• il y a 3 mois
Comment bâtir un nouvel ordre mondial qui allie sécurité et préservation du climat ? Débat avec Pierre Charbonnier, philosophe, chargé de recherche au CNRS, enseignant à Sciences Po, auteur de « Vers l’écologie de guerre. Une histoire environnementale de la paix » (La Découverte).

Plus d'infos : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-grand-face-a-face/le-grand-face-a-face-du-samedi-07-septembre-2024-4600103

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Transcription
00:00Bonjour, bonjour et bienvenue dans Le Grand Face-à-Face, l'émission de débats et d'idées de France Inter.
00:09A mes côtés jusqu'à 13h, les duélistes, Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne,
00:15et Gilles Finkelstein, secrétaire général de la fondation Jean Jaurès,
00:19avec aujourd'hui un thème unique de duel, mais un thème très riche quelques jours après la nomination de Michel Barnier à Matignon.
00:26Une sorte de crise durable ou passagère ? Le paysage politique s'est-il clarifié ? Et si oui, au profit de qui ?
00:32Et puis, pour le débat, nous recevrons un philosophe qui publie l'un des livres les plus étonnants de la rentrée.
00:38La crise climatique est une conséquence de la paix plus que de la guerre.
00:42Ce n'est pas moi qui parle, mais Pierre Charbonnier, l'un de nos penseurs les plus stimulants.
00:46Cherché de recherche au CNRS et enseignant à Sciences Po, il signe aux éditions de La Découverte vers l'écologie de guerre.
00:52Doit-on davantage espérer de la guerre que de la paix pour vaincre la crise climatique ?
00:57C'est la grande question que nous lui poserons tout à l'heure, mais pour l'instant, place au duel.
01:01Le grand face-à-face, Thomas Négaroff sur France Inter.
01:08« Ce ne sera pas seulement un gouvernement de droite. Il y aura des gens de ma famille politique.
01:12Il y aura naturellement des hommes et des femmes de bonne volonté qui appartiennent à la majorité sortante. »
01:16« Et puis, au-delà... »
01:17« Des ministres sortants, même, vous l'envisagez ? »
01:20« Peut-être, peut-être, mais je ne m'interdis pas de réunir autour de la même table des hommes et des femmes qui ont des compétences. »
01:28« Oui, des gens de gauche. Il y a de bonnes idées partout. Il faut aller les chercher partout. Je n'ai jamais été sectaire. »
01:33« Donc il faut ouvrir la porte et ouvrir la table à tous ceux qui le voudront. »
01:38Bonjour, Natacha Agil.
01:39« Bonjour. »
01:40Je sens une forme d'allégresse d'avoir enfin un Premier ministre autour de cette table.
01:44On vient de l'entendre, en tout cas, Michel Barnier, il était l'invité du journal de 20h de TF1 hier soir.
01:49Un Premier ministre, on l'a entendu, qui veut ouvrir la porte, ouvrir la table,
01:52qui entend, je le cite, « gouverner » aux côtés d'un président qui va, selon lui, « présider ».
01:57Natacha, est-ce que ce ne sont que des mots ou bien est-ce qu'on est à l'aube d'une véritable cohabitation ?
02:02« Alors, c'est un des problèmes que pose cette nomination. Et sortons de la question de la personne.
02:10Michel Barnier est reconnu comme quelqu'un d'éminemment respectable
02:15et avec des qualités de négociateur, une forme d'obstination.
02:19Ce sont, je cite, « les mots que j'ai entendus et qui ressortent ».
02:23On le dit aussi à la fois gaulliste et très, très européiste, comme si là, les mots n'avaient plus aucun sens.
02:29Donc, nous verrons bien.
02:32Mais enfin, son parcours ne plaide pas pour le gaullisme pour l'instant.
02:35Mais après, on peut évidemment, là aussi, faire son chemin de Damas, tant mieux.
02:40Donc, la question, premier point, le premier problème dans cette nomination,
02:45c'est que la situation politique telle qu'elle est à l'Assemblée découle d'un élément, le front républicain.
02:53C'est le front républicain qui explique que ce ne soit pas un Premier ministre Rassemblement National qui ait été nommé.
02:59Or, quel est le seul parti qui n'a pas participé à ce front républicain ?
03:04Les Républicains, justement.
03:05Mais qui en a profité.
03:07Mais qui en a profité.
03:08Il y a donc là un paradoxe qu'il est très difficile à expliquer aux électeurs, aux citoyens et qui va peser sur Michel Barnier.
03:18Nous verrons les raisons de cette situation absurde, je pense.
03:22Tout à l'heure, on pourra y revenir puisque les raisons, on peut les trouver à gauche.
03:26Le deuxième point, Michel Barnier dit qu'il va gouverner pendant que le président va présider.
03:35Article 20 que je cite systématiquement, article 20 de la Constitution, seule solution à mon avis pour sortir en partie,
03:42pour commencer à sortir d'une crise politique, l'application de l'article 20.
03:45On peut être un peu dubitatif dans la mesure où jusqu'à présent, et là aussi, si nous en arrivons à la nomination de Michel Barnier,
03:53c'est parce qu'Emmanuel Macron a systématiquement refusé d'appliquer l'article 20.
03:59Encore aujourd'hui, on peut rester perplexe face au choix du directeur de cabinet de Michel Barnier, proche d'Alexis Kohler,
04:07ce qui nous prouve que le premier ministre fantôme qui existe depuis sept ans, à savoir Alexis Kohler,
04:14à la fois premier ministre, président, tout ce qu'on veut, continue à exercer son influence, ce qui est un paradoxe.
04:20Alors, on peut se dire que peut-être Michel Barnier s'affranchirait de tout ce qui a fait son histoire,
04:27réussirait même, sait-on jamais, à faire oublier qu'il est un premier ministre provisoire, de transition,
04:34puisque c'est bien l'objet de ce moment politique, et déciderait de renverser la table, comme il semble le dire.
04:43Mais ce serait quoi exactement, renverser la table, dans l'état actuel des choses ?
04:48Je ne monoposise pas la parole, mais cette question-là méritera d'être éclaircie.
04:52Je me tourne vers Gilles. Michel Barnier, c'est une surprise pour vous,
04:57sachant qu'on apprend quand même progressivement que ça fait deux mois qu'il parle avec le président de la République.
05:02En tout cas, nous, on n'était pas forcément au courant, mais Michel Barnier avait tout de même préparé aussi son arrivée à Matignon.
05:09Ce n'est pas la surprise du chef, comme on a pu le voir par le passé.
05:13C'est une surprise si on se place le 8 juillet.
05:17C'est moins une surprise si on se plaçait le jour ou la veille de la nomination.
05:22Le problème, c'est que pour prolonger ce que disait Natacha, ce sont les conditions de la nomination de Michel Barnier,
05:29au-delà, et on y reviendra, de sa personnalité et de son parcours politique.
05:35Je crois qu'on peut dire qu'il y a une espèce de, non pas de vol, mais de dol démocratique.
05:40Le dol, c'est qu'on obtient le consentement par le mensonge ou par la manœuvre.
05:48Un dol démocratique.
05:49La logique de ces élections législatives, ça a été ce second tour entre le Front républicain et le Rassemblement national,
05:57avec une victoire nette du Front républicain.
06:00Or, non seulement, comme l'a dit Natacha, le Premier ministre est issu d'un parti qui est affaibli, qui est en recul,
06:10qui n'a pas participé au Front républicain et qui ne doit son salut que parce que, au premier tour,
06:19l'ex-majorité présidentielle n'a pas présenté de candidats, dans beaucoup de circonscriptions,
06:25contre les candidats républicains, et au second tour parce que, souvent, les électeurs de gauche ont voté pour eux.
06:30Donc, ils n'ont rien donné, ils ont beaucoup reçu.
06:32Mais il y a une deuxième raison pour laquelle je crois qu'on peut parler de dol démocratique,
06:37c'est que, dès lors que cette élection se fait dans un affrontement entre le Front républicain et le Rassemblement national,
06:46le fait que, in fine, le Rassemblement national est pesé à ce point dans le choix du Premier ministre
06:54est problématique et très problématique.
06:56Parce qu'à la fin, ça se joue entre, je crois, à un moment, entre Xavier Bertrand et Michel Barnier.
07:03Et ce n'aurait pas été exactement la même chose.
07:06Il y aurait eu le problème si c'était Xavier Bertrand qu'il était républicain,
07:09mais pas le fait qu'il ait été, d'une certaine manière, adoubé ou toléré par le Rassemblement national.
