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Le documentaire "Homosexualité : Les Derniers Condamnés" sorti en 2023 explore une période sombre de l'histoire française concernant la répression de l'homosexualité. Voici les principaux éléments à retenir :
Contexte historique

Entre 1942 et 1982, l'homosexualité était considérée comme un délit en France

.
Environ 10 000 personnes ont été condamnées pour homosexualité durant cette période

.

Nature des condamnations

Les peines incluaient des amendes, des jugements en correctionnelle et parfois de l'emprisonnement

.
Les condamnations visaient essentiellement des hommes

.

Témoignages
Le documentaire donne la parole aux derniers témoins de cette époque, qui racontent :

Quatre décennies de vie clandestine

.
L'humiliation et la honte ressenties suite aux condamnations
.
Les descentes policières dans les bars homosexuels
.
Le fichage des homosexuels par la préfecture

.

Impact sur les vies

Bernard Bousset, condamné à 23 ans en 1964, témoigne avoir "traîné cette honte toute sa vie"

.
La publication des noms dans la presse locale aggravait l'humiliation
.
Beaucoup ont vécu dans la peur et le secret pendant des années

.

Évolutions récentes

En 2023, une proposition de loi visant à réhabiliter les personnes condamnées et à reconnaître la responsabilité de l'État a été votée par le Sénat

.
Le documentaire s'inscrit dans un mouvement de reconnaissance et de réparation de cette injustice historique.

