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00:00Comment une simple carte en plastique a transformé les américains en accro aux crédits ? Et oui,
00:16je vais vous raconter aujourd'hui l'incroyable histoire de Visa. On sait tous que les Etats-Unis
00:20vivent à crédit, non seulement le gouvernement vit à crédit, mais les citoyens aussi vivent
00:24à crédit avec ce système de cartes de crédit. Mais avant de vous raconter la simple opération
00:28marketing qui a inondé les Etats-Unis de cartes de ce style-là, petit aparté puisque nous,
00:34en tant qu'Européens, on parle souvent de cartes de crédit, mais ce qu'on utilise en général,
00:37ce sont des cartes de débit. La différence, c'est qu'une carte de débit prélève l'argent
00:41directement sur votre compte, soit immédiatement, soit en différé à la fin du mois. Mais dans les
00:45deux cas, vous dépensez uniquement l'argent que vous possédez déjà, donc ce n'est pas un crédit.
00:49Aux Etats-Unis, les cartes de crédit fonctionnent différemment. Ce sont de véritables prêts à la
00:53consommation. Quand un Américain utilise sa carte de crédit, il emprunte de l'argent à la banque
00:57pour financer son achat, et s'il ne rembourse pas l'intégralité de son solde à la fin du mois,
01:01il doit payer des intérêts. Mais maintenant que cette distinction est claire, revenons à l'histoire
01:06de la toute première carte de crédit aux Etats-Unis. Nous sommes en 1958, les Etats-Unis
01:12connaissent une période de croissance économique sans précédent, la classe moyenne s'élargit et
01:16avec elle l'envie d'acheter de nouveaux appareils électroménagers, machines à laver, télévision,
01:20réfrigérateur, etc. Mais à l'époque, faire un crédit à la consommation, c'est pas si simple.
01:25Il faut prendre rendez-vous avec son banquier, il faut discuter pour obtenir un accord pour un prêt
01:30spécifique avec un montant dédié pour un achat dans une boutique précise, ça c'est pour les
01:34gros achats. Pour les petits achats, c'est en général les commerçants eux-mêmes qui font crédit,
01:38ils notent les achats des clients, et puis ils leur envoient une facture en général chaque fin
01:43de mois. Côté paiement, c'est très standard, on utilise soit du liquide, soit des chèques. Alors
01:47il y a quelques cartes de paiement qui existaient, mais elles étaient limitées à des contextes très
01:51spécifiques comme des stations services, des grands magasins, ou bien les restaurants avec
01:55la carte Diner's Club, qui est ce qui reste le plus proche d'une carte de crédit, mais qui est
02:00très limitée aux restaurants, principalement d'ailleurs restaurants new-yorkais, et qui
02:04comptent à peu près 20 000 membres. Mais on voit vite la limite de ce type de système, puisqu'on se
02:08voit mal transporter 50 cartes pour payer chez 50 commerçants différents. Et c'est dans ce contexte
02:13que Bank of America, la plus grande banque des Etats-Unis à l'époque, mais qui opère uniquement
02:17en Californie. Alors je vous rappelle qu'à cette époque, dans les années 50, les banques américaines
02:22sont limitées à un état, donc elles ne peuvent pas faire du business dans les états d'à côté,
02:25donc Bank of America à l'époque est une grosse banque à l'échelle de la Californie, c'est la
02:29plus grosse, ça reste une des plus grosses à l'échelle des Etats-Unis parce que la Californie
02:33est un gros état, mais ça reste finalement relativement petit. Et Bank of America décide
02:36de lancer une opération marketing qui est du jamais vu dans l'univers bancaire. Cette opération,
02:40elle sera baptisée plus tard The Drop, ou on peut traduire ça par le parachutage en français,
02:45qui consiste à envoyer à 60 000 clients de la ville de Fresno une carte en plastique sans qu'ils
02:51n'aient rien demandé. C'est bien sûr une carte de crédit, vous l'avez compris. Ces cartes de crédit,
02:55elles arrivent le 18 septembre 1958 dans les boîtes aux lettres des clients, mais les habitants
02:59de Fresno au début ne savent pas vraiment encore comment les utiliser. Et dans la pub de la banque,
03:03qui sort le jour même dans le journal de Fresno, on lit « c'est rapide, facile, pratique et vous
03:08pouvez payer ce que vous voulez, que ce soit un souper dans votre restaurant favori ou un nouveau
03:12tapis pour votre salon ». Le principe, c'est que vous avez un délai de 25 jours pour payer le solde
03:16de la carte sans intérêt et ensuite vous avez un taux d'intérêt de 18%. Alors 18%, ça peut
03:21paraître énorme et c'est énorme puisqu'à l'époque le taux d'inflation est autour, j'ai vérifié,
03:25autour de 3%, mais c'est ce qui est pratiqué sur les cartes de crédit des grands magasins,
03:29typiquement Sears à l'époque. Donc Bank of America ne fait qu'adapter avec ce taux d'intérêt énorme.