07:16Donc, il va déjà falloir, et c'est un des premiers défis pour Michel Barnier, sortir de ces conditions de nomination.
07:25Et ça va être d'autant plus difficile qu'il a cette épée de Damoclès,
07:29qui est que le Rassemblement national tient le gouvernement entre ses mains.
07:34Vous êtes d'accord avec ça, Natacha ?
07:35Le parti le plus puissant aujourd'hui, c'est le Rassemblement national,
07:39qui va pouvoir avancer sous ses dossiers, on peut imaginer la proportionnelle par exemple,
07:43en échange d'une abstention bienveillante sur la question du budget qu'on évoquera tout à l'heure dans le duel.
07:48Alors, on va voir exactement comment ça va se dérouler,
07:50mais de fait, il est apparu à tout le monde que le Rassemblement national avait une part des clés.
07:56Là aussi, on va y venir, mais je crois que la responsabilité du nouveau Front populaire,
08:02et en particulier de Jean-Luc Mélenchon dans cette situation aberrante, est absolument énorme.
08:07On va y revenir, mais juste quand même, est-ce que ça veut dire, je vous écoute tous les deux,
08:10est-ce que ça veut dire que le Président de la République a préféré mettre un gouvernement dans les mains du Rassemblement national
08:16plutôt que dans les mains du Parti socialiste ?
08:20Les choses ne se jouent pas exactement comme ça, ou plutôt, c'est vrai qu'on aurait pu considérer
08:26qu'Emmanuel Macron devait, à un moment donné, mettre le Parti socialiste au pied du mur
08:33et donc nommer, par exemple, un Bernard Cazeneuve en disant « Allez-y, faites-le tomber, osez le faire ».
08:40Il ne l'a pas choisi parce que, de toute façon, il s'est inscrit depuis deux mois dans une logique absurde
08:45qui consistait à se demander, au fur et à mesure, qui allait être censuré.
08:50Et donc, il a amplifié le poids du Rassemblement national en cassant toute dynamique issue des urnes.
08:59C'est ça, l'absurdité de la situation.
09:02Mais derrière, il faut bien avoir conscience aussi qu'en termes, j'allais dire, de répartition des opinions,
09:11on peut comprendre qu'il soit tenu compte, à un moment donné, du fait que la France, sur beaucoup de sujets,
09:17a l'air de pencher à droite.
09:19On pourrait, là, je conteste énormément cette façon de voir.
09:22Il faudrait, mais on n'a pas le temps ici, redéfinir ce qu'est la droite, ce qu'est la gauche.
09:27Mais dans les apparences, c'est cela.
09:30C'est la lecture du président, en tout cas.
09:31Et donc, il s'appuie là-dessus.
09:35En fait, le sujet, à mon avis, c'est aussi, et je l'esquissais la semaine dernière, c'est la question de l'offre politique.
09:42Tout le problème que nous avons, c'est qu'il manque l'offre politique qui correspondrait, à peu près,
09:48au message des urnes, en termes de demande de rupture, mais refus du rassemblement national, etc.
09:57Et donc, face à cela, Emmanuel Macron, parce qu'il n'a pas voulu admettre que lui était hors-jeu,
10:03se retrouve dans une position particulière.
10:05Et le pire là-dedans, le plus absurde, c'est que la situation qu'il laisse,
10:10enfin, il est encore là, mais la situation dans laquelle il a mis le pays, pour l'instant,
10:14est tellement calamiteuse et tellement tordue, que même si, pour une raison x ou y,
10:21il démissionnait ou était destitué dans les mois qui viennent, ça ne réglerait pas le problème.
10:27Ce qui veut dire que l'issue doit venir, en fait, d'un renouveau politique, mais ne viendra pas dans l'immédiat.
10:37Gilles, si on évoque la question du renouveau, on n'est pas sûr que Michel Barnier
10:40soit l'incarnation du renouveau, mais est-ce que cette séquence, elle dit surtout beaucoup de choses
10:44sur la manière de gouverner, de penser le pouvoir d'Emmanuel Macron ?
10:48D'abord, sur cette question du renouveau, Michel Barnier est l'incarnation de l'Ancien Monde,
10:56pour reprendre une terminologie macroniste, à la fois son âge, la longueur de son expérience politique
11:04et la diversité des fonctions qu'il a occupées, à peu près tout.
11:08Il était le plus jeune conseiller régional, je crois, il y a 50 ans.
11:11Et une fidélité à son parti, là aussi, qui est très Ancien Monde, puisqu'il a été très très jeune,
11:17adolescent gaulliste, et qu'il est toujours chez les Républicains, si tant est que les Républicains
11:23soient encore un parti gaulliste. Il est possible que ce soit paradoxalement un atout,
11:29parce que ça tranche avec ce que l'on a vécu depuis plusieurs années,
11:37et il est possible que ça corresponde, y compris à cette volonté d'ouverture, ce calme, à une demande de l'opinion.
11:47Deuxième remarque pour rebondir sur ce que disait Natacha,
11:51et d'ailleurs peut-être qu'il faudrait un jour qu'on ait le débat sur la droitisation ou non de la société française.
11:57Sur la droitisation de l'Assemblée Nationale.
12:00On ne peut défendre cette thèse que dès lors que l'on additionne tout ce qui va de Ensemble jusqu'au Rassemblement National,
12:07ce qui s'est précisément opposé dans les urnes.
12:10Troisième remarque par rapport à ce que disait Thomas tout à l'heure, le mot « provisoire ».
12:16Je ne sais pas si ça va être si provisoire que cela.
12:20Parce que, d'une certaine manière, tous les partis peuvent être, ils ne le diront pas, mais contents de ce qui s'est passé,
12:29et ont obtenu ce qu'ils cherchaient.
12:31Et notamment le Rassemblement National.
12:34Respectabilité, retrouver, c'est un interlocuteur, ils étaient mis, toute l'offre, tout le combat s'était fait contre eux,
12:43ils reviennent à la table, et de l'influence, c'est formidable.
12:48Pourquoi sortirait-il trop vite de cette situation ?
12:53Donc le provisoire est un provisoire qui peut durer.
12:56Et puis, dernière chose pour poursuivre la discussion,
12:59cohabitation, pas cohabitation, coexistence, je ne sais pas quelle...
13:03Bienveillante, je ne sais plus.
13:04Moi je pense que, mon intuition,
13:07et que ça va avoir les apparences d'une cohabitation et la réalité d'une coalition.
13:14Et le Président de la République et le Premier Ministre ont intérêt à montrer qu'on n'est pas dans la continuité de ce qui se passait avant,
13:26que d'une certaine manière, on a tenu compte de ce qui s'est passé, même si ce n'est que très partiel, dans les journées.
13:32Mais c'est donc cohabitation ou une apparence de cohabitation.
13:38En réalité, on a la coalition entre Ensemble et LR,
13:43que l'on aurait pu, que l'on aurait sans doute dû avoir en 2022,
13:47mais qui se serait déroulée dans des conditions très différentes.
13:55Et allez, on va regarder du côté de la gauche.
13:58Je connais bien Michel Barnier, pour lequel j'ai beaucoup de respect.
14:01Et il a été de très bons conseils auprès de moi depuis le lancement de la candidature de Paris.
14:08Mais on aurait pu avoir un ministre de gauche.
14:12Ce nom, c'est Bernard Cazeneuve.
14:15Et c'est mon parti qui a empêché sa nomination.
14:19Donc comment on a pu, à ce point, passer à côté de l'histoire ?
14:23Voilà qui nous permet de prolonger la discussion.
14:25Je reste avec vous, Gilles.
14:26Il y a un instant, vous nous disiez que ce provisoire peut durer parce que tout le monde a intérêt à la situation.
14:30Quand on écoute Anne Hidalgo, ce n'est pas le cas.
14:33Le PS, elle considère qu'il est passé à côté de l'histoire,
14:36qu'Olivier Faure, en gros, est responsable de la droite au pouvoir.
14:39Quel est l'intérêt qu'a Olivier Faure, qu'ont les socialistes, à une courte majorité ?
14:44On a vu le Bureau national qui a une courte majorité dit non à Cazeneuve,
14:47en gros, quand même pour résumer un peu la situation.
14:49Quel est son intérêt de rester dans l'opposition avec un Premier ministre de droite ?
14:54En fait, il y a deux questions que vous posez.
14:57La première, c'est est-ce que la gauche et le Parti socialiste, en particulier,
15:03ont une responsabilité dans le fait que ce soit Michel Barnier et pas, par exemple, Bernard Cazeneuve ?
