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Philosophe du travail, journaliste cofondateur du « Nouvel Observateur », militant anti-nucléaire, André Gorz (1923-2007) fut un acteur clé de la naissance de l’écologie politique au début des années 1970. A l’occasion du centenaire de sa naissance et alors que la crise climatique devient l’inquiétude numéro un des Français, « l’Obs » invite le 9 février des intellectuels, des activistes et des politiques à nous dire comment sa pensée nous aide à relever les défis de demain. Une soirée organisée avec la Cimade et l'Imec.


18h30 : Introduction

Christophe Fourel, économiste, coauteur d’ « Ecologie et révolution » (Les Petits Matins).

18h35 : Penser les défis contemporains

Pierre Madelin, essayiste et traducteur auteur de « la Terre, les corps, la mort » (éditions Dehors).

Céline Marty, professeure agrégée de philosophie et doctorante en philosophie du travail sur l’œuvre d’André Gorz.

Fatima Ouassak, politologue, cofondatrice du collectif Front de Mères, autrice de « Pour une écologie pirate » (La Découverte, fév 2022)..

Clara Ruault, coautrice d’« Ecologie et révolution » (Les Petits Matins).

Animé par Christophe Fourel, économiste, coauteur d’ « Ecologie et révolution » (Les Petits Matins).

19h20 : « André Gorz et La Cimade : de l’exil à l’engagement »

Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de La Cimade.

19h25 : André Gorz en images

Présentation Eric Aeschimann, journaliste à « l’Obs ».

19h30 : Agir avec André Gorz : la voie écosocialiste ?

Clémentine Autain, députée La France insoumise de Seine Saint-Denis.

Maxime Combes, économiste, membre d’Attac, engagé dans les mobilisations citoyennes autour des grands enjeux environnementaux et énergétiques.

Claire Lejeune, chercheuse et militante écologique.

Paul Magnette, professeur de théorie politique à l’Université libre de Bruxelles, auteur de « la Vie large – Manifeste écosocialiste » (éditions La Découverte).

Animé par Eric Aeschimann, journaliste à « l’Obs ».

Entrée gratuite sur réservation, le 9 février à 18h30,
auditorium de « l’Obs » 67/69, avenue Pierre Mendès France, Paris 13e.

En partenariat avec « Alternatives Eco », Utopia, EcoRev.

