Avec Laura Chartier, docteure en neuropsychologie. Engagée dans le programme Remember, dans le cadre du programme 13 novembre.
Retrouvez "La question qui" sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
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00:00On a voulu s'intéresser à quelqu'un qui, elle, fabrique de la mémoire au sein du programme 13 novembre.
00:05C'est Passion Mémoire sur France Inter, introduite par un extrait de Made in Black et du fameux stylo effaceur de mémoire.
00:10« Mesdames, messieurs, veuillez prêter attention à mon collègue l'agent J.
00:20Il va vous présenter un dispositif électro-biomécanique de repositionnement à neurotransmission asynaptique baptisé Neurolaser. »
00:26« Merci agent K. Messieurs, dames, veuillez regarder ceci. »
00:30Bonjour Laura Chartier, vous êtes docteure en neuropsychologie.
00:39Vous avez soutenu une thèse intitulée « Mémoire et conscience de soi dans le trouble de stress post-traumatique »
00:44et vous travaillez aujourd'hui au sein de l'étude REMEMBER ce souvenir,
00:49souviens-toi pour les moins anglophones, dans le cadre du programme 13 novembre.
00:52Alors d'abord, le programme 13 novembre est né en 2016 sous l'impulsion d'un historien,
00:57Denis Péchanski, et d'un neuropsychologue, Francis Eustache, au lendemain des attentats meurtriers qui ont touché la France.
01:03C'était quoi l'idée de départ ? Et qu'est-ce que vous faites vous en tant que neuropsychologue ?
01:07Alors l'objectif de départ du programme 13 novembre, c'était de proposer un programme de recherche avec plusieurs protocoles.
01:13Donc d'être interdisciplinaire, d'étudier la mémoire du 13 novembre 2015
01:19et donc de répondre à ces événements avec nos armes de la connaissance scientifique.
01:24Donc un programme longitudinal d'une durée de 12 ans, qui est porté par l'université Paris 1...
01:29C'est-à-dire que vous avez eu un contrat de 12 ans ?
01:30Exactement, tout à fait.
01:31Félicitations !
01:32Merci, il y a toute une équipe derrière qu'on peut féliciter aussi pour l'énorme travail qu'ils ont fait.
01:36Mais effectivement, un programme de 12 ans porté par l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le CNRS et l'INSERM.
01:43Donc il y a deux études principales qui constituent le programme 13 novembre.
01:47Il y a l'étude 1000, qui est porté par l'université Paris 1, je l'ai dit, le CNRS, l'INA et le CPAD.
01:53Et donc cette première étude, en fait, elle propose l'interview audiovisuelle de 1000 personnes,
01:58donc ces mêmes 1000 personnes, à différents temps.
02:01Pendant ces 12 ans.
02:02Voilà, tout à fait.
02:03C'est donc 4 phases de 2016, 2018, 2021 et 2026.
02:08Et donc l'idée, c'est de recueillir des témoignages du vécu,
02:11de personnes directement impliquées ou non dans les attentats du 13 novembre.
02:15Et on a aussi l'étude REMEMBER qui, elle, est portée par l'INSERM
02:18et qui est sous la responsabilité scientifique de Pierre Gagnepin et Francis Stach à Caen.
02:22Qui propose, en fait, de mieux comprendre les facteurs de risque et de protection du stress post-traumatique.
02:28Du stress dans le cerveau.
02:29Exactement, le trouble de stress post-traumatique qui peut se développer suite à un événement tel que le 13 novembre 2015.
02:36Alors justement, c'est votre champ d'études, Laura Chartier, le trouble du stress post-traumatique.
02:39On m'a déjà expliqué, moi, le stress post-traumatique,
02:42en me disant que c'était la mémoire qui était incapable de ranger un événement dans le passé.
02:45En fait, à chaque fois qu'un flash survient, c'est comme si l'événement était vécu à nouveau, à chaque fois.
02:49C'est un souvenir qui ne veut pas devenir un souvenir.
02:52C'est ça qui se passe ?
02:53Exactement, en fait, c'est des éléments du souvenir qui ne vont pas être rangés dans la mémoire,
02:58qui ne vont pas faire partie du passé.
03:00Et donc, dans le cadre du protocole REMEMBER, en tant que neuropsychologue, avec ma collègue Léa Coquerel,
03:06ce qu'on propose, en fait, c'est aux participants, donc des personnes exposées au 13 novembre 2015,
03:12des questionnaires qui interrogent la présence de symptômes particuliers du trouble de stress post-traumatique,
03:18notamment ce qu'on appelle ces intrusions.