15:08Et la deuxième, c'est quelle est la stratégie qui peut être derrière ?
15:12Sur la première question, en fait, pour l'instant, je vais être prudent.
15:16J'attends, et je me tourne vers Natacha et vers d'autres journalistes,
15:21que des enquêtes approfondies fassent le récit de ce qui s'est passé durant ces 50 jours.
15:26Parce que pour l'instant, on en a des bribes.
15:29On a beaucoup d'intoxication des uns et des autres et donc prudence.
15:33Ce que je crois qu'on peut dire néanmoins, c'est trois choses.
15:36Un, je ne pense pas qu'Emmanuel Macron voulait nommer Bernard Cazeneuve.
15:40Ça, c'est sûr.
15:41A la fois parce qu'il redoutait sa personnalité, son autorité,
15:45qui faisait que, pour le coup, il était en cohabitation.
15:48Et parce qu'il redoutait aussi la politique qu'il pouvait vouloir suivre
15:54et le fait que ça vienne défaire son bilan.
15:56Deuxième point, il y a...
15:58Ce qui est le propre d'une cohabitation.
16:00On se souvient de la droite en 1986 qui avait privatisé ce qui avait été nationalisé précédemment.
16:04Absolument.
16:05Deuxième élément, il y a à l'évidence une responsabilité de la gauche du Nouveau Front Populaire
16:11et plus particulièrement de la France Insoumise et des écologistes
16:14qui, l'un comme l'autre, ont dit qu'ils censuraient le gouvernement.
16:19Et de fait, la majorité que pouvait trouver Bernard Cazeneuve était hypothétique.
16:24Je pense qu'elle n'était pas impossible.
16:25Je ne sais pas ce qu'en réalité auraient fait les Républicains.
16:28Le Parti Communiste a dit qu'il jugerait sur pièce.
16:33Mais c'était hypothétique.
16:34Et puis, il y a un troisième élément qui est que,
16:37quand on regarde les déclarations du Parti Socialiste,
16:41il a fait preuve, on va dire, d'une ambiguïté défiante.
16:45Pour user d'un langage diplomatique.
16:47L'anomalie.
16:49Après, d'un mot sur la deuxième question.
16:51Quelle est la stratégie ?
16:53Et pourquoi je dis que tout le monde peut y avoir intérêt ?
16:55La question est, quel était l'objectif recherché ?
16:58Si le Parti Socialiste voulait retrouver le pouvoir,
17:02à l'évidence, il n'a pas fait ce qu'il fallait.
17:05Et si la gauche voulait retrouver le pouvoir,
17:07elle n'a pas fait ce qu'il fallait.
17:08Elle n'a pas fait preuve, notamment, de mobilité, d'initiative pour y arriver.
17:13Mais s'il ne voulait pas y arriver,
17:17ce qui est une hypothèse tout à fait possible,
17:19considérant, ils ne le diront pas,
17:21que les conditions n'étaient pas réunies pour pouvoir exercer le pouvoir,
17:25parce que ça ne pouvait se faire qu'en faisant des concessions très importantes.
17:31Non seulement de gouverner avec Emmanuel Macron,
17:34mais de gouverner aussi avec les Républicains.
17:36Alors, l'analyse était, pourquoi briser l'unité de la gauche,
17:41avec des élections qui ont lieu peut-être dans pas si longtemps que ça,
17:45pour pas grand-chose.
17:47On se souvient peut-être, vous aussi, du livre de Jean-Jacques Becker en 1981,
17:50« Le PC veut-il prendre le pouvoir ? »,
17:52qui était déjà une interrogation sur la stratégie de la gauche face à la question du pouvoir.
17:57Juste pour nourrir notre discussion,
17:59je viens de recevoir une dépêche de l'AFP.
18:01Jordan Bardella, en déplacement à la foire de Châlons-Champagne,
18:04exige du Premier ministre Michel Barnier
18:06que les sujets du Rassemblement National soient pris en compte par le futur gouvernement.
18:09Il dit qu'il a la tête d'un gouvernement fragile,
18:11dans lequel il devra intégrer les préoccupations dans l'action qui seront les siennes.
18:14Les sujets qui sont ceux du Rassemblement National,
18:17qui aussi racontent le rapport de force
18:19et peut-être la droitisation de notre vie politique.
18:22Et qui racontent les postures des uns et des autres,
18:25qui sont essentiellement des messages adressés à leur propre électorat.
18:28C'est vrai de tous les côtés,
18:31et c'est vrai en particulier sur la gauche.
18:33Première chose, le mythe de l'union à gauche,
18:36est quelque chose qui peut parfois être extrêmement paralysant.
18:40Il y a un côté 1, 2, 3 soleil,
18:42c'est-à-dire le premier qui bouge a perdu.
18:44Et Jean-Luc Mélenchon en a joué tant qu'il pouvait,
18:48en bon stratège,
18:50et il a réussi à installer une réalité parallèle.
18:54Parce que c'est cela qu'il faut dire.
18:56L'électorat du Nouveau Front Populaire répète depuis le début,
19:01nous avons gagné, nous sommes en tête,
19:03nous devons donc gouverner.
19:05Avec notre programme intégralement.
19:07Et à partir du moment où Jean-Luc Mélenchon avait imposé
19:10tout le programme, rien que le programme,
19:12et qu'en fait, Lucie Castex était dans l'impossibilité
19:16d'aller discuter, d'aller chercher une majorité préalable,
19:19d'aller s'assurer qu'elle agrégerait certains députés,
19:23c'était impensable.
19:25Et il y a une vérité mathématique,
19:28si le NFP avait réellement remporté cette élection,
19:32il présiderait l'Assemblée Nationale.
19:34Ce n'est pas le cas.
19:36Donc, hélas pour les électeurs du Nouveau Front Populaire,
19:41le discours de Jean-Luc Mélenchon relève du trumpisme,
19:46des vérités alternatives.
19:48Une fois qu'on a dit cela,
19:50nous savons dans la situation actuelle,
19:53que de toute façon, il y avait une situation provisoire,
19:58Gilles a raison de dire que là,
20:00on ne sait pas combien de temps elle va durer,
20:02mais qui était une situation par défaut.
20:05Il est tout de même extraordinaire d'avoir vu,
20:09le week-end dernier, Clémentine Autain
20:12faire siffler le nom de Bernard Cazeneuve
20:15devant les socialistes,
20:17c'est-à-dire le nom d'un ancien ministre socialiste
20:20devant le Parti Socialiste,
20:22sans qu'Olivier Faure ne bouge un cil.
20:25Clémentine Autain, dont on rappelle qu'en 2017,
20:28après la présidentielle,
20:29elle s'allie avec Daniel Obono
20:32pour conduire les Insoumis sur une ligne très gauchiste
20:37qui conduit à l'évacuation de toute la frange
20:40gauche républicaine des Insoumis.
20:42Il faut quand même rappeler d'où viennent les gens,
20:44à un moment donné.
20:45Je veux dire par là,
20:47qu'on comprend très bien comment Olivier Faure
20:50est dans les mains des Insoumis,
20:52puisqu'il doit son pouvoir, son existence,
20:55son maintien à la tête du Parti Socialiste,
20:57le nombre de députés,
20:59aux alliances conçues par Jean-Luc Mélenchon.
21:01En termes de responsabilité pour l'avenir de la France,
21:05c'est tout de même assez effarant,
21:07sachant que, de toute façon,
21:11il fallait admettre que le programme du NFP
21:15n'allait pas s'appliquer tel que le voulaient les électeurs.
21:19On va parler du budget dans un instant, Gilles,
21:21mais quand je vous écoute l'un l'autre,
21:23je me pose une question.
21:24Qui est renforcé aujourd'hui ?
21:26Quelle force politique est aujourd'hui en position,
21:29non pas de gouverner, on le voit aujourd'hui,
21:30mais en position de force ?
21:32J'ai l'impression que tout le monde est faible
21:33ou tout le monde fait croire qu'il est fort
21:35et que l'autre est faible.
21:36Du point de vue parlementaire,
21:38deux forces ont été renforcées,
21:40les socialistes et le Rassemblement National.
21:42Du point de vue politique,
21:44à l'issue de cette séquence,
21:46il y a une force, c'est une résurrection miraculeuse,
21:50ce sont les Républicains.
21:52C'est quand même fascinant de voir qu'un parti
21:55qui a fait moins de 5% à l'élection présidentielle,
21:59qui a fait 7% aux élections européennes au mois de juin dernier,
22:03qui a moins de députés aujourd'hui qu'il n'en avait en 2022,
22:07qui vient de subir une scission
22:09avec le départ de son président Éric Ciotti,
22:12de voir que non seulement ce parti est à Matignon,
22:16mais on va avoir maintenant dans les prochains jours
22:18la composition du gouvernement.