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Transcription
00:00:00 être venu très nombreux à cette soirée qui,
00:00:04 comme vous le savez, commémore le centième anniversaire
00:00:08 de la naissance d'André Gortz.
00:00:10 Comme vous l'avez vu sur l'invitation,
00:00:14 cette soirée est à l'initiative de la CIMAD et je salue
00:00:19 Henri Masson, son président, qui doit être quelque part assis
00:00:23 et il est là devant moi, juste devant moi et Faneli
00:00:29 Carré-Comte, qui ne va pas tarder, qui est la secrétaire
00:00:31 générale, qui interviendra tout à l'heure.
00:00:32 Et puisque Dorine et Gérard Hortz,
00:00:38 donc le nom d'état civil d'André Gortz,
00:00:42 Dorine et Gérard, donc, avaient choisi comme légataire
00:00:45 universel la CIMAD et on en dira quelques mots tout à l'heure.
00:00:50 Par la voix de sa secrétaire générale, Faneli Carré-Comte,
00:00:54 la CIMAD nous en dira plus sur la motivation forte qu'il y avait
00:00:59 pour faire ce choix.
00:01:04 Cette soirée est aussi à l'initiative de l'Institut
00:01:07 Mémoire de l'édition contemporaine, l'IMEC,
00:01:11 qu'André Gortz avait choisi comme exécuteur testamentaire
00:01:15 pour son oeuvre.
00:01:16 Et je crois qu'on aura des photos à un moment donné qui seront
00:01:19 projetées et donc, elles sont issues du fonds Gortz,
00:01:25 qui a été ouvert aux chercheurs en 2012.
00:01:28 Et on remercie Nathalie Léger qui ne peut pas être là ce soir.
00:01:33 Nathalie est la nouvelle directrice, la nouvelle
00:01:35 directrice de l'IMEC depuis un certain nombre d'années.
00:01:39 Et François Borde, qui est au premier rang,
00:01:43 qui est responsable des collections sciences humaines
00:01:46 et sociales. Et l'IMEC est vraiment à remercier pour le
00:01:50 travail très précieux pour conserver les archives d'André
00:01:56 Gortz. Je voudrais saluer à cette occasion également Willy Gianinazzi,
00:02:02 qui a été chercheur associé au fonds Gortz et qui est le
00:02:08 biographe, pour l'instant le seul biographe d'André Gortz,
00:02:12 et qui fait paraître, je crois, très prochainement en anglais.
00:02:17 D'ailleurs, cette biographie est parue en première édition en
00:02:22 2016 aux éditions La Découverte.
00:02:25 Enfin, cette soirée est à l'initiative également de l'OPS,
00:02:30 dont André Gortz avait été un des cofondateurs en 1964,
00:02:37 aux côtés de Jean Daniel et d'autres.
00:02:39 Sous le pseudonyme de Michel Bosquet,
00:02:41 Gortz a apporté des contributions décisives comme journaliste.
00:02:45 Il a permis, je crois, d'asseoir la grande réputation de ce
00:02:48 journal par la voix d'Eric Eschmann,
00:02:51 qui était tout à l'heure à mes côtés.
00:02:53 Nous aurons tout à l'heure un aperçu des apports originaux et
00:02:59 rigoureux de Gortz dans l'exercice de son métier de journaliste.
00:03:03 Nous remercions donc chaleureusement l'OPS,
00:03:06 qui nous accueille dans ce magnifique auditorium.
00:03:10 Cette soirée a également le soutien du mouvement Utopia.
00:03:14 J'ai aperçu tout à l'heure Denis Vichra ici,
00:03:17 dont André Gortz avait, comment dire,
00:03:22 préfacé le manifeste au moment de la création du mouvement Utopia.
00:03:26 Il était vraiment fidèle de ce mouvement et c'est important que
00:03:32 le mouvement Utopia soit partenaire de cette soirée.
00:03:36 Et partenaire également la revue Eco-Rêve,
00:03:41 la revue Eco-Rêve que Gortz avait parrainé à sa parution.
00:03:46 Willy, dont je parlais tout à l'heure et d'ailleurs,
00:03:52 les représentants de la revue Eco-Rêve sont là.
00:03:55 Je crois qu'il y a des exemplaires qui sont disponibles à l'entrée.
00:04:00 Et puis, enfin, le soutien du magazine Alternatives
00:04:05 économiques, magazine fondé par Denis Clair en novembre 1980,
00:04:09 que André Gortz avait soutenu financièrement et sur le plan,
00:04:13 d'ailleurs, ensuite éditorial à sa création.
00:04:16 Alors, André Gortz aurait-il approuvé ce moment commémoratif ?
00:04:21 Ce que nous savons de lui, c'est qu'il n'avait pas
00:04:25 particulièrement le goût pour les mondanités.
00:04:28 En revanche, je pense qu'il aimait percevoir le sens des
00:04:32 choses et des événements.
00:04:33 Et personnellement, il m'a fallu assez longtemps pour
00:04:37 comprendre que la date choisie par Dorine et André Gortz au
00:04:41 moment de leur suicide, donc le 22 septembre 2007,
00:04:46 devait correspondre jour pour jour à leur toute première
00:04:51 rencontre, celle de Gérard et Dorine.
00:04:53 Leur exit s'est donc déroulé à une date fortement symbolique,
00:04:59 mais une date qui leur appartient et à eux seuls.
00:05:03 En revanche, ce qui nous appartient,
00:05:06 évidemment, c'est la pensée d'André Gortz,
00:05:08 si je puis dire, qu'il nous a légué et que nous allons ce
00:05:12 soir commenter avec vous.
00:05:14 Inutile de dire à quel point cette pensée est d'actualité
00:05:19 et qu'elle est encore féconde pour penser l'avenir et pour
00:05:23 nous engager dans l'action afin que celui ci soit plein de vie.
00:05:28 Dans son livre Au bonheur des morts,
00:05:31 qui est paru aux éditions La Découverte en 2015,
00:05:34 Vinciane Després souligne en substance que les morts ne sont
00:05:41 vraiment morts que si on cesse de s'entretenir avec eux.
00:05:45 Elle écrit Si nous prenons pas soin d'eux,
00:05:50 les morts meurent tout à fait, mais si nous sommes responsables
00:05:54 de la manière dont ils vont persévérer dans l'existence,
00:05:57 cela signifie en aucune façon que leur existence soit
00:06:01 totalement déterminée par nous.
00:06:03 Nous avons donc fait le choix de prendre soin de la pensée
00:06:06 d'André Gortz et de continuer de nous entretenir
00:06:10 finalement avec lui.
00:06:12 Alors, en sorte de donner une présence à André Gortz avec
00:06:17 nous ce soir, je vous propose pour terminer cette
00:06:19 petite introduction.
00:06:20 Deux très courts extraits écrits de la main d'André Gortz.
00:06:25 Le premier.
00:06:26 Eh bien, le premier, en fait, il ouvre le livre
00:06:31 Psychologie et politique qu'il a publié au milieu des années
00:06:34 70 et en fait, il s'agit d'un avertissement.
00:06:38 Cet avertissement est le suivant.
00:06:40 L'auteur de cet ouvrage a utilisé jusqu'ici
00:06:45 deux noms différents.
00:06:46 L'un qui lui fut donné il y a 25 ans par son premier employeur
00:06:53 pour signer des articles de presse dont longtemps le genre
00:06:57 lui fut difficilement conciliable avec des analyses de fond.
00:07:01 L'autre.
00:07:03 L'autre nom, donc, pour signer des travaux qui,
00:07:07 longtemps, furent difficilement traduisibles
00:07:10 en style journalistique sur les questions écologiques au sens
00:07:15 large que traite le précédent, le précédent recueil.
00:07:18 Le travail journalistique et de réflexion de fond ont fini
00:07:23 par se confondre, d'où la double signature de ce volume.
00:07:28 Que je voulais signer, signaler simplement avec
00:07:30 cet avertissement, c'est que c'est à l'occasion
00:07:32 d'écologie et politique que Gortz a révélé au grand public
00:07:36 finalement que André Gortz et Michel Bosquet étaient
00:07:40 la même personne.
00:07:41 Beaucoup dans le milieu parisien le savaient,
00:07:44 mais en tout cas, c'est à cette occasion là qu'il
00:07:47 l'a dévoilé au grand public.
00:07:49 Le deuxième extrait est tiré du dernier texte que Gortz a écrit
00:07:55 et qu'il avait offert à la revue Eco rêve.
00:07:58 Il a publié quelques semaines après sa mort.
00:08:00 Ce texte s'intitule La sortie du capitalisme a déjà commencé.
00:08:05 Et le petit extrait, parce qu'il y aurait beaucoup
00:08:09 d'extraits qu'on pourrait lire, mais que j'ai choisi pour
00:08:12 ce pour cette courte introduction,
00:08:14 c'est de toute évidence la rupture avec la tendance
00:08:19 au produire plus, consommer plus et la redéfinition d'un
00:08:24 modèle de vie visant à faire plus et mieux avec moins,
00:08:28 suppose la rupture avec une civilisation où on ne produit
00:08:33 rien de ce qu'on consomme et on ne consomme rien de ce qu'on
00:08:36 produit, où producteurs et consommateurs sont séparés et où
00:08:41 chacun s'oppose à lui-même en tant qu'il est toujours l'un
00:08:45 et l'autre à la fois, où les besoins et tous les désirs
00:08:49 sont rabattus sur le besoin de gagner de l'argent et le désir
00:08:53 de gagner plus, où la possibilité de l'autoproduction
00:08:57 pour l'autoconsommation semble hors de portée et ridiculement
00:09:02 archaïque à tort.
00:09:03 Avant de lancer la table ronde, je vous indique que les trois
00:09:07 partenaires ont décidé d'autres événements pour cette année
00:09:11 du centenaire de la naissance d'André Gorz.
00:09:14 Il y aura sans doute un événement à l'abbaye d'Ardenne,
00:09:18 donc le lieu où sont conservés les archives d'André Gorz,
00:09:23 près de Caen.
00:09:24 Il y aura vraisemblablement quelque chose autour de Montpellier
00:09:28 avec nos amis de l'ACIMAD.
00:09:32 Pour l'instant, les dates et les choses ne sont pas encore
00:09:36 complètement calées, mais d'ores et déjà,
00:09:38 je vous dis qu'il y aura d'autres événements.
00:09:41 Je vous signale également qu'avec Céline Marty,
00:09:46 qui est à ma droite, on a ce matin lancé la chaîne
00:09:50 YouTube autour d'André Gorz et qui permet d'avoir un certain
00:09:57 nombre de documents sonores ou audiovisuels relatifs à Gorz
00:10:01 avec des entretiens avec Gorz.
00:10:03 Et puis, on va animer cette chaîne YouTube de façon à ce
00:10:08 que cette mémoire et sa pensée restent vivantes.
00:10:12 Je vous remercie de votre écoute et sans tarder,
00:10:16 on va passer à l'animation de cette première table ronde.
00:10:20 Et donc, sans transition, je vais vous présenter les
00:10:25 personnes qui vont intervenir à cette table ronde.
00:10:27 Alors, si je commence par les dames,
00:10:29 et bien Céline Marty, à ma droite,
00:10:32 est agrégée de philosophie.
00:10:34 Elle est en train de finir une thèse de doctorat sur la pensée
00:10:41 d'André Gorz et particulièrement sur les questions liées au
00:10:44 travail et à l'autogestion.
00:10:47 Évidemment, elle pourra développer un certain nombre
00:10:51 de réflexions autour de ces thématiques.
00:10:54 Clara Ruault, qui est tout de suite.
00:10:57 Pardon, excusez moi.
00:10:59 Donc, Céline Marty a fait paraître.
00:11:02 Vous avez apporté les livres, a fait paraître aux éditions du
00:11:08 NON en 2020, un livre qui s'intitule Travailler moins et
00:11:14 vivre mieux pour vivre mieux.
00:11:16 Là, tout un programme très, très gortien que vous
00:11:21 pensez à la sortie.
00:11:23 Clara Ruault est philosophe également normalienne.
00:11:28 Elle était encore récemment aux Etats-Unis.
00:11:31 Donc, on a la chance de la voir ce soir.
00:11:33 Elle va y retourner bientôt pour faire sa thèse dans une
00:11:36 grande université à New York.
00:11:38 Elle collabore à la Fondation Jean Jaurès.
00:11:42 Elle a écrit un certain nombre d'articles autour de la pensée
00:11:45 d'André Gortz.
00:11:46 Elle a coécrit un ouvrage paru en 2002 aux éditions
00:11:50 Les petits matins 2022.
00:11:53 Les petits matins coécrit avec Christophe Hourel,
00:11:57 un bon choix, donc, qui s'intitule Ecologie et
00:12:01 Révolution, pacifier l'existence et qui est un ouvrage qui porte
00:12:05 sur les relations que Gortz entretenait avec un autre
00:12:08 grand penseur, Herbert Marcuse.
00:12:12 Fatima Ouassak, donc Fatima est politiste.
00:12:16 Elle a fondé le Front de mer,
00:12:23 mer avec un accent grave.
00:12:26 Et puis également, Vert Dragon, qui est la maison de
00:12:30 l'écologie populaire, qui est située à Bagnolet.
00:12:38 Elle a écrit en 2020 aux éditions La Découverte,
00:12:42 la puissance des mers et elle fait paraître aujourd'hui même
00:12:46 pour une écologie pirate.
00:12:49 Je pense qu'elle nous en dira quelques mots.
00:12:53 Elle nous dira peut être qu'on peut penser avec Gortz,
00:12:57 mais quelquefois, on peut également souligner que.
00:13:00 Il y a des choses qu'on ne peut pas penser forcément.
00:13:04 Et donc, je termine par un pirate, justement,
00:13:09 Pierre Madelin, Pierre Madelin est traducteur et
00:13:16 auteur d'essais.
00:13:17 Il a fait paraître l'année dernière aux éditions du Dehors
00:13:21 un livre qui s'appelle La Terre, les morts,
00:13:29 les morts, les morts.
00:13:31 La Terre, les morts, la terre, les corps, la mort.
00:13:37 Aux éditions du Dehors et donc, Pierre,
00:13:42 je vais te donner la parole tout de suite pour une petite
00:13:47 dizaine de minutes.
00:13:49 Je disais aux intervenants de cette table ronde,
00:13:53 l'idée, c'était peut être de dire un peu comment vous êtes,
00:14:00 vous êtes rentré en contact avec l'oeuvre d'André Gortz.
00:14:05 Peut être que vous vous en retenez de cette oeuvre là
00:14:09 pour aujourd'hui et ce que vous pouvez nous dire en quoi elle
00:14:14 est utile aujourd'hui pour penser notre avenir.
00:14:17 Pierre, je te donne la parole.
00:14:18 Bonsoir et merci pour l'invitation.
00:14:22 Alors moi, je ne saurais plus dire exactement quand est ce
00:14:25 que je ne suis pas un spécialiste de Gortz déjà pour commencer.
00:14:27 Donc, j'espère que je ne vais pas dire de bêtises,
00:14:29 mais c'est quand même un auteur que j'ai pas mal lu à une époque.
00:14:32 Je l'ai découvert, je pense, au taureau de 2008, 2009,
00:14:35 peut être un peu plus tard.
00:14:36 Moi, j'ai pris contact d'abord avec la pensée de l'écologie
00:14:40 ou avec les pensées de l'écologie, plutôt dans le cadre de mes
00:14:44 philosophies, dans le cadre de mes études de philosophie,
00:14:46 plutôt avec des courants de pensée anglo-saxons qui sont
00:14:49 assez étrangers à la pensée d'André Gortz, des courants
00:14:52 qu'on appelle l'éthique environnementale,
00:14:54 l'écologie profonde, certaines franges de l'écoféminisme,
00:14:58 l'écologie sociale aussi, qui ont pour caractéristique
00:15:02 d'être assez peu, à part l'écologie sociale,
00:15:04 versé dans des questions directement politiques.
00:15:10 Et c'est plutôt des courants qui vont aborder l'écologie
00:15:15 d'un point de vue éthique, esthétique, ontologique,
00:15:18 métaphysique.
00:15:19 Et donc, quand j'ai découvert en 2008, 2009, André Gortz,
00:15:24 je pense, comme beaucoup de gens en lisant le recueil Ecologica,
00:15:28 où il y avait certains de ses principaux textes,
00:15:29 et notamment un de ses textes les plus célèbres,
00:15:32 l'idéologie sociale de Labagnol, ça m'a vraiment marqué et ça m'a
00:15:36 permis en quelque sorte de m'ouvrir à la dimension
00:15:40 proprement politique de la philosophie de l'écologie,
00:15:44 puisque je pense qu'on peut dire qu'André Gortz était
00:15:46 philosophe à sa façon.
00:15:47 Il y a quand même une construction théorique
00:15:49 très forte chez lui.
00:15:51 Et ça m'a beaucoup inspiré, beaucoup influencé par la suite.
00:15:57 Disons qu'André Gortz a été avec un autre grand penseur français
00:16:00 de l'écologie politique, peut être les deux plus grands
00:16:02 penseurs français de l'écologie politique, d'après moi,
00:16:05 Bernard Charbonneau.
00:16:06 Il a été dans mon itinéraire personnel avec Bernard Charbonneau,
00:16:10 celui qui m'a permis d'opérer une bascule vers l'écologie
00:16:16 politique à proprement parler.
00:16:17 Et pour répondre plus spécifiquement à la question
00:16:22 de Christophe, qu'est ce que je retiens de Gortz
00:16:25 aujourd'hui ?
00:16:25 Je voudrais répondre en deux temps.
00:16:27 En premier temps, peut être ce que je retiens de lui de façon
00:16:31 totalement positive et élogieuse.
00:16:33 Et ensuite, peut être une petite, un petit bémol,
00:16:36 une petite critique, mais qui n'est pas non plus une critique
00:16:38 méchante, puisque c'est un penseur que j'aime beaucoup,
00:16:39 mais ça permettra peut être de nourrir le débat.
00:16:41 La première chose que je retiens vraiment très intéressante
00:16:44 chez André Gortz et qui me paraît encore aujourd'hui très féconde
00:16:46 pour l'écologie politique, c'est que
00:16:48 on pourrait dire qu'aujourd'hui, l'écologie politique
00:16:51 est traversée par bon, elle est traversée par de
00:16:54 nombreux antagonismes, mais un des antagonismes qu'on
00:16:56 pourrait repérer, c'est d'un côté des écologies politiques
00:16:59 qu'on va appeler souvent éco moderniste ou
00:17:02 techno solutionniste, qui vont envisager la solution
00:17:06 au problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui par un
00:17:09 verdissement de la société industrielle,
00:17:13 de la société capitaliste, dans l'espoir que ce verdissement
00:17:17 qui va passer notamment par l'innovation technologique
00:17:19 puisse nous permettre de découpler nos activités
00:17:23 économiques de leur impact climatique et environnemental
00:17:26 de façon plus large.
00:17:27 Alors, évidemment, André Gortz était totalement étranger
00:17:31 à cette perspective,
00:17:31 qui n'a pas forcément critiqué peut être directement,
00:17:36 mais en tout cas, il y a beaucoup d'éléments dans sa pensée
00:17:38 qui nous permettent aujourd'hui de critiquer cette perspective.
00:17:41 Mais à l'autre extrémité du spectre, on a depuis 10,
00:17:46 15 ans en France eu un renouveau des pensées écologistes
00:17:50 qu'on pourrait appeler communalistes ou autonomistes
00:17:53 qui ont mis l'accent plutôt sur la nécessité de reconquérir
00:17:59 des espaces d'autonomie dans la production et aussi dans
00:18:02 la décision politique à des unités spatiales
00:18:05 beaucoup plus restreintes.
00:18:08 Évidemment, ça, c'est un aspect qui se rapproche davantage
00:18:12 de certaines pistes qui ont été esquissées par Gortz.
00:18:15 Mais en même temps, parfois, dans les courants les plus radicaux
00:18:19 de la décroissance ou de la critique de la société
00:18:22 industrielle, on a l'impression qu'il n'y aurait de salut possible
00:18:26 que dans une abolition pure et simple de cette société
00:18:29 industrielle.
00:18:30 Or, il me semble que chez Gortz, il y a une position plus nuancée
00:18:33 et plus intéressante, en tout cas, qui me semble plus
00:18:36 réaliste dans notre contexte.
00:18:37 Et je voudrais, pour que ça apparaisse clairement,
00:18:41 lire un petit passage d'un de ses livres.
00:18:45 Je ne me souviens plus lequel, mais peu importe.
00:18:46 Il dit "Il ne s'agit pas de supprimer tout ce par quoi
00:18:50 la société est un système dont le fonctionnement n'est pas
00:18:52 entièrement contrôlable par les individus,
00:18:55 ni réductible à leur volonté commune."
00:18:57 Il rajoute "Car il serait impossible,
00:19:01 dans les conditions d'une économie industrielle
00:19:03 nécessairement complexe, d'y parvenir.
00:19:05 Elle ne pourrait être établie ou rétablie qu'en réduisant
00:19:09 la complexité du système social, ce qui suppose que les techniques
00:19:12 industrielles et la spécialisation fonctionnelle,
00:19:14 la subdivision des tâches, les échanges marchands
00:19:16 qu'elles exigent, soient radicalement supprimées au
00:19:19 profit d'un ordre social stable, employant des moyens de
00:19:21 production maîtrisables par de petites communautés pour
00:19:24 l'autoproduction de leur subsistance.
00:19:26 Or, il s'agirait plutôt, contre cette perspective,
00:19:31 en tout cas contre cette perspective brandie
00:19:33 unilatéralement comme seule solution à nos problèmes,
00:19:35 de réduire l'empire du système et de le soumettre au contrôle
00:19:39 et au service des formes d'activités sociales et
00:19:42 individuelles autodéterminées."
00:19:43 Donc, non pas nécessairement une perspective d'abolition
00:19:47 très simple de tout ce qui est macro,
00:19:49 de tous les macro-systèmes sociaux,
00:19:51 politiques ou technologiques, mais une perspective
00:19:53 de domestication, qui n'implique pas que certains
00:19:56 de ces macro-systèmes ne devront pas être abolis,
00:19:58 mais qui permet de penser des formes peut-être un peu
00:20:01 intermédiaires qui sont aujourd'hui souvent celles
00:20:03 de l'écosocialisme, dont je crois il sera question
00:20:05 par la suite.
00:20:06 Est-ce qu'il me reste encore un peu de temps ?
00:20:08 Et la partie la plus critique, ce serait de dire que je pense
00:20:13 qu'il y a chez Gorz, dans la pensée de Gorz,
00:20:16 quelque chose d'encore très socio-centré,
00:20:17 très anthropocentré, qu'il hérite de sa formation
00:20:22 d'existentialiste, finalement, de disciple de Sartre,
00:20:24 où il y a une conception de la nature,
00:20:26 encore comme la sphère de la nécessité,
00:20:29 comme un monde d'objets auquel il serait dangereux,
00:20:34 d'après lui, d'assimiler l'être humain sous peine
00:20:37 de l'objectiver lui aussi et donc de le priver
00:20:40 de sa dignité.
00:20:41 Donc, il y a encore un peu chez Gorz,
00:20:42 cette vieille conception de la nature qui le conduit
00:20:46 à sanctuariser d'un point de vue éthique et ontologique
00:20:49 la figure de l'humain par crainte que celui-ci ne soit absorbé
00:20:52 par une nature qu'il continue à concevoir
00:20:56 comme une nature objet.
00:20:57 Et de ce point de vue-là, il y a un petit peu un décalage
00:21:00 entre la pensée de Gorz et certaines pensées
00:21:02 de l'écologie qui ont émergé depuis une dizaine d'années
00:21:05 en France, alors qu'ils étaient déjà présents
00:21:06 dans le monde anglo-saxon, avec, dans l'éthique environnementale,
00:21:10 par exemple, la considération pour la valeur intrinsèque
00:21:12 de la nature.
00:21:13 Et puis, dans le contexte plutôt francophone,
00:21:15 dans le siège de la tour de Descola, notamment,
00:21:17 une considération pour la gentilité,
00:21:19 pour la capacité d'agir autonome des non-humains
00:21:22 et leur capacité à façonner notre monde.
00:21:24 Et de ce point de vue-là, voilà, moi, c'est peut-être
00:21:26 la limite que je verrais dans la pensée d'André Gorz,
00:21:29 c'est que quelque part, il est resté dans un schéma
00:21:35 philosophique trop anthropocentré, trop socio-centré, à mon goût.
00:21:40 Mais par ailleurs, évidemment, ça n'enlève rien à toute
00:21:44 la pertinence de sa pensée.
00:21:46 Et c'est aussi, d'ailleurs, paradoxalement,
00:21:48 cet aspect existentialiste de sa pensée qui lui donne aussi
00:21:52 sa saveur et son attrait, ce qui parle à des aspects