Ce film offre un regard poignant sur une période où l'homosexualité était criminalisée en France, à travers les récits de ceux qui l'ont vécue.
Transcription
00:00...
00:06On n'en parle pas, non. On ne parle pas de ça.
00:10Vous êtes coupable de qui vous êtes.
00:12On n'y peut rien. Vous êtes né coupable.
00:15J'ai vécu en pensant que j'étais presque un assassin ou un voleur.
00:19...
00:24On avait intégré l'idée que...
00:27Oui, de temps en temps, on se ferait embarquer par les flics.
00:31On est condamnés plusieurs fois, pas à cote de peine.
00:34C'était des peines permanentes.
00:36On vous aime bien, mais dans les placards, éventuellement morts,
00:39mais ne sortez surtout pas des placards.
00:41...
00:55On vivait la terreur.
00:57C'est dur à comprendre, mais on vivait la terreur.
01:00On ne peut jamais oublier que l'histoire de France,
01:02c'est une histoire hétérosexuelle, blanche et catholique.
01:06Qu'est-ce que vous pensez d'un homosexuel ?
01:08Un homme que la nature n'a pas construit
01:11comme il devrait l'être.
01:13Des gens qu'il faut soigner, parce qu'on est malades.
01:15On soigne toutes les maladies.
01:16...
01:24Le 6 août 1942, un décret signé par Philippe Pétain
01:28rétablit le délit d'homosexualité.
01:32Toute relation sexuelle entre deux personnes de même sexe
01:35est interdite avant 21 ans,
01:37alors qu'elle est autorisée pour des hétérosexuels dès 15 ans.
01:43Pour la première fois depuis la Révolution française,
01:45la notion d'acte contre nature est rétablie.
01:50Jusqu'à l'abrogation du décret en 1982,
01:53plusieurs milliers de peines sont prononcées en France.
01:56Elles frappent essentiellement des hommes.
02:01Ce film donne la parole aux derniers témoins
02:03d'une époque pas si lointaine
02:04où les homosexuels étaient des exclus, des parias.
02:14Je suis né à Rouen,
02:15dix jours avant les bombardements des Américains sur le port.
02:24Mes parents sont issus d'un milieu bourgeois,
02:27mais bourgeois plutôt éclairé et surtout très tolérant
02:32et, disons, des bourgeois bohèmes, mais pas au sens d'aujourd'hui.
02:37C'est-à-dire que la bohème des années 50 à Rouen,
02:41c'était le milieu des antiquaires, des peintres, des peintres sculpteurs,
02:46parmi lesquels il y avait beaucoup d'homosexuels.
02:48Immédiatement après la guerre, sur les quais,
02:51les urbanistes ont construit une sorte d'autoroute urbaine,
02:54des quais hauts,
02:55et ça a créé un espace extrêmement étroit, sombre, glauque,
03:01dans lequel se retrouvaient tous les marins,
03:03les militaires aussi et les homosexuels.
03:07J'ai toujours été extrêmement attiré par cet endroit
03:11et je pense y avoir eu mes premiers émois
03:14pour les hommes en uniforme,
03:16les hommes assez virils, marins, etc.
03:26Enchaînée le 23 novembre 1948.
03:29Sur la première photo, on voit mes parents.
03:31C'est vraiment le couple de l'après-guerre.
03:34Le père communiste, la mère,
03:37et les deux filles, les filles, les filles,
03:41le père communiste, la mère plutôt château,
03:46pas de droite, mais les deux s'opposant continuellement.
03:49Et dans leurs bras, mon frère et moi.
03:53Là, je pense que c'est sur la place des Théraudes, donc à Lyon.
03:57Je pense qu'ils étaient aussi homophobes l'un que l'autre.
04:01Mon père, par rapport au PC,
04:03puisqu'il était membre du Parti communiste,
04:06j'allais dire communiste primaire,
04:10jusqu'à la fin de sa vie, en 1983,
04:13malgré tout ce qu'on avait.
04:15Et ma mère, elle était anticommuniste primaire.
04:18Mon père était totalement introverti, il ne disait rien.
04:21Ma mère, c'était le contraire.
04:22Elle était extravertie, mais au possible.
04:25La maman, presque italienne.
04:28Je suis très, très fier.
04:29C'est en 1955, donc j'avais 7 ans.
04:33J'ai une mention d'honneur pour sa bonne conduite et son travail.
04:37Très rapidement, j'ai senti que j'étais différent.
04:40J'aimais bien les physiques des hommes, le corps des hommes.
04:45Après, j'essayais de trouver des gens à qui m'accrocher.
04:49Alors, bien sûr, c'était le couple Jean-Marais-Cocteau.
04:53Et donc, on se construit comme ça.
05:00Mais oui, mesdames, mais oui, c'est Jean-Marais.
05:03Jean-Marais en personne.
05:07À l'aéroport de Cointrins, Orphée attend-il son Eurydice ?
05:17Eh bien, non !
05:18Une machine qui n'est pas infernale
05:20amène Jean-Cocteau en route pour Rome.
05:24Ah, les enfants terribles !
05:32À 12 ans, j'avais un album de photos grecques,
05:36et je ne regardais que les photos d'Apollon, d'Hermès, tout ça.
05:41Et les Vénus, ça ne m'intéressait pas du tout.
05:44Et j'avais un petit livre que j'ai toujours, des éditions Braun,
05:48que j'avais dans le tiroir de mon bureau.
05:51Et je sortais pour les regarder.
05:54Et quand j'entendais le pas de ma mère approcher de ma chambre,
05:58je tournais la page et je les mettais sur les Vénus,
06:01pour qu'elles voient que je regardais des Vénus.
06:04Je savais que je faisais quelque chose de mal, déjà.
06:10Comme beaucoup d'enfants de mon âge,
06:13vers 8-10 ans,
06:15on jouait à ce que j'appelle maintenant touche-pipi,
06:19avec les garçons et les filles.
06:21C'est quelques années après que je me suis dit
06:24que je jouais plus souvent à touche-pipi avec les garçons qu'avec les filles.
06:28Ce qui est amusant et triste, ça m'est revenu par mon frère.
06:32Un jour, mon père avait dit à mon frère,
06:34c'est quand même étonnant parce que ton frère est bien monté.
06:38Connaissant mon père, j'étais absolument stupéfait.
06:42Mon père, qui n'est absolument pas vulgaire et qui est assez pudique,
06:46voulait dire qu'il est fabriqué normalement
06:49avec des testicules et un pénis.
06:52C'est dire ce que pouvait passer dans la tête de certaines personnes.
06:57Si on était homosexuel,
06:59c'est forcément que biologiquement,
07:01il y avait quelque chose de différent chez les autres.
07:04Jusqu'à l'âge de 12 ans, j'étais hyper gâté par ma mère,
07:07qui me bichonnait,
07:09qui trouvait que j'étais fragile et qui me maquillait
07:12parce qu'elle me trouvait trop pâle.
07:14Je me souviens, pour aller au cinéma,
07:16elle me mettait de la poudre aux joues pour être un peu plus rose.
07:19J'ai perdu ma mère à 12 ans,
07:21ce qui fait qu'à partir de 12 ans, pour moi, ça a été quand même terrible
07:25parce que mon père était directeur d'hôtel à Paris
07:28et je me suis retrouvé seul.
07:30Ma grand-mère ne pouvait pas s'occuper de moi à ce moment-là.
07:33Mon père m'a mis en pension chez les frères,
07:36dans l'école où j'étais. C'était l'école Chandak à Dax,
07:40une école catholique privée.
07:42Et j'étais le seul pensionnaire.
07:44Il m'avait pris parce que mon père faisait des chèques.
07:47Et donc, par charité chrétienne,
07:49j'étais seul au milieu des curés.
07:52Je devais aller à la messe le matin à 6 heures.
07:55Je dînais avec eux,
07:57avec des personnes beaucoup plus âgées que moi, j'avais 12 ans.
08:00Et c'est là qu'un jour, comme on dit aujourd'hui, j'ai été violé.
08:04Mais moi, à l'époque, je ne savais pas ce que c'était.
08:07Ils disaient plutôt des attouchements.
08:09Et quand je l'ai dit à mon père,
08:11quand il était plus tard venu me voir, il m'a donné deux gifles.
08:15Parce que pour moi, j'étais le coupable.
08:18A l'époque, on était coupable, on n'était pas victime.
08:28Il n'y avait pas de presse, jamais de chansons,
08:31ni au cinéma, ni de livres, ni dans les journaux.
08:34Les seuls livres où on parlait des homosexuels
08:37étaient les livres des psychiatres et des psychanalystes.