22:20Il est probable que la majorité des ministres
22:24du futur gouvernement soient d'actuels
22:26ou d'anciens membres des Républicains.
22:28Un peu de fiction, est-ce que si les socialistes étaient partis seuls
22:31aux législatives après les européennes,
22:33ils seraient dans la situation des Républicains aujourd'hui ?
22:35Je ne le crois pas.
22:37C'est évidemment un exercice très difficile.
22:41Je ne le crois pas à la fois
22:43parce que je pense qu'ils n'auraient pas bénéficié
22:46de ce dont ont bénéficié les Républicains,
22:49c'est-à-dire les retraits au premier tour
22:52et surtout les reports du second.
22:54Mais surtout, je crois que s'il n'y avait pas eu
22:57ce qui s'est passé au premier tour,
22:59on aurait eu très vraisemblablement
23:01le Rassemblement national et le Premier ministre
23:03serait aujourd'hui Jordan Bardella.
23:05J'ajoute juste une petite remarque,
23:07c'est qu'on est habitué à ces renversements.
23:09Je rappelle que nous avons comme ministre de l'économie
23:12depuis sept ans Bruno Le Maire
23:14qui a fait 4% à la primaire
23:16de son propre parti, les Républicains.
23:19Ce qui prouve bien que nous avons un réel problème
23:22dans l'adéquation entre le vote des Français
23:25et la façon dont ça se traduit derrière
23:27dans la vie politique.
23:33Le premier dossier sur lequel le nouveau gouvernement
23:35sera attendu, c'est le budget.
23:37Un budget que le gouvernement Barnier
23:39doit théoriquement présenter à l'Assemblée
23:40avant le 1er octobre prochain.
23:42Et pour l'opposition, tout a été déjà orchestré
23:45depuis l'Elysée.
23:46Il a fait en sorte de profiter de cette rêve olympique
23:49pour avancer sur son budget.
23:51Il doit faire en sorte que ça soit irréversible,
23:53de nous donner des logiques.
23:54Moi ce que je constate, c'est qu'il ne peut pas cacher une chose.
23:56C'est que sa politique est faite pour baisser les déficits.
23:58Alors il baisse les dépenses publiques.
24:00Mais ça ne marche pas.
24:01La preuve c'est que les déficits augmentent
24:02et il nous manque des dépenses publiques
24:04pour investir dans l'écologie, l'éducation, la santé.
24:06Il suffit de voir la façon dont se fait la rentrée scolaire.
24:09Éric Coquerel, député insoumis,
24:10président de la commission des finances.
24:12Ce que sous-entend Natacha Éric Coquerel,
24:14c'est que le temps long n'a pas seulement été mobilisé
24:16pour choisir un premier ministre,
24:18mais aussi pour imposer un budget.
24:20Est-ce que vous y croyez ou est-ce que c'est une forme de complotisme ?
24:22Non, je pense que c'est en partie vrai,
24:24mais qu'il faut tenir compte du fait
24:26que de toute façon, le 20 septembre,
24:28la France est censée remettre à Bruxelles
24:31une trajectoire budgétaire
24:33et que cela signifie qu'en fait,
24:36la France n'est de toute façon pas totalement souveraine
24:39en matière de politique budgétaire.
24:41Et c'est un sujet absolument essentiel.
24:44Le projet de Bruno Le Maire, c'était le retour à 3% en 2027,
24:473% de déficit.
24:49Ce n'est même pas suffisant pour Bruxelles.
24:51La trajectoire exigée, elle impliquerait 8,5 milliards de plus
24:55que les 68 milliards qui seraient déjà prévus.
24:58Un sous-texte quand même, Bruxelles impose un résultat,
25:00pas un moyen d'y parvenir.
25:02Alors, nous sommes bien d'accord,
25:04mais il y a là quelque chose qui de toute façon
25:06est en train de modeler petit à petit
25:09la façon dont les différents pays d'Europe
25:11peuvent se conduire.
25:13Alors pourquoi ? D'ailleurs, il n'y a pas que des choses fausses
25:15dans les recommandations de Bruxelles
25:17qui permettraient d'obtenir un sourcil.
25:20On a enregistré tout ça.
25:22L'idée, c'est que la France va essayer sans doute
25:24d'obtenir une période d'ajustement.
25:26Et là, les qualités de négociateur de Michel Barnier
25:28y compteront peut-être.
25:30Mais dans les recommandations, il y a par exemple
25:32renforcer la profession d'enseignant,
25:34oui, il serait temps.
25:36Il y a réduire la charge administrative des entreprises,
25:38oui, il serait temps.
25:40Vous voyez accélérer le déploiement
25:42des énergies renouvelables, en effet.
25:45Mais il y a aussi amélioration structurelle
25:47des finances publiques, etc.
25:49Et j'ajoute, le point est important.
25:51Pourquoi ? Parce que
25:53j'entends des débats permanents
25:55et notamment même sur cette antenne,
25:57l'excellent débat entre Dominique Seux, Thomas Porcher, etc.
25:59sur la question de savoir
26:01est-ce qu'il faut plus d'impôts, moins d'impôts ?
26:03Est-ce qu'il faut plus de dépenses publiques,
26:05moins de dépenses publiques ?
26:07Premier point, la question, c'est quelles dépenses publiques ?
26:09Le débat, Bruno Le Maire l'a mis sur
26:11par exemple les collectivités territoriales.
26:14Il y a un sujet, il y a une réflexion à mener.
26:16Mais surtout,
26:18à quel moment on pense
26:20une politique de production,
26:22c'est-à-dire une politique favorisant
26:24la production de richesse en France
26:26par les PME ?
26:28Or ça, c'est le sujet
26:30absolument essentiel.
26:32Nous avons un déficit commercial abyssal
26:34dans un cadre européen qui nous pénalise.
26:36Gilles, on est aussi dans un temps
26:38très politique.
26:40Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose de l'ordre
26:42d'un scandale démocratique qu'un nouveau gouvernement
26:44issu, ou une dole démocratique
26:46d'un gouvernement issu d'une autre
26:48élection qui a mis en minorité
26:50le président et Alexis
26:52Collère que vous avez qualifié de vice-président
26:54ou en tout cas de quasiment
26:56président vice, qui ont construit
26:58finalement ce budget ? Est-ce qu'il n'y a pas là
27:00quelque chose de l'ordre de l'anomalie ?
27:02D'abord, il faut que je me remette de cette
27:04ode à la commission européenne
27:06de Natacha.
27:08C'est un retour
27:10au réel.
27:12Et comme on le dit, c'est au pied du mur
27:14que l'on voit le mieux le mur.
27:16Et on le voit et
27:18il est haut. Il y a trois
27:20difficultés. La première, c'est ce
27:22calendrier précipité.
27:24Et ce calendrier
27:26précipité, il tient au fait que
27:28jamais dans l'histoire
27:30de la Ve République, un premier ministre,
27:32un ministre des finances et un ministre du budget
27:34n'ont été nommés au mois de septembre.
27:36Jamais. Alors que le 2 octobre,
27:38le texte budgétaire doit être
27:40sur la table de l'Assemblée nationale.
27:42Et donc, il va y avoir moins de
27:44trois semaines pour préparer
27:46un budget. C'est quelque chose qui n'existe pas.
27:48Donc, on va beaucoup
27:50être, peut-être ce n'est pas un problème
27:52si grand parce que c'est Michel Barnier,
27:54mais c'est un problème démocratique,
27:56beaucoup dans la continuité.
27:58Deuxième élément, c'est la fragilité parlementaire
28:00que l'on évoquait, puisque
28:02je ne vois pas
28:04comment ce texte ne va pas être voté,
28:06ne va pas être adopté
28:08avec le 49-3 et que
28:10ce que le Rassemblement national
28:12va chercher, je pense,
28:14ce n'est pas la censure, mais c'est d'avoir
28:16une avancée symbolique
28:18qui marque son influence.
28:20Et puis le troisième, et c'est là où je dis
28:22retour au réel, c'est que la situation
28:24budgétaire est compliquée.
28:26Elle l'était, et on le savait,
28:28la France est le seul pays
28:30de l'Union européenne dans lequel
28:32ni les objectifs de déficit
28:34ni les objectifs de réduction de la dette
28:36ne sont tenus, et on a appris
28:38cette semaine, avec la note de la direction
28:40du Trésor, qu'elle l'était
28:42davantage encore, au sens où
28:44les déficits prévisionnels
28:46sont supérieurs, et même très
28:48nettement supérieurs,
28:50à ce qui était prévu et aux engagements
28:52que nous avons pris.