00:21:58 peut-être plus intimes aussi de nos interrogations,
00:22:02 avec son concept de monde vécu, notamment.
00:22:03 Merci beaucoup, Pierre, pour ces propos très, très clairs.
00:22:09 Céline, je te passe du coup la parole sans transition
00:22:14 et puis on aura un temps d'échange après les références.
00:22:17 Céline.
00:22:17 Oui, merci, Christophe, pour l'invitation et
00:22:20 toute l'organisation.
00:22:20 Alors, il y aurait déjà beaucoup de choses sur lesquelles
00:22:23 on pourrait rebondir sur cette question du biocentrisme,
00:22:27 etc.
00:22:27 Parce que pour Gorz, les animaux aussi interagissent avec
00:22:30 leur environnement et détruisent aussi la nature.
00:22:32 Et c'est pour ça que, finalement, la nature,
00:22:35 c'est qu'un substrat matériel, mais avec lequel tous les vivants
00:22:39 font avec, finalement.
00:22:40 Et donc, d'une certaine façon, il y a quand même une prise en
00:22:42 compte de l'activité animale.
00:22:43 Mais je fais juste cette précision pour repartir
00:22:47 sur d'autres enjeux.
00:22:48 Moi, j'ai découvert justement Gorz par ce texte qu'avait édité
00:22:53 Willy en 2016, le fil rouge de l'écologie.
00:22:56 Et c'est justement ce texte où il dit la nature n'a pas
00:22:59 de valeur intrinsèque.
00:23:00 Même un animal transforme son écosystème et ne reconnaît
00:23:04 pas de valeur,
00:23:06 finalement, à l'environnement qui l'entoure.
00:23:10 Et dans cet entretien de 2016, enfin, édité en 2016,
00:23:14 il avait une conception très radicale de l'écologie qui
00:23:18 tranchait complètement avec ce qu'on trouvait dans le débat
00:23:21 public contemporain, d'une forme un peu de développement
00:23:24 durable, croissance verte, etc.
00:23:26 Et c'est comme ça que j'ai découvert la pensée de Gorz,
00:23:29 qui m'est apparue tout de suite dans sa radicalité,
00:23:32 dans sa critique anticapitaliste, en fait, de l'écologie,
00:23:38 sa proposition anticapitaliste de l'écologie.
00:23:40 Et ensuite, je suis allée creuser notamment sa critique du
00:23:44 travail, qui me semble d'autant plus actuelle dans le contexte
00:23:48 de la réforme des retraites, puisque finalement,
00:23:51 beaucoup de slogans qu'on voit en ce moment sont très
00:23:54 gorciens, c'est-à-dire qu'on veut dégager du temps et de la vie
00:23:58 en dehors de la rationalité économique,
00:24:01 en dehors du travail.
00:24:02 Et c'est donc toute sa critique du travail qu'il développe,
00:24:06 notamment dans Métamorphose du travail en 1988,
00:24:09 qui m'est apparue très actuelle, parce que quand on lit ce texte,
00:24:13 on a l'impression de voir déjà la critique de la société
00:24:16 de service dans laquelle on vit aujourd'hui,
00:24:18 où on nous propose de nous faire livrer un paquet de café en 5
00:24:22 minutes top chrono, en fait, en exploitant des serviteurs
00:24:27 qui sont là pour apporter des biens de consommation aux
00:24:32 personnes qui ont les moyens de le payer.
00:24:34 Et ça, il l'avait déjà vu en 88, en critiquant cette société
00:24:37 de serviteurs qui repose sur une société duale où certains sont
00:24:42 à temps plein, aisés, ont les moyens de consommer,
00:24:45 alors que d'autres sont précaires et sont au service de ce noyau
00:24:49 stable de travailleurs.
00:24:51 Et finalement, le geste qu'il fait en 88,
00:24:55 en critiquant l'idéologie du travail dans laquelle on a été
00:25:00 tous élevés, on a appris par l'école qu'il fallait trouver
00:25:04 un métier qui était important à nos yeux,
00:25:07 dans lequel on s'épanouirait, etc.
00:25:09 Finalement, il sape les fondements idéologiques de tout ça
00:25:13 dès 88, dans la continuité de ce qu'avait fait Arendt
00:25:16 quelques décennies plus tôt.
00:25:17 Et ça, ça marque vraiment un nouveau,
00:25:22 une sorte de tournant aussi dans la pensée critique.
00:25:25 Je pense, par exemple, Dominique Méda, en 95,
00:25:28 s'inspire aussi de ce geste-là dans son livre "Le travail,
00:25:32 une valeur en voie de disparition".
00:25:34 Et donc, ce qui m'avait marqué à l'époque,
00:25:36 c'était le caractère très visionnaire de sa critique
00:25:39 du travail et qui me semble aussi toujours actuelle et toujours
00:25:44 importante pour une pensée de l'écologie qui a besoin
00:25:47 aussi de s'émanciper de la rationalité productiviste,
00:25:51 d'une forme qui valorise toujours l'économie, la production,
00:25:56 la consommation, etc.
00:25:57 Gorz finalement envisageait des activités qui valent
00:26:02 intrinsèquement, d'ailleurs, qui valent intrinsèquement
00:26:06 parce que les sujets qu'il y pratique,
00:26:09 trouvent du sens à ces activités-là et elles n'ont
00:26:13 pas besoin d'être mises au service du capital ou de l'État
00:26:16 pour être légitimes.
00:26:17 Et je trouve que toute sa critique de l'idéologie du
00:26:21 travail, de la façon aussi dont le marché capitaliste et
00:26:26 l'État organisent le travail, on peut vraiment en voir
00:26:32 toute l'utilité aujourd'hui dans les débats autour,
00:26:34 par exemple, de l'allocation du RSA qui serait conditionné à 15
00:26:40 heures de travail hebdomadaire.
00:26:42 C'est vraiment remettre du contrôle social sur les
00:26:46 activités quotidiennes des sujets.
00:26:48 Et donc, tout ce que Gorz avait finalement vu dans les années
00:26:53 80 est toujours aussi fécond pour penser
00:26:56 toutes nos discussions autour du travail aujourd'hui,
00:27:01 les relents idéologiques parfois de la valeur travail,
00:27:04 y compris très à gauche.
00:27:07 Et on ne citera pas de nom, mais vous voyez.
00:27:10 Et donc, je pense que d'ailleurs, toute une forme de l'écologie
00:27:15 qui parle aujourd'hui d'un droit à la paresse,
00:27:18 d'un droit à l'oisiveté, de ne plus servir ni le capital,
00:27:22 ni l'État, c'est un discours qu'on trouve chez Gorz et qui fait
00:27:26 du bien aussi dans cet espace public.
00:27:29 Donc, je pense que les deux axes qui m'ont beaucoup marqué,
00:27:32 c'est une écologie anticapitaliste réellement
00:27:35 radicale qui ne nous promet pas du greenwashing,
00:27:38 qui nous promet au contraire que finalement,
00:27:42 l'épanouissement collectif viendra avec la sobriété
00:27:45 et la décroissance.
00:27:46 Et une critique du travail qui sape les fondements idéologiques
00:27:50 d'un productivisme qui épuise aussi bien les êtres humains que
00:27:55 les ressources collectives.
00:27:58 Merci, Céline, pour ces propos également très clairs et pertinents.
00:28:02 Alors, Clara, je me tourne vers toi et je te pose la question,
00:28:08 comme les autres, comment tu as rencontré Gorz et qu'est ce que
00:28:11 tu en retiens et comment tu vois les choses pour l'avenir ?
00:28:13 Moi, ma rencontre avec Gorz, c'est vraiment fait par le biais
00:28:16 de son oeuvre.
00:28:17 Contrairement à toi, je n'ai pas eu le bonheur,
00:28:20 la joie de le rencontrer.
00:28:22 Et en fait, ce qui est intéressant, c'est que j'ai
00:28:23 vraiment eu l'impression de faire une rencontre,
00:28:25 de rencontrer quelqu'un, de rencontrer un penseur,
00:28:27 de rencontrer un homme.
00:28:28 Et c'est quelqu'un qui m'accompagne encore aujourd'hui
00:28:31 sur mon chemin intellectuel et universitaire,
00:28:33 puisque comme tu l'as dit, je compte passer encore
00:28:36 quelques années sur sa pensée et sur ses théories.
00:28:40 Moi, c'est dans le cadre d'un cours de philosophie critique
00:28:43 des techniques que j'ai été en contact avec sa pensée
00:28:45 pour la première fois.
00:28:46 Et j'ai vite compris que cet aspect de son travail était
00:28:49 absolument nécessaire pour comprendre sa vision de
00:28:51 l'émancipation, du socialisme et aussi pour comprendre
00:28:54 les perspectives contemporaines qu'il offre
00:28:56 à l'écologie politique.
00:28:58 Gorz, c'est un penseur, pour revenir brièvement sur sa
00:29:00 théorie de la technique, c'est un penseur qui n'est
00:29:01 non pas technophobe, comme on peut accuser certains
00:29:04 écologistes parfois, mais résolument technocritique.
00:29:07 C'est un penseur de la non neutralité de la technique,
00:29:09 qui est une théorie importante dans le technocriticisme.
00:29:12 Et comme tu l'as déjà cité Céline, c'est dans
00:29:14 Métamorphose du travail qu'il a développé, selon moi,
00:29:17 sa critique des techniques, qui est avant tout critique
00:29:20 vis-à-vis de Marx.
00:29:20 Et en fait, pour moi, c'est fondamental pour comprendre
00:29:23 aussi les liens qui existent entre les liens critiques qui
00:29:27 existent entre l'écologie et Marx.
00:29:28 Et pour la résumer brièvement, je pense que selon Gorz,
00:29:31 ce qu'il a voulu dire, c'est que Marx s'est laissé
00:29:33 aveugler par le développement des forces productives et par
00:29:36 l'idéal ou plutôt l'utopie, selon Gorz, de réappropriation
00:29:39 collective des moyens de production par le prolétariat.
00:29:41 On en a parlé souvent, Christophe, mais je pense
00:29:44 que c'est aussi ça qui a mené Gorz à faire ses
00:29:46 adieux au prolétariat.
00:29:47 Et en réponse à cette théorie marxienne, Gorz vient
00:29:50 de dire, mais je cite que le socialisme ne vaut pas mieux
00:29:53 que le capitalisme s'il se sert des mêmes outils.
00:29:55 Et là, je pense qu'il faut entendre outils dans un sens
00:29:57 très littéral et comprendre que, encore une fois,
00:29:59 Gorz n'est pas technophobe.
00:30:00 Le problème n'est pas la critique en tant que tel,
00:30:02 mais le problème, c'est la technique en l'état,
00:30:05 dans la forme qu'elle a prise au cours du développement de la
00:30:09 société industrielle avancée.
00:30:10 Je pense qu'il ne faut pas oublier pour comprendre
00:30:12 l'œuvre de Gorz aujourd'hui, c'est que c'est avant tout un
00:30:14 penseur de l'autonomie et plus précisément de
00:30:16 l'émancipation, qui est perçue comme un processus
00:30:18 de libération et il permet aussi de penser tout ce qui fait
00:30:22 obstacle à ce processus de libération.
00:30:23 Et Gorz a à son service des outils théoriques,
00:30:26 parce que oui, je le maintiens, Gorz était philosophe,
00:30:29 qui vont lui permettre de lier cet idéal,
00:30:32 cet idéal d'émancipation à sa critique de la technique et de
00:30:37 ce qui constitue pour lui un échec dans la pensée de Marx.
00:30:39 En fait, je pense qu'il faut comprendre que ce qui est visé
00:30:42 chez Gorz dans la technique, c'est le productivisme qui est
00:30:45 perçu comme l'aboutissement de l'idéal techniciste moderne,
00:30:48 de domination intégrale de la nature par l'homme.
00:30:50 Et là où je reviendrai sur ce qu'il a dit, c'est que Gorz,
00:30:53 je pense, est tout de même un penseur de la nature.
00:30:55 Je pense que Gorz propose une généalogie de la modernité où
00:30:59 il lit les techniques de domination de la nature,
00:31:01 qui sont les mêmes techniques de domination
00:31:03 de l'homme par l'homme.
00:31:04 Et ça commence dans un cadre industriel qui est dans le cadre
00:31:07 du travail ouvrier, où le productivisme se manifeste
00:31:10 par une certaine matérialité, donc par des outils au sens
00:31:12 littéral, par des machines et plus spécifiquement par une
00:31:15 division technique du travail.
00:31:17 Alors, on aura beau redéfinir collectivement et rationnellement
00:31:20 les objectifs de production, comme Marx le souhaitait,
00:31:23 mais si on maintient les moyens de production,
00:31:25 c'est à dire des techniques productivistes mises en place
00:31:28 par le capitalisme, alors on aura toujours cette division
00:31:30 technique du travail.
00:31:32 Et là, un outil théorique proposé par Gorz,
00:31:35 c'est la notion d'action fonctionnelle.
00:31:38 Et je cite encore une fois Métamorphose du travail,
00:31:40 il dit "J'appelle fonctionnelle une conduite qui est
00:31:43 rationnellement adaptée à un but, indépendamment de toute
00:31:46 intention de l'agent à poursuivre ce but dont en pratique,
00:31:49 il n'a même pas connaissance.
00:31:51 La fonctionnalité est une rationalité qui vient de
00:31:53 l'extérieur à une conduite prédéterminée et prescrite à
00:31:57 l'acteur par l'organisation qui l'enveloppe."
00:31:59 Donc, je pense qu'on a là une définition assez claire de ce
00:32:02 que peut être une technique de domination.
00:32:04 Voici de l'homme par l'homme.
00:32:06 Et selon Gorz, le productivisme maintient cette contrainte
00:32:11 extérieure contenue dans les machines elles-mêmes,
00:32:13 qui dictent un travail routinier,
00:32:15 matérialisé, parcellisé et qui s'oppose donc à la vue
00:32:18 d'ensemble et à la compréhension du sens de l'action
00:32:20 dans le travail.
00:32:21 Je pense que Gorz pense vraiment à l'émancipation dans la
00:32:24 réappropriation du sens de l'action et cette action
00:32:27 commence sur le lieu de travail.
00:32:28 Gorz, c'est un critique du gigantisme,
00:32:31 de ce qu'il appelle les grands systèmes consubstantiels au
00:32:34 productivisme dans lequel l'individu ne peut pas et
00:32:36 surtout ne doit pas avoir une expérience concrète du sens
00:32:39 de sa tâche.
00:32:40 Donc Gorz, c'est comme ça que j'ai découvert,
00:32:43 il vient corriger un certain marxisme orthodoxe et offre
00:32:45 une véritable perspective écologique à un socialisme
00:32:48 bien compris, un éco-socialisme,
00:32:50 puisque cette technique du productivisme s'ancre bien dans
00:32:53 une critique sociale fondamentale des techniques de
00:32:56 domination de la nature.
00:32:57 Alors, pour revenir à l'actualité de notre débat,
00:33:00 on pourrait penser que cette analyse du travail ouvrier est
00:33:02 un peu dépassée, passée de mode.
00:33:04 Mais en fait, je pense que cette notion d'action
00:33:05 fonctionnelle est fondamentale pour penser les écueils de ce
00:33:09 qui a déjà été cité, un certain solutionnisme
00:33:12 technologique, une certaine expertocratie verte et d'un
00:33:14 capitalisme vert qui impose aux individus des comportements qui
00:33:18 sont, à mon avis, si je pense que Gorz serait là pour nous
00:33:21 le dire, le degré zéro de l'action autonome.
00:33:24 Encore une fois, je pense qu'il ne faut pas oublier que Gorz
00:33:26 est un penseur de l'émancipation et qu'il voit dans la quête pour
00:33:30 la libération le sens originel du mouvement écologiste.
00:33:33 Donc, je pense qu'aujourd'hui, Gorz serait là pour nous dire
00:33:35 qu'on ne peut pas mener une lutte contre la crise
00:33:37 environnementale et climatique avec des techniques au sens
00:33:40 large qui maintiennent un état où les individus ne comprennent
00:33:43 pas le sens de leurs actions et de leurs comportements,
00:33:45 qui leur sont prescrits de l'extérieur et qui n'ont
00:33:47 absolument aucun impact qualitatif sur le plan
00:33:50 politique ou existentiel.
00:33:51 Donc, pour moi, Gorz, c'est un penseur critique.
00:33:53 Il est dans la lignée des fondateurs de l'école de
00:33:55 Francfort et de la théorie critique.
00:33:56 Et la critique qu'il propose est toujours d'actualité puisque
00:33:59 Gorz défend une certaine écologie.
00:34:02 Il est critique vis-à-vis de ce qu'il a appelé leur écologie,
00:34:06 contrairement à notre écologie, qui est une écologie
00:34:08 expertocratique et technologique.
00:34:11 Et je pense qu'il nous aide à comprendre les phénomènes
00:34:13 contemporains de réappropriation par le capitalisme de ce qui,
00:34:16 originellement, le contredit ce phénomène très propre au
00:34:20 capitalisme, en fait, d'absorption de la contradiction.
00:34:22 Et donc, Gorz peut nous aider à formuler une critique cohérente
00:34:25 du capitalisme vert et des ajustements techniques qu'il
00:34:28 propose face aux enjeux climatiques et environnementaux.
00:34:30 Encore une fois, ces solutions n'ont rien à voir avec ce que
00:34:33 Gorz identifie comme le sens profond de l'écologie,
00:34:35 qui est porté par un idéal d'émancipation individuelle
00:34:38 et collective.
00:34:39 Pour parler très concrètement, je pense que pour Gorz,
00:34:41 acheter une voiture électrique à l'échelle individuelle ou
00:34:45 financer des projets d'alimentation en énergie à
00:34:47 l'hydrogène vert à l'échelle du politique,
00:34:49 c'est encore une fois le degré zéro du geste critique et de
00:34:53 l'acte d'émancipation.
00:34:54 Merci, Clara.
00:34:58 Écoute, là, tu vas pouvoir porter cette parole aux
00:35:01 États-Unis dans quelques mois.
00:35:02 Je pense que ce sera un acte militant très fort.
00:35:09 Voilà.
00:35:10 Merci pour tes propos très clairs.
00:35:13 Fatima, c'est à toi.
00:35:15 Bonsoir à toutes et tous.
00:35:17 Je suis ravie d'être là.
00:35:19 Merci beaucoup, Christophe, pour l'invitation.
00:35:22 Je commence par m'excuser parce que je vais devoir vous quitter
00:35:25 assez tôt après mon intervention,
00:35:28 parce que je dois filer ensuite en librairie.
00:35:32 Parce que comme tu l'as dit, c'est le jour du lancement de
00:35:34 mon livre et je vais essayer d'aller le défendre
00:35:36 juste après.
00:35:38 Mais je suis ravie d'être avec vous et donc répondre à tes
00:35:42 questions.
00:35:43 Christophe, comment ai-je rencontré André Gortz dans le
00:35:47 cadre des études en cherchant un petit peu.
00:35:50 Je me suis souvenue de ce livre Métamorphose du travail.
00:35:53 Je crois que c'est le premier, le premier livre que j'ai lu de
00:35:58 Gortz.
00:35:58 Et ensuite, c'est une rencontre à travers la radio,
00:36:05 une émission là bas, si j'y suis, de Mermet,
00:36:09 qui passait tous les jours sur France Inter.
00:36:12 J'étais fan à l'époque et on parlait d'André Gortz.
00:36:16 Je crois même que tu y as participé.
00:36:19 Et donc, il y avait cette voix, la voix d'André Gortz que j'ai
00:36:23 trouvé tout de suite très, très, très, très attachante
00:36:26 et bouleversante.
00:36:31 Et d'ailleurs, il y a cet aspect là d'André Gortz qui m'est cher.
00:36:37 C'est André Gortz, l'humain, l'homme.
00:36:41 Et à l'heure où on tente de nous imposer une dissociation entre
00:36:49 le projet politique que l'on porte, le discours politique
00:36:53 que l'on porte, la manière dont on se présente dans
00:36:56 l'espace politique, dans l'espace public de manière
00:36:59 générale, dissociation avec un comportement quotidien,
00:37:04 personnel, avec la vie privée.
00:37:07 On tente de nous imposer ça.
00:37:09 Dès lors qu'on essaie d'articuler les deux, on nous renvoie à de
00:37:16 la politique de comptoir, à du féminisme de coincé.
00:37:20 On ne comprendrait pas bien dans quelle mesure.
00:37:23 Ce n'est pas la même chose.
00:37:25 Moi, je trouve que montrer que des penseurs, des penseuses ont su
00:37:30 mettre en cohérence leur projet politique, leur parole publique
00:37:34 avec leur vie privée.
00:37:36 Moi, je trouve que c'est très honorable, très respectable.
00:37:40 Et il y a chez Gortz quelque chose de vraiment bouleversant
00:37:44 en la matière et notamment dans la relation qu'il a avec Dorine.
00:37:49 Pour vous dire jusqu'où va ma lecture à ce propos de Gortz,
00:37:55 il y a une série en ce moment qui marche très, très bien.
00:37:58 Je ne sais pas si vous la connaissez,
00:38:00 "The Last of Us", qui est issue d'un jeu vidéo.
00:38:03 C'est vraiment une très, très bonne série.
00:38:05 Je vous invite à la regarder.
00:38:06 Et il y a un troisième épisode qu'on peut regarder sans forcément
00:38:10 regarder les deux premiers.
00:38:11 Et c'est vraiment l'histoire d'amour, je trouve, entre
00:38:14 Dorine et André Gortz.
00:38:17 Et voilà, si vous avez le temps de regarder "The Last of Us",
00:38:21 à la fin, il n'y a pas de remerciements à André Gortz,
00:38:25 mais il y en aurait dû parce que je pense qu'il a eu
00:38:26 une petite influence aussi.
00:38:27 Pour le reste, moi, ce qui m'intéresse,
00:38:31 ce qui m'intéressait chez Gortz, c'est la question de l'aliénation.
00:38:34 On en a déjà beaucoup parlé, l'aliénation notamment au travail,
00:38:37 sur des sujets que j'ai eu l'occasion de traiter,
00:38:40 notamment certains métiers, certains secteurs d'activité.
00:38:44 Le téléconseil, par exemple, qu'on a tendance à classer
00:38:48 dans les métiers de service, mais que moi, je mets dans
00:38:52 les métiers occupés par la classe ouvrière,
00:38:55 parce que ce sont des métiers qui alienent
00:39:01 et qui placent sous contrôle permanent
00:39:05 les personnes qui travaillent.
00:39:08 Le téléconseil, vraiment, en particulier,
00:39:10 c'est du contrôle permanent, c'est-à-dire que non seulement
00:39:12 c'est une répétition, donc on retrouve ce qu'on a
00:39:17 dans la classe ouvrière, mais il y a une surveillance,
00:39:20 y compris dans ce qu'on a de plus intime, de plus personnel,
00:39:24 le propos au téléphone, et vous êtes surveillés
00:39:28 par des superviseurs.
00:39:30 Je trouve que Gortz permet de lire ce tertiaire
00:39:35 que je qualifie de tertiaire à la chaîne.
00:39:37 Il y a aussi quelque chose qui m'intéresse chez Gortz,
00:39:40 c'est que je tirais un peu vers la condition de l'immigré.
00:39:43 C'est la réduction de cette classe ouvrière
00:39:46 descendante de l'immigration postcoloniale
00:39:49 à son utilité, à son utilité pour le capital.
00:39:53 C'est quelque chose qu'on connaît bien dans les quartiers populaires,
00:39:56 donc pour ces populations qui vivent dans les quartiers populaires,
00:39:59 c'est d'être ramené à l'utilité.
00:40:01 Alors, évidemment, on a vu ça de manière assez spectaculaire
00:40:05 pendant la période du Covid,
00:40:06 où ces populations n'étaient légitimes,
00:40:12 respectables, dès lors qu'elles étaient utiles.
00:40:16 On les appelait les essentielles, les personnes essentielles,
00:40:19 les métiers essentiels.
00:40:20 Et ça, je trouve que la pensée de Gortz
00:40:23 permet de lire ce phénomène-là aussi,
00:40:26 la réduction à l'utilité.
00:40:29 Et pour dire jusqu'où ça va, et dans nos rangs aussi,
00:40:33 je veux dire même dans la gauche, y compris la plus radicale,
00:40:35 sur des questions qui m'intéressent aussi,
00:40:38 la question de la défense des droits des personnes migrantes.
00:40:43 Ces dernières années, il y a quand même beaucoup de débats
00:40:46 pour savoir si oui ou non, il faut déporter
00:40:49 les personnes descendantes de l'immigration, les immigrés,
00:40:51 les familles musulmanes, etc.
00:40:54 C'est tout le débat sur la remigration
00:40:55 qu'a imposée l'extrême droite en France.
00:40:58 Et face à ça, la gauche, souvent, quasiment tout le temps,
