Plongez dans le paradoxe économique irlandais, où une croissance fulgurante masque une réalité sociale complexe. Découvrez comment l'Irlande est passée du statut de pays pauvre à celui de "tigre celtique" en seulement 30 ans, grâce à l'afflux massif de multinationales attirées par une fiscalité avantageuse. Cette vidéo explore l'illusion statistique d'un PIB par habitant parmi les plus élevés d'Europe, qui contraste avec les défis persistants tels que la crise du logement et les infrastructures vieillissantes. Comprenez les mécanismes d'optimisation fiscale comme le "transfert de bénéfices" et leurs conséquences, ainsi que les efforts de régulation entrepris par l'OCDE et l'UE. Une analyse captivante qui questionne nos méthodes de mesure de la richesse réelle d'un pays et met en lumière les enjeux d'une croissance économique déséquilibrée.
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00:00Connaissez-vous les Leprechaunes ? Ce sont des créatures mythiques issues du folklore irlandais,
00:07d'insaisissables personnages cachés aux pieds des arcs-en-ciel et généralement représentés
00:12assis sur un chaudron rempli d'or. Dans la pratique, ils sont plutôt pacifiques et préfèrent
00:17rester cachés, à part peut-être le jour de la Saint-Patrick. Ils savent aussi très bien compter.
00:24Ils font des affaires et entretiennent leur richesse tout en essayant d'échapper au regard
00:28des humains, et le monde continue de tourner sans même qu'on s'aperçoive de leur existence.
00:33En économie, c'est une notion récente, utilisée en 2016 pour critiquer le système irlandais.
00:38Le deuxième pays le plus riche du monde abrite un nombre incalculable de ces Leprechaunes,
00:43mais pas besoin de courir après les arcs-en-ciel pour les trouver, ceux dont on va parler sont
00:48bien réels et se cachent au grand jour sous l'apparence de multinationales.
00:52Leurs activités financières intensives ont profondément bouleversé la trajectoire de la
00:56croissance irlandaise. En 30 ans, le PIB du pays a été multiplié par 10, l'Irlande a quitté son
01:02statut de pays pauvre pour devenir une superpuissance européenne, à tel point qu'on en est même venu à
01:07parler de tigres celtiques pour rapprocher son destin de celui des tigres asiatiques.
01:11Pourtant, cette richesse est une illusion entretenue par les Leprechaunes modernes.
01:16Derrière les statistiques démentielles de l'économie irlandaise se cache une toute
01:20autre réalité, un pays où la vie est toujours aussi difficile, qui manque toujours cruellement
01:25de logements, d'infrastructures, d'un système de santé robuste ou de champions économiques nationaux.
01:29Alors restez avec moi, aujourd'hui nous traversons la Manche, direction Dublin,
01:34et nous partons à la chasse aux riches lutins pour comprendre ce qui se passe.
01:37Mais juste avant, je tiens à vous parler de notre partenaire qu'on remercie chaleureusement,
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03:15Bienvenue à Dublin. Il pleut et la température au sol est de 17 degrés, mais la chaleur des rues animées de la capitale et les braséraux font vite oublier le temps irlandais.
03:24Nous sommes ici dans la ville des Tanguy. 66% des 25-30 ans vivent encore chez leurs parents.
03:30Pour se faire une meilleure idée, en France, le chiffre atteint 20,5%.
03:34A Dublin, on ne manque pas de travail, mais on manque de logement. Et la moindre chambre proposée à la location attire des centaines de candidats.
03:41Les petites surfaces sont rares et pas de chance, ce sont les plus recherchées, car les prix de l'immobilier ont explosé en 10 ans et c'est la crise.
03:48En 2016, un 2 pièces de 50 mètres carrés dans Dublin se louaient 1300 euros. Aujourd'hui, il faut débourser 1900 à 2000 euros pour une même surface.
03:57Cette crise immobilière a des airs familiers pour nous. Elle est due plus ou moins au même facteur, des taux élevés qui limitent le nombre d'acheteurs,
04:04et des biens de plus en plus rares et de plus en plus chers, jusqu'à 77% plus cher que la moyenne européenne.
04:10Mais en Irlande, les salaires n'ont pas beaucoup bougé et le logement est devenu un luxe.
04:14Le recours aux solutions d'urgence est hélas trop fréquent, en particulier chez les jeunes couples et les personnes seules, quand ils n'optent pas pour la solution des parents.
04:22En Irlande, le PIB par habitant en standard de pouvoir d'achat est le plus élevé d'Europe, près de 79 600 en SPA, contre par exemple 43 300 en Allemagne ou 38 000 en France.