28:54On annonce 5,6% de déficit budgétaire.
28:56Oui, 5,6%
28:58en 2024.
29:00Ce qui est annoncé, c'est 6,2%
29:02en 2025.
29:04On sera loin
29:06des 3% en 2027 qui étaient à la promesse.
29:08Ce n'est pas qu'on sera loin, c'est que
29:10cet objectif est inatteignable.
29:12La première mission,
29:14et là, le parcours
29:16de Michel Barnier peut être un atout,
29:18sa première mission va être de desserrer
29:20l'étreinte, de desserrer l'étau,
29:22de desserrer le calendrier,
29:24mais, même s'il arrive à
29:26faire que cet objectif passe de
29:282027 à 2029,
29:30ça veut dire quand même
29:32une nécessité de réduction
29:34des dépenses qui va faire très mal.
29:36Le mur budgétaire,
29:38le mur du déficit, mais on n'oublie
29:40pas ici, le mur climatique
29:42place au débat du Grand Face-à-Face.
29:50Bonjour Pierre Charbonnier.
29:52Merci d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes philosophe,
29:54spécialiste de la pensée environnementale,
29:56chargé de recherche au CNRS,
29:58enseignant à Sciences Po, votre mentor,
30:00c'est quelqu'un qu'on aimait beaucoup ici et qui nous manque,
30:02Bruno Latour. Vous signez en cette rentrée
30:04« Vers l'écologie de guerre, une histoire
30:06environnementale de la paix » aux éditions de La Découverte,
30:08un appel, et je cite la quatrième
30:10de couverture, « lancé aux écologistes pour
30:12qu'ils apprennent à parler le langage
30:14de la géopolitique ». Alors, on va voir ensemble
30:16ce que cela veut dire, et vous allez nous
30:18expliquer en quoi la paix est
30:20pire que la guerre pour lutter contre la crise
30:22climatique. La guerre peut être porteuse
30:24de solutions dans la lutte contre le dérèglement
30:26climatique. Voilà une pensée iconoclaste
30:28qu'on a besoin ensemble
30:30de creuser, notamment lorsqu'on écoute
30:32le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres,
30:34qui, lui, y voit davantage
30:36une opposition.
30:38Bien sûr que nous traversons
30:42une situation dramatique
30:44de la dimension de cette guerre
30:46qui est sans commune mesure avec
30:48aucun conflit de ces dernières
30:50décennies. Cela détourne
30:52inévitablement l'attention
30:54d'autres problématiques. Et l'urgence
30:56liée au débat sur le climat
30:58a souffert de la guerre en Ukraine.
31:00Alors, il y a des gens qui disent que la guerre
31:03accélère le dérèglement climatique. Il y a des gens
31:05comme Antonio Guterres, on vient de l'entendre, qui disent que la guerre
31:07détourne des enjeux climatiques.
31:09Et vous nous dites que la guerre
31:11permet peut-être de trouver des solutions
31:13à la crise climatique. Vous allez nous éclairer.
31:15Mais prenons un exemple tout précis,
31:17celui de la guerre en Ukraine, qui est présent dans votre livre,
31:19en quoi la guerre en Ukraine
31:21peut être porteur, qui est dramatique
31:23par ailleurs, évidemment, de solutions
31:25contre le dérèglement climatique.
31:27Oui, je tiens à dire que
31:29ce n'est pas un livre qui est fait pour chanter
31:31les vertus de la guerre. Au contraire,
31:33c'est un livre profondément pacifiste, mais d'un
31:35pacifisme peut-être
31:37original, hétérodoxe.
31:39Ce qui est intéressant dans ce que dit Guterres, c'est que
31:41lui, sa mission
31:43est de chercher
31:45des points de consensus qui permettent
31:47de transcender les compétitions,
31:49les clivages entre les nations. C'est la mission
31:51des Nations Unies depuis le début de la
31:53Seconde Guerre Mondiale.
31:55Le problème est que, dans le même temps,
31:57ce qui est un petit peu plus difficile à avouer
31:59pour les représentants de l'universalisme
32:01humaniste des Nations Unies,
32:03c'est que le facteur réel
32:05de stabilité qui a fait tenir
32:07ensemble les nations, et
32:09notamment les anciens belligérants de la Seconde Guerre Mondiale,
32:11ce sont les énergies fossiles.
32:13Il faut nous expliquer ça.
32:15En 1950, quand Robert Schuman
32:17lance l'idée du projet européen
32:19sous la forme qu'on connaît aujourd'hui,
32:21et son ancêtre, la communauté européenne du charbon et de l'acier,
32:23il définit un concept
32:25important, à mon avis, qui est celui de solidarité
32:27de production. Il dit que pour que la France et l'Allemagne
32:29ne se fassent plus jamais la guerre, il faut qu'on mette en commun
32:31les ressources, que sont
32:33le charbon, donc une ressource fossile.
32:35Ça a été vrai aussi pour
32:37réintégrer le Japon dans le jeu économique.
32:39Et
32:41l'essentiel,
32:43la force principale qui explique
32:45la stabilité géopolitique après la Seconde Guerre Mondiale,
32:47ce sont les énergies fossiles.
32:49Parce qu'elles permettent de la croissance,
32:51du développement, donc de la stabilité
32:53domestique, si on peut dire,
32:55interclasse, mais aussi de la stabilité
32:57internationale. Et des échanges.
32:59Et des échanges. C'est en fait une
33:01réactualisation en quelque sorte
33:03sous stéroïde de la vieille idée
33:05du doux commerce du XVIIIe siècle. De Montesquieu.
33:07Voilà. Alors,
33:09ça a bien marché. Dans le sens où
33:11il n'y a pas de renversement de la table
33:13géopolitique depuis cette période-là.
33:15On vit encore dans l'après-guerre.
33:17Le problème, c'est que cette paix n'est pas soutenable.
33:19Cette façon de faire la paix
33:21qui tient essentiellement aux grandes infrastructures
33:23fossiles, détruit la planète.
33:25Détruit l'habitabilité de la planète.
33:27C'est ça que vous appelez la paix carbonée ?
33:29Donc ça, c'est... J'ai un collègue américain
33:31qui a appelé ça, en anglais, carbon peace.
33:33L'expression est excellente. C'est exactement ce qui s'est
33:35passé. Alors, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de guerre.
33:37Et ça ne veut encore moins dire qu'il n'y a pas eu de guerre
33:39au nom du pétrole. Mais, précisément,
33:41les seules guerres dont on pensait
33:43qu'elles étaient légitimes...
33:45Justes. Voilà.
33:47C'est effectivement la théorie de la guerre juste.
33:49C'était les guerres qui étaient menées pour que
33:51les flux de pétrole et de gaz et de charbon
33:53continuent à couler. Ça, c'est les guerres américaines
33:55au Proche-Orient. Bon.
33:57Maintenant, le problème qu'on a, c'est que
33:59nous sommes obligés
34:01de maintenir cette stabilité géopolitique,
34:03la sécurité, la non-agression,
34:05si on peut dire, sans
34:07continuer cette dépendance dans ces
34:09grandes infrastructures fossiles.
34:11Pour profondir et avancer sur le monde
34:13d'aujourd'hui, le monde de demain, ce que vous dites
34:15aussi aux militants écolos, vous êtes un peu dur aussi
34:17sur leur vision du monde. Oui, j'aime bien.
34:19Mais nous aussi, on aime bien interroger
34:21et penser contre nous-mêmes. Natacha ?
34:23Je poursuis votre exemple
34:25sur la guerre en Ukraine
34:27et la façon dont elle change un peu
34:29la donne, puisque
34:31l'Union Européenne, les pays
34:33européens ont finalement
34:35compris qu'il fallait aller vers une
34:37décarbonation de leur
34:39modèle
34:41économique pour ne plus être
34:43dépendant de la Russie.
34:45Mais si on regarde la réalité
34:47de la
34:49donne actuelle
34:51post-guerre en Ukraine, ou plutôt en plein
34:53dedans, c'est que
34:55les pays européens se sont tournés vers
34:57le gaz naturel liquéfié américain,
34:59que les Russes
35:01vendent leurs hydrocarbures
35:03dans le reste du monde et que l'Europe
35:05les rachète, par exemple, en
35:07Azerbaïdjan ou ailleurs.