00:41:03 oppose l'utilité de la personne migrante,
00:41:07 l'utilité de l'immigré.
00:41:08 J'entendais, il n'y a vraiment pas longtemps,
00:41:11 je le cite, mais ce n'est vraiment pas le seul,
00:41:13 mais c'est pour dire que ce n'est pas le pire,
00:41:16 Benoît Hamon, mais aussi Mélanie Vaugelle,
00:41:19 qui est quelqu'un de très bien par ailleurs,
00:41:21 mais qui opposait à l'extrême droite,
00:41:23 qui posait l'éventualité, l'opportunité de déporter des gens,
00:41:28 qui opposait l'idée que non, il ne faut pas déporter ces gens-là,
00:41:32 parce qu'on n'utilise pas le mot "déporter",
00:41:34 mais c'est ce que ça veut dire.
00:41:35 Il ne faut pas les renvoyer chez eux,
00:41:36 mais souvent, chez eux, c'est ici.
00:41:37 Et qui opposait à ça l'idée que ces personnes étaient utiles
00:41:42 dans tel secteur d'activité en pénurie,
00:41:44 le bâtiment, la restauration, etc.
00:41:46 C'est-à-dire qui, finalement,
00:41:47 sous-humanisait une partie de l'humanité.
00:41:50 Et je trouve que dans la pensée de Gorz,
00:41:53 il y a des choses utiles pour comprendre ça
00:41:55 et à quel point il faut lutter contre cette sous-humanisation
00:41:59 et sortir de ce rapport comptable à cette partie de l'humanité,
00:42:05 et notamment à cette humanité africaine.
00:42:07 Je suis vite sur d'autres points,
00:42:10 parce qu'il y aurait vraiment beaucoup de choses à dire
00:42:12 sur la manière dont Gorz a pu influencer ma culture politique,
00:42:18 mon travail.
00:42:19 D'ailleurs, je pense que c'est notamment
00:42:21 l'aspect existentialiste dont vous parliez tout à l'heure,
00:42:24 le fait que sa pensée est très socio-centrée,
00:42:29 comme vous le disiez, ou anthropocentrée.
00:42:31 Je pense que c'est pour ça que j'aime beaucoup
00:42:34 le travail d'André Gorz et la pensée d'André Gorz,
00:42:36 parce que je crois que si j'étais entrée
00:42:39 dans l'écologie politique à travers un autre penseur,
00:42:41 je crois que je n'y serais pas entrée,
00:42:43 en tout cas, je n'aurais pas adhéré.
00:42:45 Moi, j'ai granti dans le béton.
00:42:47 J'avais besoin d'une réflexion sur l'humain,
00:42:54 sur l'égalité humaine, sur...
00:42:56 Quand on me parle du vivant, je vais caricaturer un peu,
00:42:59 de la petite belette à moustache verte,
00:43:02 ça ne m'aurait pas vraiment parlé, je caricature exprès,
00:43:05 mais j'avais besoin de quelqu'un qui parle vraiment d'humain
00:43:09 et d'égalité humaine, encore une fois.
00:43:11 Et puis, la question de la liberté et de la libération aussi,
00:43:14 et là, je trouve vraiment la pensée et la voix de Gorz
00:43:19 assez bouleversante, très bouleversante même.
00:43:23 C'est un peu ce que je ressens lorsque je lis Franz Fanon,
00:43:27 avec un souffle...
00:43:28 Il y a un slogan, j'ai vu tout à l'heure
00:43:30 un camarade d'Alternatiba,
00:43:32 Alternatiba avec qui on a organisé une marche
00:43:36 contre le désastre climatique et contre les violences policières.
00:43:40 On a essayé d'allier les deux dans un travail d'alliance des luttes.
00:43:44 On a appelé cette marche "On veut respirer".
00:43:47 Et je trouve qu'il y a chez Gorz...
00:43:49 On a parlé d'émancipation, mais aussi de libération,
00:43:52 et vraiment un souffle révolutionnaire.
00:43:55 Et je sais que j'ai été puisée chez lui aussi,
00:43:58 cette soif de liberté qui m'anime aussi.
00:44:01 Qu'est-ce que j'ai noté encore ?
00:44:06 Oui, alors, comme...
00:44:08 Effectivement, cette conférence est organisée par la CIMAD.
00:44:12 J'ai écrit ce livre pour une écologie pirate
00:44:14 où la question de la liberté est importante, la libération.
00:44:18 De la liberté...
00:44:19 J'ai une conception très classique de la liberté.
00:44:23 Je ne suis pas libre tant que tous les autres ne sont pas libres.
00:44:27 Et il y a une liberté qui m'intéresse particulièrement
00:44:31 parce que j'ai grandi dans les quartiers populaires,
00:44:33 parce que je milite dans les quartiers populaires,
00:44:36 et je suis en droit emmuré par excellence.
00:44:40 C'est la liberté de circuler,
00:44:42 et notamment la liberté de circuler sans condition,
00:44:45 précisément des personnes migrantes.
00:44:49 Liberté de circuler qui n'est pas reconnue aujourd'hui
00:44:50 comme un droit fondamental.
00:44:52 C'est-à-dire que vous avez le droit
00:44:55 de quitter cette terre invivable, dévastée,
00:44:59 mais rien ne garantit que vous pourrez arriver à bon port.
00:45:04 C'est notamment le mur que constitue aujourd'hui la Méditerranée
00:45:07 entre l'Europe et l'Afrique qui peut en témoigner
00:45:09 puisque c'est un lieu, une terre, une mer,
00:45:12 aujourd'hui, une mer meurtrière.
00:45:15 Et je trouve que...
00:45:17 Alors, tout à l'heure, Christophe, tu disais
00:45:20 que j'avais pu être critique vis-à-vis d'André Gorz.
00:45:24 Alors, je commence, j'amorce un petit peu la critique,
00:45:28 mais ce n'est pas tant pour pointer du doigt...
00:45:31 Enfin, je ne fais pas la chasse aux angles morts
00:45:33 chez André Gorz ou chez n'importe qui d'autre.
00:45:35 C'est juste dans quelle mesure ça peut être constructif
00:45:38 et dans quelle mesure ça peut amener de nouvelles perspectives
00:45:41 qui peuvent nous être utiles pour élargir le front écologiste,
00:45:46 notamment cette liberté de circuler comme droit fondamental
00:45:50 dans une perspective anticapitaliste.
00:45:53 Et c'est tout le travail de lien
00:45:56 entre la lutte, la nécessaire lutte anticapitaliste
00:46:01 et la liberté de circulation et d'installation sans condition,
00:46:04 que je trouve qu'il faudrait remettre au goût du jour,
00:46:07 mais aussi dans une perspective écologiste,
00:46:09 précisément de lutte contre le réchauffement climatique,
00:46:11 dans quelle mesure la liberté de circuler
00:46:14 permettrait aux personnes victimes de ravages écologiques,
00:46:18 notamment au sud de la Méditerranée,
00:46:20 de se mettre à l'abri.
00:46:22 Voilà, de se mettre à l'abri.
00:46:24 C'est-à-dire qu'il ne s'agit plus d'avoir,
00:46:25 vis-à-vis de ces personnes-là, de ces populations-là,
00:46:27 qui font peur parce qu'il n'y a pas qu'à l'extrême droite
00:46:31 qu'on a peur d'être grand remplacé.
00:46:34 J'ai l'impression que les questions migratoires
00:46:35 et démographiques telles qu'elles sont posées
00:46:37 posent cette angoisse de voir ces hordes de barbares
00:46:40 débarquer en Europe.
00:46:42 Dans quelle mesure les écologistes ici présents,
00:46:46 ici présentes, envisagent la liberté de circuler
00:46:50 comme droit fondamental,
00:46:51 où la liberté de circuler n'est plus un privilège
00:46:56 pour les Européens notamment,
00:46:57 qui peuvent circuler partout de manière insouciante,
00:47:00 mais qui, par contre, ne se posent pas la question
00:47:02 de savoir pourquoi leurs semblables,
00:47:06 de l'autre côté de la Méditerranée,
00:47:07 ne peuvent pas circuler librement
00:47:08 et qui se contentent d'un rapport, pour une fois,
00:47:10 très humanitaire, très caritatif, en fait,
00:47:15 à cette question-là.
00:47:19 Et alors pourquoi critique, effectivement...
00:47:23 Pourquoi je pointe un angle mort chez André Gortz ?
00:47:26 J'ai l'impression
00:47:29 qu'André Gortz n'a pas suffisamment pensé
00:47:33 la question coloniale
00:47:36 dans les perspectives de sortie du capitalisme
00:47:40 qu'il a pu élaborer.
00:47:42 Ce n'est pas simplement parce qu'il est situé
00:47:44 à un moment donné, à un endroit donné,
00:47:46 parce que quelqu'un qu'il admirait beaucoup,
00:47:49 qu'il a beaucoup lu, Sartre,
00:47:52 lui a pensé la question coloniale
00:47:56 et a complètement lié l'entreprise coloniale
00:47:59 et l'entreprise capitaliste.
00:48:01 Il a montré aussi à quel point
00:48:03 on ne pouvait pas se libérer du système capitaliste
00:48:06 dès lors qu'on ne se libérait pas du système colonial,
00:48:08 que c'était une lutte vaine.
00:48:11 Voilà, c'est ça que je pointe comme angle mort chez Gortz.
00:48:15 Mais encore une fois, et je finis par ça,
00:48:18 c'est surtout pour poser cette perspective
00:48:21 nécessairement internationaliste dans le mouvement écologiste
00:48:25 et précisément dans le mouvement climat,
00:48:27 dans quelle mesure, enfin, on regarde vers le Sud,
00:48:31 les Sud, vers l'Afrique, pas simplement pour aider,
00:48:35 mais aussi pour envisager une pensée,
00:48:38 des luttes de l'autre côté de la Méditerranée
00:48:41 pour penser à un projet internationaliste,
00:48:44 réellement internationaliste,
00:48:46 un projet réellement anticolonial
00:48:48 et donc poser la question de la libération des terres africaines,
00:48:54 du système colonial, du système impérialiste,
00:48:56 qui perdurent, notamment dans le rapport qu'a l'Europe à l'Afrique.
00:49:02 Et je finis par ça.
00:49:04 C'est une petite transition, peut-être pour la table d'à côté,
00:49:07 et je regrette de ne pas pouvoir y assister.
00:49:10 J'ai l'impression, alors là, je sors complètement
00:49:13 de la pensée d'André Gortz.
00:49:14 Je parle plutôt du mouvement écologiste aujourd'hui
00:49:17 et notamment des décroissants.
00:49:20 Alors déjà, pour dire que...
00:49:24 Je pose l'hypothèse que si nous sommes aussi angoissés
00:49:29 aujourd'hui en France et en Europe
00:49:31 par rapport à la question climatique, peut-être,
00:49:33 que c'est parce que, paradoxalement,
00:49:35 on a l'impression que c'est l'Europe qui va sauver le monde,
00:49:39 l'humanité, la planète, le vivant, la biodiversité,
00:49:42 bon, tout ça avec des majuscules,
00:49:44 et qu'en même temps, et c'est pour ça que c'est paradoxal,
00:49:46 en même temps, on sait que c'est pas vrai, on n'y arrivera pas,
00:49:49 déjà parce que c'est l'endroit où il y a le plus de personnes
00:49:53 qui ont le moins d'intérêt à sortir du capitalisme.
00:49:56 Donc voilà, ça, c'est...
00:49:58 Donc ça viendra peut-être d'Europe,
00:50:01 donc il y aura certainement une part à faire ici.
00:50:03 Je pense qu'il faut faire notre part,
00:50:04 mais ça ne viendra pas que d'Europe.
00:50:06 Et je pense que ce sentiment-là,
00:50:10 ce rapport aussi colonial au reste du monde,
00:50:13 peut-être provoque cette angoisse,
00:50:15 peut-être qu'on sera moins angoissé dès lors qu'on se dira,
00:50:17 tranquillement, l'Europe fera sa part,
00:50:19 mais elle fera pas toute la part,
00:50:20 et peut-être qu'il faut ouvrir les perspectives vers le Sud.
00:50:25 Et alors là où je disais que ça pouvait peut-être
00:50:29 servir de transition un peu critique pour la table d'à côté,
00:50:32 donc j'ai l'impression que dans ce mouvement écologiste en France,
00:50:35 on veut bien, là, du bout des lèvres, du bout des doigts,
00:50:37 poser la question anticoloniale dans l'observation.
00:50:40 De toute façon, il n'y a pas le choix aujourd'hui.
00:50:42 Même les rapports du GIEC montrent à quel point il y a des inégalités,
00:50:45 par le même état de doigt de parler de racisme environnemental,
00:50:48 montrent à quel point les conséquences du désastre climatique
00:50:52 seront bien plus importantes au sud de la Méditerranée qu'au nord.
00:50:55 Donc ça, c'est quelque chose qui est documenté aujourd'hui,
00:50:57 qui est chiffré, on ne peut pas faire autrement.
00:50:59 L'information, l'analyse aujourd'hui est mondialisée.
00:51:01 Donc encore heureux, j'allais dire.
00:51:03 Mais on se contente du constat et de l'analyse,
00:51:07 mais à aucun moment, rarement, en tout cas très rarement,
00:51:11 on prend la mesure de cette analyse,
00:51:13 de cette manière de lire la société, de lire le monde,
00:51:17 dans le projet politique.
00:51:18 C'est-à-dire que tout à coup, dans ce qu'on propose,
00:51:20 c'est franco-français,
00:51:22 il y a toujours des frontières entre l'Europe et l'Afrique,
00:51:24 c'est l'Europe.
00:51:26 On ne prend pas la mesure de la nécessaire articulation
00:51:29 avec la lutte anticoloniale.
00:51:32 Mais j'espère qu'on va y travailler,
00:51:34 et en tout cas, moi, je vais y travailler.
00:51:39 -Merci beaucoup, Fatima.
00:51:41 Du coup, c'est effectivement un point de vue sur Gortz
00:51:45 qui est très original,
00:51:47 qu'on n'a pas toujours l'habitude d'entendre,
00:51:50 et c'était pour ça que c'était important.
00:51:51 On a eu ensemble beaucoup de discussions.
00:51:54 Je, notamment récemment, t'ai fait remarquer
00:51:57 que Gortz avait quand même écrit sur la question coloniale.
00:52:00 J'étais passé notamment sur le texte de 1966,
00:52:04 qui est la conférence à Mexico,
00:52:06 qu'il avait prononcé, qui est tout à fait intéressant,
00:52:08 et qui, de certains aspects,
00:52:10 rejoigne des sujets que tu viens d'évoquer.
00:52:14 Je propose qu'on passe à un petit moment d'échange.
00:52:18 On va laisser Fatima peut-être rejoindre
00:52:22 la librairie qu'elle doit rejoindre.
00:52:25 Elle pourra difficilement répondre aux questions.
00:52:29 Personne ne pourra le faire à sa place, évidemment.
00:52:32 Ce que je voulais, simplement,
00:52:33 avant de peut-être vous passer la parole pour quelques questions,
00:52:37 c'est en remercier les quatre intervenants.
00:52:41 Et comme vous l'avez compris,
00:52:42 avec l'ACIMAD, avec l'IMEC, avec l'OBS,
00:52:45 nous avions choisi pour cette première table ronde
00:52:49 des personnes jeunes, pas toutes,
00:52:53 il y en a certaines qui ont le micro,
00:52:55 qui ne sont pas dans cette catégorie,
00:52:57 mais qui montrent que la pensée de Gortz est féconde,
00:53:04 presque au sens premier du terme,
00:53:07 puisqu'elle a fait des petits.
00:53:10 C'est ça qui peut nous rendre optimistes.
00:53:15 Je regarde Eric qui me fait des signes
00:53:19 d'un manager de basket en disant qu'on va faire un temps mort.
00:53:22 D'accord ?
00:53:29 D'accord.
00:53:31 D'accord.
00:53:33 Alors, écoutez, on va faire simple.
00:53:35 On va prendre une seule question.
00:53:37 Ça sera, ça sera, ça sera.
00:53:41 Et donc, je vois Marie-Ribert qui a un micro.
00:53:46 Et donc, on va dire que de façon démocratique,
00:53:53 ce sera pour une femme
00:54:00 plutôt jeune, me dit Eric.
00:54:04 Et quel est le dernier critère qu'on peut utiliser ?
00:54:07 Vous n'avez pas un dernier critère ?
00:54:12 C'est bon ?
00:54:16 Alors, madame, vous voulez vous poser votre question ?
00:54:19 Vous ne faites pas.
00:54:20 Vous n'êtes pas candidate.
00:54:21 Est-ce qu'il y a une candidate ?
00:54:24 S'il n'y a pas de candidate,
00:54:28 je propose qu'on passe au candidat.
00:54:30 -Candidat.
00:54:31 -Selon les mêmes critères.
00:54:34 Bon, vous voulez, vous voulez, vous voulez...
00:54:38 Ah, voilà.
00:54:41 Merci, monsieur.
00:54:43 -Je ne sais pas si c'est dans les critères.
00:54:45 -Excusez-moi.
00:54:46 -On peut, transgenre.
00:54:47 Puisque beaucoup de vos ouvrages partent sur la Révolution,
00:54:51 et vous, vous avez augmenté Révolution Sud décoloniale
00:54:54 face à Révolution Nord style Gorse,
00:54:57 comment voyez la conjugaison, vous, les orateurs,
00:54:59 puisque c'est votre thème conjoint ?
00:55:01 C'est une manière de prononcer Gorse,
00:55:03 mais est-ce qu'on peut concevoir vos Révolutions écologiques
00:55:06 puisqu'ils...
00:55:07 Au Sud, au Nord, d'une autre manière ?
00:55:09 Je dis ça plus concrètement parce que, sur le Sud,
00:55:11 il y avait un mouvement d'altermondialisation
00:55:13 en 2011, au Maroc,
00:55:16 qui a servi, je ne sais pas dire à la démocratie,
00:55:19 à la contestation,
00:55:20 mais qui est aujourd'hui relativement étouffée,
00:55:22 même s'il y a des moyens de résistance
00:55:23 au sens de Gorse local, médiatique.
00:55:26 Donc, il existe,
00:55:28 mais il n'est pas dans l'émergence politique.
00:55:30 Donc, Révolution écologique au Sud
00:55:33 surpassant la Révolution écologique au Nord,
00:55:36 ça demande beaucoup de temps et de maturation.
00:55:39 Merci.
00:55:40 Fatima, tu veux dire un mot, puisque tu vas nous quitter ?
00:55:43 Et puis, Pierre, par exemple ?
00:55:46 Merci.
00:55:49 C'est assez...
00:55:50 Je ne parlais pas de Révolution au Sud
00:55:54 qui surpasserait les Révolutions du Nord, pas du tout.
00:55:57 Je parlais précisément de ce qu'avait pu dire,
00:56:00 et surtout, pas dire André Gorse,
00:56:04 mais j'ai bien dit qu'au même moment,
00:56:06 Sartre disait autre chose.
00:56:07 Le Nouvel Obs, il me semble,
00:56:09 s'est constitué aussi dans une perspective anticoloniale
00:56:13 par rapport à l'Algérie française, notamment.
00:56:15 Donc, je n'étais pas du tout en train d'opposer les deux.
00:56:19 Non, moi, je parlais bien d'être à l'écoute,
00:56:23 d'entendre les luttes, les résistances,
00:56:27 les pensées, les philosophies du Sud,
00:56:29 et en particulier de l'Afrique,
00:56:30 parce que quand on dit les Suds,
00:56:32 en France, depuis plusieurs années,
00:56:33 on pense Amérique du Sud, Asie,
00:56:35 j'ai l'impression, aussi, pour contourner le problème
00:56:38 du rapport colonial et impérialiste
00:56:40 que continue à avoir l'Europe vis-à-vis de l'Afrique.
00:56:43 Mais il ne s'agit pas du tout d'opposer les deux.
00:56:46 Au contraire, c'est toute la perspective internationaliste.
00:56:49 C'est plutôt même d'en appeler à notre solidarité,
00:56:52 la solidarité entre les luttes.
00:56:54 Il y a des luttes aujourd'hui en Afrique,
00:56:57 par exemple, on parle du projet ICOPE
00:57:00 porté par Total en Ouganda.
00:57:03 En Ouganda, il y a des gens qui se battent, qui luttent,
00:57:06 il y a des morts, chaque semaine, il y a des morts là-bas,
00:57:08 qui luttent contre ce projet.
00:57:10 Et je finirai par un mot.
00:57:12 Je nous invite à considérer les luttes anticoloniales,
00:57:17 qui sont glorieuses, quand même.
00:57:18 Vous parliez du Maroc 2011.
00:57:20 Au Maroc, dans les années 1920,
00:57:21 il y a eu une guerre anticoloniale
00:57:24 contre Pétain et Franco, quand même.
00:57:26 Ils se sont mis à plusieurs
00:57:27 pour balancer du gaz moutarde dans le rift marocain.
00:57:30 Cette lutte anticoloniale,
00:57:32 dans quelle mesure nous pouvons la considérer, les considérer,
00:57:35 ces luttes anticoloniales africaines
00:57:37 et des Sud de manière plus générale,
00:57:39 comme des luttes pour sortir du capitalisme ?
00:57:43 Dès lors qu'on les comptabilise dans nos luttes anticapitalistes,
00:57:48 de réappropriation de la terre, de libération de la terre,
00:57:50 là, tout à coup, côté Afrique et côté Sud,
00:57:53 il y a quand même de quoi faire,
00:57:55 de quoi valoriser et, encore une fois,
00:57:58 travailler un projet internationaliste.
00:58:00 Merci, Fatima.
00:58:01 Un dernier mot, Pierre, si tu veux compléter ?
00:58:03 C'est une vaste question, c'est difficile d'y répondre.
00:58:06 Je suis d'accord avec la perspective
00:58:09 et ce qu'est un renouveau de l'internationalisme,
00:58:12 qui a encore à théoriser, d'ailleurs.
00:58:14 Qu'est-ce que pourrait être un internationalisme écologiste ?
00:58:16 C'est une question qui est assez peu explorée,
00:58:19 je trouve, encore, théoriquement.
00:58:21 La seule réserve que j'aurais,
00:58:23 c'est de faire attention à ne pas réassigner
00:58:26 les populations du Sud,
00:58:27 même si c'est, avec bienveillance et positivement,
00:58:30 un rôle, notamment, de nouveau sujet révolutionnaire.
00:58:34 Je voyais l'autre jour un article dans "Reporters",
00:58:35 qui disait "Les peuples indigènes, le nouveau sujet révolutionnaire".
00:58:38 C'est un article qui était plein de bienveillance,
00:58:43 mais en même temps, c'est dangereux de vouloir réassigner à nouveau
00:58:47 des populations du Sud, notamment, à une fonction spécifique.
00:58:51 Donc, voilà.
00:58:54 Je n'en dirai pas plus, je crois qu'on arrive à la fin.
00:58:58 -Merci beaucoup.
00:58:59 Je pense qu'on peut remercier les quatre intervenants
00:59:01 de cette première table ronde.
00:59:02 (Applaudissements)
00:59:06 Je vais peut-être demander à Faneli Carré-Comte,
00:59:10 qui est en face de moi, de rejoindre la tribune.
00:59:15 Faneli est la secrétaire générale de la CIMAD.
00:59:19 (...)
00:59:23 D'accord.
00:59:24 Du coup, en plus de Faneli, on va demander aux intervenants
00:59:30 de l'autre table ronde, la suivante.
00:59:32 Je vois Paul Magnette, ici.
00:59:35 Maxime Combe.
00:59:38 Et Clara Lejeune est là, pardon.
00:59:42 Claire, claire.
00:59:44 C'est l'émotion.
00:59:47 Je te laisse la place.
00:59:48 (...)
01:00:04 -Merci, Christophe. Je prends donc le relais,
01:00:07 en essayant de bien garder le timing,
01:00:08 puisqu'on a des contraintes.
01:00:13 Il faudrait qu'on termine...
01:00:14 Bon, là, c'est un peu décalé, donc vers 20h40,
01:00:17 c'est-à-dire dans une heure.
01:00:19 Donc Faneli va nous dire deux mots,
01:00:22 un peu pour expliquer la présence de la CIMAD
01:00:25 dans cette opération.
01:00:27 Une présence très active dans la conception de la soirée.
01:00:31 Quel est le lien mystérieux entre Gortz et la CIMAD ?
01:00:34 -Merci, Eric, pour ce teaser.
01:00:37 -Faneli, secrétaire générale de la CIMAD.
01:00:39 -Oui, donc bonsoir à toutes et à tous.
01:00:42 Moi, je vais prendre un petit temps bref,
01:00:44 et je laisserai ensuite les intervenants de la table ronde.
01:00:47 Mais un petit temps bref pour, effectivement,
01:00:49 vous dire quelques mots de la CIMAD
01:00:51 et des liens entre André Gortz et Dorine et la CIMAD.
01:00:55 Alors, la CIMAD est une association
01:00:58 qui est écrite en 1939,
01:01:00 qui est une association qui a pour but de manifester
01:01:02 une solidarité active avec les personnes opprimées et exploitées,
01:01:06 et qui, donc, depuis plus de 80 ans,
01:01:08 défend le droit et la dignité des personnes migrantes,
01:01:11 des personnes exilées,
01:01:13 pas dans une dimension instrumentale
01:01:15 ou d'utilité économique,
01:01:16 pour faire écho à ce que disait Fatima Ouassak,
01:01:18 mais justement parce que nous considérons
01:01:20 que les droits et les dignités de tous et toutes
01:01:22 doivent être respectés,
01:01:23 et un des mantras de la CIMAD,
01:01:25 c'est le fameux "Il n'y a pas d'étranger sur cette terre"
01:01:28 que nous utilisons très régulièrement.
01:01:31 Alors, pourquoi est-ce que je prends la parole ici ?
01:01:34 C'est parce qu'on voulait vous présenter
01:01:37 une autre facette de la vie de André Gortz et de Dorine.