04:32Pourtant, le revenu disponible par habitant n'est que de 26 400 euros, soit en dessous de la moyenne des pays de l'OCDE, loin derrière le Luxembourg, les Pays-Bas ou le Danemark.
04:41Il est à la question du logement, mais aussi celle des infrastructures.
04:44En dépit d'une croissance moyenne de 8,4% par an pendant 30 ans, c'est seulement 6,8% pour le SP500, l'Irlande souffre toujours de connexions routières et ferroviaires vétustes,
04:54d'un réseau de gestion de l'eau dépassé, d'hôpitaux, d'écoles et d'un demi-million de logements qu'il faut absolument rénover et moderniser,
05:01de 250 000 qu'il faut construire ou encore de structures portuaires insuffisantes et en mauvais état.
05:07Si on regarde de loin, on ne verrait presque pas de différence entre l'Irlande de 1990 et celle de 2024.
05:13Évidemment, on se demande, mais où sont passées les milliards de richesses supplémentaires créés ces dernières années ?
05:18Comment un pays peut-il être qualifié de riche alors que 31,8% de sa population subit des privations forcées,
05:24vit sous le seuil de pauvreté ou ne rêve que d'aller vivre ailleurs ?
05:27Ha ! Tout ça, c'est à cause des lépréchaunes.
05:30Allez hop, petit retour en arrière.
05:32Malgré sa situation à la périphérie de l'Europe, l'Irlande est restée classée parmi les pays pauvres pendant des siècles,
05:37avant de connaître son miracle économique à partir des années 90.
05:41Elle est alors en pleine récession, le chômage frôle les 17%, la dette publique les 80% du PIB
05:47et malgré son adhésion à la CEE en 1978, l'activité économique du pays ne progresse pas.
05:53Ses ressources naturelles sont minces, peu de charbon, peu de fer, pas de pétrole.
05:57Il y a de la tourbe, du cuivre, du plomb, du zinc,
06:00mais les deux vrais piliers économiques d'alors sont l'agriculture et les industries traditionnelles.
06:0620% de la main-d'œuvre irlandaise travaille dans les sucreries, conserveries, laiteries, minoteries, pêcheries, papeteries
06:12et surtout dans les distilleries.
06:14Le premier employeur du pays, c'est le Grand Metropolitan Guinness
06:18et c'est aussi le premier exportateur mondial de bière.
06:21Malgré ça, entre 1980 et 1985, la croissance est nulle
06:25et le PIB par habitant reste inférieur de 30% à la moyenne européenne.
06:30Tout va changer en 1987, puis en 1996,
06:33quand pour attirer l'argent étranger, le gouvernement devient « business friendly »
06:37et décide d'étendre son taux préférentiel d'impôt sur les sociétés
06:40à toutes les entreprises qui voudraient venir s'installer sur le sol irlandais.
06:44Jusque-là, seules certaines entreprises, comme les prestataires de services et les sociétés financières,
06:48bénéficient du taux d'imposition réduit.
06:51Désormais, tout le monde sera logé à la même enseigne
06:53et le taux unique de 12,5% par an entre en vigueur en 2003.
06:57Cette année-là, la planète finance salue la naissance d'un nouveau paradis fiscal.
07:0212,5% est largement inférieur à la moyenne de 25% des pays de l'OCDE
07:06et très éloigné des 39% américains ou des 47% français.
07:10À partir de 2011, une fois les dernières plaies des subprimes refermées,
07:14le pays qui a renforcé ses banques et retrouvé la confiance des investisseurs
07:18va alors attirer tout ce que l'Europe compte comme multinationales étrangères,
07:21les technos et les laboratoires pharmaceutiques en tête.
07:24Les voilà nos léprechaunes.
07:26En 2015, près de 1000 sociétés étrangères ont déjà installé leur siège européen
07:30et rapatrié leurs actifs sur l'île d'Emeraude,
07:33comme Twitter, Yahoo, Google, Dell, Intel, Merck ou Pfizer.
07:37Et la plus grosse société d'Irlande s'appelle désormais Apple.
07:41Et 4 ans plus tard, juste avant la pandémie, le bilan est particulièrement enjouissant.
07:45Les fondamentaux sont tous au vert,
07:47les entreprises étrangères emploient 60% de la main-d'œuvre disponible
07:50et le chômage est inférieur à 4%.
07:53L'économie a décollé comme jamais auparavant, avec toujours 5,3% de croissance.
07:58Entre 2003 et 2019, le PIB a bondi de 142%
08:02contre 78% pour la Norvège, 55% pour l'Allemagne ou 48% pour la France,
08:07avec des taux de croissance délirants comme par exemple
08:10plus 24,5% en 2015 et plus 9,3% en 2017,
08:15avant de redescendre sous l'effet du Brexit.