08:41Moi, je les ai dévorés, à l'époque.
08:43Le grand livre était de Wilhelm Steckel,
08:46un psychanalyste viennois, disciple direct de Freud,
08:50publié par Gallimard en 1953, si je me souviens.
08:54C'était fait de l'analyse de cas très nombreux,
08:57mais c'était effrayant.
08:59C'était un tableau tellement pessimiste et noir
09:02que c'était accablant.
09:04C'étaient tous des gens complètement tarés,
09:07dépravés, au bord du suicide ou de l'ivrogneurie.
09:11Et il disait, je n'ai jamais vu d'homosexuel heureux.
09:15Évidemment, il ne voyait que des épaves.
09:18Il n'avait pas l'idée qu'il y avait des gens
09:21qui n'avaient pas le voir, qui étaient heureux.
09:24Moi, j'y croyais et je me suis dit,
09:26ma vie est ratée d'emblée, tout de suite.
09:29A l'époque, il n'y a de salut que Paris.
09:32La province, ça n'existe pas.
09:35Le premier désir d'un jeune,
09:38c'est tout de suite prendre le train à Saint-Lazare,
09:42dans la grande tradition de Normande,
09:45et d'arriver dans la capitale.
09:48Paris, comme ville de la liberté aussi.
09:51J'arrive à 18 ans, je vis seul et je suis très timide.
09:56Et je ne trouve personne pour m'aider.
09:59J'ai pas d'amis, pas de complices, pas d'interlocuteurs.
10:06De 62 à 65, je suis extrêmement dépressif
10:10et j'ai même eu des pensées suicidaires.
10:19Mes parents m'avaient recommandé,
10:21pour mon orientation professionnelle,
10:23d'aller voir une psychologue.
10:25Elle a bien compris que j'étais homosexuel.
10:28Le mot n'a jamais été prononcé devant le psychologue.
10:31Je répète une fois de plus que l'homosexualité,
10:34ça n'existe pas.
10:36Elle me dit d'aller voir des psychanalystes.
10:39Mais je me souviens en particulier
10:41d'un des psychanalystes,
10:44avec un très beau salon,
10:46avec un salon qui donnait sur le champ de Mars,
10:49avec la tour Eiffel,
10:51une grande salle d'attente.
10:53À un moment donné, il vient me voir,
10:55avant de me recevoir dans son cabinet,
10:57et il me dit d'entrer dans le petit salon à côté.
11:01Écoutez, je vais vous présenter une jeune fille.
11:06Ma mère, horrifiée, m'a dit
11:08qu'il fallait aller faire soigner mon pauvre garçon.
11:12Ça m'avait un peu choqué, mais pas outre mesure.
11:16Je me suis dit, j'ai une maladie,
11:19après tout, il y a d'autres maladies.
11:22Moi, j'ai celle-là.
11:24Lorsqu'un adolescent manifeste des tendances homosexuelles,
11:28quel devrait être le comportement des parents ?
11:31Il faut absolument dédramatiser
11:33et banaliser la conduite d'un adolescent.
11:36Dans la majorité des cas, ce sont des conduites transitoires.
11:41Je crois qu'effectivement, ce sont des conduites de passage,
11:44une homosexualité qui ne devrait pas porter ce nom.
11:47C'est une expérience homosexuelle de passage transitoire
11:50et qui n'a pas de lendemain.
11:52Si elle se poursuit, si les parents sont inquiets,
11:55le mieux, à ce moment-là, c'est de consulter.
11:58J'ai quitté mes parents pour me mettre en ménage.
12:01Mon compagnon et moi, on était autonomes financièrement.
12:05Quand mes parents m'ont vu,
12:07ils ont su que je vivais avec quelqu'un plus âgé.
12:10À l'époque, la majorité a 21 ans.
12:12Moi, j'avais 18-19 ans et lui, il en avait 24-25.
12:16Ils ont compris que j'étais homosexuel
12:18et que je me mettais en ménage avec un autre homosexuel.
12:21Comme j'étais mineur, ils avaient envisagé
12:23de porter plainte pour détournement de mineur.
12:25On était quand même toujours sur les lois de Vichy,
12:28le délit d'homosexualité.
12:30Mes parents perdent des pieds.
12:32Je pense qu'ils perdent des pieds par rapport à cette situation.
12:38Dax est une ville thermale
12:40où il y a plusieurs hôtels, casinos et tout ça.
12:44Le propriétaire de tous ces hôtels avait un fils
12:47qui était sorti avec moi en cachette.
12:49Lui, il était majeur puisque j'avais qu'il avait une voiture.
12:52Moi, je devais avoir 18 ans.
12:54Et on l'a découvert dans le parc de l'hôtel des Baignaux à Dax,
12:58les deux bras fracturés et la mâchoire cassée.
13:01Et donc, moi, j'ai pris peur complètement
13:04parce qu'on savait qu'il sortait avec moi.
13:06Moi, j'ai eu chez ma grand-mère...
13:08J'habitais une maison qui s'appelait la Ville de la Solitude.
13:11On a eu des carreaux cassés à coups de cailloux.
13:13Mais un jour, ma grand-mère m'a dit...
13:16Ça m'a marqué aussi
13:18parce que justement, ce garçon était venu sonner à la maison
13:23parce qu'il m'avait pas vu depuis deux jours
13:25parce que je sais pas pourquoi je n'osais pas sortir.
13:28Il venait sonner. Moi, je m'étais caché.
13:30J'avais dit à ma grand-mère, c'est lui. Réponds que je suis pas là.
13:34Elle a dit non, il est pas là. Il est sorti. Il est reparti.
13:37Et après, ma grand-mère m'a dit,
13:39j'en ai marre que tes coques te courent après.
13:42Je finis par quitter Dax et je suis parti à Bordeaux.
13:45À Bordeaux, le fait d'arriver à Bordeaux dans une grande ville,
13:48déjà, par rapport à Dax, c'était un vent de liberté.
13:55Au début des années 60, à Bordeaux,
13:57il y avait un bar qui s'appelait Le Fuccéen, Place Gambetta.
14:00Et il y en avait un autre, rue Porte-Digeot,
14:03mais qui était plutôt fréquentée, à l'époque,
14:05par des prostituées et des travestis.
14:07Il y avait deux bars. C'était les deux seuls qui existaient.
14:10Ils existaient certainement
14:12parce qu'ils avaient des connivences avec la police.
14:15Parce que moi, je connaissais très bien la patronne du Fuccéen
14:18et elle devait donner des noms.
14:20Elle notait des noms et un jour, je lui ai demandé pourquoi c'était.
14:23Elle m'a dit, pourquoi tu crois que je reste ouvert ?
14:29Alors, Le Fuccéen, à Bordeaux,
14:31quand on rentrait dedans, il y avait un jukebox,
14:33on mettait des pièces.
14:34Et moi, quand je rentrais, je me souviens toujours,
14:36il y avait un qui mettait une chanson d'Edith Piaf,
14:39« T'es beau, tu sais ».
14:48C'était drôle, c'était une façon de draguer, à l'époque,
14:50c'était discret, on mettait un disque
14:52pour faire comprendre aux garçons qui nous plaisaient.
14:58On avait instauré des repères.
15:00On mettait des foulards,
15:01c'est-à-dire le foulard rouge, tu m'intéresses,
15:03le foulard jaune, c'était une autre pratique sexuelle.
15:07Et il y avait encore une autre couleur
15:09pour dire qu'on était actifs ou passifs.
15:30Ne bouge pas, ne laisse-moi quand même t'aimer.
15:40Le poids de la société en général
15:43fait que je me suis marié,
15:46alors je ne le souhaitais pas.
15:48J'étais d'ailleurs stupéfait que ma compagne me le demande.
15:53Elle m'avait répondu, d'ailleurs, c'est pour faire plaisir à mon père.
15:56J'étais stupéfait en disant,
15:58on se marie pour faire plaisir à ses parents, c'est très surprenant.
16:02Elle avait quand même 10 ans de plus que moi.
16:04Elle avait 30 ans, moi 20 ans.
16:07Moi, ça m'arrangeait un peu d'être avec une femme
16:10parce que c'était plus simple vis-à-vis de l'extérieur.
16:16Je me lance à un moment donné, je sors dans une boîte,
16:19il n'y en avait pas beaucoup à l'époque,
16:21qui s'appelle Le Fiacre, qui est une boîte homosexuelle.
16:25Il y avait des soirées organisées par Arcadie.
16:28Arcadie, c'est le mouvement qui a été créé par André Baudry,
16:33qui est un épisode très important.
16:36C'est une sorte de militant, mais complètement différent
16:40dans son style des mouvements de libération
16:43qui vont suivre pendant 30 ans.
16:45On ouvre dans la boîte,
16:47et là, il y a une série de vieux messieurs en costume cravate
