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Romain Renard reçoit le prix Rossel de la bande dessinée 2024 pour Revoir Comanche (Lombard). Bernard Hislaire, président du jury de la BD, s'entretient avec lui pour évoquer sa victoire, son parcours et son processus créatif.

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Transcription
00:00Le soir, repensons notre quotidien.
00:03Romain Arbenart, Bernard Islac, bonjour.
00:05Merci beaucoup d'être parmi nous aujourd'hui, lauréat du prix Rossel de Bande dessinée 2024,
00:11le président du jury de Bande dessinée.
00:13Ça a été quoi, votre sentiment, votre premier sentiment au moment de l'annonce des lauréats ?
00:18De la sélection ?
00:21De la victoire.
00:22De la victoire ? Oh, un vrai bonheur.
00:27Un vrai bonheur, c'est Bernard qui m'a appelé.
00:31Et en plus, le ton de ta voix était très particulier parce que je pensais qu'il allait m'annoncer que bon,
00:35ben voilà, c'est dommage, ce ne sera pas pour cette fois.
00:39Et donc, je lui dis bon, ben OK, très bien.
00:42Et puis, non, c'est toi.
00:44Et oui, très, très, très heureux, très reconnaissant, très honoré.
00:50Parce que vu les talents que constituait le jury, très honoré en tout cas d'avoir été choisi.
01:01Et aussi, je dois l'avouer, sans vraiment, réellement, sans fausse modestie, étonné,
01:06parce que c'était une très, très belle sélection, une véritable sélection,
01:10et je ne me voyais pas gagnant dans cette sélection, je t'assure.
01:13Tu aurais choisi quoi, toi ?
01:15Alors, je pensais que Alix allait l'avoir.
01:19Alix, c'est un petit phénomène, c'est une météore comme ça,
01:23et c'est difficile à gérer ça, parce que tu ne sais pas si ça ne va pas la tuer,
01:28ou s'il y a une forme de responsabilité, il y avait ça.
01:34Mais de toute façon, je l'ai dit, à un moment donné, il y avait tellement d'interactions,
01:39Alix avait déjà eu le prix il y a très peu de temps,
01:44et puis, il y avait deux autres personnes qui se trouvaient à être très proches de Françoise Keuyten,
01:49qui était à le grand prix de l'année passée, donc on était dans des considérations complexes,
01:53et la seule chose que j'ai dit en tant que président, et j'estime que c'est mon rôle,
01:56c'est de dire, voilà, on fait fi de toutes les préjugés,
02:00la seule chose qui compte, c'est qu'on choisisse, on va voter confidentiellement, j'insiste,
02:07pour le livre qu'on a préféré, et le propre danger du professionnel,
02:12et de grands auteurs qui ont une expérience,
02:17et bien, c'est pas qu'ils vont essayer de prouver à l'autre que le bouquin est mieux,
02:23mais le fait qu'eux choisissent le bouquin qu'ils ont préféré, c'est déjà un signe très important.
02:28Et donc, ils ont choisi, il y a eu une majorité portage, il n'y a pas à trancher,
02:35pour une forme d'équilibre sans doute, entre le graphisme,
02:39la cohérence du scénario, du projet dans son ensemble,
02:46et le fait que c'est un putain de bon bouquin à lire, on tourne les pages,
02:51on a envie de connaître la fin, ce qui est quand même, a priori,
02:54ce n'est pas le seul critère, mais c'est quand même un critère important.
02:58Ça fait partie en tout cas de mes envies de narration.
03:01Oui. Alors, la question que moi j'ai envie de te poser, c'est,
03:05est-ce que tu te rends compte que tu as fait un livre, quelque part,
03:12assez étonnamment, qui va dans le passé, et qui en même temps est quelque part prophétique ?
03:18Dans le sens que, moi, ce qui m'a très fort frappé, je me suis demandé pourquoi ce livre-là a gagné,
03:23et je me suis dit que c'est peut-être celui qui parle le plus d'aujourd'hui maintenant.
03:30Parce qu'il y a une histoire qui pourrait se résumer à,
03:35le monde change, peut-être d'une manière triste, il est en mutation,
03:40et une mutation qui n'est pas forcément heureuse, c'est douloureuse,
03:44comme une catharsis, ou je ne sais pas très bien, il y a un passage, quoi.
03:49Et on ressent ça très fort.
03:51J'ai trouvé que les trois livres qui parlaient du monde d'aujourd'hui en bande dessinée, c'est rare.
03:58Je dirais, la bande dessinée belge est connue pour des héros,
04:02c'était après la guerre, il fallait fabriquer des héros.
04:05Aujourd'hui, il n'y a plus de héros, il y a des auteurs qui donnent une vision du monde,
04:09et pour la première fois, je te le dis, et je le pense,
04:11ça fait sept ans que je suis président, j'ai l'impression que cette année, ça marque un cap.