35:09Et j'en viens donc à ma question.
35:13Le projet
35:15de paix universelle
35:17appuyé sur le
35:19doux commerce
35:21peut-il et risque-t-il
35:23d'être une des formes de l'impérialisme ?
35:25Et est-ce que ce n'est pas ce que montre
35:27un petit peu la nouvelle configuration ?
35:29C'est-à-dire qu'en fait, il y a
35:31un camp qui continue
35:33à fonctionner
35:35ensemble, à commercer ensemble, mais qu'en fait
35:37ça ne fait pas baisser véritablement
35:39les émissions de carbone
35:41et l'usage du carbone.
35:43Il est difficile de se
35:45décarboner. C'est extrêmement
35:47difficile et effectivement, on
35:49voit très bien comment les grands clivages
35:51géopolitiques contemporains suivent
35:53assez largement les contours
35:55des politiques climatiques.
35:57Ce qui s'est passé à partir de 2022,
35:59c'est pour moi le reflet d'un
36:01tournant historique plus profond et plus large
36:03qui est ce que je propose
36:05d'appeler l'écologie de guerre.
36:07C'est-à-dire le moment où
36:09les élites dirigeantes des grandes
36:11puissances mondiales se rendent compte que
36:13leur sécurité ne réside plus
36:15dans précisément la sécurisation de l'approvisionnement
36:17fossile, mais dans le changement de modèle
36:19parce que c'est leur intérêt propre
36:21et aussi parce que c'est leur intérêt dans le sens
36:23où ça leur permet de maintenir leur statut international.
36:25C'est ce qu'ont dit les Etats-Unis
36:27au moment où Biden a été élu.
36:29C'est ce qu'a dit Von der Leyen au moment
36:31où le Green Deal a été voté.
36:33C'est ce que dit le parti communiste chinois au moment du vote
36:35du dernier grand plan quinquennat.
36:37Il y a en quelque sorte un consensus
36:39de doctrines un peu
36:41systémiques sur le lien entre climat
36:43et géopolitique.
36:44Ça aurait remplacé un peu la course à l'armement.
36:46Exactement. On peut tout à fait, d'ailleurs,
36:48il y a une association anglaise qui
36:50pose les termes comme ça en disant
36:52sortir des fossiles, c'est analogue à un traité
36:54de désarmement, un peu sur le modèle du désarmement
36:56nucléaire, parce que ce qui était
36:58autrefois un facteur de production,
37:00on se rend compte que c'était en fait un facteur de destruction.
37:02Donc, il faut
37:04en sortir, mais en sortir
37:06sans rêver naïvement, comme peut-être
37:08les écolos ont pu le penser dans le passé,
37:10qu'on pouvait se débarrasser de la
37:12puissance politique comme telle, des jeux de pouvoir.
37:14Parce que ça, malheureusement, peut-être,
37:16c'est comme ça.
37:18Mais au contraire, s'appuyer sur
37:20les jeux de pouvoir pour
37:22changer de modèle énergétique, économique.
37:24Alors, ce qui se passe maintenant, c'est que
37:26tout le monde a dit, et surtout en Europe,
37:28on a dit, notre sécurité tient à la décarbonation,
37:30parce que c'est bon pour le climat,
37:32et c'est bon pour, effectivement, notre indépendance stratégique,
37:34on sort de la dépendance du gaz
37:36et du pétrole russe. Ok. Ce que vous avez
37:38ajouté est correct.
37:40Et donc, on est au milieu du guet. C'est-à-dire que
37:42on a tenu un discours
37:44de sobriété, de décarbonation,
37:46mais qui, parce qu'il n'a
37:48pas suffisamment été soutenu par des politiques
37:50publiques d'accompagnement
37:52pour réellement engager cette transition,
37:54on a effectivement, d'un côté, sur un plan
37:56géopolitique, laissé la Russie
37:58vendre son gaz et son pétrole
38:00à d'autres pays, notamment les pays
38:02moins riches que nous, qui étaient ravis de pouvoir acheter du pétrole
38:04bradé, notamment l'Inde.
38:06Et à ce moment-là, les représentants américains
38:08et européens sont allés à New Delhi,
38:10ont proposé des deals
38:12à Modi en lui disant, achetez
38:14plutôt des technologies vertes qu'on va vous vendre,
38:16mais c'est trop cher.
38:18Les transferts de capitaux n'étaient pas suffisants,
38:20n'étaient pas compétitifs, si on peut dire.
38:22Et donc, le discours sur
38:24l'accompagnement de l'émergence d'une nouvelle
38:26industrie post-fossile,
38:28renouvelable, ça, ça marche assez bien
38:30parce que c'est raisonnablement compatible avec l'économie politique
38:32standard, en fait capitaliste,
38:34accompagnée par l'État. Par contre,
38:36le déclin
38:38accéléré artificiellement
38:40des secteurs fossiles, ça, c'est
38:42très compliqué. C'est ce que, techniquement,
38:44on appelle les actifs échoués, c'est-à-dire
38:46on arrête d'utiliser des facteurs
38:48de production qui sont là, qui sont disponibles quand on s'est fait
38:50retourner. Et ça, comme
38:52il y a des acteurs politiques, la Russie,
38:54l'Arabie Saoudite, mais aussi des pays plus pauvres,
38:56l'Algérie, le Venezuela,
38:58d'autres pays d'Amérique latine, beaucoup de pays émergents
39:00d'ailleurs, eux ne veulent pas que
39:02leur modèle de croissance, de développement,
39:04de souveraineté soit mis en danger
39:06au nom du climat. Et donc, c'est aussi
39:08avec eux qu'il faut négocier. Donc ça, c'est
39:10ce que je décris un petit peu à la fin du livre, la seconde phase
39:12en quelque sorte de l'écologie de guerre,
39:14c'est-à-dire faire basculer des pays très dépendants
39:16des énergies fossiles vers, nous, si on peut
39:18dire, le club des pays
39:20qui se prétendent, disons, être à l'avant-garde
39:22de ce processus. Gilles ?
39:24On reviendra,
39:26je l'espère, sur les obstacles
39:28et notamment sur ceux que vous venez
39:30d'évoquer.
39:32Je reviens sur la thèse centrale
39:34en disant que je conseille
39:36vraiment la lecture de ce livre.
39:38Je m'y suis engagé avec
39:40à la fois de la satisfaction, parce que
39:42ça permettait une forme de respiration
39:44par rapport à l'actualité politique
39:46et puis parce que j'avais lu vos
39:48précédents livres, notamment
39:50« Culture climatique » qui était un livre
39:52formidable, mais aussi avec une certaine appréhension
39:54parce que si on va passer du chaos politique
39:56au chaos climatique
39:58et puis le titre m'inquiétait
40:00encore, je dirais en plus ça va être la guerre.
40:02Et l'inquiétude est légitime quand on parle de guerre et de climat.
40:04Et en fait, c'est pas ça,
40:06le livre est original,
40:08il est puissant au sens que
40:10c'est une réflexion qui est utile pour
40:12l'action et ça c'est un élément qui est
40:14très important parce qu'il y a une réflexion
40:16sur les arguments qui peuvent être mobilisés
40:18en faveur de la lutte
40:20contre le changement climatique et puis
40:22il y a quelque chose qui est un peu
40:24inattendu quand on parle du climat, c'est que
40:26on peut même voir un certain
40:28optimisme ou en tout cas
40:30une voie qui permet
40:32d'avancer.
40:34Je voudrais
40:36qu'on revienne, que vous reveniez
40:38sur ce que
40:40on a appelé dans le
40:42monde des think tanks la course
40:44vers le
40:46net zéro,
40:48vers la zéro carbone.
40:50En quoi
40:52cette course-là
40:54se fait-elle maintenant
40:56au nom de ce que vous appelez le
40:58réalisme, au nom
41:00de la sécurité et pas seulement
41:02au nom de la nécessité
41:04des principes éthiques ?
41:06C'est un charbonnier. Parce que c'est ce
41:08renversement-là qui est intéressant.
41:10Effectivement, historiquement
41:12le mouvement environnemental
41:14et climatique a
41:16successivement essayé de jouer différentes
41:18cartes idéologiques
41:20et stratégiques.
41:22Ce n'est pas une succession, c'est une accumulation
41:24en fait. Il y a la carte écoutons les scientifiques.
41:26Ça, c'est ce qu'on entend beaucoup
41:28pendant les COP. Le problème avec
41:30écoutons les scientifiques, c'est que c'est à la fois
41:32incontestablement vrai
41:34et on peut dire d'une efficacité politique
41:36assez limitée, j'irais même jusqu'à dire
41:38nulle, dans le sens où ça
41:40ne permet pas d'identifier
41:42qui sont les gagnants et les perdants du changement de modèle.