16:51qui me sautent dessus,
16:54sans me demander, vraiment poser la question.
16:58C'est une façon de draguer, entre guillemets.
17:01Vous avez fondé le Club Arcadie, un club pour homosexuels.
17:06Alors, quels sont ces hommes qui viennent à votre club ?
17:10Tous. Tous sans exception.
17:12Pourquoi est-ce qu'ils viennent ?
17:14Ils viennent parce qu'ils sont seuls.
17:17Ils sont mal dans leur peau, la société ne les accepte pas.
17:21Ils sont seuls.
17:22Quel est l'homme qui n'a pas besoin de tendresse,
17:26d'amitié, d'amour ?
17:29Tous.
17:30Alors, ils viennent pour cela.
17:32Aussi bien des ouvriers que des hommes d'affaires,
17:35des magistrats, des prêtres, des jeunes, des vieux,
17:38des provinciaux, des intelligents, des non intelligents,
17:41des beaux, des pas beaux, des riches, des pauvres, tout.
17:44Et alors, à les entendre au fur et à mesure,
17:4710, 15, 20, 50, je me suis dit, ce n'est pas possible.
17:50S'il y a tant d'hommes qui vivent ainsi,
17:52il faut faire quelque chose pour eux.
17:54On parle parfois de répression homosexuelle,
17:57la police, la justice, bien sûr.
17:59Il y a des lois en France qui sont contre l'homosexualité.
18:02Donc, le problème majeur, pensons-nous,
18:04pour les homophiles à l'heure actuelle,
18:06ce serait de pouvoir être là où ils sont dans la vie quotidienne,
18:09ce qu'ils sont au plus profond d'eux-mêmes.
18:11Le fiac, c'est Louis Dufiacre qui tenait ça,
18:13qui était un personnage de la nuit, très connu dans Paris,
18:16qui avait beaucoup de relations.
18:18En haut, il y avait Marcel Carnet, Jean Marais, Cocteau.
18:22Tous ces gens-là allaient manger là-haut,
18:24ce qui fait que Louis Dufiacre pouvait garder son bar gay en bas,
18:29parce que le pari gay connu,
18:34comme Carnet, Cocteau, Jean Marais,
18:37pouvait sortir, aller s'encanailler,
18:39rencontrer des garçons en bas et partir avec eux.
18:42C'était un peu un échange.
18:44C'est ce qui se passait. Ça, c'était rue du Cherchemidi.
18:49L'erreur, c'est d'avoir appelé contre nature l'homosexualité.
18:53L'homosexualité est dans la nature.
18:55C'est 5 % de l'humanité.
18:57Mais c'est la nature.
18:59La nature comporte beaucoup de modalités différentes.
19:03Il y a des gens qui ont des couleurs différentes,
19:06des grands, des petits, des jaunes, des noirs.
19:09Il y a aussi des homos et des hétéros.
19:11Il y en a 5 %. En France, on peut compter entre 5 et 8 %.
19:15Ça fait quand même plusieurs millions. C'est important.
19:18Et en 1960, sous de Gaulle,
19:21il y avait eu un député, Mirguet,
19:23qui avait fait voter un amendement
19:26disant qu'il y avait trois fléaux sociaux en France.
19:30L'alcoolisme, la prostitution et l'homosexualité.
19:33Fléaux socials.
19:36La séance est ouverte.
19:38La parole est à M. Paul Mirguet, député de La Moselle.
19:42Je pense qu'il est inutile d'insister longuement,
19:45car vous êtes tous conscients
19:47de la gravité de ce fléau qu'est l'homosexualité.
19:50Fléau contre lequel nous avons le devoir de protéger nos enfants.
19:54Au moment où notre civilisation,
19:56dangereusement minoritaire dans un monde en pleine évolution,
20:00devient si vulnérable,
20:02nous devons lutter contre tout ce qui peut diminuer son prestige.
20:06Le Parlement marquera ainsi une prise de conscience
20:09et sa volonté d'empêcher l'extension de ce fléau.
20:12La France doit montrer l'exemple.
20:20Plus tard, j'ai trouvé une place de vendeur à Saint-Tropez.
20:23Mais comme c'était saisonnier, je faisais l'été à Saint-Tropez,
20:27l'hiver à Mégève et entre-temps j'étais à Paris.
20:34A Mégève, j'avais une boutique qui s'appelait Machin,
20:37sur la route du Mont d'Arbois.
20:48J'avais déjà 21 ans, j'avais rencontré un jeune garçon
20:51dont j'avais invité de passer la soirée avec moi.
20:54On avait pris un bain ensemble et on s'était amusé.
20:58Il avait passé la soirée là, il était parti,
21:01et le lendemain matin, quand je me suis réveillé,
21:04je ne voyais plus ma montre.
21:06J'ai flûté ma montre et j'ai cherché.
21:09Il m'avait volé tout ce que j'avais.
21:12J'avais des bagues, des bijoux, j'étais un peu folle à l'époque.
21:16J'avais les accessoires adéquats.
21:19Je suis allé au commissariat de police de Mégève déposer plainte.
21:23Un commissaire très aimable me prend, il prend ma plainte.
21:27Comment était le garçon ? Pas d'un couffin et tout.
21:30Je me lève et je m'en vais.
21:32Il me dit que je ne partais pas, que je restais là.
21:35J'ai dit, pourquoi ? Mais restez là.
21:38Il me dit, vous savez que le jeune homme était mineur.
21:42J'ai dit, oui, parce que la majorité était à 21 ans.
21:46Moi, je devais avoir 22 ans, ou 23, peu importe.
21:51Mais lui, il en avait 18.
21:53J'ai dit, oui, pourquoi ?
21:55Oui, mais c'est un détournement de mineur.
21:58J'ai dit, ah bon ?
22:00Non, il était avec moi, il est venu, je ne l'ai pas forcé.
22:04Oui, mais il était mineur, monsieur.
22:06Donc, vous allez passer au tribunal.
22:09Quelques mois après, t'es convoqué au tribunal de Bonneville.
22:13Plein de monde, des adultes, des gens qui venaient,
22:16qui étaient jugés pour le tracteur qui avait écrasé une poule.
22:20J'entends le président du tribunal qui dit,
22:23les personnes incarcérées passeront en premier.
22:26Bousset-Bernard.
22:28Alors, je me suis liquéfié complètement.
22:31Venez à la barre.
22:33Donc, je vais à la barre, et il me dit,
22:36monsieur, vous êtes un inverti,
22:39parce que c'était un peu con.
22:42Vous avez pris un bain avec un jeune homme mineur.
22:47Pourquoi ?
22:49Je me souviens de ce que j'ai répondu.
22:51Monsieur le président, parce qu'en un ballon d'eau chaude,
22:54ça fait rire tout le monde.
22:56Et bon, c'est passé comme ça.
22:59Et moi, j'ai été condamné à une amende
23:02et à la publication dans les journaux.
23:04C'était le journal régional de la Savoie.
23:07L'encart stipulait que Bernard Bousset,
23:10né à Dac, dans les Landes,
23:12a été condamné pour détournement de mineurs
23:15à la somme de francs.
23:17C'était déjà une belle somme, je m'en souviens,
23:20parce que je m'étais dit,
23:22à qui je vais demander pour payer ?
23:25Il faut savoir qu'à ce moment-là,
23:27quand on était arrêté, le commissaire de police,
23:30ou un de ses subalternes,
23:32appelait l'employeur et la famille.
23:35Ce qui fait que l'employeur, on pouvait être licencié,
23:38parce qu'on était homosexuel,
23:40on pouvait même perdre son logement.
23:42C'était un délit, donc on était un délinquant.
23:45Et on était vus comme des délinquants.
23:49Je voulais avoir une vie ouverte, saine, normale.
23:52Comme c'était impossible avec un homme,
23:54la seule façon, c'était de se marier.
23:56Je voulais avoir des enfants aussi.
23:58Je me suis barrié en 1961.
24:00J'étais très heureux, très fidèle pendant 10 ans.
24:03Et puis au bout de 10 ans,
24:05quelque chose me manquait d'essentiel,
24:07donc ça a fini.
24:09À l'époque, je vais voir un de mes professeurs,
24:13et je lui dis, je suis mal dans ma peau,
24:16veux-tu m'aider ? Explique-moi, qu'est-ce que c'est que l'homosexualité ?
24:19Et il me rassure, il m'explique,
24:22et même, il me déniaise, entre guillemets.
24:26Donc on va vivre ensemble pendant trois ans,
24:30jusqu'en 68.
24:34Les lieux de drague à Lyon étaient tout le long des fleuves,
24:37surtout le long du Rhône.
24:39Après, vous aviez les jardins publics.
24:42Vous aviez le parc de la Tête d'or.
24:44C'était l'époque où les jardins n'étaient pas fermés,
24:46ils n'étaient pas éclairés, bref.