08:18Mais ça ne s'arrête pas pour autant.
08:20En 2020, l'économie irlandaise fait partie de ces rares chanceuses
08:23qui ne connaissent pas la crise sanitaire
08:25et elle grimpe encore de 6,6%
08:27avant un incroyable plus 15,1% l'année suivante.
08:31L'argent étranger continue d'affluer,
08:33avec l'arrivée d'Amazon, Oracle, Siemens, IBM,
08:36mais aussi des cadors de la finance internationale
08:39comme JP Morgan et Merrill Lynch.
08:41L'Irlande est propulsée en tête de tous les classements.
08:44Sur le papier, le niveau de vie des habitants a bondi
08:46et le pays est devenu riche.
08:48En 2017, il est sixième en PIB par habitant
08:51et en 2023, le voilà deuxième.
08:53Il talonne le leader incontesté luxembourgeois
08:55avec plus de 112 000 dollars de richesse créée par habitant.
08:59Sauf qu'on l'a vu, ce n'est pas du tout le cas.
09:01Le boom économique irlandais n'est qu'une illusion comptable
09:04et ceux qui en sont à l'origine, ce sont nos lépréchaunes.
09:07Pour ça, ils utilisent une formule magique qui déforme la réalité.
09:10Ça s'appelle le transfert de bénéfices
09:12et c'est de cette formule que vient tout l'intérêt
09:14d'avoir un siège européen en Irlande.
09:16C'est l'un des mécanismes d'évitement fiscal le plus répandu
09:19et c'est bête comme chou.
09:20En France, l'impôt sur les sociétés est de 25%
09:23et on l'a vu, ce n'est pas le climat préféré de nos lépréchaunes.
09:26Ils aimeraient bien pouvoir faire aussi des affaires en France ou ailleurs
09:29mais pas question de payer aussi cher.
09:31Depuis leur siège en Irlande, ils créent des filiales locales,
09:34une dans chaque pays ou chaque zone qui les intéresse,
09:37puis font leurs affaires et encaissent leurs profits via ces filiales.
09:40En fin d'année, quand vient le moment de déclarer les bénéfices,
09:43nos lépréchaunes appliquent leur formule magique.
09:45Tous les profits réalisés par les filiales sont reversés
09:47à la maison mère irlandaise.
09:49Au titre de droits de licence ou de concession,
09:51c'est le fameux transfert de bénéfices.
09:53Quand le fisc local vient frapper à la porte pour réclamer ce qui lui est dû,
09:57il n'y a plus de bénéfices et il n'y a rien à taxer.
09:59Les bénéfices cumulés constituent à présent le chiffre d'affaires
10:02de la maison mère et ils seront tous imposés en Irlande à 12,5.
10:05Cette astuce permet à nos lépréchaunes d'économiser
10:08des milliards d'euros sur leur facteur fiscal.
10:10Et si le système est régulièrement critiqué par les autres pays d'Europe,
10:13rien n'a changé, mis à part un relèvement récent du taux d'imposition à 15%.
10:17Mais ces activités ont un effet pervers sur les fondamentaux économiques irlandais,
10:21car tous les bénéfices réalisés par nos lépréchaunes en Europe
10:24sont comptabilisés en Irlande alors qu'aucune richesse n'y a réellement été créée,
10:28que l'emploi n'a pas augmenté et que le capital ne s'y est pas accumulé.
10:31Tout est fictif, à part le niveau de la dette.
10:34Quand on la rapporte à un PIB artificiellement gonflé
10:36par les super profits des multinationales,
10:38elle ne représente que 75%,
10:41mais en volume, entre 2007 et 2015,
10:43elle a été multipliée par 4 et atteint 43 000 euros par habitant.
10:46C'est ce qui explique pourquoi, en dépit d'un nouveau profil économique super séduisant,
10:50le niveau de vie des Irlandais n'a guère changé,
10:52pourquoi le pays est encore à la traîne en termes d'équipement numérique,
10:55d'infrastructures modernes, d'immobilier, de transition écologique, de progrès social,
11:00et pourquoi il manque toujours de champions économiques nationaux
11:02à la hauteur d'un LVMH, d'un SAP ou d'un ASML.
11:06Pour lutter contre cette économie des lépréchaunes, il y a deux approches.
11:09Réglementaire d'abord, en légiférant pour limiter ou interdire les procédures de transfert de bénéfices.
11:14L'OCDE a lancé en 2013 un projet baptisé BEPS,
11:17pour lutter contre l'érosion de la base d'imposition
11:20et les transferts de bénéfices qui menacent l'égalité devant l'impôt.