01:01:40 Je vais parler d'André Gortz et de Dorine
01:01:41 parce que c'était vraiment quelque chose
01:01:43 qui portait tous les deux.
01:01:44 Et cette autre facette, c'est donc leur engagement
01:01:46 vis-à-vis de la CIMAD.
01:01:50 La vie d'André Gortz et de Dorine a été très marquée
01:01:54 par les parcours d'exil,
01:01:55 et donc ça fait évidemment une résonance
01:01:57 avec notre association et ses missions.
01:02:00 Ils ont donc, au cours de leur vie,
01:02:02 manifesté un fort intérêt pour la CIMAD
01:02:04 et puis pour nos activités et nos missions.
01:02:08 Des rencontres ont eu lieu dès la fin des années 80,
01:02:12 lorsque, par l'intermédiaire de quelqu'un
01:02:14 qui s'appelait Jacques Maury, qui était pasteur,
01:02:16 qui était le président de la CIMAD à cette époque,
01:02:20 André Gortz et Dorine ont rencontré Madeleine Barrault,
01:02:22 qui était une des fondatrices de notre organisation.
01:02:25 Et puis ensuite, il y a eu d'autres rencontres
01:02:27 les années qui ont suivi, entre André Gortz, Dorine
01:02:30 et les responsables nationaux de la CIMAD.
01:02:33 Et en fait, dès la fin des années 90,
01:02:36 André Gortz et Dorine, qui n'avaient pas d'enfant,
01:02:39 ont formalisé la décision de faire de la CIMAD
01:02:43 leur légataire universel.
01:02:45 Pour faire en sorte qu'à leur décès,
01:02:48 ce soit la CIMAD qui soit leur légataire universel.
01:02:51 C'est évidemment un geste extrêmement fort.
01:02:54 Tout à l'heure, on parlait d'adéquation
01:02:56 entre les convictions et les choix de vie.
01:02:57 Je crois que c'est effectivement assez fort de ce point de vue-là.
01:03:01 Évidemment, pour la CIMAD, pour notre association,
01:03:03 c'est un honneur et évidemment aussi une responsabilité,
01:03:08 aussi, dans le fait de faire vivre aujourd'hui
01:03:10 la mémoire d'André Gortz et de Dorine,
01:03:12 et d'où le sens aussi de notre présence
01:03:15 et de notre participation à l'organisation de ce colloque.
01:03:19 Peut-être pour aller un peu plus loin,
01:03:22 je voulais vous partager, parce que nous avons la chance
01:03:25 d'avoir été récipiendaires
01:03:28 d'un certain nombre de correspondances
01:03:30 d'André Gortz et de Dorine,
01:03:31 où ils expliquent un petit peu le sens de leur choix
01:03:35 de faire de la CIMAD leur légataire universel.
01:03:38 Et c'est des éléments qui font un peu écho
01:03:40 avec des choses qu'on a dit aussi dans la précédente table ronde.
01:03:43 Alors, dans les correspondances que nous avons,
01:03:45 ils parlent beaucoup de leur souci d'accompagner
01:03:48 et d'aider les étudiants étrangers exilés.
01:03:51 Donc, il y a cette dimension autour de l'éducation
01:03:53 et de la formation qui est très forte
01:03:55 dans ce qu'ils ont souhaité faire.
01:03:57 Et puis, plus précisément, à un moment donné,
01:03:59 alors, il y a eu un projet qui a été évoqué,
01:04:01 puisque finalement, il n'y a pas eu de suite sous cette forme-là,
01:04:05 qui avait été la réflexion autour d'une création de bourse
01:04:08 qui aurait pu être attribuée à des étudiants réfugiés.
01:04:12 Et donc, c'est autour de ce projet-là
01:04:15 que je voudrais vous lire un extrait de cette correspondance
01:04:18 que nous avons donc retrouvée
01:04:20 et qui, je crois, démontre là encore la grande acuité
01:04:24 et le caractère précurseur de la pensée d'André Gortz et de Dorine,
01:04:29 et qui fait un peu écho à la discussion qu'on avait
01:04:31 sur les rapports Nord-Sud, justement.
01:04:34 Et donc, dans cette correspondance,
01:04:36 il est dit que l'idée serait de pouvoir aider les étudiants,
01:04:40 donc réfugiés et exilés,
01:04:44 sur des travaux de caractère non instrumental et non utilitaire,
01:04:49 à savoir théologie, philosophie, science politique, littérature,
01:04:53 les personnes que nous souhaitons aider étant avant tout
01:04:56 celles qui se posent des questions sur les fins dernières
01:04:58 et le sens ultime des activités humaines.
01:05:01 Donc là aussi, on retrouve des choses qu'on a dites tout à l'heure.
01:05:04 Et puis ensuite, il est dit un peu plus tard dans la correspondance
01:05:07 qu'il souhaite pouvoir aider les étudiants,
01:05:10 réfugiés, exilés ou immigrés,
01:05:12 particulièrement de culture occidentale,
01:05:14 de préférence originaire d'Europe ou des Amériques,
01:05:17 car nous pensons que la transformation des rapports Nord-Sud
01:05:20 suppose une transformation autocritique,
01:05:22 le mot "autocritique" étant souligné,
01:05:24 une transformation autocritique des mentalités
01:05:26 et des idées occidentales sur les contenus
01:05:29 à donner au développement et à la vie.
01:05:31 J'ai trouvé que ça faisait un peu écho
01:05:33 à ce qu'on s'était dit dans la table ronde précédente,
01:05:36 et donc ça éclaire aussi cette dimension-là de la pensée.
01:05:39 Donc c'est une correspondance qui date de 1991.
01:05:42 Et donc au nom de la CIMAD,
01:05:44 de son président Henri Masson qui est là,
01:05:46 de d'autres membres de la CIMAD qui sont là,
01:05:48 on était vraiment très heureux de pouvoir vous partager
01:05:51 cet aspect de la vie et de l'engagement de André Gorce et de Dorine
01:05:54 et donc de pouvoir avoir partagé ces mots-là avec vous
01:05:57 à l'occasion de cette soirée.
01:05:59 -Merci beaucoup, Fanely. C'est vrai que c'est des mots très beaux.
01:06:02 Et Gortien, à la question des fins dernières,
01:06:04 j'en dirais un mot tout à l'heure.
01:06:06 Je remercie la CIMAD d'avoir vraiment participé activement.
01:06:09 La CIMAD a beaucoup de choses très importantes à faire, à gérer.
01:06:14 Et ce fonds, vous vous êtes retrouvés un peu héritiers
01:06:17 et en charge de ce fonds. Ce n'est pas toujours facile.
01:06:20 Et là, vous êtes vraiment engagés pleinement
01:06:22 dans cette année du centenaire.
01:06:23 Donc un grand merci à vous.
01:06:25 Avant de passer à la deuxième table ronde,
01:06:28 on voulait, pour un petit peu plus incarner André Gorce,
01:06:33 vous passer quelques photos.
01:06:35 Et qui montrent à la fois quelques photos de Gorce
01:06:39 et aussi quelques photos de ce qu'il a fait
01:06:41 quand il était journaliste à l'Obs.
01:06:42 C'est l'autre face d'André Gorce, la face Michel Bosquet,
01:06:45 qui est un peu oubliée aujourd'hui,
01:06:47 parce que dans les années 70, Bosquet, Michel, le journaliste,
01:06:50 avaient une visibilité très grande.
01:06:53 Le philosophe André Gorce aussi en avait une.
01:06:56 Mais les deux avaient une forte visibilité.
01:06:59 Michel Bosquet est un peu tombé dans l'oubli,
01:07:01 parce que maintenant, c'est les livres d'André Gorce.
01:07:02 Ce qu'on lit, c'est le philosophe.
01:07:03 Ces livres sont souvent nourris d'articles,
01:07:05 souvent composés d'articles
01:07:08 qui, pour certains, ont été publiés dans l'Obs.
01:07:11 Voilà, donc on a préparé une petite dizaine de vues.
01:07:15 Les trois premières photos sont André Gorce.
01:07:18 Et dans la salle, je vois Cédric Philibert,
01:07:20 qui est l'auteur de deux de ses photos.
01:07:23 Cédric, je me demandais si tu te souvenais
01:07:25 dans quel contexte tu avais pris ces photos.
01:07:27 Si tu pouvais nous en dire très rapidement un mot.
01:07:28 C'est totalement improvisé.
01:07:29 Je ne l'ai pas appelé avant pour lui demander
01:07:31 s'il avait des souvenirs.
01:07:34 C'est celle-là, et je te passe la suivante.
01:07:38 Normalement, cette photo-là et celle d'après te sont créditées.
01:07:42 Est-ce que tu te souviens de ces photos ?
01:07:45 Un petit peu plus fort.
01:07:46 Et tu te souviens à quelle époque tu as pu les prendre ?
01:07:51 Un petit peu plus fort.
01:07:53 Tu nous dis en un mot ce que c'était vos noms,
01:07:56 puisque toi, tu y es allé.
01:07:58 Voilà, et c'est l'endroit où André Gorce se retire,
01:08:07 en tout cas avec Dorine, s'installe.
01:08:09 Il quitte Paris, je crois, en 84.
01:08:11 Il quitte l'Obs en 83, début 83.
01:08:15 Un peu par la petite porte, un peu comme un effacement.
01:08:18 Il dira dans un courrier qu'il n'était pas d'accord
01:08:21 avec la ligne du gouvernement de gauche en place à partir de 80,
01:08:26 et surtout avec le tournant libéral,
01:08:28 et qu'il trouvait que le journal n'était pas assez critique.
01:08:31 Peut-être qu'il en avait eu assez,
01:08:33 car il avait eu un moment assez difficile pour lui, au début.
01:08:36 Comme Christophe l'a dit,
01:08:38 à un moment, il a réconcilié sa vie de journaliste et de philosophe.
01:08:42 Mais voilà, en 83, 84, il part.
01:08:46 Et c'est là-bas qu'ont été faites ces photos.
01:08:49 Voilà ces trois photos pour vous montrer André Gortz et Dorine.
01:08:54 Et puis après,
01:08:55 quelques plans pour vous montrer ce que Gortz avait pu apporter au journalisme.
01:08:59 Ça, c'est une cover qui m'a vraiment frappé.
01:09:02 Je l'ai redécouvert il n'y a pas longtemps.
01:09:03 On est le 11 septembre 1978.
01:09:06 À l'intérieur du journal, il y a un article de deux pages
01:09:09 qui s'appelle "Ce qui nous manque pour être heureux",
01:09:10 ce qui est quand même un thème d'article de journal pas banal.
01:09:13 On est plutôt dans le traité de philosophie.
01:09:16 Il n'y a pas vraiment une actu, pas vraiment un scoop,
01:09:19 pas vraiment une enquête.
01:09:20 Et en même temps, c'est un article formidable à lire.
01:09:24 J'en ai fait un article la semaine dernière
01:09:27 dans l'Obs pour raconter cette histoire.
01:09:28 Et il y a un journaliste algérien qui s'appelle Akram Belkaïd
01:09:31 qui m'a mis un message en me disant
01:09:33 "J'étais à Alger en 78, je devais avoir genre 15 ans,
01:09:37 et je me souviens avoir lu cet article
01:09:38 et avoir vu cette cover en kiosque et l'avoir achetée."
01:09:41 Donc voilà, c'est une forme de journalisme qui a pu marquer des gens,
01:09:45 qui a semé des petites pierres.
01:09:47 Et c'est la partie Michel Bosquet de "L'Ordre de Gortz"
01:09:51 que j'avais un peu envie de remettre en avant.
01:09:54 Voilà l'article, qui est quand même surtitré "Civilisation".
01:09:58 Donc il invente la rubrique "Civilisation".
01:10:02 Et il n'y a pas toutes les réponses pour être heureux.
01:10:06 Je spoil un peu l'article.
01:10:09 Il ouvre plus de questions qu'il n'apporte de réponses.
01:10:12 Mais bon, c'est une sacrée actue qu'il traite là.
01:10:15 Ça, c'est la première page d'un cahier de huit pages
01:10:21 qui est publié dans "Hubs" en juin 1972
01:10:24 et qui est le compte-rendu d'un colloque
01:10:26 organisé par Michel Gortz sur écologie et révolution.
01:10:30 C'est le premier moment de l'écologie en France,
01:10:33 de l'écologie politique.
01:10:35 C'est vraiment un moment fondateur.
01:10:36 Donc vous pouvez lire les noms des participants,
01:10:39 et ça renvoie aussi avec Marcus, Edgar Morin, mon maire.
01:10:43 On voit qu'il y avait vraiment tout l'activisme
01:10:46 et la pensée active qui viennent là
01:10:49 et qui découvrent l'écologie, qui s'y mettent, qui enclenchent.
01:10:53 Et juste pour dire, à l'époque, il fait le colloque à la mutualité.
01:10:57 Il y a 1 200 personnes qui rentrent,
01:10:59 il y en a 2 000 qui restent à la porte.
01:11:00 Donc ce soir, on est hyper nombreux.
01:11:02 Mais bon, on n'y est pas tout à fait.
01:11:06 Et ça, c'est le hors-série que L'Obs publie à la même époque,
01:11:11 en juin 1972, "La dernière chance de la Terre",
01:11:14 qui va faire un carton en kiosque,
01:11:16 qui est inspiré par la présence de Gortz à L'Obs,
01:11:19 parce que Gortz aura permis à L'Obs
01:11:22 d'être le journal de l'écologie dans les années 70.
01:11:25 Et Hervé Legrange, c'est ça, je ne me trompe pas,
01:11:29 va devenir le rédacteur en chef, va fonder "Le Sauvage".
01:11:34 Et avant "Le Sauvage", dont certains ont entendu parler ici,
01:11:37 qui a été le mensuel de l'écologie politique des années 70,
01:11:40 il avait fait ce hors-série qui avait très bien marché.
01:11:43 Et là aussi, il y a un petit écho avec aujourd'hui,
01:11:45 parce qu'à la sortie, vous verrez qu'il y a un hors-série
01:11:47 "Pensez à l'écologie" qu'on a publié l'été dernier,
01:11:50 qui a marché, mais là aussi, les chiffres ne sont pas à l'époque,
01:11:53 et que vous pouvez prendre,
01:11:54 et dans lequel vous trouverez notamment un portrait d'André Gortz,
01:11:57 et un article d'André Gortz,
01:11:58 sur son fameux article sur l'idéologie de la bagnole.
01:12:01 Et quelques dernières vues...
01:12:04 Enfin, une dernière vue avec cet article-là,
01:12:06 encore deux, trois, auquel je tiens beaucoup,
01:12:08 c'est un article de 70.
01:12:10 Et en 70, il résume toutes les pollutions.
01:12:14 C'est vraiment une... On sent que c'est son premier article.
01:12:16 Il y a la question, la pollution des fabricants,
01:12:21 des constructeurs d'automobiles, des compagnies aériennes,
01:12:24 des économistes, des pays de l'Est.
01:12:26 Le socialisme réel en prend aussi pour son grade.
01:12:29 Et il a une vision très, très... Voilà, un peu fulgurante,
01:12:33 comme un programme qui s'ouvre, et avec un terme, j'accuse,
01:12:35 qui a de la gueule.
01:12:37 Et voilà, le nucléaire, ça a été son grand combat.
01:12:40 Et il a fait...
01:12:42 Serge Lafaurie avait calculé qu'il avait fait
01:12:46 une quarantaine d'articles contre le nucléaire,
01:12:50 à l'Obs, entre 70-71, quand il commençait à écrire dessus,
01:12:54 et 83, quand il s'en va.
01:12:55 Donc il y a vraiment une décennie particulière à cette époque-là.
01:13:00 Ce qui est encore... Je vais vous montrer l'intérieur.
01:13:02 Je crois que j'arrive au bout de...
01:13:04 Ah oui, ça, je retourne à l'année 72.
01:13:06 Il monte ce débat entre Herbert Marcus,
01:13:09 qui est le grand philosophe des campus américains,
01:13:11 et Sycombe Anselk, qui était, on l'a oublié,
01:13:14 le président de la Commission européenne à l'époque,
01:13:16 c'était le Ursula von der Leyen de l'époque,
01:13:19 et qui s'était converti brutalement à l'écologie décroissante.
01:13:23 D'ailleurs, il n'est pas resté président de la Commission européenne
01:13:24 très longtemps.
01:13:26 Mais à l'époque, ça avait fait un ramdame incroyable.
01:13:29 Valéry Giscard d'Estaing avait dit que c'était n'importe quoi.
01:13:34 Georges Marchais aussi, d'ailleurs.
01:13:36 Et Gortz, lui, avait vraiment donné de la place dans l'Obs
01:13:41 à tout ce débat, à cette ouverture.
01:13:43 Voilà.
01:13:44 C'était un petit peu pour mettre de la chair.
01:13:48 Cédric, très rapidement.
01:13:49 Alain Hervé, pas Alain Logres. Je suis désolé de cette confusion.
01:13:57 Alors, on passe au troisième temps.
01:13:59 Je regarde l'heure qu'il est. Il est 47.
01:14:02 Donc, on a pris 15 minutes de retard.
01:14:05 On a quatre invités, dont une qui est en visio,
01:14:07 c'est Clémentine Autain, qui ne pouvait pas venir
01:14:09 parce qu'elle est vraiment mobilisée
01:14:13 par le débat sur les retraites à l'Assemblée nationale,
01:14:16 de 9h à 24h.
01:14:18 C'était son seul soir où elle pouvait être avec ses enfants.
01:14:21 Donc, elle est chez elle, mais on va la joindre en visio.
01:14:24 Elle va faire une intervention.
01:14:25 Clémentine, on te voit, on vous voit.
01:14:29 Je fais d'abord la présentation et puis je vous passe la parole.
01:14:33 Autour de la table, pour ce deuxième temps,
01:14:36 le premier temps, c'était penser avec André Gortz.
01:14:38 Le deuxième temps, c'est agir avec André Gortz.
01:14:40 Évidemment, la distinction est un peu artificielle.
01:14:43 Donc, vous allez aussi penser comme tout à l'heure,
01:14:46 ils ont aussi agi.
01:14:48 Mais voilà, l'angle, c'est quand même cette idée de l'action,
01:14:52 de l'action politique, de l'engagement,
01:14:53 et comment la lecture de Gortz, la rencontre de Gortz
01:14:56 a pu nourrir, modifier, inspirer les engagements
01:15:00 des uns et des autres.
01:15:01 Donc, autour de la table, Clémentine Autain, Maxime Combes.
01:15:05 Je vous présenterai chacun quand je vous passerai la parole.
01:15:09 Paul Magnette et Clara Lejeune.
01:15:11 Clémentine Autain,
01:15:14 députée France Insoumise de Seine-Saint-Denis,
01:15:18 grande fan d'André Gortz,
01:15:20 qui va nous... Je vais lui passer la parole.
01:15:23 Ce que j'ai demandé à chacun des quatre invités,
01:15:24 c'est de nous raconter sa rencontre avec Gortz,
01:15:28 sa rencontre intellectuelle,
01:15:29 et à quel moment de son engagement militant ça a eu lieu
01:15:31 et quel impact ça a eu.
01:15:33 Et pour avoir un petit exercice complémentaire,
01:15:38 Gortz, c'est quelqu'un qui écrivait très bien,
01:15:39 qui avait de très belles formules.
01:15:40 Je crois qu'on est nombreux à avoir eu envie de souligner,
01:15:44 de les mettre en grand, de les faire lire à tout le monde.
01:15:46 Et donc, chacun des quatre intervenants
01:15:49 va nous lire aussi une citation
01:15:51 qu'il a particulièrement marquée et qu'il a envie de partager.
01:15:54 Chaque intervention sera à 6-7 minutes.
01:15:56 Donc Clémentine, je vous passe la parole.
01:15:59 -Merci. Bonjour à toutes et tous.
01:16:02 Et désolée de ne pas être avec vous,
01:16:04 mais c'est vrai que la bataille des retraites
01:16:05 est très, très prenante, ni séjour.
01:16:09 Mais en même temps, je tenais à être là
01:16:11 parce qu'André Gortz est pour moi une source d'inspiration
01:16:14 depuis de très, très nombreuses années.
01:16:17 Et elle fonde quelque part ma réflexion
01:16:21 et mon engagement politique à la croisée du rouge et du vert.
01:16:25 Puisque moi, quand j'ai commencé à militer,
01:16:27 j'étais déjà dans des petits groupes,
01:16:29 et c'était très étonnant à l'époque.
01:16:31 On nous regardait comme des bêtes curieuses
01:16:33 qui vidaient à allier l'écologie avec, on disait,
01:16:37 le meilleur de la tradition du mouvement ouvrier.
01:16:39 Mais quand j'étais militante dans ces groupes-là,
01:16:42 je ne connaissais pas André Gortz.
01:16:46 Et je dois dire que dès que je l'ai découvert,
01:16:49 ça a été comme une immense révélation
01:16:53 par rapport à des convictions que j'avais,
01:16:55 mais qui ne trouvaient pas dans l'écriture,
01:16:57 dans la théorisation, un aboutissement aussi fort
01:17:02 qu'André Gortz.
01:17:03 Donc moi, je le dis tout de suite,
01:17:04 je ne crois pas du tout aux intellectuels
01:17:06 qui seraient parfaits en tous points
01:17:07 et des références en tous points.
01:17:09 Même Marx, je trouve insupportable
01:17:11 l'idée qu'on va chercher chez Marx,
01:17:14 le Marx écologiste, le Marx féministe,
01:17:16 comme s'il avait tout vu et tout su.
01:17:19 Donc c'est pareil pour André Gortz.
01:17:20 Il ne s'agit pas d'en faire une figure
01:17:23 qui serait en tous points la référence,
01:17:26 mais en tout cas, c'est une référence.
01:17:28 Et surtout, je trouve que sa pensée
01:17:30 est d'une extrême modernité
01:17:32 et d'une extrême fécondité.
01:17:35 Et c'est ça qu'on demande, au fond,
01:17:36 à un intellectuel, c'est de nous aider à penser.
01:17:40 Et bien que nous fêtions aujourd'hui son centenaire,
01:17:42 je remarque qu'en fait,
01:17:44 sa pensée est totalement d'actualité
01:17:48 et d'une très grande jeunesse.
01:17:49 Alors moi, pour venir sur la dimension du personnel,
01:17:53 je crois dans mes souvenirs,
01:17:55 mais j'ai une hésitation entre deux textes.
01:17:59 Le premier texte, c'est dans Ecologica,
01:18:01 en plus, je suis chez moi, en Anglais, c'est là.
01:18:04 Alors Ecologica, c'était un recueil de textes
01:18:07 qui est paru juste après la mort d'André Gortz.
01:18:10 Et il y avait ce texte qu'on se partageait,
01:18:12 je ne sais pas si c'est le mentaume,
01:18:15 qui avait fait du bruit, en tout cas,
01:18:16 dans mes réseaux militants,
01:18:18 dont le titre était un peu choquant,
01:18:21 "La sortie du capitalisme a déjà commencé".
01:18:23 Et il écrit ça en 2007,
01:18:26 et c'est juste avant la crise des subprimes de 2008.
01:18:31 Et donc, je lis ce texte
01:18:32 et je découvre pour la première fois André Gortz.
01:18:34 Et je me dis, tiens, c'est vraiment très intéressant
01:18:39 parce qu'il a mis vraiment une pensée marxiste,
01:18:44 je dirais, avec...
01:18:48 Il a toujours, toute sa vie d'ailleurs, dialogué avec Marx.
01:18:50 Il y a bien du Marx chez André Gortz,
01:18:53 et allié à une critique du productivisme.
01:18:56 Et il arrive à articuler les deux
01:18:58 de façon tout à fait performante,
01:18:59 je l'ai découvert là.
01:19:01 Ça m'a marquée comme militante d'organisation rouge et verte,
01:19:04 comme on disait.
01:19:05 Et ensuite, j'ai eu la chance de lire un tout petit livre,
01:19:08 parce que c'est un intellectuel, un philosophe
01:19:10 que j'avais rencontré,
01:19:12 qui est le petit livre d'Arnaud Munster,
01:19:13 "André Gortz, le socialisme difficile".
01:19:16 Et j'ai lu ce livre vraiment par curiosité
01:19:20 parce que pour moi, André Gortz,
01:19:22 même si j'avais lu ce texte-là,
01:19:24 et qui m'avait étonnée aussi
01:19:25 par rapport à l'image que j'avais d'André Gortz,
01:19:27 qui était liée à l'Obs,
01:19:28 qui était liée à une tradition
01:19:32 qui n'était pas dans mes références.
01:19:34 Et là, je lis Arnaud Munster,
01:19:36 c'est un tout petit livre très théorique
01:19:38 qui présente un certain nombre d'éléments saillants
01:19:40 de la pensée gortienne.
01:19:42 Et là, je me dis vraiment,
01:19:43 il faut que je m'intéresse à cet homme
01:19:45 parce qu'il arrive à me dire quelque chose
01:19:48 qui correspond à mon engagement.
01:19:50 Et puisque c'est personnel,
01:19:52 je tombe ensuite, et c'est pour moi aussi important que le reste,
01:19:55 mais là, je dirais que c'est aussi l'individu,
01:19:58 la personne que je suis,
01:19:59 pas simplement la personnalité politique,
01:20:02 c'est que pour moi, le traître d'André Gortz
01:20:04 est pour moi un immense texte.
01:20:06 Et il se trouve que quand j'étais plus jeune, très jeune,
01:20:10 j'ai lu beaucoup Sartre et Simone de Beauvoir
01:20:15 par biais féministe, par mon engagement féministe,
01:20:18 et que l'existentialisme est quelque chose d'assez profond
01:20:22 dans ma philosophie de vie.
01:20:24 Sauf que là, dans "Le traître",
01:20:25 je pense que c'est une des plus brillantes démonstrations
01:20:29 de ce qu'est l'existentialisme,
01:20:32 et je le dis d'un mot
01:20:33 parce que ça me parle beaucoup et ça me touche,