04:15Parce qu'il y a vraiment un passage, presque de génération,
04:18où il y a une manière d'aborder le monde à travers la fiction,
04:22ce n'est pas de l'autobiographie, mais on parle du monde,
04:24et on montre qu'il est un peu foutu, quoi.
04:27Mais foutu, ce n'est pas non plus désespéré.
04:30Non, non, non, et heureusement que ce n'est pas désespéré.
04:33Et heureusement qu'on a encore de la fiction pour s'inventer un monde futur.
04:40Écoute, sur Fragonardite, je te remercie de cette lecture,
04:45parce que c'est exactement ce que je voulais faire.
04:49Et d'ailleurs, il y a beaucoup de pages dans ce livre qui parlent du futur.
04:55En gros, ça parle effectivement de la fin du monde du personnage principal,
05:02de cet homme qui a connu l'âge de la frontière et de la fin du 19e siècle,
05:07et qui se retrouve en 1930, où tout bascule, où on va vers l'ère du pétrole.
05:10Et en même temps, il y a plein de pages qui sont des flash-forward,
05:14qui racontent en fait la prochaine fin.
05:18Parce qu'en fait, il y a une succession de fins.
05:22Je pense qu'un homme du Moyen-Âge a vu son monde s'écrouler à un certain moment.
05:27Des Amérindiens, quand ils ont vu débarquer des caravels sur leur plage,
05:34ont vu leur monde s'écrouler, etc.
05:36Donc voilà, on vit plein de fins différentes.
05:39Et ces pages en flash-forward, c'est en fait la fin du monde
05:44L'enfant qui est dans le ventre de la protagoniste féminine, de Vivienne,
05:50elle va mettre au monde un enfant,
05:53qui naît dans un monde où on est au début du pétrole,
05:59et qui, à l'âge de disparaître,
06:04cet âge du pétrole disparaîtra aussi,
06:07parce que c'est ce qu'on est en train de vivre à l'heure actuelle.
06:09On est en train de nous annoncer la fin de l'ère du pétrole, tout doucement.
06:14Et une des toutes dernières pages qui sert d'épilogue,
06:19c'est un disque dur qui est ensablé.
06:22Et donc, après le pétrole, il y a l'ère du numérique,
06:25et cette ère du numérique disparaîtra lui aussi.
06:28Pour chaque fin, il y a un début.
06:31Tu crois qu'il y a beaucoup de gens qui disent que c'est la fin de la bande dessinée belge ?
06:35Qu'est-ce que tu en penses ?
06:37Qu'on vit aujourd'hui une époque où la bande dessinée belge est en train de disparaître ?
06:42Alors, il y a peut-être une inquiétude, parce qu'on le voit...
06:48Tu fais comment ?
06:49Tu prends un grand mythe d'une certaine époque de la bande dessinée,
06:54tu le tournes à ta sauce et tu annonces la fin d'un monde.
06:56Alors, on peut le lire de plusieurs manières.
06:58Il y a la fin d'un monde...
06:59Je ne pensais pas du tout à ça.
07:02Et je t'avoue que la fin de la Franco-Belge ne me préoccupe pas,
07:07parce que je ne pense pas que ce soit le cas.
07:11Je ne pense absolument pas que ce soit le cas.
07:15Yves Chalant, par exemple, avait repris le personnage de Spirou et allé le moderniser.
07:20Il n'a pas été, malheureusement, jusqu'au bout.
07:23Un Parisien, comme Ilmine Bravo, qui reprend Spirou, va réinventer le personnage.
07:30Mais ça reste la Franco-Belge, malgré tout.
07:33Même si c'est un Parisien qui le fait, comme Chalant,
07:36qui plaçait le portrait de Leopold IV dans les salles de classe de ses personnages.
07:44Donc non, je ne pense pas que la Franco-Belge...
07:48La bande dessinée belge ou la Franco-Belge ? Je ne sais plus si tu me demandais.
07:51Il y a un peu une confusion là-dessus, c'est sûr.
07:54Le Franco-Belge.
07:56Quelque part, c'est devenu le Franco-Belge.
07:59Tu sais, Chalant, que j'ai bien connu, il disait
08:02« L'histoire de l'art, c'est comme la marche d'Hector Nack.
08:05Trois pas en avant, deux pas en arrière. »
08:08Et moi, je ne suis pas inquiet.
08:10Parce que toi, qui es à une époque où on fait énormément de reprises en BD,
08:14tu as fait ça, tu es allé en arrière pour aller en avant.
08:18Et donc, pour moi, avec ce livre, ça donne un espoir à la bande dessinée belge
08:22d'exister et de découvrir des nouveaux territoires.
08:25Je te remercie.
08:26Moi, qui fais beaucoup de scénarios aussi pour l'audiovisuel,
08:30il y a un mantra qui dit « Écrire, c'est réécrire ».
08:34Ça peut être aussi pour la bande dessinée.
08:36Voilà.
08:38Bravo.

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