03:35Donc on comprend l'intérêt évidemment de Bank of America derrière. Alors pourquoi Fresno ? C'est
03:38un choix stratégique, c'est une ville moyenne de Californie qui se situe entre San Francisco et
03:43Los Angeles qui a environ 250 000 habitants et surtout où 45% des ménages ont un compte chez
03:49Bank of America. Alors l'intérêt de cette carte de crédit, c'est déjà une facilité de paiement
03:53par rapport aux chèques, notamment les chèques à l'époque, il faut voir c'est extrêmement long,
03:57c'est très manuel, donc c'est compliqué à la fois pour les clients, pour les commerçants et pour
04:00les banques. Bien sûr, ça donne un accès très facilité au crédit puisque vous avez une limite
04:05entre 300 et 500 dollars à l'époque, donc vous n'avez pas besoin de négocier à chaque fois avec
04:10votre banquier, vous avez cette limite qui est ouverte auprès de la banque et vous pouvez faire
04:14des petits achats ou des plus gros achats. Pour les commerçants, le gros intérêt bien sûr,
04:18c'est de ne plus avoir à faire crédit pour des petites sommes à des centaines, à des milliers
04:22de personnes, c'est maintenant la banque qui s'en occupe. Du côté de la banque, elle gagne sur les
04:25deux tableaux, donc moins de frais administratifs, notamment du côté des chèques et puis plus de
04:29crédit accordé et surtout des clients qui vont être tentés de faire des crédits parce que c'est
04:33tellement facile maintenant. Mais pour que ça fonctionne, et c'est un point capital au début
04:36bien sûr, il faut se construire un réseau de commerçants qui acceptent de prendre la carte.
04:41Donc il faut aller voir les commerçants, il faut les convaincre, etc. Mais ce qu'il faut réaliser,
04:44c'est que les cartes de crédit à l'époque, c'était pas du tout ce qu'on voit aujourd'hui,
04:46c'est pas automatisé, il n'y a pas de puces ni rien du tout, il n'y a même pas de bandes
04:50magnétiques, il n'y a rien du tout, il n'y a aucune technologie, c'est vraiment un bout de plastique
04:53avec un nom et un numéro. Et si vous allez chez votre commerçant avec votre carte pour acheter,
04:58soit payer vos courses, soit une télévision, vous avez un montant planché entre 25 et 100 dollars,
05:03en dessous duquel le commerçant peut accepter la transaction sans vérifier le crédit,
05:08après c'est le problème de la banque. Et si le montant est au-dessus, le commerçant doit
05:12appeler Bank of America pour voir si la limite suffit, s'il n'y a pas eu trop de dépenses
05:16entre temps. Oui, ça paraît fou, mais donc il n'y a aucune automatisation, on a un appel à chaque
05:21transaction. Et bien sûr le commerçant doit payer une commission puisque ça peut lui attirer de
05:25nouveaux clients. Et puis il y a ce côté crédit gratuit, en tout cas gratuit pour lui, bien sûr,
05:28on l'a vu c'est très cher pour le client, donc il doit payer une commission de 6%. Le souci qu'a la
05:32banque au départ, c'est que la banque doit attirer des commerçants pour inciter les clients à prendre
05:37la carte. Et puis de l'autre côté, elle doit avoir des clients pour attirer les commerçants. Et c'est
05:42là l'incroyable idée de ce drop, de ce parachutage de 60 000 cartes de crédit dans les boîtes
05:46aux lettres. C'est plutôt que de recruter des clients 1 à 1 et ensuite des commerçants 1 à 1. Et plus
05:51on a de clients, plus on a de commerçants et inversement, etc. On crée 60 000 clients d'un
05:56coup, 60 000 cartes de crédit d'un coup et on s'en sert ensuite pour recruter des commerçants. Et
06:01ça a marché, les petits commerçants signent assez facilement, pas les gros qui ont déjà leur carte,
06:05donc Sears par exemple refuse, mais les petits ils acceptent assez facilement. Et il y a une
06:10anecdote qui est racontée par un ancien dirigeant de Bank of America qui raconte qu'il visite une
06:14épicerie pour convaincre le propriétaire d'accepter la carte et le propriétaire il se met presque à
06:19genoux en disant mais vous me sauvez la vie et il leur montre en arrière boutique qu'il a trois
06:23personnes qui gèrent 1500 comptes chacune avec des montants de crédit entre 4, 12, 8 dollars,
06:29etc. Que des petits montants et pour lui, c'est une paperasse énorme parce que souvenez-vous que
06:34ces commerçants font leurs crédits eux-mêmes en notant sur des petits bouts de papier et ils
06:38doivent en fin de mois envoyer des milliers de factures. Donc c'est vraiment extrêmement
06:41compliqué pour eux. Donc finalement au départ en tout cas, les frais vont beaucoup baisser par la
06:45suite. Ils sont plutôt contents de payer ces 6%. Et au moment du drop, il y a déjà 300 commerçants
06:50qui ont signé mais surtout il y en a beaucoup d'autres qui disent une fois que ces cartes de
06:53crédit seront émises, pas de souci, on vous rejoint. Donc ce drop, on est d'accord, c'est un
06:58coup de génie mais il a aussi ses limites parce que les cartes ont été envoyées à tous les clients
07:03de Bank of America à Fresno. Donc tous les clients avec la même limite. Et là, vous voyez très bien
07:09le souci, c'est que ceux qui ont créé cette carte, ils ne viennent pas du tout du monde des crédits.