01:20:35 puisqu'on essaie de chercher aussi le Gortz, de l'incarner,
01:20:39 c'est qu'au fond, il décrit par le menu,
01:20:41 alors c'est un texte assez exigeant,
01:20:43 ce n'est pas le plus limpide de ce qu'il a écrit,
01:20:46 c'est assez tortueux et complexe, comme il était,
01:20:48 je pense que c'était quelqu'un de très complexe,
01:20:50 et on rentre avec lui dans son histoire,
01:20:53 et il fait une démonstration formidable
01:20:56 de ce qu'est l'existentialisme en pratique,
01:21:02 parce qu'il s'agit, je vais essayer de le résumer,
01:21:05 ce n'est pas toujours simple,
01:21:06 mais en gros, il postule la conjonction sur une personne,
01:21:10 sur sa trajectoire, entre des faits psychologiques,
01:21:12 individuels, et l'impact d'un contexte social,
01:21:16 culturel, historique.
01:21:17 Et donc, on est pétri de ces deux influences,
01:21:20 et chacune, chacun doit créer sa propre histoire,
01:21:23 son propre chemin.
01:21:24 Et en fait, dans ce propre chemin,
01:21:26 même si on est marqué, évidemment,
01:21:29 par ses déterminismes psychologiques et sociaux,
01:21:32 on a une part de liberté,
01:21:34 c'est-à-dire qu'avec la même histoire,
01:21:36 on peut décider qu'on va dans un sens,
01:21:38 ou qu'on va dans un autre,
01:21:39 ou qu'on se raconte à soi-même,
01:21:41 y compris sa propre trajectoire.
01:21:43 Et donc, on est, comme il le dit,
01:21:44 on est l'auteur de soi-même.
01:21:46 Alors, ce qui file, la remarque de Sartre,
01:21:49 qui disait "L'homme est un être qui a à se faire libre",
01:21:53 mais André Gauthier ajoute que même l'événement
01:21:56 dépend de celui à qui il arrive.
01:21:58 Quoi qu'il m'arrive, c'est moi qui arrive à moi.
01:22:01 C'est-à-dire qu'on devient le sujet de sa vie
01:22:03 aussi en faisant quelque chose de ce qui nous arrive.
01:22:06 Et ça, c'est tout à fait merveilleux.
01:22:09 Alors, je termine, je pense ne pas être trop longue,
01:22:12 mais je termine par l'exercice
01:22:14 qu'Eric Eschman nous demandait,
01:22:16 c'est-à-dire de trouver une phrase,
01:22:17 mais c'est impossible de trouver une phrase.
01:22:19 Ce sont des textes, globalement,
01:22:23 qui sont frappants par leur simplicité.
01:22:27 Ils manient pourtant des références complexes,
01:22:30 des idées complexes,
01:22:32 mais moi, ce qui me plaît énormément chez Gordes,
01:22:35 c'est qu'elles sont toujours dites d'une manière très, très limpide.
01:22:39 Donc, c'est difficile de trouver une phrase
01:22:41 parce que souvent, il fait des démonstrations
01:22:42 et c'est la clarté de sa démonstration
01:22:45 qui, moi, en tout cas, me touche énormément.
01:22:47 Alors, s'il faut choisir une phrase,
01:22:49 mais peut-être qu'on m'aurait posé la question de demain,
01:22:51 j'aurais dit autre chose,
01:22:53 mais cette phrase-là me plaît
01:22:55 parce qu'il a une forme...
01:22:57 A la fois, c'est très noir, ce qu'il décrit,
01:23:00 et à la fois, il y a toujours de l'optimisme chez Gordes,
01:23:03 toujours une forme d'optimisme
01:23:05 qui est là dans cette phrase que j'ai donc choisie.
01:23:07 "Il faut apprendre à discerner les chances non réalisées
01:23:11 "qui sommeillent dans les replis du présent."
01:23:13 C'est assez joli, c'est assez optimiste
01:23:16 et c'est l'introduction de "Misère du présent,
01:23:19 "richesse du possible", c'est la première phrase.
01:23:22 La force, toujours, de la première phrase d'un livre
01:23:24 est pour moi très importante.
01:23:25 -Merci beaucoup, Clémentine.
01:23:28 On va continuer le tour de table.
01:23:31 Je ne sais pas si vous pourrez rester
01:23:33 ou si vous nous direz quand vous devez nous abandonner.
01:23:37 D'accord. Je passe ensuite la parole à Paul Magnette,
01:23:41 qui nous vient de Bruxelles, je crois que vous êtes arrivé.
01:23:44 Homme politique belge, membre du PS belge.
01:23:47 Président ou président ?
01:23:49 Ancien Premier ministre... -Pas ce matin, en partant.
01:23:51 -D'accord, voilà.
01:23:53 En effet, on n'est jamais trop prudent.
01:23:57 Ancien Premier ministre de la région Wallonie,
01:23:59 vous étiez notamment fait connaître par votre position au CETA,
01:24:01 c'est bien ça, le CTD.
01:24:03 En même temps, vous êtes professeur de théorie politique
01:24:06 et vous avez publié un livre que je devais avoir là,
01:24:08 mais que j'ai laissé là-haut, j'en suis désolé,
01:24:10 "La vie large", un manifeste éco-socialiste,
01:24:13 mais qui sera en vente à la sortie.
01:24:15 Ça permet, en vous passant la parole,
01:24:17 d'amener ce mot "éco-socialiste",
01:24:19 puisque on l'a mis dans le thème de l'intitulé
01:24:23 de sa deuxième table ronde,
01:24:24 "Agir avec André Gortz, la voie éco-socialiste".
01:24:28 C'est un mot que Gortz avait mis en circulation.
01:24:31 Dans quelle mesure l'usage qu'on en fait aujourd'hui
01:24:34 est lié à ce que lui en avait dit ?
01:24:36 Et vous-même, comment êtes-vous arrivé à Gortz ?
01:24:40 Comment était votre rencontre et son influence
01:24:42 sur votre parcours militant ?
01:24:43 -D'abord, merci beaucoup pour l'invitation
01:24:45 et pour l'initiative du débat.
01:24:47 Je suis très heureux qu'on fasse vivre
01:24:48 cette formidable pensée que j'ai découverte
01:24:50 il y a une trentaine d'années
01:24:51 et qui ne m'a jamais quitté depuis lors.
01:24:53 Je vais commencer par le petit exercice.
01:24:55 Désolé pour la phrase, j'étais parti sans bouquin,
01:24:57 vous m'avez appelé en route,
01:24:58 et donc j'ai dû la retrouver, je l'ai ici.
01:25:00 Il y en a deux, je trouve, qui se complètent bien.
01:25:03 Une qui dit, elles sont un peu...
01:25:05 Elles sont comme celles que Clémentine vient de citer ici,
01:25:08 un peu lyriques.
01:25:09 Le politique est le lieu d'affrontement
01:25:11 entre l'exigence morale et les nécessités extérieures.
01:25:14 Et la deuxième qui la complète bien, je trouve, dit,
01:25:16 le commencement de la sagesse,
01:25:18 c'est dans la découverte qu'il existe des contradictions
01:25:20 dont il faut vivre la tension permanente
01:25:22 et qu'il ne faut surtout pas chercher à résoudre.
01:25:25 Je trouve que c'est une très belle conception de la politique.
01:25:27 D'abord, de rappeler que penser la morale
01:25:30 en oubliant qu'il y a les contraintes du monde extérieur,
01:25:32 c'est relativement simple.
01:25:34 S'affronter au monde extérieur,
01:25:35 mais en faisant abstraction d'exigences morales,
01:25:37 c'est aussi relativement simple.
01:25:39 Mais tenir ensemble ces deux exigences,
01:25:41 c'est beaucoup plus difficile.
01:25:42 Et c'est, je crois, le coeur de la pensée de Gorz.
01:25:44 Et en même temps, et ça a déjà été dit
01:25:46 dans la table ronde précédente,
01:25:48 c'est une pensée d'une très, très grande complexité,
01:25:50 Clémentine vient de le rappeler aussi,
01:25:52 et d'une grande richesse.
01:25:53 Je me souviens que la première fois que je l'ai découverte,
01:25:55 c'était lors d'un débat
01:25:56 entre deux sociologues-philosophes belges
01:26:01 autour de l'allocation universelle.
01:26:03 Philippe Van Parijs, qui en est un des grands défenseurs,
01:26:05 était très proche d'André Gorz,
01:26:07 et Matteo Lallouf, qui en est un grand pourfendeur.
01:26:11 Et ce qui était fascinant dans le débat,
01:26:12 c'est qu'ils s'attaquaient l'un l'autre très durement,
01:26:15 mais tous les deux en utilisant Gorz.
01:26:17 Et donc Gorz était mobilisé des deux côtés du combat.
01:26:21 Et ce n'est pas parce que sa pensée était contradictoire,
01:26:23 ce n'est pas non plus, même si c'est vrai,
01:26:25 parce qu'elle a évolué, sa pensée sur cette réflexion-là,
01:26:27 je pense que c'est parce qu'elle est extrêmement riche
01:26:29 et extrêmement complexe.
01:26:30 Et que quand on prend, par exemple,
01:26:32 la défense de l'allocation universelle,
01:26:34 on peut trouver chez Gorz,
01:26:36 Céline Marty l'a très bien dit et très bien écrit,
01:26:38 par ailleurs, énormément d'arguments
01:26:40 sur la nécessité de critiquer l'idéologie du travail,
01:26:44 l'aliénation par le travail
01:26:46 et la domination d'un imaginaire productiviste
01:26:49 dans lequel le travail joue un rôle extrêmement central.
01:26:51 Et donc, les partisans de l'allocation universelle
01:26:54 et ceux qui suivent Yvan Paris vont donc s'appuyer
01:26:56 sur cette partie-là de l'œuvre de Gorz.
01:26:58 Mais d'un autre côté, c'est un auteur
01:27:00 qui est issu de la tradition marxienne,
01:27:02 qui sait combien le travail est structurant dans la société,
01:27:05 combien le rapport entre la nature et les humains,
01:27:07 les rapports entre les humains eux-mêmes, etc.,
01:27:10 sont profondément marqués par la question du travail
01:27:12 et combien même, puisqu'il l'avait écrit,
01:27:15 les nouvelles formes de travail et aussi l'allocation universelle
01:27:18 peuvent générer des nouvelles formes de domination,
01:27:22 déplacer aussi les formes de domination
01:27:25 vers la sphère de la reproduction
01:27:26 et les rapports entre les femmes et les hommes.
01:27:28 Et donc, il y a tout ça chez Gorz à la fois.
01:27:29 C'est pour ça que je trouve que c'est une pensée
01:27:31 vraiment extrêmement riche.
01:27:33 Et puis, j'ai continué à la lire
01:27:35 parce que je suis devenu socialiste
01:27:37 au cours de mon parcours
01:27:38 et que je trouve que le socialisme difficile,
01:27:41 la duoprolétariat, la critique,
01:27:42 ça a été très bien dit par le texte très dense
01:27:45 de Clara Ruho tout à l'heure.
01:27:47 Il y a à la fois une critique du capitalisme chez Gorz,
01:27:50 mais il y a une critique de la critique du capitalisme.
01:27:52 Et c'est ça qui fait que c'est très intéressant.
01:27:54 Je crois qu'il est, avec deux autres auteurs,
01:27:58 absolument essentiels, si l'on veut,
01:28:00 redonner des bases solides à une idée du socialisme
01:28:03 aujourd'hui absolument indispensable.
01:28:05 Je crois qu'il redevient de plus en plus
01:28:07 et redeviendra de plus en plus un classique.
01:28:09 Les deux autres auteurs,
01:28:11 il y a notamment Herbert Marcuse,
01:28:12 et je rejoins tout à fait ce que disait Clara Ruho
01:28:13 tout à l'heure sur le...
01:28:14 D'ailleurs, c'était intéressant de voir
01:28:16 combien il avait voulu ce débat
01:28:19 entre Marcuse et Sycho-Mansholt.
01:28:21 Alors, j'aurais payé très, très cher.
01:28:22 J'avais un an à l'époque,
01:28:23 mais sinon, j'aurais payé très, très cher pour y être.
01:28:26 Je ne sais pas s'il en existe, des images,
01:28:28 mais ça doit être passionnant.
01:28:29 Il y a une très belle phrase dans L'Obs,
01:28:30 d'ailleurs, je crois que c'est dans un des articles
01:28:31 que vous aviez republié,
01:28:33 dans lequel il dit, en parlant de Sycho-Mansholt,
01:28:36 "Au fond, il ne faut jamais désespérer
01:28:37 "d'un vieux leader social-démocrate."
01:28:39 C'est-à-dire qu'il y a quand même toujours
01:28:40 quelque chose qu'on peut aller en rechercher.
01:28:42 Et c'est vrai que la conversion de Mansholt,
01:28:44 qui vient de lire le rapport Meadows,
01:28:46 qui est fasciné,
01:28:47 et qui est presque au même moment,
01:28:48 Enrico Berlinguer, en Italie,
01:28:50 écrit un très beau texte sur ce qu'il appelle
01:28:52 "l'austérité, une occasion pour changer".
01:28:54 On n'oserait plus dire ça à gauche aujourd'hui,
01:28:55 mais Berlinguer dit, "Attention,
01:28:56 "réfléchissant à la question de la consommation
01:28:59 "du pouvoir d'achat comme risque,
01:29:00 "à un moment donné, de perdre la force critique
01:29:03 "de ce qui est au cœur de l'idée socialiste au début."
01:29:05 Et on trouve tout ça chez Gortz,
01:29:07 chez Marcuse, et évidemment aussi chez Castoriadis.
01:29:10 Je trouve que les résonances
01:29:12 entre Castoriadis et Gortz sur la question de l'imaginaire
01:29:15 sont extrêmement puissantes.
01:29:16 Et je pense que la gauche, en général,
01:29:18 et le socialisme en particulier, en a vraiment besoin.
01:29:21 À la fois pour poser des questions
01:29:22 qui restent très actuelles,
01:29:23 comme celle du travail,
01:29:25 le travail de Céline Marti en est une belle illustration,
01:29:28 ou la critique de la technique,
01:29:30 que Clara Ruault a rappelée.
01:29:31 Vous évoquiez le fait, tout à l'heure,
01:29:33 qu'il avait beaucoup écrit sur le nucléaire.
01:29:35 Moi, ce qui me fascine dans ces critiques du nucléaire,
01:29:37 ce n'est pas tellement les arguments écologiques classiques
01:29:39 sur le risque, etc.,
01:29:41 c'est que le problème du nucléaire, pour Gortz,
01:29:43 c'est d'abord un problème de pouvoir.
01:29:45 Le problème du nucléaire, c'est son gigantisme
01:29:47 et sa complexité.
01:29:48 C'est une forme de production énergétique
01:29:50 qui, par sa taille et par sa complexité technique,
01:29:53 échappe inévitablement à toute forme de contrôle démocratique.
01:29:57 Donc, c'est une technologie qui est par essence hétéronome,
01:30:00 qui est par essence autocratique, technocratique, etc.
01:30:03 Et ça, c'est une forme de critique
01:30:04 qui est, je pense, extrêmement riche aussi
01:30:07 et qu'on ne doit pas oublier.
01:30:08 Donc, tous les débats aujourd'hui sur la transition verte
01:30:13 à travers la technologie, etc.,
01:30:14 peuvent évidemment se nourrir énormément du travail de Gortz.
01:30:17 Et puis, au-delà de ça, et pour terminer,
01:30:19 tenter de tenir dans les quelques minutes,
01:30:22 c'est un auteur qui est un auteur extrêmement charpenté
01:30:25 sur le plan théorique et doctrinal,
01:30:27 et dont, je crois, l'éco-socialisme
01:30:30 ou toutes ses tentatives de renforcer
01:30:33 le fondement théorique, philosophique de l'écologie,
01:30:37 d'un côté, et d'un socialisme qui intègre enfin
01:30:40 les limites physiologiques et les limites naturelles,
01:30:44 a besoin de ça, a besoin d'une vraie élaboration,
01:30:47 a besoin de reconstituer des vraies généalogies intellectuelles
01:30:51 entre la critique de Marx,
01:30:54 et je suis tout à fait d'accord avec ce que dit Clémentine,
01:30:55 il ne faut pas faire de Marx un écolo facilement,
01:30:57 mais il y a quand même des éléments chez Marx extrêmement importants
01:31:00 dans la pensée du travail, du rapport à la nature, etc.
01:31:03 Pour élaborer cela, il y a besoin aussi de remonter avant Marx,
01:31:06 comme par exemple Serge Odier l'a très bien montré
01:31:09 dans son travail, montrant comment le socialisme prémarxiste était aussi...
01:31:13 Et puis, il y a besoin de revenir à ce que j'ai toujours eu le sentiment,
01:31:19 enfin, dont j'ai toujours eu le sentiment
01:31:21 que c'était vraiment une occasion manquée,
01:31:22 c'est la bifurcation ratée de 68
01:31:26 et de cette formidable période 70-72,
01:31:28 c'est-à-dire le moment où la gauche passe à côté
01:31:31 des nouveaux mouvements sociaux et de la question féministe,
01:31:35 de la question naturelle, de la question décoloniale,
01:31:38 qui était évoquée tout à fait très justement
01:31:39 par Fatima Ouassak tout à l'heure.
01:31:41 Et si on veut aujourd'hui être à la hauteur des enjeux d'aujourd'hui,
01:31:45 il faut revenir à 68-70,
01:31:47 c'est-à-dire en fait, toutes ces questions-là,
01:31:48 on se les est posées à ce moment-là
01:31:50 et ça reste extrêmement pertinent,
01:31:51 et pour ça, on a vraiment un très grand besoin de Gortz.
01:31:55 -Parfait, merci.
01:31:56 On a tenu les temps et on déplie tous les thèmes.
01:32:01 Clémentine, une intervention,
01:32:03 avant que je continue le tour de table, vas-y.
01:32:05 -Oui.
01:32:08 Je peux ?
01:32:09 -Oui.
01:32:10 Oui, oui, allez-y.
01:32:11 -Oui.
01:32:13 Bon, bon, super.
01:32:14 Oui, non, bah...
01:32:16 -Est-ce que c'était une intervention
01:32:19 pour répondre à Paul tout de suite
01:32:22 ou est-ce que je continue le tour de table ?
01:32:24 -Ah non, c'était pas spécialement pour répondre à Paul.
01:32:27 J'ai un problème de timing,
01:32:29 mais on peut peut-être écouter au moins un autre intervenant.
01:32:31 -Oui, on va quand même faire ça si c'est possible.
01:32:34 Clara Lejeune.
01:32:35 Claire Lejeune, pardon.
01:32:38 J'avais noté là Clara depuis le début, je suis désolé.
01:32:40 Merci, Paul.
01:32:41 Militante, chercheuse,
01:32:43 vous m'avez dit tout à l'heure que Gortz avait joué un rôle important
01:32:46 dans votre engagement politique vers l'écologie
01:32:49 quand vous étiez étudiante.
01:32:50 Vous étiez au Vert,
01:32:52 vous étiez candidate en 2022 pour la France insoumise
01:32:57 et vous êtes en thèse avec Pierre Charbonnier,
01:32:59 philosophe dont on parle régulièrement dans l'économie de l'Obs,
01:33:02 qui est un des élèves, des grands élèves de Bruno Latour.
01:33:06 C'est une autre filiation qui se croise.
01:33:09 Alors, Gortz, votre rencontre
01:33:11 et ce qui l'a nourri dans votre engagement.
01:33:14 -Oui. -Même chose, 6-7 minutes.
01:33:16 -Ça marche.
01:33:17 Merci pour l'invitation et pour l'organisation.
01:33:20 Alors, effectivement, Gortz a été très important pour moi.
01:33:25 Je l'ai découvert par un texte
01:33:26 qui a déjà été cité plusieurs fois ce soir,
01:33:28 c'est "Métamorphoses du travail".
01:33:31 Et c'est un texte que j'ai lu en arrivant à l'ENS,
01:33:35 en fait, ma première année à l'ENS.
01:33:38 Et c'était un moment où j'étais très, très tiraillée, justement,
01:33:42 entre mon parcours universitaire académique
01:33:46 et le militantisme,
01:33:48 qui occupait déjà une place immense dans ma vie,
01:33:52 et où, du coup, c'est vrai que l'aspect très théorique
01:33:56 de mon cursus en philosophie à l'ENS,
01:34:00 parfois, me pesait énormément
01:34:02 et j'avais du mal à faire les ponts entre les deux.
01:34:05 Et c'était un moment aussi où j'ai commencé à lire des textes
01:34:12 qui parlaient d'écologie,
01:34:16 mais par moi-même, en fait.
01:34:17 Et je pense qu'un des points importants
01:34:22 dont je me suis rendue compte à ce moment-là,
01:34:23 c'est à quel point les programmes et les cursus,
01:34:26 en fait, passent complètement encore à côté de ça.
01:34:31 Et finalement, pour beaucoup encore, je pense,
01:34:34 ça passe par des lectures personnelles, en fait.
01:34:37 Ce "André Gance", ça a été une lecture
01:34:40 que je faisais sur le côté,
01:34:41 à côté de mes cours dans le champ universitaire,
01:34:46 mais qui a ouvert plein de portes
01:34:48 et qui m'a permis de lire plein d'autres choses après.
01:34:51 Et donc, ce texte, "Métamorphose du travail",
01:34:54 il m'a beaucoup marquée.
01:34:57 Les premières pages, notamment,
01:34:58 où il parle de la rationalité économique
01:35:01 et de comment elle s'emballe
01:35:02 et elle devient un rationalisme, finalement,
01:35:05 complètement irrationnel.
01:35:07 Et aussi toute la partie de son œuvre sur le travail aliéné.
01:35:14 Moi, m'ont touchée à la fois théoriquement,
01:35:16 et puis je pense plus personnellement,
01:35:17 parce que, pour ma part,
01:35:19 ma politisation vient aussi de la proximité
01:35:22 avec un père qui est ouvrier électricien.
01:35:26 Et en fait, j'ai vu ce que pouvait produire
01:35:29 un travail hétéronormé, pour employer le terme,
01:35:35 et aliénant tout au long d'une vie, clairement.
01:35:38 Il fait partie de cette catégorie.
01:35:40 Pour qui, partir à 64 ans,
01:35:42 ce n'était pas envisageable, clairement.
01:35:46 Et du coup, ce texte sur le travail
01:35:48 m'a beaucoup marquée pour ça.
01:35:50 Et également, tout son travail
01:35:52 sur l'articulation entre autonomie et hétéronomie
01:35:58 m'a aussi beaucoup fait réfléchir
01:36:00 dans mon militantisme qui est à ce moment-là.
01:36:03 Et là, l'intervention de Fanely
01:36:07 m'a beaucoup fait réfléchir aussi.
01:36:09 Moi, mon premier militantisme,
01:36:11 c'était à Lyon, dans les camps,
01:36:13 avec les demandeurs d'asile, les exilés et les sans-papiers.
01:36:16 Donc sur des questions, en fait, d'accès aux droits, etc.
01:36:22 Et en fait, c'est vrai que cette pensée de Gorz
01:36:25 sur l'articulation entre autonomie et hétéronomie
01:36:31 nous permet de penser y compris ces situations-là,
01:36:35 parce que, typiquement, l'exilé, le sans-papier, en France,
01:36:40 il est dans une situation d'hétéronomie totale,
01:36:44 à la fois vis-à-vis d'un État
01:36:47 qui quadrille complètement ses possibilités d'action,
01:36:51 il est pris dans un étau administratif,
01:36:55 temporel, spatial absolument total,
01:36:57 et y compris du côté du capitalisme,
01:37:00 parce que c'est les premières victimes, en fait,
01:37:03 des formes les plus brutales d'exploitation,
01:37:07 le travail au noir, etc.
01:37:10 Donc c'est des situations qui...
01:37:12 Les interventions de Fatima Ouassak
01:37:15 aussi étaient très pertinentes sur ce point-là,
01:37:18 et je pense que, justement, André Gorz nous laisse de l'espace
01:37:21 pour réfléchir à une pluralité de situations
01:37:24 et justement faire les ponts et avoir une approche systémique
01:37:29 des problématiques qui doivent nous occuper aujourd'hui.
01:37:34 Ce sur quoi il m'a aussi beaucoup apporté, je pense,
01:37:36 c'est sa manière de pratiquer la philosophie.
01:37:41 Parce qu'à ce moment-là, je voulais pas passer l'agrégation.
01:37:45 En fait, quand on prend en compte la question écologique
01:37:51 et qu'on se rend compte de tout ce que ça implique aussi
01:37:54 de contraction temporelle dans ce qui nous reste
01:37:57 pour faire cette fameuse bifurcation,
01:38:00 c'est vrai que l'aspect très académique, formel
01:38:04 des séquences qu'il faut suivre dans le cursus universitaire
01:38:07 peuvent paraître un petit peu artificiels.
01:38:11 Et il a une manière qu'il décrit lui-même comme bricolée.
01:38:15 Il se décrit lui-même comme un philosophe naufragé
01:38:19 qui fait pas des grands systèmes, en fait,
01:38:22 mais qui essaye de penser aussi, je pense,
01:38:25 utilement et en connexion constante avec l'actualité aussi.
01:38:31 Et ce qui explique, du coup, son espèce de double parcours
01:38:35 journaliste, mais philosophe et penseur pleinement.
01:38:41 Et en réfléchissant à la soirée d'aujourd'hui,
01:38:44 je me suis aussi rappelée que ça a été le cas
01:38:47 dans une période de la vie du jeune Marx, en fait.
01:38:50 Quand il ne pouvait...
01:38:52 En fait, tout ce qu'on appelait les jeunes hégéliens