24:49Il y avait aussi les toilettes publiques,
24:51les Vespasiennes étaient de forme circulaire,
24:53d'où l'appellation Tars.
24:57Il n'y avait pas mieux pour pouvoir draguer,
24:59puisque d'un côté, vous aviez des ivrées noires,
25:02avec cinq, six ou sept places,
25:04et de l'autre côté, vous aviez deux endroits fermés à clé,
25:07où on pouvait donc s'isoler.
25:10Alors, il faut être très clair, on venait pour baiser.
25:14Donc, il y avait à la fois un brassage,
25:16un brassage de toutes origines, de tous âges,
25:19de toute classe sociale.
25:22Il y avait aussi pas mal de gens issus de l'immigration,
25:25notamment maghrébine.
25:32Toutes les Tars avaient tous des surnoms.
25:38Il y en avait une qui était vers le quartier de l'immigration,
25:41dont c'était Notre-Dame-d'Alger.
25:45Il y en avait une qui s'appelait Lafon,
25:47parce qu'il y avait les Carlafons, la Lafon.
25:51La drague, la nuit sur les quais,
25:53cette mixité avec la nuit toallée,
25:56avec un peu de pop-horse dans le nez,
25:58c'était magique.
26:00J'ai des souvenirs avec le brouillard,
26:02de ne même pas savoir ce qu'il y a à mettre,
26:04dans un silence assourdissant.
26:06J'adorais ça, sortir la nuit et de pénétrer dans le brouillard,
26:09et d'un seul coup d'arriver, j'entendais rien.
26:12Vous arriviez dans les différents urinoirs,
26:14et vous aviez, je sais pas, des fois,
26:1610 ou 15 personnes qui étaient en train de consommer.
26:18Il y en a qui faisaient le guet. Je sais pas si je l'ai pas fait.
26:22Alors, bien sûr, il y avait le risque de la police,
26:24parce qu'elle ne me faisait pas de cadeaux.
26:26Moi, j'étais arrêté très souvent.
26:29On appelait ça des rafles, à l'époque.
26:31Ils nous arrêtaient, ils nous jetaient dans le panier à salade.
26:34J'ai été plusieurs fois pris dans des paniers à salade
26:37en fin de soirée, sur le même banc que les prostituées.
26:43Ils nous amenaient au commissariat de police,
26:45et là, photos, empreintes,
26:47mais exactement comme si on avait cambriolé la Banque de France.
26:52Et une fois, ils m'ont dit,
26:53vous êtes déjà fiché, monsieur, sur un taux.
26:55Direction de la police judiciaire, brigade mondaine, procès verbal.
26:59Il est exact que je me trouvais dans les urinoirs situés rue Maudouche.
27:02Il est exact que je me suis masturbé la verge en éruption.
27:05Je n'ai jamais tenu de comptabilité
27:07lorsque je suçais ou masturbais mon jeune procureur.
27:10Je ne lui ai jamais demandé de me masturber.
27:12Je dois me remarier prochainement.
27:14Je ne suis pas homosexuel.
27:16Je ne lui ai jamais demandé de me branler et de me sodomiser.
27:19Il m'arrivait parfois de mettre ma verge entre ses cuisses,
27:22mais je ne l'ai jamais sodomisée.
27:24J'étais marié et avais des relations sexuelles normales.
27:27Je ne sais pas comment vous expliquer
27:29ce qui m'insiste à me livrer à des actes obscènes.
27:31Traité de pédé, sale pédé.
27:34Jeté dans les cellules.
27:36On ne savait pas si on allait ressortir ou aller en prison.
27:42Ça me rappelle une histoire sous De Gaulle.
27:45Il y avait un seul endroit où on pouvait danser entre garçons.
27:49Ça s'appelait La Chevrière.
27:51C'était un vieux château, une colonnelle.
27:55Elle avait une dérogation par le général De Gaulle
27:58pour pouvoir faire danser des garçons entre eux.
28:01On prenait le train à Saint-Lazare, on y allait le dimanche,
28:04et il y avait un thé dansant entre garçons.
28:06C'est la première fois que j'ai dansé avec un garçon
28:09sur une chanson de Françoise Hardy,
28:11Tous les garçons et les filles de mon âge.
28:13Tous les garçons et les filles de mon âge
28:16Se promènent dans la rue de Pardeux
28:19C'était une colonnelle qui avait fait la résistance
28:22avec le général De Gaulle.
28:24Elle était lesbienne.
28:28A l'époque, on dansait des slow.
28:31Je découvrais presque le paradis.
28:53J'ai vécu ces aventures dans un malheur total.
28:55Je me sentais coupable.
28:57J'ai mis du temps pour me passer à l'acte.
28:59J'étais très godiche.
29:01J'étais très coincé par mon éducation, par l'époque, par tout ça.
29:04Et j'ai vécu ces aventures pas du tout dans la joie,
29:08mais comme un pariat
29:12qui ose à ses risques et périls.
29:15J'avais peur d'être dénoncé.
29:17J'avais peur que l'autre me dénonce.
29:19J'avais peur. C'était vraiment...
29:23À partir des années 60,
29:25le spectre se tourne beaucoup vers la mode américaine.
29:28Le jean, le cinéma, la littérature, tout.
29:32Je suis à la cité universitaire.
29:35Comme ami, j'ai un ami américain.
29:43En 69, dans une boîte de nuit de New York,
29:47il y a une révolte dans la boîte.
29:50Plutôt de se faire embarquer par les flics,
29:52ils vont enfermer les policiers à l'intérieur de la boîte.
29:59C'est là que ça se passe.
30:09De Stonewall va partir le slogan de la fierté.
30:28C'est ce concept-là de la fierté qui va faire complètement basculer la représentation
30:42de l'homosexualité.
30:43La culture homosexuelle, elle vient des Etats-Unis, elle est le modèle, et moi j'y suis particulièrement
30:52sensible.
30:53Les premières boîtes homosexuelles parisiennes sont fréquentées par des Américains.
31:00Plusieurs fois j'ai essayé d'aller dans une boîte qui s'appelait le Manhattan, qui était
31:05connue parce que c'était une des premières boîtes où les Américains allaient, mais
31:10ils ne m'ont pas laissé entrer.
31:11Ils ne m'ont pas laissé entrer parce que je n'avais pas le look.
31:17Je savais qu'il y avait des boîtes Roussantan, là où il y a vraiment des boîtes à nouilles
31:25japonaises.
31:26Avant c'était des boîtes, il y avait le CET, je ne sais pas comment ça s'appelait,
31:32mais des boîtes semi-publiques, où on pouvait entrer, mais je n'aime pas les lieux spécialisés.
31:41Une boîte gay, ça n'a aucun intérêt parce que tout le monde est gay.
31:45Moi je n'ai pas l'esprit communautaire, ça il y a une partie des homos qui sont communautaires,
31:49qui vivent entre eux.
31:50Moi je déteste voir que des homos, j'aime une société mélangée avec des hommes et
31:54des femmes.
31:55À Paris, il y avait soit aller dans le quartier de l'Opéra, Roussantan, c'était assez friqué,
32:06c'est-à-dire que se payer un jus d'orange à 60 francs, ce n'était pas donné à tout
32:11le monde.
32:12Il y a des homosexuels qui aimaient bien, parce qu'ils étaient sûrs dans ces établissements
32:16chicos de rencontrer des gens bien.
32:18Est-ce que ça les rassurait de connaître des artistes, par exemple, qui étaient homosexuels,
32:24je ne sais pas.
32:25Enfin bon, moi je n'en avais pas les moyens et je ne me sentais pas bien dans ces endroits-là.
32:29Alors j'allais, comme l'écrasante majorité des gens, sur des lieux de rencontre.
32:34Le Jardin des Tuileries, les rencontres homosexuelles s'y passaient depuis le 17e ou le 16e siècle.
32:40Et puis sur les chantiers, dans le moindre square, le moindre jardin, si on restait un
32:45quart d'heure au même endroit et qu'il y a un monsieur qui tournait autour, c'est
32:49qu'a priori on faisait la même recherche.
32:51Alors donc on se rencontrait comme ça.
32:54Et en même temps, on distribuait des tracts.
32:56Je pense qu'il y a 100 ans, d'abord, personne n'aurait eu l'idée de faire un mouvement
33:02des libérations des homosexuels.
33:03Marais, il n'a jamais fait un type de déclaration, ça aurait été vraiment marrant.
33:07Moi, je pense que ça aurait eu un effet boeuf s'il avait fait un type de déclaration
33:11publique dans lequel il leur a dit, je joue des rôles, par exemple, d'Artagnan et genre-là,