03:21Donc, c'est des flashs, des intrusions d'images, d'émotions qui sont liées aux souvenirs traumatiques.
03:26Et qu'il faut revenir à exactement les mêmes sensations, en fait, comme si c'était re-entré dans le passé.
03:31Exactement, qui font revivre l'événement au présent, qui peuvent revenir sous forme de rêve, de cauchemar,
03:36et qui sont liées à une grande souffrance pour les personnes qui en sont victimes.
03:39Ksenia Bolchakova, vous avez enquêté sur des zones de guerre.
03:41Vous devriez aller voir des psys, normalement, en tout cas, c'est prévu.
03:44Vous ne le faites pas parce que vous préférez, je cite, pleurer toute seule dans votre coin.
03:47J'ai changé, j'ai changé, ça y est, je commence un petit peu.
03:51Vous vous prenez un petit peu en main ?
03:52Un tout petit peu, oui.
03:53Mais c'est quelque chose où vous essayez de vous protéger, le stress post-traumatique ?
03:56Tu ne peux pas t'en protéger.
03:57C'est-à-dire qu'il y a des confrères qui vont faire 30 ans de terrain, tout ira bien dans leur tête,
04:04ils vont voir des pires crimes abominables être commis directement devant leurs yeux.
04:07Et puis, tout d'un coup, ils vont voir un chien se faire écraser par une voiture,
04:11et ça va faire remonter toutes les horreurs qu'ils ont vécues pendant 30 ans.
04:14Donc, c'est impossible de s'en protéger.
04:17Ce n'est pas parce qu'on se dit « je ne vais pas avoir de stress post-traumatique » que ça marche.
04:21À un moment, Laura Chartier, j'ai une petite question qui est un petit peu personnelle.
04:23Moi, quand j'étais petite, mon frère a été renversé par une voiture devant mes yeux.
04:26Donc, moi, j'ai un trou noir de ce moment.
04:29Mais sur les moments qui se sont passés juste après, j'ai un souvenir mais qui n'est pas ce qui s'est passé.
04:34C'est-à-dire que j'ai un faux souvenir.
04:35Ça existe ça, les faux souvenirs.
04:36Je sais que ce n'est pas vrai puisque mon père m'a dit « ce n'est pas du tout ce qui s'est passé ».
04:39Mais c'est possible d'avoir un faux souvenir.
04:41Effectivement, il y a plusieurs personnes qui ont vécu un événement traumatique qui peuvent oublier des moments du souvenir.
04:47Donc, des trous noirs, effectivement, on peut l'appeler comme ça.
04:50Ce qui peut potentiellement développer des faux souvenirs ou des impressions du souvenir à long terme de l'événement.
04:56Et ces trous noirs, en fait, c'est des pertes de mémoire de certains éléments du souvenir.
04:59Et ça constitue un des symptômes du TSPT.
05:02C'est vraiment...
05:03Mais moi, c'est vraiment le souvenir qui...
05:05Bon, après, je vais aller voir un médecin.
05:07Mais c'est vraiment ce qu'il y a après.
05:08C'est-à-dire que j'ai des images qui ne se sont jamais passées.
05:11Est-ce que vous essayez de les débusquer, ça, par exemple, quand on parle du 13 novembre ?
05:14Parce qu'on peut imaginer que ça a existé.
05:16Il y a des gens qui ont vécu des choses extrêmement difficiles.
05:18Est-ce que vous, vous essayez de savoir si c'est un vrai ou un faux souvenir ?
05:21Ou ça ne rentre même pas en compte ?
05:22Alors, la particularité du problème du 13 novembre, c'est qu'on est dans un protocole de recherche.
05:26Donc, on a, je vous l'ai dit, l'étude REMEMBER, l'étude MIL.
05:29Pour ce qui est de la recherche sur le trouble de stress post-traumatique,
05:32on interroge les individus, donc les participants, sur ce qu'ils ont vécu.
05:35Et on reste sur leur réalité de ce qu'ils ont vécu.
05:39Donc, nous, on n'est pas là pour savoir...
05:40Pour juger, oui.
05:41On n'est pas là pour dire que ça n'est pas arrivé.
05:42Exactement. Si c'est véritable ou pas.
05:44On se fixe sur leur vécu, sur leur réalité à eux.
05:47Et après, on les interroge sur toutes les conséquences psychopathologiques, neuropsychologiques,
05:50qui peuvent entraîner un trouble de stress post-traumatique.
05:53Et alors, j'ai lu que vous aviez déterminé plusieurs siècles.
05:55Il y a le 1 pour les personnes directement exposées aux attentats.
