toute la difficulté reviendra à la convertir en valeur financière
01:07et donc à donner un prix au climat.
01:09Quand on le mesure pour la France en 2050 par exemple,
01:11la dette climatique, notre rapport, elle atteint 61% du PIB.
01:14Historiquement, ce sont les pays qui ont le plus de déchets.
01:17Quand on parle de dette, il y a toujours un peu de morale.
01:19Parler de dette, ça implique une notion de responsabilité.
01:21Notamment quand on parle de dette climatique,
01:23de responsabilité du changement climatique.
01:25Brandi comme un argument culpabilisant à l'endroit des pays riches,
01:29la dette climatique permet de réunir sur la table
01:31les deux questions centrales de la justice et des aides financières.
01:35Dans le cadre des COPF, la question qu'on se pose,
01:37c'est la question du partage de la dette climatique
01:39entre les pays riches et les pays pauvres.
01:41La dette climatique, c'est la question de la justice
01:43et des aides financières.
01:45La question qu'on se pose, c'est la question du partage
01:47de la facture du changement climatique aujourd'hui.
01:49C'est pour ça qu'on parle toujours beaucoup dans les COPF
01:51et des financements.
01:53Et là, la dette climatique, elle est assez évidente,
01:55et notamment pour les pays du Sud.
01:57C'est-à-dire qu'il y a une responsabilité historique
01:59du changement climatique du fait d'une certaine histoire
02:01qui est du côté des pays développés.
02:03Parce que c'est eux qui ont émis historiquement
02:05le plus d'émissions depuis la révolution industrielle.
02:07Mais en face de ça, il y a des conséquences
02:09du changement climatique qui va plus toucher
02:11les pays en développement et les pays du Sud.
02:13Et d'abord, rembourse la dette climatique
02:15qu'ils ont accumulée sous forme de financement
02:17pour faire les politiques de transition dans les pays du Sud
02:19mais aussi pour mieux préparer l'adaptation
02:21aux conséquences de ce changement climatique
02:23dans les pays du Sud.
02:25Mais au fil du temps, la dette climatique a subi
02:27une évolution conceptuelle.
02:29Pour des raisons parfois idéologiques
02:31ou parfois simplement méthodologiques,
02:33certains de ses promoteurs l'ont transformée
02:35en un enjeu plus générationnel que diplomatique.
02:37La dette climatique, on peut la mesurer
02:39de deux façons différentes.
02:41Et dans ce cas, elle dit quelque chose
02:43sur les responsabilités historiques du changement climatique
02:45où on peut la mesurer de façon prospective.
02:47Donc ça veut dire, si on veut respecter
02:49nos objectifs futurs de réduction d'émissions,
02:51il va falloir faire tant d'actions.
02:53En gros, quand elle est mesurée de façon prospective,
02:55elle mesure le coût futur de notre inaction.
02:57L'approche prospective
02:59a l'avantage de disposer d'un ancrage juridique
03:01grâce aux droits européens
03:03ou internationaux.
03:05Quand on est en prospective, on dit, en gros,
03:07qu'on a pris des engagements internationaux de réduction d'émissions
03:09pour, justement, limiter les conséquences du réchauffement.
03:11Il y a eu les accords de Paris, on veut limiter
03:13le réchauffement à 1,5°C en 2100.
03:15Du coup, on s'est engagés dans des objectifs
03:17qui sont juridiquement contraignants à réduire nos émissions,
03:19à avoir zéro émission nette en 2050, par exemple.
03:21Et face à ça, on a des actions
03:23qui ne vont pas forcément vers ces objectifs.
03:25Donc déjà, on sait en l'état des choses que
03:27si on continue notre tendance, on ne va pas atteindre cet objectif.
03:29Et donc la différence et le coût
03:31un peu de la différence entre ce à quoi
03:33on s'est engagé et sur quoi la tendance
03:35vers laquelle on est là maintenant, c'est la dette climatique
03:37qui est de façon un peu prospective.
03:39Depuis l'accord de Paris, tous les Etats
03:41se sont engagés sur des trajectoires de réduction
03:43des émissions permettant de définir
03:45un budget carbone pour chaque pays.
03:47Ça nous permet d'envisager la dette climatique
03:49comme l'épuisement anticipé
03:51de ce budget dans la période prédéfinie.
03:53Par exemple, quand on veut empêcher
03:55un certain niveau de réchauffement dans le futur,
03:57notamment les travaux du GEC ont montré qu'il nous restait
03:59un budget d'émissions qui est très limité au niveau global.
04:01On ne peut émettre que 500 gigatonnes de CO2 équivalents
04:03d'ici 2100.
04:05On a 50% de chance, seulement 50%,
04:07de limiter le réchauffement à 1,5°C.
04:09Donc tout ce qu'on va émettre
04:11en plus d'ici 2100
04:13de ce budget carbone de 500 gigatonnes
04:15de CO2 équivalents au niveau global,
04:17ça va nous pousser au-delà de cet objectif
04:19de 1,5°C en 2100.
04:21C'est ça la dette climatique, ce truc en plus.
04:23En sachant qu'on est plutôt mal parti,
04:25puisque les émissions globales en 2023,
04:27c'était 53 gigatonnes de CO2 équivalents.