07:13Ils n'ont même pas pensé au risque. Ils se sont dit d'habitude dans nos prêts à la consommation,
07:17on a 4% de défauts, on va avoir la même chose ici. Sauf que les défauts de paiement commencent
07:23à s'accumuler. Mais même s'ils commencent à s'inquiéter un petit peu, Bank of America voit
07:27au bout de quelques mois qu'il y a des concurrents qui commencent à réfléchir à la même chose.
07:30Il y a en fait tout simplement des magasins qui leur disent « Ah, on a été approché par telle
07:34autre banque, telle autre banque, etc. pour potentiellement faire partie d'un autre réseau
07:38de cartes de crédit. » Donc ça fait monter la pression chez Bank of America qui va tout
07:42simplement se dire « Bon, on a des problèmes de paiement, on a pas mal de crédits trop qui font
07:46défaut, mais c'est pas grave. On va lâcher du lest, on va sortir de Fresno et on va envoyer
07:51cette carte dans plein plein de villes de Californie et notamment la grosse ville Los
07:56Angeles. » En octobre 1959, donc 13 mois après le drop de Fresno, Bank of America avait déjà émis
08:032 millions de cartes de crédit et plus de 20 000 commerçants avaient accepté de rejoindre le réseau.
08:08Donc après ce succès initial, Bank of America est présente avec ses cartes de crédit dans
08:11quasiment toute la Californie. Mais les problèmes commencent à s'accumuler, notamment du côté
08:17des défauts de paiement. Le nombre des défauts de paiement explose jusqu'à 22% des crédits sont
08:21en défaut, alors que la banque, je vous l'ai dit, avait prévu seulement 4%. On a aussi des
08:25problèmes du côté des fraudes. Évidemment, les cartes se font voler, les voleurs ont bien compris
08:29qu'ils pouvaient payer un peu comme aujourd'hui avec le sans contact, qu'ils pouvaient payer en
08:32dessous du plafond et que le commerçant n'allait pas appeler la banque pour vérifier le crédit,
08:37etc. Donc tout ça s'accumule et la banque a considéré avoir fait des pertes de 8,8 millions
08:43sur la partie crédit. Mais si on compte tout, si on compte les fraudes, etc., ça monte même jusqu'à
08:4720 millions de pertes, ce qui à l'époque, en 1958, je vous le rappelle, est énorme. Mais
08:51heureusement, la banque apprend rapidement de ses erreurs. Elle ne va vite distribuer des cartes de
08:55crédit qu'à ses bons clients, à ceux qui n'ont pas de problème de crédit. Donc le nombre de cartes
08:58émises va passer d'à peu près 2 millions à un gros million. Mais surtout, ce qui a été un lancement
09:03au final un peu catastrophique, on est d'accord, 20 millions de pertes, c'est énorme, à l'époque
09:06ce n'était pas du tout prévu, va être presque une chance pour Bank of America. Déjà parce qu'à
09:11partir de 1961, les cartes de crédit vont être une activité qui va être rentable pour la banque.
09:16Mais surtout, tous ses concurrents ont entendu parler de ces millions perdus, de tous ces défauts
09:20de paiement, etc., se sont dit finalement les cartes de crédit, ce n'est pas une si bonne idée que ça,
09:24et ils ont laissé Bank of America tranquille. Donc jusqu'en 1966, les concurrents vont laisser Bank
09:29of America un petit peu seule sur ce terrain des cartes de crédit. Elle va pouvoir vraiment
09:33asseoir son emprise sur la Californie. Alors à l'époque, ce drop de cartes de crédit à Fresno
09:38est passé relativement inaperçu, mais il a marqué le début d'une révolution, il a changé à jamais
09:43la manière de consommer aux Etats-Unis. La carte de crédit, elle a rendu la consommation à crédit
09:46accessible à toute la classe moyenne américaine, c'est vraiment devenu une habitude, c'est rentré
09:51dans la culture américaine pour le meilleur et pour le pire. Mais j'imagine que vous commencez
09:55à vous dire, mais comment cette banque américarde, comment cette simple carte de crédit californienne,
10:00uniquement en 1966 et uniquement gérée par Bank of America, est-elle devenue l'entreprise
10:06internationale Visa qu'on connaît tous aujourd'hui ? Visa qui pèse d'ailleurs plus de 500 milliards en
10:11bourse, soit 70% de plus que Bank of America elle-même. Et bien la réponse est une histoire
10:15aussi fascinante que celle du drop de Fresno que je vous raconterai dans ma prochaine vidéo. Je
10:19vous expliquerai comment cette banque américarde est devenue le géant du paiement Visa. Voilà,
10:24merci à tous et à bientôt.