33:16d'Anjouan et tout, et je me fais enculer, et ça me fait du plaisir.
33:18Mais il leur a dit ça, ça aurait effectivement, à mon avis, fait un boom.
33:21Le Phare, jusqu'à présent, personne ne le prenait au sérieux, parce que les gens
33:26disaient, de toute façon, vous êtes trente.
33:28C'est le début de la militance avec le Phare, etc.
33:33On voyait que les choses bougeaient beaucoup plus rapidement à Paris qu'à Lyon.
33:37Et donc, voilà, et puis il y avait des boîtes qui étaient plus proches de ce que je ressentais.
33:48C'était à la fois le renouvellement d'une offre limitée en province, et puis quand
33:53même un Paris qui, pour moi, dansait sur un volcan.
33:58Au Malatin, c'est une petite rue à Maubert-Mutualité, alors c'était une grosse porte noire.
34:07Il n'y avait pas d'enseigne, il n'y a rien.
34:09Avec un judas à la porte, le judas s'ouvrait et on nous posait des questions.
34:14Tu es qui ? Tu viens de la part de qui ? Tu connais qui ? Alors si on ne connaissait
34:19personne, on n'entrait pas.
34:21C'était dans des caves voûtées, très humides, sans climatisation, sans rien.
34:27On étouffait, on transpirait, il n'y avait aucune hygiène, c'était des barres en bois.
34:35Dans ces endroits-là, il y avait comme une forme de libération sexuelle, parce que les
34:41gens qui avaient été brimés pendant des années… Mais c'était quand même interdit,
34:44il y avait des descentes de flics.
34:45Au jour d'aujourd'hui, je peux dire que c'était sordide.
34:48Il fallait avoir un look, un dress code, un peu dans l'esprit des village people,
34:56plutôt cuir.
34:57Moi, je n'étais pas cuir.
34:59J'avais un blouson cuir, mais je n'étais pas cuir caricatural.
35:03J'avais certaines limites, que ce soit de mon côté provincial, et un côté un peu
35:08chicos.
35:09Parce que des fois, c'était quand même très glauque, les gens étaient quand même
35:15non-limites.
35:16Une manatane, comme on dit aujourd'hui, c'était une balle de cul.
35:20Moi, j'allais tout de suite dans les backrooms, je n'allais pas siroter un vichy fraise
35:25au rez-de-chaussée.
35:26Je descendais tout de suite, donc déjà c'était en pleine action, il suffisait de se lancer
35:31là-dedans, avec une musique bon, bon, bon, bon, bon, bon, bon, bon, bon, bon, bon, bon,
35:36et voilà.
35:37C'est un moment, avec du pop horse, on est ailleurs, on oublie tout, et d'un seul coup,
35:44police ! D'un seul coup, police !
35:47On a vu en effet des gens qui ont déclaré leur fonction de policier, carte policière
35:54à la main, alors qu'ils étaient aussi à poil que nous.
35:58C'était une confusion totale.
36:02J'en ai pas l'argent, c'était un week-end professionnel, et moi, j'avais peur de perdre
36:06mon emploi, et on nous a transférés, au quai des Orfèvres, en procédures en flagrant
36:11délit.
36:12On nous a mis les manottes.
36:15Alors après, il y a eu l'interrogatoire, c'est extraordinaire, vraiment le cliché
36:26absolu, avec la machine à écrire, tac, tac, tac, tac, tac, tac, tac, tac, tac, tac, tac,
36:35tac, tac,...
36:37Mais certains étaient décomposés que j'avais appris après, qu'il y avait des hommes mariés,
36:44avec enfants, etc.
36:46banque, maître nageur, chef du service achat, inspecteur commercial, cuisinier.
36:53Les contrôles sur les quais, et puis de temps en temps, comment dire, aller dans les commissariats,
37:01c'était presque une habitude, mais là c'était du lourd.
37:04Mais ça pouvait aller loin, prison, il y avait de la prison, des amendes très lourdes,
37:09inscription au casier judiciaire.
37:11Je découvre l'état de la juridiction par rapport aux homosexuels en France.
37:19Je sors libre du quai des Orfèvres, mais tout de suite après, le milieu associatif homosexuel
37:26parisien me prend en charge, ils me fournissent un avocat, je veux dire.
37:29Et c'est là que je vais maintenant m'engager à fond à la caisse, et bien sûr terriblement
37:33aidé par le milieu parisien.
37:35Le rôle d'un GLH, c'est pas simplement de créer un lieu chaud, de rencontres, etc.
37:40C'est aussi quelque chose qui interpelle les homosexuels pour qu'on sorte du ghetto,
37:44parce que si ensemble, on s'organise pas pour parler fort, exiger un certain nombre
37:48de choses et s'imposer, il se passera rien.
37:51Après, la procédure va se mettre en route, puisque c'est passé en trois séquences,
37:55tribunal d'instance, cour d'appel, cour de cassation.
37:58Première instance, c'est en 78, donc un an après, donc je suis assigné à comparaître
38:04avec mes co-accusés, ce coup-là, au tribunal de grande instance, le grand tribunal de Paris.
38:11J'hallucine, il y avait un monde fou de partout, tout le monde distribuait des tracts.
38:17Oui, le président, la cour, ils sont énervés de voir tout ce monde, ce batage, énormément
38:21de presse, il y avait je sais pas combien de journalistes.
38:24La revue de presse sur cette affaire, elle est hallucinante.
38:27Alors ce qu'on appelle maintenant l'affaire du Manhattan, je veux dire, est un repère
38:31dans l'histoire des luttes homosexuelles en France.
38:34Des policiers, armés d'un projecteur, débusquent un outrage public à la pudeur.
38:38Il n'y a aucune raison d'éthique sociale à punir plus sévèrement les actes sexuels
38:42commis sur un individu de sexe identique que des actes commis sur une personne de sexe
38:46proposé.
38:47Trocées en correctionnel de dix homosexuels sans verbe.
38:49Les personnes accusées d'outrages publics à la pudeur sur personnes du même sexe comparaissent
38:54en correctionnel et sans complexe, en tout cas sans nier leur homosexualité.
38:57Les inculpés nient ou nuancent les constatations.
38:59Tous se déclarent choqués de s'être retrouvés gardés à vue, emmenés menottes au mât.
39:04Deux centaines de personnes ont envahi la onzième chambre d'appel de Paris où l'affaire
39:08du club homosexuel Manhattan, une forme de racisme, par Jean-Louis Bory et Michel Cyprien.
39:13400 francs d'amende pour outrage public à la pudeur.
39:16C'est le verdict infligé la semaine dernière par la dixième chambre correctionnelle.
39:20Au nom de quoi sinon d'une conception totalitaire de la normalité en matière sexuelle.
39:25Le bonheur est une chose très importante dans la vie.
39:29Quand on s'aperçoit que votre nature vous oblige à une poursuite, c'est la moitié d'orange,
39:35à une poursuite du bonheur qui n'est pas accepté par la société, c'est très difficile.
39:39D'abord parce qu'on a envie de se camoufler.
39:41Il y a beaucoup de types qui ont honte, qui se camouflent.
39:43Et justement, je me suis dit, il y en a marre.
39:45La société se fout de votre bonheur.
39:47Ce qui compte pour la société, c'est l'ordre.
39:50Par conséquent, elle demande aux individus d'assujettir le bonheur à l'idée que c'est fait de l'ordre.
39:55Mais il y a des individus qui ont besoin d'être hors d'un certain ordre.
39:58On vous laisse tranquille, je veux dire...
40:00Je suis heureux de profiter de cette occasion pour en parler sérieusement.
40:05Parce que j'appartiens à un milieu qui est celui-là, qui est sublimement pourri.
40:10J'appartiens à une société qui est la classe bourgeoise,
40:13qui maintenant a tellement vu qu'elle permet tout.
40:15Et par conséquent, comme j'ai une petite notoriété sur le plan de la littérature,
40:18alors je peux me permettre de dire certaines choses.
40:21Il y a des tas de gens qui en crèvent, qui en crèvent parce qu'ils ont honte,
40:24qui en crèvent parce qu'ils sont simplement poinçonnaires,