04:29C'est à peu près 10% du budget carbone
04:31qui nous restait d'ici 2100.
04:33Comme tel, la dette climatique nous permet
04:35de comprendre nos émissions de gaz à effet de serre
04:37comme un passif qu'il faudra,
04:39bien évidemment, rembourser dans le futur.
04:41Quand on émet au-delà d'un certain niveau d'émission
04:43de gaz à effet de serre, au-delà du niveau
04:45qui est naturellement absorbé par notre environnement,
04:47en général, on le fait en échange d'une gratification immédiate.
04:49Par exemple, on arrive plus rapidement
04:51à son lieu de travail, ou bien on a plus de croissants
04:53dans notre économie. On fait une sorte d'emprunt
04:55qu'on va devoir rembourser dans le futur,
04:57soit en émettant encore moins de gaz à effet de serre,
04:59pour penser son impact,
05:01soit en subissant les dommages climatiques qui vont en résulter.
05:03Donc en fait, la base de ce qu'on dit
05:05quand on parle de dette climatique, c'est ça.
05:07C'est des émissions comme un passif, comme un emprunt
05:09qu'on fait sur le futur.
05:11Pour calculer cette dette, il faut donc d'abord déterminer
05:13un objectif de réduction d'émissions.
05:15Par exemple, si on prend les objectifs européens,
05:17ça va être zéro émission nette en 2050.
05:19Et à partir de là, on peut définir une trajectoire
05:21raisonnable de réduction des émissions
05:23qui est cohérente avec cet objectif.
05:25En France, cette trajectoire raisonnable
05:27s'appelle SNBC,
05:29la stratégie nationale bas carbone.
05:31Elle définit depuis 2015 des budgets carbone
05:33sur des périodes de 4 ans,
05:35censés nous permettre d'honorer nos engagements
05:37aux horizons 2030 et 2050.
05:39L'étape suivante, c'est de comparer
05:41cette trajectoire idéale de réduction d'émissions
05:43avec les privilégions d'émissions qu'on va effectivement émettre
05:45en l'état des politiques qu'on a mis en place
05:47aujourd'hui. Et quand on fait la différence
05:49entre notre trajectoire idéale et ce qu'on va émettre
05:51en l'état de nos connaissances,
05:53le total de la différence entre les deux, ça va être la dette climatique.
05:55C'est ça. C'est le cumul de tout ça.
05:57On obtient donc une dette qui s'exprime
05:59en gigatonnes, c'est-à-dire en milliards de tonnes
06:01d'équivalent CO2.
06:03Pour la rendre plus concrète, il faut pouvoir la comparer
06:05à d'autres indicateurs économiques,
06:07donc la traduire en termes monétaires,
06:09ce qui nécessite des arbitrages entre différentes
06:11méthodologies. Nous, ce qu'on fait dans le rapport,
06:13on prend le prix de l'action pour le climat,
06:15qui en fait mesure, en quelque sorte, le prix
06:17des investissements de décarbonation.
06:19Et au bout du compte, on parvient à un chiffre
06:21qui nous permet de mieux envisager le montant
06:23de la dette climatique, en le rapportant notamment
06:25à notre richesse nationale.
06:27Quand on le mesure pour la France en 2050, par exemple,
06:29la dette climatique, dans notre rapport, elle atteint 61%
06:31du PIB.
06:33Définie en termes d'investissement de décarbonation,
06:35la dette climatique permet de mesurer
06:37le besoin de financements additionnels
06:39futurs pour lutter contre le changement climatique.
06:41Et en ce sens, ça permet de guider aussi
06:43les politiques budgétaires actuelles dans le temps long.
06:45Mettons qu'on veuille être sérieux dans la lutte
06:47contre le réchauffement climatique, il faut
06:49se demander comment on va financer ces 61%
06:51du PIB en plus d'ici 2050.
06:53Pour pouvoir faire des investissements qui sont
06:55cohérents avec notre objectif.
06:57En somme, démocratiser le concept de
06:59dette climatique et le placer au même niveau
07:01que la dette financière, pourrait permettre
07:03de rééquilibrer certains arbitrages
07:05qui se font généralement en faveur de cette
07:07dernière. Quand on est dans un contexte budgétaire
07:09contraint, une voie souvent utilisée
07:11pour justement faire des économies, c'est de diminuer
07:13les investissements, notamment des investissements en termes de
07:15décarbonation. Ça a pour conséquence de retarder
07:17justement nos politiques de réduction
07:19des émissions, mais aussi du coup de faire augmenter
07:21la dette climatique dans le futur, avec pour bénéfice
07:23par contre de réduire nos dettes financières à court terme.
07:25Car on oublie trop souvent que
07:27la dette climatique se transformera un jour
07:29elle aussi en dette financière
07:31et que si on ne s'en occupe pas à temps, les
07:33bénéfices réalisés à court terme finiront
07:35par avoir des conséquences bien plus
07:37graves sur le long terme.
07:39Quand on a plus de dommages climatiques, quand on doit
07:41au final aller plus vite dans notre
07:43politique de décarbonation dans le futur,
07:45ça aussi ça a un coût qui en fait peut être plus
07:47grand que le bénéfice à court terme qu'on a fait
07:49en faisant des économies sur telle ou telle politique.