41:44Il y a une seconde carte qui a été
41:46jouée, celle que j'avais étudiée dans un livre précédent
41:48qui s'appelait Abondance et Liberté. C'est la carte de la justice
41:50en fait. Un
41:52monde où on se bat des énergies fossiles et un monde
41:54plus juste, pas seulement plus durable mais aussi plus juste
41:56parce que ça redistribue les cartes sociales
41:58tendanciellement dans un sens
42:00égalitaire. Cette carte-là,
42:02c'est au grand moment
42:04Green New Deal aux Etats-Unis,
42:06d'une certaine manière Green Deal aussi en Europe,
42:08la convergence entre questions sociales et questions écologiques
42:10est très importante, elle a été très vivante
42:12au mouvement des gilets jaunes, etc.
42:14Elle est très importante mais
42:16malheureusement, elle n'a pas
42:18abouti à la structuration
42:20d'une plateforme politique gagnante.
42:22Là, au moment de l'émergence
42:24de l'écologie de guerre, c'est-à-dire le moment où
42:26des acteurs politiques internationaux disent
42:28notre souveraineté et notre sécurité tient
42:30à la décarbonation, l'histoire nous donne
42:32une nouvelle carte. Cette carte,
42:34c'est le principe de sécurité en fait. On va mettre en sécurité
42:36des populations à l'échelle nationale,
42:38communautaire et en réalité au fond
42:40internationale
42:42avec cet argument
42:44qui dit, il y a des acteurs
42:46politiques internationaux qui sont plutôt favorables
42:48à ce mouvement-là, d'autres qui ne le sont pas,
42:50une ligne de frontière se crée entre eux,
42:52jouons-la au maximum pour que
42:54le groupe, disons la coalition
42:56post-fossile, soit plus forte que la coalition fossile.
42:58Cette carte-là,
43:00elle est intéressante mais elle est dangereuse, il faut le reconnaître.
43:02C'est ce que vous suggériez tout à l'heure,
43:04ça peut donner lieu à
43:06quelque chose comme une sorte de souverainisme vert
43:08ou même d'impérialisme vert.
43:10Par exemple, c'est un peu ce que font les Etats-Unis en ce moment.
43:12Un des conseillers économiques principaux
43:14de Biden et aujourd'hui de Harris
43:16a écrit il y a quelques jours un texte
43:18dans un journal pour dire, nous on veut de la décarbonation
43:20mais de la décarbonation made in America
43:22et exclusivement made in America
43:24parce que c'est une question de compétition avec les routes
43:26de la soie chinoise. En fait,
43:28l'Europe fait un peu le même truc parfois.
43:30Donc, si on dit
43:32jouons la carte de la sécurité
43:34pour décarboner, il y a cet écueil-là
43:36qui est réel. Et moi, mon livre n'est pas un livre
43:38disons qui dit voilà la solution
43:40clé en main pour sortir de l'enfer
43:42mais l'histoire nous donne des cartes.
43:44Il y avait la carte scientifique,
43:46il y a la carte de la justice sociale, très importante
43:48et sur laquelle je vais continuer à travailler
43:50et puis il y a la carte de la sécurité qui je pense
43:52qu'il ne faut pas négliger parce que ça permet de donner
43:54à l'écologie politique une théorie du pouvoir
43:56ce qui, pour l'instant, elle n'a pas.
43:58Et d'ailleurs c'est curieux parce qu'au
44:00moment de la guerre en Ukraine, les Verts
44:02en France, en Allemagne, ont à mon avis
44:04tenu la position correcte
44:06d'intransigeance face au régime de Poutine
44:08adossé à un projet
44:10de décarbonation. Je trouvais que c'était
44:12remarquable et courageux comme position.
44:14Le problème est que ça n'a pas
44:16en quelque sorte été
44:18digéré, intériorisé comme
44:20réforme de la doctrine de l'écologie
44:22politique standard en France. Il reste un petit peu
44:24idéaliste. C'est intéressant le mot
44:26idéalisme parce que c'est un bouquin
44:28hyper pragmatique.
44:30C'est quand même un bouquin de philo.
44:32C'est un bouquin de philo. Le pragmatisme, c'est un courant
44:34philosophique. Mais ce n'est pas le mien.
44:36Ce n'est pas le vôtre, mais en tout cas, on sent que
44:38vous cherchez
44:40là où dans le vice, il peut y avoir
44:42de la vertu. Oui, en fait,
44:44c'est ce qui a un petit peu fait le
44:46point de continuité avec les livres précédents.
44:48J'essaie de raisonner avec des dilemmes,
44:50des paradoxes, et de la même manière que dans le
44:52livre précédent, j'essayais de montrer que
44:54l'une des responsabilités principales
44:56de l'impasse climatique tient à notre conception
44:58de la liberté, c'est-à-dire de quelque chose
45:00qu'on aime et à quoi on tient.
45:02Il se trouve que c'est un petit peu la même chose avec la sécurité
45:04ou la paix. Malheureusement,
45:06notre façon de faire la paix
45:08est dommageable pour la stabilité
45:10climatique et, in fine,
45:12économique et géopolitique.
45:14Et si
45:16c'était des choses que nous détestons,
45:18qui produisons le changement climatique,
45:20au fond, ce serait assez simple
45:22de s'en débarrasser. Mais malheureusement,
45:24ce sont des choses auxquelles nous tenons
45:26qui produisent
45:28ces résultats-là. Et c'est pour ça que
45:30c'est si difficile d'en sortir.
45:32D'ailleurs, c'est pour ça aussi qu'une des questions les plus
45:34pressantes qu'on va avoir aujourd'hui, et j'en parlais un petit peu tout à l'heure,
45:36c'est qu'est-ce qu'on fait pour les pays
45:38en développement, les pays émergents, qui sont
45:40aujourd'hui, qui ne sont pas les plus gros émetteurs
45:42de gaz à effet de serre, mais qui sont les plus
45:44dépendants de ces énergies-là.
45:46L'Inde est vraiment le cas type,
45:48mais pas seulement, l'Indonésie,
45:50le Nigeria,
45:52en phase d'ascendance
45:54économique. Ces pays-là, il va falloir
45:56qu'on invente ensemble
45:58et avec eux un modèle de développement
46:00qui n'est pas aussi émetteur que celui
46:02que nous avons eu dans le passé.
46:04Et malheureusement, ça coûte très cher,
46:06ils ne pourront pas le faire sur leurs ressources économiques
46:08à eux. Et là, il y a un enjeu
46:10de solidarité internationale
46:12absolument fondamental, qui est
46:14le prolongement normatif de l'écologie
46:16de guerre.
46:18Vous montrez très bien dans le livre ce débat
46:20extrêmement intéressant au moment de la
46:22décolonisation pour savoir quel est
46:24le bon modèle de
46:26développement. Doit-il s'appuyer
46:28sur le modèle qui était
46:30celui des pays colonisateurs,
46:32c'est-à-dire un modèle appuyé sur des énergies
46:34carbonées ou pas, justement parce
46:36qu'il y a derrière la question de la nature
46:38de cette indépendance. Et c'est pour ça
46:40que je me posais la question en vous écoutant
46:42et d'ailleurs c'est la question qui m'a traversée
46:44pendant tout le livre.
46:46Nous avons le réflexe
46:48en Occident
46:50de dire que
46:52le protectionnisme, c'est la guerre.
46:54Parce qu'en fait,
46:56et vous montrez très bien l'histoire du concept
46:58de libre-échange et la façon dont le libre-échange
47:00a modelé notre vision de la paix.
47:02Le libre-échange, c'est la paix, c'est le doux commerce.
47:04Et du coup, le protectionnisme, c'est la guerre.
47:06En même temps,
47:08la pollution
47:10est produite
47:12par un système qui est un système
47:14de division mondiale du travail
47:16et de consommation
47:18à outrance qui s'appuie sur
47:20cette division mondiale du travail.
47:22Donc, comment fait-on pour tenir
47:24compte de ces données
47:26différentes ? C'est-à-dire que
47:28est-ce que réellement, il faut se méfier,
47:30vous avez parlé tout à l'heure
47:32du problème que poserait un
47:34souverainisme vert, mais est-ce que
47:36l'idée de relocalisation
47:38des productions n'est pas
47:40tout de même une base qui permet
47:42non seulement d'être indépendant
47:44de puissances qui pourraient vouloir
47:46contrôler tel ou tel
47:48pays, mais également
47:50d'éviter d'amplifier ce
47:52phénomène de pollution ?