40:27parce qu'ils sont vendeurs dans un magasin, parce qu'ils sont ouvriers d'usines.
40:30Il y en a qui en souffrent horriblement.
40:32J'ai écrit « L'étoile rose » en 1978 pour expliquer à ma mère qui était son fils.
40:38Parce qu'à l'époque, il était impossible pour un garçon qui se découvrait homo de le dire à sa mère.
40:45Je ne sais pas ce qui serait passé, elle serait morte sur le coup,
40:47sauf que ma mère était très puritaine, très vieux jeu.
40:51Elle avait 80 ans à peu près et je n'ai pas voulu qu'elle meure avant de savoir qui j'étais.
40:56Donc j'ai écrit cette longue lettre pour elle.
41:00Au lieu de parler avec elle, c'était impossible de lui parler, donc j'ai écrit ce livre.
41:03Et ça nous a rapprochés.
41:05Au début, elle a été horrifiée, je sais, par ces petits carnets que j'ai vus.
41:09Parce que pour elle, c'était… elle tombait, enfin je ne sais pas,
41:11c'est comme si elle était criminelle, enfin quelqu'un d'épouvantable.
41:15Et elle a compris finalement, elle a compris parce qu'elle était très humaine quand même.
41:19Et ça nous a rapprochés, j'étais heureux d'avoir fait pour ça.
41:23Alors je pense que c'est un roman auquel vous tenez beaucoup,
41:25peut-être parce que c'est le dernier, mais aussi parce qu'il contient.
41:29Oui, c'est le roman auquel j'ai travaillé le plus longtemps
41:32et dont l'ambition est la plus importante.
41:35Puisque c'est un roman qui tente de retracer 35 ans de l'histoire française
41:40depuis la Libération jusqu'à 1978.
41:44Et c'est une sorte de fresque sociale,
41:47donc un vrai roman classique entre guillemets,
41:50n'est-ce pas, avec des personnages et des histoires enfin.
41:53Et ces 35 ans d'histoire sociale sont vus d'un certain point de vue
41:58qui est la minorité homosexuelle.
42:01C'est-à-dire ces 35 ans d'histoire vues d'un point de vue critique
42:03parce que les homosexuels, comme tous les gens en marge, qu'on a mis en marge,
42:07ont un regard plus aigu peut-être, plus critique sur les choses
42:11que les gens qui sont au milieu.
42:13Qu'est-ce que vous voulez ? C'est pas normal, c'est un risque quoi.
42:16Parait-il que dans ma maison, il y en a ?
42:19Ça vous gêne ?
42:20Je ne sais pas si c'est vrai.
42:22Je me pose la question si c'est exact.
42:25J'aime pas du tout.
42:26Vous aimez pas ? Pourquoi ?
42:28J'aime pas.
42:29Je trouve que c'est...
42:31J'aime pas du tout en tout cas.
42:32Franchement, pas du tout.
42:35Avant 70, c'était très difficile de parler d'homosexualité.
42:40Et puis est arrivé le journal Guespier qui a été une explosion.
42:45La plupart d'entre nous, au départ, on faisait 100 mètres devant le kiosque
42:48en allant à droite et 100 mètres devant à la gauche une dizaine de fois
42:52avant d'oser prendre le journal, celui-là, sans dire le nom
42:56et en le cachant sous le manteau.
42:59Très rapidement, au contraire, on criait bien fort « Je veux le Guespier ! ».
43:04Le phénomène homo.
43:06Ce n'est pas tellement leur nombre qui augmente,
43:08c'est leur comportement qui change contre l'ostracisme dont ils s'estiment victimes.
43:12Les homosexuels descendent dans la rue, multiplient les associations,
43:16se regroupent dans les discothèques de plus en plus nombreuses.
43:18Le Club du Soleil, c'est le nom qu'ils se sont donnés
43:22autour de l'Opéra de la Rue Saint-Hilaire,
43:23dans une petite ville étroite, en face de leur jardin favori,
43:28Trocadéro, Butte-Chaumont, Voix-de-Boulogne.
43:34À partir de 80, il y avait des barguets dans le marais.
43:38Donc c'était une explosion de plaisir et de jouissance extraordinaire.
43:44Et d'un seul coup, tout ça explose du jour au lendemain
43:47dans un espace immense qu'est le Théâtre Le Palace.
43:54On est plusieurs milliers, ça danse, ça se drogue, ça se papérise,
43:59c'est tout ce qu'on peut imaginer.
44:01Vous avez l'un et l'autre, vous votre groupe,
44:04avec les radicaux de gauche et vous, ce sénateur,
44:07déposer des propositions de loi.
44:09J'ai déposé en effet, il y a deux années, ce texte
44:12qui tend à modifier l'article 330 et 331.
44:15Je rappelle que la Révolution Française
44:17a condamné le délit spécifique d'homosexualité
44:22et que c'est le maréchal Pétain, en 1941, par ordonnance,
44:25qui a rétabli l'article 331.
44:27Et que c'est le maréchal Pétain, en 1941, par ordonnance,
44:30qui a rétabli ce délit.
44:31Et en ce qui concerne l'Assemblée, ma conviction
44:33est qu'en ce qui concerne le groupe socialiste
44:35et le groupe des radicaux de gauche,
44:37il ne fait aucun doute qu'unanimement, nous voterons ce texte
44:39parce que nous considérons qu'il est une avancée
44:42dans cette société qui, c'est le moins qu'on puisse dire,
44:45est un peu sclérosée par rapport aux problèmes sexuels.
44:48Moi, je voudrais dire, je suis très heureux
44:50que ce vote va sans doute avoir lieu
44:52et c'est très bien d'abolir ces articles discriminatoires
44:55mais ça ne suffit pas.
44:56Il y a une loi de 1975 contre le racisme
44:58qui punit toute personne qui fait une discrimination à l'emploi
45:02pour des raisons de religion, de race ou de situation de famille.
45:05Est-ce qu'on ne pourrait pas étendre cette loi
45:07à l'orientation sexuelle ?
45:08Je crois que ce serait très important.
45:09Moi, je pense qu'en effet, c'est dans cette direction
45:12que nous devons cheminer.
45:13Sur le contexte national, on sent que la gauche
45:17est en train de monter
45:20et les mouvements homosexuels dont je faisais partie
45:23appuient, appuient très fort
45:26parce qu'on ne peut plus supporter.
45:33Le pavé de Paris a connu cet après-midi
45:35la plus importante manifestation
45:36en faveur de la liberté de l'homosexualité
45:38qui n'a jamais eu lieu en France.
45:40Homosexuels et lesbiennes,
45:42vous êtes concernés par l'élection présidentielle.
45:44Ce tract circulait parmi les quelques 5000 participants.
45:47Les homosexuels réclament aux candidats
45:49un recours légal lorsqu'ils sont victimes
45:52de la discrimination dans leur emploi,
45:54leur logement par rapport à la garde de leurs enfants.
45:57Il y a dans la loi française depuis le régime des Vichy
46:00des lois discriminatoires à l'encontre des homosexuels.
46:02Je veux dire qu'alors que les rapports sexuels-hétérosexuels
46:05sont autorisés à partir de 15 ans,
46:07pour les homosexuels, ce n'est possible
46:09qu'à partir de l'âge de la majorité,
46:11c'est-à-dire aujourd'hui 18 ans.
46:13Souvent, nous sommes une société dans laquelle
46:15certains, parce qu'ils ont un comportement sexuel
46:17différent des autres,
46:18font l'objet de ce racisme ou de défense.
46:21Il était temps de proclamer aussi le droit au corps de tous,
46:25y compris des homosexuels qui doivent être traités comme les autres.
46:28C'est une série de propositions qui s'enchaînent naturellement.
46:31François Mitterrand, vous avez-vous accepté d'être parmi nous ?
46:35Il y avait le meeting organisé par le mouvement féministe Choisir,
46:38où Gisèle Lallimy notamment était intervenue.
46:42François Mitterrand avait donc prononcé ces quelques mots
46:46« l'homosexualité doit cesser d'être un délit ».
46:49Ça a été évidemment accueilli par les homosexuels,
46:52et notamment militants, comme quelque chose d'extraordinaire.
46:56Ça avait fait la une, bien sûr, du journal Guépier à l'époque.
47:00Alors le 10 mai 1981, c'était un dimanche,
47:04et comme tous les dimanches, au palace, il y avait un tea dance
47:07qui commençait à 17 heures, et c'était le jour des élections.
47:11Donc j'avais voté, et après on allait au palace,