11:23Il tente d'imposer une discipline fiscale commune à tous les pays membres,
11:26les 15% d'impôt minimum sur les sociétés, c'est lui,
11:29avec des résultats plutôt mitigés,
11:31pendant que de son côté, l'Union européenne a lancé la directive ATTAD,
11:35Anti-Tax Avoidance Directive,
11:37qui s'inspire directement du projet BEPS, adapté à l'échelle du continent.
11:41En place depuis 2016, elle a vu son champ d'application élargi deux fois depuis.
11:45Elle se veut contraignante pour les amateurs de pratiques agressives d'évasion fiscale
11:49et doit permettre de limiter les transferts internationaux et l'utilisation de sociétés écrans,
11:53mais son efficacité est elle aussi limitée par les libertés de commercer
11:57et de faire circuler les capitaux.
11:59Bref, c'est pas encore gagné.
12:01L'autre approche, c'est de mesurer la santé du pays en utilisant d'autres indicateurs,
12:05plus adaptés à son économie fantôme,
12:07pour obtenir des statistiques qui dépeindraient d'une situation plus juste de l'Irlande
12:11ou de tout autre pays concerné par les mouvements de transfert de bénéfices.
12:15Mais pour ça, il faudrait réformer la comptabilité nationale
12:18dont les principes poussiéreux datent des années 50.
12:21D'abord, elle ne tient pas compte de la mondialisation,
12:23des possibilités qu'une marchandise soit vendue à Paris
12:26alors qu'elle est fabriquée à Varsovie ou à Milan, par exemple.
12:29Ensuite, pour la comptabilité nationale,
12:31le producteur n'est pas celui qui participe physiquement à l'activité de production,
12:35mais celui qui est propriétaire du produit fabriqué.
12:38Pas étonnant qu'on n'y comprenne plus rien.
12:40En attendant, le gouvernement irlandais et les instances financières internationales
12:43comme le FMI ou l'OCDE recommandent l'utilisation d'un indicateur modifié,
12:48le revenu national brut, duquel sont déduites les activités des majors étrangères.
12:53L'outil n'est pas d'une folle précision puisque, même corrigé,
12:55la croissance en 2015 s'est élevée à 8,6%,
12:58mais il permet des comparaisons plus proches de la situation réelle.
13:02L'Histoire économique récente de l'Irlande nous offre une belle leçon
13:04sur les limites des indicateurs économiques traditionnels
13:07et les effets pervers de certaines politiques fiscales.
13:10Malgré un PIB par habitant parmi les plus élevés au monde,
13:13la qualité de vie des Irlandais ne reflète pas cette apparente richesse.
13:17C'est ce qu'on appelle désormais le paradoxe irlandais.
13:19La politique fiscale attractive de l'Irlande a attiré de nombreuses multinationales,
13:23gonflant artificiellement les chiffres économiques
13:25sans réels bénéfices pour la population locale,
13:28et créé l'économie d'Elie Prechaun.
13:30Pour preuve, les défis structurels persistent,
13:32crise du logement, infrastructures vieillissantes
13:35et manque de champions économiques nationaux
13:37témoignent d'un développement déséquilibré.
13:40Cette situation soulève des questions essentielles
13:42sur la nature de la croissance économique
13:44et sur la façon dont nous la mesurons.
13:46L'Irlande, loin d'être un cas isolé,
13:48illustre les défis auxquels font face de nombreux pays
13:50dans un monde où les flux financiers
13:52peuvent facilement traverser les frontières.
13:54Face à cette situation,
13:56la réforme des systèmes de comptabilité nationale
13:58prend tout son sens afin de mieux refléter
14:00les réalités économiques modernes,
14:02de repenser les politiques fiscales internationales
14:04pour éviter les distorsions économiques
14:06et de mettre l'accent sur des indicateurs de bien-être
14:08plutôt que sur la seule croissance du PIB.
14:11L'expérience irlandaise nous rappelle
14:13que la véritable richesse d'un pays
14:15ne se mesure pas seulement à ses statistiques économiques,
14:17mais aussi et surtout à la qualité de vie de ses citoyens.
14:21Si cette vidéo vous a donné envie d'aller chasser
14:23les trèfles à quatre feuilles ou les arcs-en-ciel
14:25au son enchanté d'un Tin Whistle,
14:27pas d'inquiétude, c'est parfaitement normal.
14:29Et n'oubliez pas d'aller jeter un oeil à notre partenaire
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14:43satisfaite aux rembourses de 45 jours.
14:45Et moi, je vous dis à très bientôt
14:47sur Monnaie Radar.