01:38:54 avaient été expulsés de l'université au niveau de l'État prusse
01:38:58 et ils ont fondé la Gazette Rhinan.
01:39:00 Et ça leur permettait un style d'écriture
01:39:03 et une connexion de leur pensée théorique à l'actualité du moment
01:39:08 qui était très forte.
01:39:10 Et les premiers...
01:39:11 Il y a certains des textes de Marx qui sont, je trouve,
01:39:14 d'une puissance incroyable,
01:39:16 justement parce qu'ils ont ce style beaucoup plus libre
01:39:20 qui est celui du journalisme tel qu'il était à cette époque-là.
01:39:23 Donc, voilà, André Gorz a été important pour beaucoup de raisons
01:39:28 et aussi dans la construction de la manière
01:39:32 dont je conçois l'écologie et le combat écologique
01:39:35 parce que, pour moi, c'est vraiment celui
01:39:39 qui a le plus clairement fondé l'écologie politique
01:39:43 en exprimant le fait qu'en fait, il y a des écologies.
01:39:50 À partir de l'impératif de respect des limites planétaires,
01:39:53 vous pouvez avoir le fascisme
01:39:55 comme vous pouvez avoir une bonne société où on vit bien.
01:39:59 Donc, il faut sans cesse avoir cette exigence de spécifier,
01:40:03 et cette honnêteté intellectuelle de spécifier
01:40:06 quelle est notre écologie.
01:40:08 Son texte, justement, il différencie leur écologie et la nôtre
01:40:13 et du coup, il construit cette écologie qui est éco-socialiste,
01:40:18 empreinte de marxisme aussi.
01:40:21 Voilà, c'était extrêmement important pour moi
01:40:25 parce que plus que jamais, on est dans une période
01:40:29 où les sources, les tentatives ou les tentations,
01:40:33 même inconscientes et parfois pleines de bonne volonté,
01:40:37 de dépolitisation de l'écologie sont immenses.
01:40:41 Que ce soit le technosolutionnisme,
01:40:43 que ce soit même parfois les formulations
01:40:45 autour de l'idée de transition.
01:40:48 Le capitalisme est au premier rang de cette récupération
01:40:54 de tout le langage écologique, même de l'imaginaire,
01:40:58 du vert, des couleurs, des codes, de tout.
01:41:01 En fait, tout ça est là pour éloigner le moment
01:41:05 où on fera ces transformations radicales
01:41:08 vers lesquelles toute la pensée d'André Gortz tend.
01:41:11 Et là, je rejoins des interventions précédentes
01:41:14 sur, en fait, effectivement, cette espèce de ligne de crête
01:41:17 qu'il tient entre une pensée absolument radicale,
01:41:21 au sens de prendre les choses à la racine
01:41:23 et de déconstruire la manière dont les formes d'aliénation
01:41:26 et d'exploitation de la nature et des hommes se construisent.
01:41:29 Et puis, quand même, une prise en compte du fait
01:41:33 qu'à partir d'un point A, il faut bien qu'on avance,
01:41:36 qu'on mette un pas devant l'autre
01:41:38 et qu'on change matériellement, concrètement, les choses.
01:41:43 Donc, il est dans une forme de réformisme radical
01:41:47 qui, je pense, est une ligne de crête,
01:41:49 qui doit être une boussole aussi pour notre camp,
01:41:53 le camp éco-socialiste, je ne sais pas...
01:41:56 Si on se décrit tous comme ça.
01:41:59 Donc, pour terminer...
01:42:01 -Pour le dernier point, qui est important,
01:42:03 on en a parlé tout à l'heure, mais...
01:42:05 -D'accord. Je ne sais pas si la dernière chose que je vais dire là
01:42:09 correspond à ce que...
01:42:11 Mais sinon, j'y reviens très près.
01:42:14 Oui, et en fait, André Gortz, du coup,
01:42:18 est très important aussi pour moi dans mon travail de thèse
01:42:22 que j'entame après une année de campagne assez intense,
01:42:26 où je travaille sur la planification écologique
01:42:29 et notamment ses enjeux démocratiques.
01:42:31 Et en fait, la pensée d'André Gortz me paraît très importante
01:42:36 justement parce qu'elle a cette exigence
01:42:39 de nous obliger à penser...
01:42:42 Enfin, d'éviter les prêtres à penser, finalement.
01:42:45 D'éviter l'idée qu'il va suffire même de prendre le pouvoir
01:42:50 au niveau de l'Etat et d'appliquer un plan
01:42:52 et que tout va rouler.
01:42:53 C'est qu'il y a des risques immenses aussi
01:42:57 qui sont présents dans toutes les solutions
01:43:00 qu'on peut imaginer et que, du coup,
01:43:02 il faut avoir sans cesse cette pensée en mouvement
01:43:06 qui colle aux exigences de démocratie
01:43:08 et donc d'autonomie, et ce, à toutes les échelles,
01:43:12 à l'échelle individuelle jusqu'à l'échelle, je pense,
01:43:17 des nations, des collectifs, etc.
01:43:19 Je m'arrête là, peut-être.
01:43:21 -On va y revenir, parce que c'est une question
01:43:22 très importante sur la planification.
01:43:25 Je crois qu'on va libérer Clémentine.
01:43:27 Est-ce que vous voulez dire un dernier mot
01:43:29 avant qu'on passe la parole à Maxime Combes ?
01:43:31 -Oui, je voulais bien.
01:43:33 Alors, j'ai essayé d'être très rapide,
01:43:35 mais je voulais quand même insister sur une question
01:43:38 qu'a bien introduite André Gortz,
01:43:40 qui est l'articulation entre capitalisme et écologie.
01:43:46 Je disais, c'est vraiment ça.
01:43:47 Et il le mouline, enfin, je ne sais pas comment dire,
01:43:51 il le mouline et il fait une entrée
01:43:53 sur la question des besoins.
01:43:55 C'est-à-dire qu'en fait, il explique
01:43:57 que le capital a deux leviers pour s'accroître,
01:44:01 la pression sur les salaires et la pression sur...
01:44:05 Enfin, la pression et le consumérisme, en fait.
01:44:07 C'est-à-dire nous faire acheter tout et n'importe quoi,
01:44:09 et un autre levier pour que le capital
01:44:13 puisse accroître son besoin en dividende et en profit.
01:44:17 Et à partir de là,
01:44:18 et c'est là où c'est quand même très intéressant,
01:44:20 c'est qu'il polarise la réflexion autour d'une question
01:44:25 qui n'est plus celle historique du mouvement ouvrier,
01:44:28 qui était la question du partage des richesses,
01:44:31 qu'il introduit quelque chose de nouveau,
01:44:34 qui est qui décide de ce que l'on produit ?
01:44:36 Et ça, c'est la grande question du XXIe siècle,
01:44:39 c'est-à-dire comment mettre l'appareil productif
01:44:41 au service des besoins véritables de la population,
01:44:44 alors que le capitalisme, lui,
01:44:46 crée sans cesse des besoins superficiels, artificiels,
01:44:50 qui permettent à la machine de tourner,
01:44:54 mais qui la rendent complètement dingue.
01:44:56 Et il en tire, j'arrêterai là-dessus,
01:44:57 mais c'est très intéressant,
01:44:59 il en tire une conclusion pratique d'un point de vue stratégique,
01:45:03 puisque à partir de là,
01:45:05 il pose la question du sujet de l'émancipation,
01:45:08 et il postule que ce n'est plus l'ouvrier comme autrefois,
01:45:12 et il a des intuitions très fortes là-dessus,
01:45:14 sur la décomposition du prolétariat classique,
01:45:20 comme on le sait,
01:45:21 les enjeux de l'usine qui n'est plus le lieu fédérateur
01:45:24 comme autrefois,
01:45:25 et de la précarité des statuts qui atonisent le salariat,
01:45:30 et il en tire une conclusion stratégique
01:45:32 sur le sujet de l'émancipation qui est passionnante,
01:45:35 puisqu'il dit qu'il faut, au fond,
01:45:37 raccorder le producteur et le consommateur,
01:45:41 et le consommateur devient lui aussi un acteur de l'émancipation.
01:45:45 Et je crois qu'on a là quelque chose
01:45:47 qui n'est pas encore complètement digéré,
01:45:51 traduit dans nos projets et nos stratégies politiques,
01:45:54 mais qui, en tout cas, est terriblement, terriblement séquent.
01:45:57 Je ne suis pas plus longue,
01:45:58 mais je voulais au moins aborder ces questions-là,
01:46:02 parce qu'André Gort est un penseur
01:46:05 qui n'est pas un philosophe éthéré,
01:46:07 mais un philosophe pratique,
01:46:09 au sens où il se pose des questions de stratégie politique
01:46:13 qui sont d'une immense actualité, encore une fois.
01:46:17 Merci beaucoup, Céline Mantine.
01:46:18 On vous souhaite bon appétit à toute la famille.
01:46:22 Et oui, André Gort...
01:46:24 Avec les applaudissements.
01:46:25 Et André Gort n'était pas un penseur éthéré,
01:46:30 peut-être aussi parce qu'il était journaliste.
01:46:32 J'en profite pour glisser, au passage,
01:46:34 un éloge du journalisme
01:46:36 dans ces périodes où ce métier n'a pas toujours bonne presse.
01:46:40 Maxime Combes, vous avez été très patient.
01:46:43 Merci.
01:46:45 Donc, un peu même question.
01:46:48 Quelle rencontre, quel usage,
01:46:51 quelle influence, quel dialogue ?
01:46:53 Et qu'est-ce qu'on vous en fait aujourd'hui ?
01:46:55 Bonsoir à tout le monde. Merci beaucoup pour l'invitation.
01:46:58 Alors, tout d'abord, quand Eric m'a appelé
01:47:02 pour m'inviter ou me proposer d'intervenir ce soir,
01:47:04 je lui ai répondu, mais pourquoi moi ?
01:47:08 Je n'ai rien écrit sur André Gort.
01:47:10 Je ne suis pas philosophe.
01:47:12 Je ne cite pas André Gort dans chacun de mes papiers
01:47:15 que je peux publier sur la crise écologique
01:47:18 ou la nécessité de dépasser cette mondialisation qui nous en sert.
01:47:23 Donc, pourquoi moi ?
01:47:24 Et je ne suis pas sûr qu'il avait la réponse lui-même, Eric.
01:47:27 Vous aviez été dénoncé par mes... Je ne peux pas citer mes sources.
01:47:29 Voilà, c'est ça. Comme un beau journaliste, en effet.
01:47:32 Et au final, j'ai accepté.
01:47:35 Et j'ai accepté pour une bonne raison.
01:47:38 C'est que je pense que...
01:47:39 Donc, du coup, moi, j'ai un peu plus de 40 ans.
01:47:41 Je me suis construit à travers le mouvement intermondialiste.
01:47:43 En gros, j'ai commencé à m'engager en 99-2000
01:47:46 avec la naissance du mouvement intermondialiste.
01:47:48 Et d'une certaine manière, André Gort a toujours été présent
01:47:51 dans ma construction politique, militante, intellectuelle.
01:47:58 Toujours était présent quelque part,
01:48:00 mais sans qu'il n'ait jamais été mon livre de chevet.
01:48:03 Et je vais expliquer, mais tout de suite en précisant
01:48:07 que je ne sais pas si le bouquin "Écologie et politique",
01:48:12 dans sa version 78, en point au seuil, je l'ai depuis 20 ans.
01:48:17 Et je ne sais pas si je l'ai piqué dans la bibliothèque de mes parents
01:48:19 ou si je l'ai acheté chez un bouquiniste à Marseille,
01:48:22 mais comme tout bon cagneux,
01:48:25 puisque j'étais donc en hippocagne, qu'on dit BL,
01:48:29 donc qui faisait beaucoup de sciences sociales,
01:48:31 en fait, tous les bouquins qui nous passaient dans la main,
01:48:34 on les ouvrait tous, on lisait l'introduction,
01:48:36 la conclusion qu'il y en avait et après on les refermait.
01:48:39 Et j'ai fait cela.
01:48:41 J'ai fait cela, donc j'ai dû lire,
01:48:42 enfin je suis sûr d'avoir lu au début des années 2000,
01:48:46 "Leur écologie et la nôtre" à cette période-là,
01:48:49 mais sans que cela me marque terriblement
01:48:54 au point de faire André Gort mon livre de chevet
01:48:58 et l'auteur auquel je vais revenir tout au long.
01:49:01 Mais dans ma construction et dans cet engagement
01:49:05 dans le mouvement intermondialiste,
01:49:06 et notamment la période du mouvement intermondialiste
01:49:09 où l'agenda néolibéral d'expansion de la mondialisation via l'OMC
01:49:14 se bloque un petit peu en 2005,
01:49:16 toute une partie du mouvement intermondialiste
01:49:18 s'écologise extrêmement rapidement,
01:49:20 y compris dans la perspective de la COP
01:49:23 et des négociations climatiques internationales
01:49:24 et la fameuse COP de la dernière chance,
01:49:26 dont vous le savez tous, qui était celle de 2009 à Copenhague,
01:49:30 dernière chance qui revient malheureusement très souvent,
01:49:33 eh bien à force de travail d'écologisation
01:49:38 de notre discours, en fait, Gort était toujours là.
01:49:42 Toujours là parce qu'il y avait des textes qui circulaient,
01:49:44 ou en tout cas des références, ou même des injonctions,
01:49:48 quand quelqu'un arrivait avec un discours
01:49:51 qui ne mêlait pas écologie et social,
01:49:54 mais lit donc André Gort pour sortir de la difficulté
01:50:00 que tu as à prendre en charge les questions.
01:50:02 Donc ça, c'est, je vais dire,
01:50:03 peut-être pas dans tout le mouvement intermondialiste,
01:50:05 mais d'une certaine façon, je pense que Gort a nourri
01:50:08 ce virage écologisant du mouvement intermondialiste
01:50:13 qu'on peut situer sur la période 2005, 2007, 2009,
01:50:17 et que moi, j'ai par ailleurs, dans cette période-là,
01:50:19 été extrêmement proche de militants intellectuels,
01:50:23 économistes, tels que Geneviève Azam et d'autres,
01:50:26 qui étaient des lecteurs à André Gort,
01:50:28 et qui donc, du coup, m'ont amené,
01:50:30 sans nécessairement me renvoyer à la lecture obligatoire
01:50:33 à André Gort, ça a toujours essayé de poncer,
01:50:35 effectivement, cette articulation,
01:50:37 à la fois entre l'écologie et le social,
01:50:39 on y reviendra, mais je pense qu'aujourd'hui,
01:50:41 dire cela ainsi est strictement insuffisant,
01:50:43 mais également la question de la démocratie,
01:50:46 et donc de la planification, ou en tout cas,
01:50:48 de la capacité des pouvoirs publics à tenir orienté,
01:50:52 reprendre la main sur la sphère économique,
01:50:56 mais également le fait de penser l'action politique
01:51:00 dans une possibilité qui ne soit pas simplement
01:51:04 l'injonction des masses à se mobiliser,
01:51:06 mais de faire en sorte qu'effectivement,
01:51:08 ce soit un processus d'émancipation individuelle
01:51:11 et collectif, et que la place de l'individu
01:51:14 est extrêmement importante dans la construction des mouvements
01:51:18 et dans la construction de la pensée politique
01:51:20 pour agir sur le monde dans lequel nous vivons.
01:51:21 Et ça, c'était extrêmement présent
01:51:23 dans le mouvement intermondialiste,
01:51:24 y compris de manière un peu caricaturale,
01:51:26 en refusant bien souvent de serrier les priorités,
01:51:30 et ce qui a peut-être été une de ses limites,
01:51:32 mais peu importe.
01:51:33 Et également parce que dans cette période-là,
01:51:37 naissent des revues comme "Echo rêve",
01:51:39 auxquelles je n'ai jamais participé,
01:51:40 mais qu'on regardait avec intérêt.
01:51:44 Donc, du coup, c'était toujours présent.
01:51:45 Et finalement, en y réfléchissant,
01:51:48 après l'appel d'Eric,
01:51:50 je me suis souvenu, ou je me suis peut-être réapproprié,
01:51:54 le fait que j'ai sans doute toujours pensé
01:51:56 qu'André Gors était finalement,
01:51:59 et pour moi, c'était rassurant,
01:52:01 parce que venant plutôt de cette gauche classique française,
01:52:05 même si, je ne vais pas vous faire une histoire,
01:52:06 mais avec bien des pas de côté,
01:52:10 qu'il était possible d'écologiser le marxisme,
01:52:12 et finalement, au-delà du marxisme ou des marxistes,
01:52:15 la gauche classique et traditionnelle
01:52:18 qui existait dans le pays.
01:52:19 Donc, c'était rassurant sur le fait
01:52:20 qu'on allait pouvoir faire des choses,
01:52:23 qu'on allait pouvoir avancer
01:52:25 dans cette période dans laquelle je me projetais,
01:52:27 c'est-à-dire les 20 années de militantisme
01:52:30 ou d'engagement politique,
01:52:32 dans lesquelles je pensais qu'on allait pouvoir reconstruire
01:52:35 une gauche plurielle, capable,
01:52:36 enfin, plurielle, pas en référence à une gauche diverse,
01:52:40 à l'image de ce qu'a été le mouvement intermondialiste,
01:52:42 avec une culture politique transformée,
01:52:44 et que ça allait être possible à échéance relativement courte,
01:52:47 pas simplement pour témoigner,
01:52:49 mais pour gagner et changer la vie des gens.
01:52:51 Bon, on n'y est pas tout à fait.
01:52:55 Mais également, c'était pour moi...
01:52:58 Je voyais Gorz également comme l'antidote, du coup,
01:53:08 de cette branche de l'écologie
01:53:10 qui était potentiellement soluble dans le capitalisme vert,
01:53:12 et dont une partie l'a été,
01:53:14 dissoute d'ailleurs, aujourd'hui,
01:53:17 et un antidote à ce risque, effectivement,
01:53:20 de l'écofascisme ou du technosolutionnisme vert,
01:53:24 qui nous pend toujours au nez,
01:53:26 mais qu'on a quand même réussi,
01:53:28 à la différence d'autres pays, à combattre.
01:53:32 C'est-à-dire que si aujourd'hui, on peut avoir, y compris,
01:53:35 une UPS où on les prend les uns après les autres,
01:53:39 en mesure d'essayer ou de se réapproprier
01:53:42 soit la social-écologie, l'éco-socialisme,
01:53:44 ou d'essayer de travailler toutes ces questions ensemble
01:53:46 et de considérer que, d'une manière ou d'une autre,
01:53:48 tout cela n'est pas soluble dans un capitalisme mondialisé
01:53:52 dont on enterrinerait les règles telles qu'elles existent,
01:53:55 c'est aussi parce que cela a fonctionné,
01:53:58 que le technosolutionnisme vert ne l'a pas emporté.
01:54:02 Et donc, du coup, c'est de cette façon-là
01:54:04 que je voyais André Gorz.
01:54:05 Et donc, y compris parce qu'on vient d'avoir
01:54:10 les résultats de Total Energy,
01:54:12 comme un antidote...
01:54:15 Oui, comme un antidote au fait de penser
01:54:17 qu'on allait pouvoir simplement soit faire confiance
01:54:21 à Total Energy ou simplement, en leur demandant gentiment,
01:54:24 que Total Energy allait se changer par elle-même.
01:54:28 Et de ce point de vue-là, pour moi, il y a une citation.
01:54:29 Alors, ce n'est pas une citation que j'avais faite
01:54:32 et conservée, même si je l'avais lue
01:54:35 donc au début des années 2000.
01:54:37 Mais le premier paragraphe de leur écologie et la nôtre
01:54:40 est absolument, pour moi, révélateur
01:54:42 de la situation dans laquelle on se trouve.
01:54:44 L'écologie, c'est comme le suffrage universel
01:54:45 et le repos du dimanche.
01:54:47 Dans un premier temps, tous les bourgeois
01:54:48 et tous les partisans de l'ordre vous disent
01:54:50 que vous voulez leur ruine.
01:54:52 Le triomphe de l'anarchie et de l'obscurantisme.
01:54:55 Oui, c'est à peu près toujours ça.
01:54:58 Puis, dans un deuxième temps, quand la force des choses
01:55:00 et la pression populaire deviennent irrésistibles,
01:55:02 on vous accorde ce qu'on vous refusait hier.
01:55:05 Et effectivement, on nous a accordé quelques petites choses.
01:55:07 De ce point de vue, l'accord de Paris peut être interprété
01:55:11 dans ce registre-là.
01:55:12 Mais fondamentalement, rien ne change.
01:55:15 Et ça, aujourd'hui, pour moi, c'est, je pense,
01:55:19 la citation que je vais réutiliser dans tous mes écrits
01:55:21 pour les années à venir,
01:55:22 parce que c'est clairement le problème
01:55:24 auquel nous sommes confrontés.
01:55:27 Et c'est un appui,
01:55:30 puisque du coup, on est sur une table ronde d'écosocialisme,
01:55:32 et je m'arrête là,
01:55:34 pour penser, effectivement, s'il faut simplement revenir
01:55:36 à mai 68 et au début des années 70,
01:55:39 ou quand même interroger les outils
01:55:42 dont nous disposons aujourd'hui
01:55:43 pour faire face à la crise écologique
01:55:45 à laquelle nous sommes.
01:55:46 TotalEnergie, on peut leur dire gentiment, faites mieux.
01:55:52 On peut leur mettre des taxes.
01:55:53 On peut essayer de réguler et de normer
01:55:56 un petit peu mieux leurs activités.
01:55:58 On peut éventuellement, y compris dans une perspective
01:56:02 plus de gauche classique,
01:56:04 penser que la nationalisation est un moyen
01:56:08 de remettre au pas cette multinationale.
01:56:10 Et je prends TotalEnergie, je pourrais prendre,
01:56:12 c'est pour moi, l'incarnation de la globalisation
01:56:15 telle qu'elle existe aujourd'hui.
01:56:17 Mais aucun de ces outils n'est à la hauteur des enjeux.
01:56:20 Et en ce sens-là, du coup,
01:56:21 ce n'est pas simplement retourner voir quels sont les outils
01:56:26 des différentes traditions politiques
01:56:29 des années passées ou des siècles passés
01:56:31 vont nous permettre de résoudre les situations
01:56:33 dans lesquelles nous sommes aujourd'hui.
01:56:35 La question, c'est comment on arrive à démanteler
01:56:38 le pouvoir de nuisance d'une multinationale
01:56:40 telle que TotalEnergie,
01:56:41 telle que le capitalisme mondialisé.
01:56:43 Et cette question du démantèlement,
01:56:45 elle n'est pas soluble dans les histoires passées
01:56:50 de nos traditions politiques existantes.
01:56:53 Mon dernier mot, c'est qu'on a pour vous de coup dit ce soir
01:56:57 le philosophe André Gorce.
01:57:00 Mais justement, je pense qu'un des atouts de Gorce,
01:57:04 moi, je me retrouve bien là-dedans,
01:57:05 qui ne suis ni totalement un économiste,
01:57:08 ni totalement un journaliste, ni totalement un militant,
01:57:11 c'est d'avoir été en mesure de mêler
01:57:13 ces différentes casquettes-là
01:57:15 et sans se poser toujours la question
01:57:17 de quelle est ma légitimité à parler, à m'exprimer
01:57:20 et à quel titre de pouvoir le dire.
01:57:21 Et ça, je pense qu'on en manque beaucoup aujourd'hui
01:57:25 d'avoir cloisonné le monde de la recherche,
01:57:29 le monde de l'action militante et le monde du journalisme
01:57:32 et que essayer de naviguer entre les trois,
01:57:34 je vous assure, c'est extrêmement compliqué.
01:57:36 J'essaie de le faire régulièrement,
01:57:37 ce n'est pas simple, mais je pense qu'on gagnerait
01:57:39 à nous inspirer de ce qu'André Gorce a fait
01:57:42 entre ces trois sphères-là pour les années à venir.
01:57:46 -Merci. Je suis très sensible à la dernière considération.
01:57:50 Rendez-nous Michel Bosquet.
01:57:52 Merci. Il est 20h28.
01:57:55 Vous avez chacun parlé de tous les trois.
01:57:56 On débordera un petit peu, mais c'est le jeu.
01:57:59 On a, je pense, un quart d'heure.
01:58:00 Marie, tu me confirmes ?
01:58:02 Je pense que la salle a envie de parler.
01:58:05 J'espère qu'il y aura des questions,
01:58:06 sinon j'en aurais quelques-unes,
01:58:07 mais je pense qu'on a un quart d'heure
01:58:08 là où on peut parler.
01:58:10 On va faire circuler le micro.
01:58:13 Je vous demande à tous d'intervenir de façon concise
01:58:18 pour que le maximum de gens puisse prendre la parole.
01:58:21 On va essayer d'alterner un homme et une femme.
01:58:24 Le critère d'âge, on va le laisser de côté,
01:58:27 mais un homme et une femme,
01:58:28 on va vraiment essayer de faire attention à ça.
01:58:30 Il y a une main qui se lève là-bas,
01:58:33 et Marie qui amène le micro.
01:58:37 Je vois pendant ce temps-là se lever Will et Jen Linazzi
01:58:41 qui s'en vont.