47:54C'est effectivement un point
47:56de débat qui, à mon sens, est
47:58un des plus structurants aujourd'hui et qui renvoie
48:00à une histoire très profonde.
48:02Aujourd'hui, court l'idée que
48:04pour échapper à l'impasse climatique, il faut
48:06relocaliser sur le territoire national
48:08ou communautaire
48:10les filières productives clés de
48:12l'univers, c'est essentiellement les énergies
48:14renouvelables, les batteries
48:16et des choses comme ça.
48:18C'est exact, le problème c'est qu'aujourd'hui
48:20cette stratégie
48:22à la fois intellectuelle et politique est
48:24un petit peu dévoyée pour dire
48:26qu'on va faire de la souveraineté et de la relocalisation
48:28sans que les mesures
48:30conditionnelles, climatiques
48:32et environnementales soient sérieusement
48:34prises en compte. On fait de la relocalisation
48:36en elle-même pour échapper
48:38à des dépendances économiques, à du déficit
48:40de la balance commerciale par exemple.
48:42Pour moi, le problème
48:44est plutôt la restructuration
48:46et la réorganisation des chaînes d'approvisionnement
48:48parce qu'un pays comme la France et d'ailleurs
48:50même l'Union Européenne n'a pas tout ce qu'il
48:52faut pour faire
48:54sa transition. Il va falloir acheter des choses
48:56à l'extérieur sans
48:58avoir à dire à nouveau aux pays d'Afrique
49:00ou d'Amérique Latine qu'ils vont redevenir
49:02des colonies d'extraction de matières premières
49:04parce que si on leur dit ça, ils vont dire non
49:06et on va continuer à émettre des gaz à effet de serre.
49:08Pour moi, quand on dit
49:10qu'il y a un élément
49:12de souveraineté dans cette
49:14transition-là, ça ne veut pas dire
49:16qu'on fait du protectionnisme au sens strict
49:18c'est-à-dire qu'on ferme les frontières.
49:20Ça veut dire qu'on utilise les frontières
49:22comme en quelque sorte
49:26une peau
49:28qui ne laisse passer que ce qui est bon
49:30et qui ne laisse pas non plus sortir...
49:32C'est le principe d'une frontière.
49:34Une membrane.
49:36Il y a plein de manières
49:38d'envisager la frontière.
49:40En tout cas, la question n'est pas du tout de les fermer
49:42c'est de les utiliser. C'est par exemple
49:44la stratégie européenne
49:46de la taxe arbonne aux frontières
49:48qui peut être intéressante. Le problème, c'est que la taxe arbonne
49:50aux frontières a des conséquences parfois
49:52désastreuses sur des pays, typiquement comme l'Indonésie
49:54ou en réalité
49:56même la Chine, qui vivent ça
49:58comme une mesure de punition économique
50:00à leur égard.
50:02Ces instruments-là sont assez difficiles à mettre en place
50:04et il faut quand même dire
50:06que, oui,
50:08ce livre n'est pas un plaidoyer pour le souverainisme
50:10vert.
50:12Je voudrais revenir sur les obstacles
50:14dont on parlait tout à l'heure.
50:16En gros, votre thèse, c'est que depuis
50:18le début des années 2020, il y a une nouvelle donne
50:20avec trois piliers.
50:22Ce qui s'est passé en Chine, objectif
50:24neutralité carbone en 2060.
50:26Ce qui se passe aux Etats-Unis,
50:28les Biden-MX, notamment
50:30le plan d'investissement l'Iran.
50:32Et ce qui s'est passé en Europe
50:34accéléré avec
50:36la guerre en Ukraine
50:38où pour la première fois, ça a été
50:40non pas un motif pour ralentir
50:42mais pour accélérer la transition.
50:44Donc il y a tout ça et qui a entraîné
50:46ce qui est un élément tout à fait nouveau
50:48des pays européens qui étaient réticents,
50:50les pays de l'Est
50:52et les pays baltes.
50:54Ça, c'est le côté positif,
50:56le côté optimiste. Dans
50:58les obstacles, il y a à la fois
51:00les représentants de la coalition
51:02fossile, les pays pétroliers,
51:04c'est-à-dire ceux qui peuvent ne pas
51:06vouloir cette transition parce qu'ils considèrent
51:08qu'ils n'y ont pas intérêt. Et puis ceux qui ne peuvent
51:10pas, ceux dont vous parlez,
51:12c'est-à-dire les pays du Sud les plus pauvres
51:14qui sont à la fois les plus dépendants
51:16du fossile, qui n'ont pas
51:18les moyens de s'en sortir.
51:20Il peut y avoir une coalition entre
51:22les deux. Ma deux questions,
51:24les pays pétroliers, est-ce que
51:26certains d'entre eux
51:28peuvent faire
51:30partir de ce premier groupe de ceux qui essayent
51:32de s'en sortir ? Je vous donne un exemple,
51:34le plan, je ne sais plus comment ça s'appelait,
51:36Vision 2035 en Arabie Saoudite,
51:38est-ce que ça
51:40s'inscrit potentiellement
51:42dans cette vente-là ?
51:44Et deuxième question,
51:46qu'est-ce que nous, Européens, devons faire
51:48par rapport aux pays du Sud
51:50justement pour faire en sorte
51:52que ça charbonne ?
51:53Les gros pays producteurs et exportateurs
51:55d'hydrocarbures ont un pari
51:57qui est complètement différent, qui est le pari de la
51:59compensation, c'est-à-dire qu'ils pensent qu'on peut
52:01continuer à utiliser leurs ressources
52:03et à réabsorber
52:05dans des stocks souterrains, dans des puits souterrains
52:07le carbone excédentaire
52:09qui traîne dans l'atmosphère, ce qui est
52:11technologiquement pour l'instant
52:13non mature, enfin pas possible,
52:15et par ailleurs politiquement
52:17complètement hasardeux, parce que comme on en joue
52:19dans une technologie qui permet de s'approvisionner autrement,
52:21c'est simplement des pays qui n'arrivent
52:23pas à découpler leur statut
52:25d'indépendance souveraine
52:27des énergies fossiles, donc pour ces pays-là,
52:29le deal va être très douloureux et il n'y a pas grand chose
52:31autre à faire. Pour les pays, vous avez raison de faire la distinction
52:33qui sont dépendants des ressources fossiles
52:35mais qui sont
52:37disons pas dans la même position géopolitique
52:39ou pas au même niveau de développement économique,
52:41oui, là il y a des deals qu'il faut faire,
52:43moi je considère que ça devrait être la priorité absolue
52:45de la diplomatie européenne de proposer
52:47ces deals-là, de faire que
52:49le Brésil, l'Indonésie,
52:51le Mexique,
52:53beaucoup de pays d'Afrique, soient des pays
52:55partenaires et pas des
52:57périphéries extractives, donc là
52:59ça c'est un basculement
53:01du jeu géopolitique majeur et
53:03vraiment j'insiste absolument là-dessus,
53:05c'est vraiment l'héritage de la pensée, pour le coup, anti-impérialiste
53:07qui à mon avis devrait
53:09être plus importante en Europe
53:11parce que ni la Chine ni les
53:13Etats-Unis ne voient les choses de cette manière.
53:15Est-ce que vous désespérez de l'action des militants écolos
53:17en quelques secondes, pour terminer ?
53:19Non, je ne désespère pas, pas du tout,
53:21il y a plein de choses qui me font désespérer
53:23mais ce n'est pas ça qui me vient à l'esprit en premier.
53:25Par contre, si effectivement
53:27on pouvait développer une culture politique
53:29en quelque sorte qui ait plus
53:31de mordant, oui ce ne serait pas une mauvaise chose.
53:33Merci, merci Pierre Charbonnier, votre livre n'en manque pas
53:35de mordant vers l'écologie
53:37de guerre, c'est passionnant, c'est à lire aux éditions
53:39de La Découverte. Merci Gilles, merci
53:41Natacha, merci à l'équipe du Grand Face-à-Face,
53:43Mathilde Klatt était comme
53:45chaque semaine à la préparation de l'émission, tout comme
53:47Marie Merrier à sa réalisation,
53:49et aujourd'hui Sofiane Actib était à la technique
53:51d'une émission que vous pouvez réécouter
53:53en vous abonnant au podcast
53:55sur l'appli Radio France.
53:57On se retrouve samedi prochain pour un nouveau Grand Face-à-Face.

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