47:15comme tous les dimanches, parce que c'était très réputé.
47:18C'était très réputé, ce tea dance.
47:21Et je me souviens, quand le visage de Mitterrand est apparu,
47:25il y a une pluie de rose qui est tombée sur la piste de danse.
47:33Il sont plus de 500 à se réunir à Marseille
47:36pour la seconde université d'été homosexuelle.
47:39Les homosexuels possèdent une identité.
47:42Au lieu, ils demandent le droit de vivre simplement et normalement,
47:45leur différence.
47:47Le nouveau gouvernement semble plus favorable à la libération
47:50des mouvements homosexuels. Est-ce que vous attendez concrètement,
47:53est-ce que vous attendez des mesures concrètes ?
47:55Oui, bien sûr. Je pense que le gouvernement socialiste
47:58a fait plusieurs promesses.
48:00Ça dépendra d'un rapport de force, et qu'on y arrivera,
48:04en particulier au niveau des lois, certainement.
48:06On avait travaillé, nous, ça en amont, l'abrogation de ce texte.
48:10Parce qu'on se disait, il faut que ça soit abrogé
48:12dès la première année, parce qu'après, ça sera plus dur.
48:15C'est toujours comme ça que ça se passe dans les septemains,
48:18puis quinquennats. Il faut y aller très vite.
48:20Donc on faisait pression sur le cabinet de Robert Manater.
48:24Les millions d'homosexuels français veulent à tout prix sortir du ghetto.
48:28Un test pour eux, la proposition de loi socialiste
48:31dépénalisant les rapports homosexuels avec les mineurs.
48:34Les homosexuels réclament le vote d'urgence.
48:37La séance est ouverte.
48:40La parole est à Madame Halimi, rapporteure de la commission des lois.
48:44Mes chers collègues, on peut se demander avec le recul
48:47comment des députés français, c'est-à-dire par définition même
48:51des femmes et des hommes, devant avoir l'intelligence
48:55de nos libertés fondamentales, puisque chargés de les défendre,
48:58ont pu légiférer pour réprimer l'homosexualité.
49:02Car s'il est un choix individuel par essence
49:05et devant échapper à toute codification,
49:08c'est bien celui de la sexualité.
49:11Il ne peut pas y avoir de morale sexuelle de tous
49:15qui s'impose à la morale sexuelle de chacun.
49:19Chacun connaît la nécessité pour l'individu
49:22de vivre en accord avec ce qui reste
49:25le plus profondément inexprimé
49:28par peur, par honte, par conditionnement social,
49:32par répression, je veux dire par sexualité.
49:37Je passe la parole à monsieur le garde des Sceaux,
49:40ministre de la Justice.
49:43Jeudi, le libre consentement de la personne humaine
49:46en matière d'activité sexuelle a été fixé par notre loi à 15 ans.
49:49A 15 ans, s'agissant d'hétérosexualité.
49:52A 18 ans, s'agissant d'homosexualité.
49:56Et jeudi, il n'y a pas dans ce cas-là
49:59de fondement quelconque à la discrimination,
50:02en dehors de la volonté de normaliser,
50:06selon certaines définitions qui ne relèvent pas
50:09du législateur mais du choix de chaque individu,
50:12le comportement sexuel.
50:15L'Assemblée nationale a abrogé définitivement aujourd'hui
50:18un article du Code pénal discriminatoire pour les homosexuels.
50:22La dépénalisation, pour moi, ça a été très concret
50:25puisque ma condamnation va disparaître du casier judiciaire.
50:28On va détruire les fichiers des pédérastes.
50:32À la préfecture de police,
50:35il existe toujours le fichier des pédérastes,
50:38c'est-à-dire une liste des homosexuels
50:41qui ont commis des infractions.
50:44En 82, en principe, tout était pareil.
50:47Il n'y avait plus du tout de...
50:50L'homosexualité est totalement sortie du Code pénal,
50:53mais est arrivée la catastrophe du sida,
50:56au début des années 80, 80, 82,
50:59mais s'est affirmée 84, 85.
51:02Le fait de l'avoir appelé ça
51:05cancer gay, homosexuel,
51:08que c'est la punition de Dieu,
51:11je crois que c'est la pire des discriminations
51:14qu'on ait eues jusqu'à maintenant dans le milieu du monde.
51:17J'avais un sauna à l'époque.
51:20Dans les saunas, dans les backrooms,
51:23on distribuait des préservatifs
51:26et c'était sanctionné par des amendes
51:29parce que c'était considéré comme une incitation à la débauche.
51:32Le sida, à l'époque, c'était mortel.
51:35Toutes les semaines, on enterrait des copains.
51:38C'est là que j'ai décidé de créer le syndicat national des entreprises gays
51:41pour faire comprendre aux préfets
51:44et à ces gens qui étaient hors sol
51:47que s'ils fermaient tous ces établissements,
51:51je me suis battu pendant 5 ans
51:54pour avoir une circulaire ministérielle.
51:57La distribution de préservatifs n'est plus passible de sanctions.
52:00Voilà, c'était en 92.
52:05Il a fallu qu'il y ait des centaines de morts
52:08avant d'avoir cette circulaire-là.
52:11Là, j'avais la haine.
52:15C'est Denis Meyer,
52:18l'un de mes amours de ma vie.
52:23Il est mort du sida en 90.
52:28La famille, surtout sa mère,
52:31ne voulait surtout pas que ça se sache.
52:34Denis habitait seul.
52:37Sa mère prend l'initiative de vider l'appartement et de tout jeter.
52:40Si on pouvait brûler l'appartement et lui-même en même temps,
52:43c'était hallucinant.
52:46C'était comme la peste.
52:49J'avais tenu une liste des gens
52:52que j'avais vus à la télé,
52:55des gens que je connaissais personnellement.
52:58J'avais 137 personnes qui étaient mortes.
53:01Maintenant que j'ai 67 ans, j'ai pratiquement plus d'amis.
53:04Ils sont presque tous morts.
53:07J'ai une photo où, à un repas, on est 14.
53:10Il me reste moi.
53:13Les 14, c'est le sida.
53:16Mon frère est mort du sida.
53:19Mon ami est mort du sida.
53:26Je me suis présenté à l'Académie en 2007
53:29pour plusieurs raisons,
53:32mais en particulier pour que l'homosexualité
53:35reçoive une reconnaissance officielle.
53:38J'ai été élu,
53:41mais j'ai su ce que certains de mes collègues ont dit.
53:44L'un a dit que je croyais que le quota était déjà atteint,
53:47parce qu'il y en avait d'autres, mais cachés.
53:50La veille du scrutin, j'étais en face de la Sade Gébard,
53:53qui était une femme algérienne militante.
53:56L'un a dit que nous avions le choix
53:59entre la bougnoule et le PD.
54:02C'est sick.
54:05Ma maison a brûlé totalement dans un incendie il y a 3 ans.
54:08L'une de mes voisines m'a avoué,
54:11elle n'osait pas me le dire,
54:14qu'il y a des gens qui sont venus le soir de l'incendie
54:17en disant qu'ils n'ont pas brûlé.
54:20C'est dommage, ces gens-là ne devraient pas vivre.
54:23En 2021, quand même.
54:29Mon père, la gifle, ma grand-mère, les coques,
54:32ma tante à Vichy,
54:35qui a écrit à ma grand-mère, reprends Bernard,
54:38je ne veux pas qu'ils viennent à Vichy pour faire ces saloperies.
54:41Ma famille m'a rejeté complètement.
54:44Je n'ai même pas été à l'enterrement de mon père.
54:47Combien ça marque. C'est fou.
54:50Il m'arrive souvent de raconter à des jeunes,
54:53parce que dans le café, j'essaye de leur faire comprendre
54:56qu'ils ont une chance inouïe de vivre ce qu'ils vivent aujourd'hui.
54:59Moi, quand je leur dis que j'ai fait de la garde à vue,
55:02que je suis passé au tribunal parce que j'étais homosexuel
55:05uniquement parce que j'ai couché avec un garçon de 18 ans,
55:08ils me regardent comme si je montais.
55:11Ils me disent, c'est pas possible, tu es à quel âge ?
55:14Tu es à 100 ans ? J'ai dit non, j'en ai 80.
55:17Mais il ne faut pas oublier qu'il y a 50 ans, c'était comme ça.
55:20Vous vivez dans un monde où vous ne vous rendez pas compte
55:23que tout peut arriver.
55:26Rien n'est gagné, jamais.

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