01:58:41 Je me permets de vous recommander sa biographie d'André Gordes,
01:58:45 qui est vraiment un livre magnifique.
01:58:50 Marie ?
01:58:53 Cédric ?
01:58:53 Oui.
01:58:55 Je vais poser une question à...
01:58:57 On parlera entre vous après.
01:58:59 Je voudrais poser une question à Paul Magnette.
01:59:01 D'abord, je vais faire une petite incise.
01:59:04 Sur la question du revenu universel,
01:59:06 André Gordes a changé d'avis plusieurs fois.
01:59:08 Ce n'est pas lui faire injure que de le dire.
01:59:10 Il y a que les Sceaux qui ne changent pas d'avis.
01:59:12 Il y a une chose qu'on ne peut pas lui dire,
01:59:13 c'est qu'il était Sceaux.
01:59:14 Il a puisé dans ses divers fonds
01:59:18 des moments où il était pour et des moments où il était contre.
01:59:22 Je crois qu'il a changé d'avis.
01:59:23 Peut-être que Christophe pourrait nous faire
01:59:24 une généalogie complète de ses positions là-dessus,
01:59:26 mais je pense qu'il y a eu du zigzag.
01:59:29 Et alors ?
01:59:30 Premièrement.
01:59:31 Deuxièmement, pour moi, il y a un truc assez fondamental
01:59:34 que j'ai toujours gardé de lui.
01:59:36 C'est un grand effort de lucidité, je pense,
01:59:40 dans "Adieu au prolétariat",
01:59:43 quand il dit qu'il y a une zone d'hétéronomie
01:59:46 et une zone d'autonomie.
01:59:48 Et la zone d'autonomie ne peut vraiment exister,
01:59:52 en tout cas à notre époque,
01:59:54 avec le nombre d'habitants que nous sommes,
01:59:56 que s'il y a une zone d'hétéronomie qui, elle, est efficace,
02:00:00 mais qu'on ne pourra pas supprimer.
02:00:02 Je crois qu'il m'a dit... Je ne sais pas s'il l'a écrit.
02:00:06 L'exemple, c'était le vélo.
02:00:07 Le vélo, c'est l'autonomie par définition.
02:00:10 Il n'y a pas de vélo sans une usine performante de roulement à billes.
02:00:14 Et moi, je dirais, aujourd'hui,
02:00:16 il n'y a pas de lutte contre le changement climatique
02:00:17 sans des éoliennes performantes et des panneaux photovoltaïques performants.
02:00:21 Il faut des usines pour ça.
02:00:23 Et j'ai l'impression que ce truc, qui pour moi était important,
02:00:27 a été un peu perdu par la suite,
02:00:29 et non seulement par Gortz,
02:00:30 mais aussi et surtout par beaucoup de ses épigodes.
02:00:33 Mais moi, je veux bien qu'il me traite de technosolutionnisme.
02:00:36 -Justement, c'était le point qu'Auclair Lejeune esquissait.
02:00:39 Et elle vous répondra sur ce point,
02:00:42 parce qu'il y a un peu un renouveau là-dessus.
02:00:44 Deux autres interventions.
02:00:47 -Oui. On a parlé de Pierre Char... Pardon.
02:00:52 Christophe.
02:00:54 -On a parlé de Pierre Charbonnier.
02:00:56 Et j'ai une question, parce que dans son livre "Culture écologique",
02:01:00 qui est sorti récemment,
02:01:01 après avoir parlé de la critique de la cité de consommation
02:01:04 qu'on retrouve dans les années 50, chez Baudrillard notamment,
02:01:07 il dit que ces critiques très théoriques, avant-gardistes,
02:01:10 et d'une certaine manière élitistes du capitalisme de bien-être
02:01:13 sont relayées à partir des années 70 par des auteurs comme André Gortz.
02:01:17 Et du coup, ma question, c'était...
02:01:19 J'étais intéressé par le mot "élitiste" qui est utilisé.
02:01:23 Et comment est-ce que vous pensez qu'on peut entendre
02:01:26 cet adjectif "élitiste"
02:01:28 vis-à-vis de la philosophie politique d'André Gortz ?
02:01:32 Et quelle était sa relation notamment avec des notions
02:01:35 comme la démocratie de masse ?
02:01:37 -Très bien. Merci. La question de l'élitisme de Gortz.
02:01:41 Une troisième intervention.
02:01:43 On n'y est pas sur le respect homme-femme,
02:01:45 mais... Des mains se lèvent ou pas ?
02:01:49 Je ne vois pas très bien.
02:01:52 Est-ce qu'on rate des mains ?
02:01:54 Signalez-vous s'il y a des mains qui ne sont pas...
02:01:57 En attendant, on va prendre ces deux questions.
02:02:00 Claire Lejeune, c'est une conversation qu'on avait tout à l'heure.
02:02:04 Vous travaillez sur la planification écologique.
02:02:06 Au fond, dans le langage de Gortz, sur une production hétéronormée,
02:02:10 c'est-à-dire que tout ce qu'on vivra demain
02:02:13 ne sera pas forcément ce qu'on va faire dans notre jardin,
02:02:16 dans notre cuisine ou dans notre atelier.
02:02:18 Il y a des choses qui doivent être faites.
02:02:20 Par exemple, une usine de roulement à billes,
02:02:23 qui fabrique des panneaux photovoltaïques.
02:02:27 Donc, est-ce que Gortz,
02:02:29 qui est le grand théoricien de l'autonomie,
02:02:31 mais qui ouvre un champ pour l'hétéronomie,
02:02:34 vous me disiez, nous aide à penser cette articulation entre les deux ?
02:02:39 Est-ce qu'en acceptant ça, on ne tombe pas dans le technosolutionnisme ?
02:02:43 Comment on navigue sur cette ligne de crête ?
02:02:46 Oui. Je pense que cette tension est présente depuis très longtemps
02:02:51 et elle reste vraiment structurante
02:02:54 des débats au sein de la famille écologiste.
02:02:58 Je vais peut-être partir d'un article
02:03:01 qui est présent dans l'ouvrage compilé par Christophe Fourelle
02:03:06 ou Dominique Méda,
02:03:08 avec un coauteur dont je vais oublier le nom,
02:03:10 retrace l'évolution de la pensée de Gortz sur le travail
02:03:14 et décrit la manière dont il part d'un constat
02:03:19 de l'hétéronomie du travail tel qu'il est
02:03:21 dans le système capitaliste libéral,
02:03:24 et du coup, le conteste frontalement,
02:03:28 puis passe sur une position
02:03:31 où effectivement, il accepte une part restreinte,
02:03:36 la plus restreinte possible de travail hétéronome,
02:03:39 puisqu'on est dans des sociétés complexes,
02:03:42 un minimum industriel,
02:03:44 et justement, avec une pensée de comment on peut restreindre
02:03:48 ce temps-là pour libérer du temps pour l'activité autonome.
02:03:54 Et du coup, il y a bien ce côté réformisme radical
02:03:57 où il accepte une partie, mais ce qui est déterminant, je pense,
02:04:00 et là, je vais y venir à mon sujet de thèse,
02:04:04 c'est comment on choisit démocratiquement,
02:04:07 donc avec une forme d'autonomie et de réflexivité,
02:04:12 la part qu'on donne au travail hétéronome,
02:04:17 comment on s'organise collectivement.
02:04:19 Et c'est ça qui différencie ce vers quoi
02:04:23 la pensée d'André Gortz, je pense, tend et pointe,
02:04:26 et la situation actuelle où, en fait,
02:04:28 on n'a jamais décidé collectivement
02:04:31 d'avoir cette forme-là de marché du travail,
02:04:34 de voir le travail marchandiser, grignoter des sphères
02:04:37 de plus en plus étendues de l'existence
02:04:40 jusqu'à coloniser des formes d'activité
02:04:45 qui étaient auparavant autonomes,
02:04:47 la cuisine, le soin des enfants, le soin des...
02:04:50 Voilà, tout.
02:04:52 Et donc, voilà, c'est comment les pouvoirs publics,
02:04:57 informés démocratiquement,
02:04:59 peuvent mettre des limites et réguler ça.
02:05:03 Et en fait, dans mon travail sur la planification écologique,
02:05:08 il y a déjà la question de comment
02:05:13 l'impératif de respect des limites planétaires
02:05:15 change complètement le sens de la planification
02:05:18 par rapport à l'histoire de la planification post-45,
02:05:21 planification la française, New Deal américain ou autre.
02:05:25 Il y avait une vraie rupture qui est introduite par ça.
02:05:28 Et donc, tout le défi, c'est de penser une planification
02:05:33 qui peut être productrice d'autonomie,
02:05:37 et qui a des bases démocratiques territorialisées, etc.
02:05:42 - Mais sans nier l'existence d'un secteur hétéronormé.
02:05:46 - En fait, c'est... - Mais décidé démocratiquement.
02:05:48 - Voilà, c'est comment on peut gérer,
02:05:51 de manière autonome et démocratique,
02:05:55 des sphères qui, dans la description qu'on peut en faire,
02:05:58 comportent une part d'hétéronomie,
02:06:01 de part l'inévitable complexité
02:06:04 et aussi de l'impératif temporel dans lequel on est.
02:06:09 Et là, je retrouve bien la citation que Paul avait utilisée
02:06:15 sur "tenir les contradictions et tenir les tensions".
02:06:19 Et ça, c'est notre situation inévitable.
02:06:23 Je voudrais me tourner vers Paul Maninel.
02:06:25 Vous parliez de l'exemple type du nucléaire,
02:06:28 d'une technique qui, par essence, serait hétéronormée.
02:06:31 Est-ce qu'il y a des techniques qui, par essence,
02:06:33 ne sont pas démocratisables ?
02:06:35 Est-ce que l'éolien, quand il vient des grandes fermes,
02:06:39 qui sont combattus par certains écologistes...
02:06:41 Comment vous vous articulez ça ?
02:06:43 Et est-ce que Gors vous permet de faire cette balance
02:06:47 entre un écologisme qui, parfois,
02:06:49 tend à une autonomie un peu fétichisée,
02:06:52 qui serait la solution de tout,
02:06:53 et puis une autre qui serait solutionniste
02:06:54 et qui fétichise aussi la technique ?
02:06:56 Comment est-ce qu'on circule entre les deux ?
02:06:58 C'est pour ça que j'ai choisi,
02:07:00 et Claire l'a rappelé, cette citation dans laquelle il dit
02:07:03 "il y a des contradictions dont on doit accepter
02:07:05 qu'on ne peut pas les résoudre",
02:07:06 parce qu'il n'y a pas de naïveté chez Gors.
02:07:09 C'est ça qui fait sa force aussi.
02:07:10 À la fois, il écrit qu'il faudrait pouvoir...
02:07:14 Il plaide un peu pour les low tech, on dirait aujourd'hui,
02:07:16 c'est-à-dire se passer toute une série de choses
02:07:17 et retrouver le plaisir de produire soi-même
02:07:20 une partie de son alimentation, de cuisiner,
02:07:22 de préparer certains de ses vêtements,
02:07:24 ses meubles, etc.
02:07:25 Donc, un peu une utopie, en tout cas,
02:07:28 de la lutte contre l'aliénation
02:07:30 et de la réappropriation du rapport entre l'humain,
02:07:33 son travail et sa production,
02:07:35 qui est assez magnifique,
02:07:37 qui rappelle Ivan Ilyich, etc.
02:07:38 Mais en même temps, il dit, je crois que la citation est exacte,
02:07:40 c'est "trouvez-moi un forgeron
02:07:41 qui va vous faire fabriquer un dérailleur de vélo".
02:07:44 Vous n'allez pas le trouver,
02:07:45 parce que ça n'a l'air de rien, un dérailleur de vélo,
02:07:47 mais c'est très, très technique.
02:07:48 Et donc, là, on aura besoin encore...
02:07:50 Et donc, je crois que ça se raccroche
02:07:52 à ce que disait Clara tout à l'heure,
02:07:54 à cette critique très, très riche...
02:07:55 Non, Clara, c'est toi.
02:07:57 Voilà, c'était Clara.
02:07:58 À cette critique très, très riche de la technique,
02:08:00 qui est effectivement un des éléments clés de sa pensée,
02:08:05 qui est de dire qu'il y a effectivement des techniques
02:08:08 qui, comme vous le dites, sont impossibles à démocratiser,
02:08:11 comme le nucléaire.
02:08:12 On ne voit pas très bien comment on pourrait le soumettre
02:08:14 à une forme de délibération autonome.
02:08:17 Il y en a d'autres qui sont autonomes par essence
02:08:18 et qui sont alors du côté des low-tech
02:08:21 et de la réappropriation,
02:08:22 et pratiquement d'un artisanat,
02:08:23 vraiment à la Yvan Illich.
02:08:25 Et puis, il y a une espèce de zone grise, comme ça,
02:08:27 où il parle beaucoup de la santé, par exemple.
02:08:29 On ne va pas se passer de tous les progrès.
02:08:31 Il est conscient qu'on a atteint un niveau
02:08:33 de développement scientifique et technologique tellement élevé
02:08:36 et que notre société est tellement profondément structurée par ça
02:08:39 qu'il n'est pas du tout dans l'utopie
02:08:41 d'abandonner toute la médecine traditionnelle
02:08:43 et d'aller uniquement vers des médecines douces,
02:08:46 d'abandonner toutes les technologies existantes.
02:08:47 Et donc, il faut bien accepter qu'il y a une part
02:08:49 de cette technologie qui est tellement profondément
02:08:52 racinée dans la société et dans les rapports sociaux
02:08:54 qui sera toujours là,
02:08:55 et donc, il y aura une part d'hétéronomie.
02:08:57 Et il y a le même rapport dans la question sur le travail.
02:08:59 Il n'admet qu'il y aura toujours une forme d'hétéronomie
02:09:04 dans le travail, parce qu'il y a une forme de nécessité du travail.
02:09:07 C'est peut-être de là que viennent les zigzags
02:09:09 sur la question de la location universelle.
02:09:10 Et dans le rapport à la nature, il y a une très belle phrase
02:09:12 dans laquelle il dit, et qui résonne beaucoup
02:09:15 avec des débats écologiques contemporains
02:09:16 sur l'écologie profonde, donc elle dit,
02:09:17 "Mais moi, je n'ai aucun problème avec le prométhéisme.
02:09:20 "Comme écologiste, je pense que la profondeur
02:09:23 "de la transition technologique qu'on va devoir faire
02:09:26 "est telle qu'on a besoin de ce prométhéisme,
02:09:28 "de cette idée que les humains vont devoir avoir
02:09:30 "un rapport très fort à la transformation
02:09:33 "de leur environnement au naturel
02:09:34 "si on veut réussir cette transition,
02:09:36 "et croire que non, on doit juste être
02:09:37 "dans une logique de conservation,
02:09:39 "une logique passive par rapport à la nature,
02:09:41 "ne va jamais nous permettre."
02:09:42 Donc, voilà, il y a toutes ces contradictions
02:09:44 ou toutes ces tensions, ce ne sont pas des contradictions,
02:09:45 mais toutes ces tensions qu'il assume
02:09:47 et qui, je crois, font vraiment la très grande richesse
02:09:50 de sa pensée, comme celle d'un autre auteur contemporain
02:09:52 que Lobs devrait interviewer,
02:09:54 je pense vraiment sur l'influence de Gortz,
02:09:55 c'est Jürgen Habermas, parce qu'il vit toujours,
02:09:57 mais il y a énormément de résonances
02:09:59 de l'œuvre de Gortz chez Habermas.
02:10:00 Je suis sûr qu'il y a beaucoup d'influence
02:10:02 sur toutes ces questions-là, notamment,
02:10:03 et dans cette manière de vivre ces contradictions.
02:10:05 Habermas, j'avais lu ça dans la biographie
02:10:07 de Willy Giaminazzi, avait consacré un cours entier
02:10:10 dans les années 70 à André Gortz,
02:10:12 et par ailleurs, on l'interview régulièrement,
02:10:13 mais on ne l'a jamais interviewé sur André Gortz.
02:10:17 Et juste sur "La médecine douce",
02:10:19 dont Gortz était vraiment un militant,
02:10:20 il avait fait des dossiers dans Lobs,
02:10:21 et ça n'avait pas été facile à l'époque
02:10:23 ni de les publier, ni d'encaisser les critiques véhémentes
02:10:28 qu'il avait eues du corps médical,
02:10:29 y compris dans les colonnes de Lobs.
02:10:31 Maxime, est-ce que la question de l'éditisme,
02:10:34 est-ce qu'il y a un peu de l'éditisme chez Gortz,
02:10:36 qui est aussi un reproche qu'on fait facilement
02:10:37 à l'écologie en général,
02:10:39 sous la formule souvent entendue,
02:10:43 c'est un truc de bobos ?
02:10:44 Est-ce qu'on peut un peu repérer ça,
02:10:46 ou ça ne vous paraît pas pertinent ?
02:10:49 -Je ne suis pas en mesure de répondre
02:10:51 de façon sourcée, précise,
02:10:53 pour dire s'il y a de l'éditisme chez Gortz.
02:10:56 Après, je pense que notre difficulté,
02:10:58 c'est qu'il y a toujours de l'éditisme dans l'écologie,
02:11:01 mais dans le monde militant
02:11:02 et dans les gauches en général aujourd'hui.
02:11:05 Et on le voit dans les résultats électoraux,
02:11:07 on le voit dans la capacité de qui est mobilisé, mobilisable,
02:11:13 et de qui prend la parole et de qui s'exprime.
02:11:16 Et on le voit également dans l'impossibilité
02:11:20 que toute une partie de grande frange de la population
02:11:24 ne se retrouve plus ou ne se sent pas incarnée
02:11:27 par ni les penseurs de l'écologie
02:11:31 ou de la transformation du monde dans lequel nous vivons,
02:11:33 mais pas beaucoup plus dans les formes organisées
02:11:35 telles qu'elles existent aujourd'hui.
02:11:37 Et si Fatima Ouassak était encore là pour le dire,
02:11:40 notamment celles et ceux qui se vivent comme racisés
02:11:44 ou comme vivant dans les quartiers populaires
02:11:46 ou comme n'étant jamais représentés
02:11:48 par celles et ceux qui prétendent changer le monde
02:11:52 dans lequel nous vivons.
02:11:53 De ce point de vue-là,
02:11:54 il y a une forme d'éditisme assez importante
02:11:57 dans celles et ceux qui disent aujourd'hui
02:12:00 incarner ou représenter l'écologie politique en France.
02:12:02 Pas forcément propre à Gortz, mais...
02:12:04 Non, là, moi...
02:12:05 Oui, je comprends très bien.
02:12:07 J'ai éclaté tout à l'heure.
02:12:08 Paul, rapidement.
02:12:09 Juste factuellement rappeler qu'il passait un temps fou
02:12:12 à discuter avec le monde syndical
02:12:14 et que dans beaucoup de ses bouquins,
02:12:15 il y a un résumé vulgarisé volontaire
02:12:17 à destination du monde syndical
02:12:18 pour lutter contre cette forme d'élitisme de la pensée.
02:12:21 Tout le monde a quelque chose à dire, finalement.
02:12:22 Maxime ?
02:12:23 C'est juste parce que je ne suis pas sûre
02:12:25 que c'est exactement ça, la question, en fait.
02:12:28 Si je ne me trompe pas,
02:12:30 Pierre Charbonnier, dans "Culture écologique",
02:12:34 dit qu'il y a toute une terrorisation
02:12:36 de la société de consommation
02:12:37 qui peut avoir un volet un peu simplificateur et élitiste
02:12:41 qu'André Gortz vient corriger, justement.
02:12:44 Est-ce que c'est ça ?
02:12:46 Je vérifie.
02:12:47 D'accord.
02:12:53 On était un peu dans une lecture de texte de Pierre Charbonnier.
02:12:55 Ce n'est peut-être pas le lieu de faire...
02:12:58 Non, mais je pense que justement, du coup,
02:12:59 ce qu'il dit, c'est que la pensée d'André Gortz
02:13:01 nous permet de combattre, justement, cette dimension-là.
02:13:04 Mais...
02:13:05 Maxime, un dernier mot sur les stigmes
02:13:07 et après, on refait un deuxième rafale de questions,
02:13:10 si Marie m'autorise.
02:13:11 Non, par contre, ce que moi, je perçois chez Gortz
02:13:13 et sur lequel je pense qu'il faut qu'on fasse
02:13:16 collectivement attention, c'est que la théorie
02:13:21 et la volonté de théoriser de manière extrêmement forte
02:13:25 sans jamais se confronter au réel,
02:13:27 sans jamais se confronter aux luttes telles qu'elles existent,
02:13:30 aux expériences de vie des gens
02:13:34 qui sont soit victimes de la mondialisation
02:13:37 ou qui essayent de transformer le monde dans lequel ils vivent,
02:13:41 ça devient un carcan.
02:13:42 Ça devient un carcan pour penser, ça devient un carcan pour agir.
02:13:45 Et je pense que, et je reviens à ce que je disais tout à l'heure,
02:13:47 c'est que je pense qu'un des apports de Gortz
02:13:50 est d'avoir essayé de théoriser,
02:13:52 mais toujours en cherchant à se confronter à la réalité
02:13:54 par sa pratique du journalisme.
02:13:56 Et ça, c'est quelque chose qu'il faut à tout prix conserver
02:13:59 ou faire revivre ou faire renaître
02:14:02 ou déployer de manière bien plus importante.
02:14:04 C'est ces allers-retours-là qui sont absolument nécessaires.
02:14:08 Et je ne suis pas sûr aujourd'hui
02:14:09 qu'on soit vraiment totalement opérationnel de ce point de vue-là.
02:14:12 -Oui, mais lui, effectivement, n'arrêtait pas de faire ses allers-retours.
02:14:14 Et tous ses reportages des années 70 sont pleins d'occasions.
02:14:18 D'ailleurs, du coup, lui-même, il zigzague sur certains sujets.
02:14:21 Il y a une éloge de l'entreprise, par exemple,
02:14:23 qui émerge à la fin des années 70,
02:14:25 parce qu'il est proche d'Edmond Maire
02:14:28 et de la revue dont j'ai offert, je crois,
02:14:31 donc j'ai oublié le nom.
02:14:32 Il est sensible à des tas de choses,
02:14:33 ce qui fait qu'il gaudit, c'est un peu une éponge.
02:14:37 Est-ce qu'il y a des bras qui se lèvent, des mains qui se lèvent ?
02:14:41 On vous a tout dit ce qu'il fallait...
02:14:44 Alors, Marie, tu peux passer le micro ?
02:14:49 Comment ?
02:14:51 Oui, peut-être.
02:14:52 Dernière salle de questions.
02:14:54 Il peut y en avoir encore une autre.
02:14:56 Je n'aurai pas de femmes qui poseront des questions.
02:14:58 Donc ça restera la suite.
02:14:59 Je voulais faire un petit témoignage en solidarité
02:15:02 avec toutes les têtes chenues de l'Assemblée.
02:15:05 Mais il n'y a pas que des têtes chenues.
02:15:06 Vous avez vu, c'est trois générations ce soir.
02:15:08 Il y a de la jeunesse dans les hauteurs.
02:15:11 Donc pour moi, André Gortz,
02:15:13 c'est mes années 68 et suivantes.
02:15:15 D'accord ?
02:15:17 J'étais, par la force des choses,
02:15:19 en plein dans le milieu étudiant, dans le mouvement étudiant.
02:15:23 Et il y avait autour de moi des gens qui tiraient
02:15:26 vers le marxisme pur et dur, voir vers le stalinisme,
02:15:30 voir vers le maoïsme,
02:15:33 voir vers l'anarchisme aussi, très sympathique.
02:15:36 Et pour moi, Gortz, c'était quelqu'un qui m'a aidé à réfléchir
02:15:41 en évitant de tomber dans aucun des camps.
02:15:44 Bon, donc j'ai été dans la rue,
02:15:46 mais je n'ai rien scié, je n'ai pas brûlé.
02:15:51 Et j'ai continué une vie assez simple,
02:15:53 bien que, comme pas mal de mes camarades de l'époque,
02:15:58 nous étions dans les grandes écoles
02:15:59 et nous avons continué des vies d'enseignants, de chercheurs,
02:16:04 voire de poètes, ou j'en sais rien. Voilà.
02:16:08 Merci.
02:16:09 C'est bon, pas de regrets. Merci beaucoup à tous.
02:16:13 D'avoir été...
02:16:15 Merci d'avoir été si nombreux.
02:16:21 C'est chouette de voir cet amphi bien plein,
02:16:23 d'être resté jusqu'à la fin.
02:16:25 Trois informations importantes.
02:16:27 À la sortie, il y a une table
02:16:28 où vous aurez des livres des participants
02:16:31 que vous pourrez acheter, ainsi que leurs séries de l'Obs,
02:16:33 notamment celui sur "Pensée et l'écologie",
02:16:35 avec un texte d'André Gortz.
02:16:37 Il y a aussi un pot qui est offert.
02:16:39 Je ne sais pas s'il y aura assez pour tout le monde,
02:16:41 mais on peut se retrouver autour d'un verre
02:16:43 pour poursuivre la discussion.
02:16:45 Et troisième point, comme l'a dit Christophe,
02:16:48 c'est une année du centenaire de Gortz,
02:16:50 donc il y aura deux autres soirées dans l'année
02:16:53 dont les dates ne sont pas encore fixées.
02:16:55 L'une, pour le moment, à Montpellier à l'automne,
02:16:57 et l'autre, pour le moment, à Limèques, près de Caen,
02:17:01 au printemps.
02:17:02 Merci encore à vous tous et à la prochaine.
02:17:05 Au revoir.
02:17:06 (Applaudissements)

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