05:58Le 2 pour les habitants et usagers qui étaient dans les quartiers visés.
06:01Le 3 pour Paris.
06:03Et le 4 pour des habitants de Caen, Metz ou Montpellier.
06:05Donc, même des gens qui n'ont pas du tout vécu l'attentat,
06:07leurs souvenirs vous intéressent ?
06:09Pourquoi ? Pour savoir comment on crée une mémoire collective d'un événement ?
06:11Alors, on s'intéresse effectivement aux habitants de Caen, de Metz et de Montpellier
06:15parce que, de toute façon, dans chaque recherche clinique,
06:18il nous faut un groupe contrôle.
06:19Donc, de base, on a notre population d'études
06:22qui sont les personnes qui ont vécu directement les attentats du 13 novembre.
06:26Il faut qu'on contrôle et donc qu'on évalue et qu'on compare
06:29ce qu'ils ont vécu avec des personnes qui ne l'ont pas vécu.
06:31Donc, forcément, on a ce groupe d'autres villes hors parisiens.
06:37Et qui l'ont vécu quand même !
06:38Qui l'ont vécu à la télé, qui l'ont vécu...
06:39Voilà. En fait, il y a aussi cette...
06:41Justement, dans l'étude 1000, il y a aussi cet attachement
06:43à reconnaître et à comprendre ce qu'a vécu l'ensemble de la société française
06:48par rapport à un événement qui a une portée inédite et dramatique sur le sol français.
06:53Xenia Bolchakova, est-ce que vous estimez que votre travail, un petit peu en ce moment,
06:56c'est d'en créer de la mémoire, notamment dans des zones qui ne disposent pas
06:59en temps de guerre d'outils comme le CNRS pour fabriquer la mémoire collective ?
07:03Le CNRS, l'INSERM et tous les gens que vous avez cités.
07:06En tant que journaliste, on contribue aussi.
07:08De la mémoire.
07:09Peut-être pas de la mémoire, mais en tout cas, quand on recueille des témoignages
07:12de victimes de crimes de guerre.
07:13On recueille ces témoignages suivant un certain protocole, en posant certaines questions.
07:17Et souvent aussi, le fruit de notre travail, que ce soit des reportages écrits
07:22ou des documentaires ou de télé, sont récupérés par des enquêteurs du TPI
07:29ou même des enquêteurs locaux.
07:31Je parle de l'Ukraine.
07:32Oui, vous parlez du tribunal pénal international.
07:35Et des travaux de journalistes sont parfois même versés dans des dossiers d'enquête.
07:41Donc oui, d'une certaine façon, si ce n'est pas de la mémoire pure, en tout cas,
07:46en contribuant au travail de la justice, en aidant à monter ces dossiers,
07:51ces dossiers qui resteront dans l'histoire de ce conflit,
07:53on contribue, en tout cas, on apporte notre petite pierre dans la documentation de ces faits.
07:59Vous partiez d'une manière plus personnelle.
08:01Qu'est-ce qui vous fascine, vous, dans ces processus de création de mémoire ?
08:04Je pense qu'il y a plusieurs éléments de réponse.
08:07Ce qui me fascine déjà, c'est le côté évolutif de la mémoire.
08:10En fait, c'est un levier thérapeutique extrêmement puissant dans le TSPT
08:14parce que le trouble de stress post-traumatique,
08:16on a tendance à dire aujourd'hui que c'est une pathologie de la mémoire.
08:18C'est vraiment le symptôme central.
08:20Donc déjà, en tant que thérapeute, ça m'importe.
08:23Au-delà du protocole 13 novembre, je suis aussi neuropsychologue
08:26au sein du Centre Régional de Psychotraumatisme de Normandie, à Caen.
08:30Pour un contrat de 7 ans et demi.
08:33J'espère.
08:34Et donc, toutes les thérapies aujourd'hui centrées sur le trauma,
08:39celles qui sont efficaces en tout cas,
08:41ciblent ce côté intrusion et mémoire du traumatisme.
08:44Mémoire mal rangée.
08:45Exactement.
08:46Qui revient au présent.
08:47Après, il y a tout l'intérêt en tant que chercheuse
08:49parce que le levier thérapeutique dit aussi
08:52mécanisme cérébral intéressant à étudier.
08:54Et plus largement en tant que citoyenne
08:57parce qu'il y a toujours une mémoire individuelle, une mémoire collective.
09:00Et donc, si c'est quelque chose qu'on peut utiliser pour construire...
09:04On voit comment ça fonctionne.
09:05Voilà, exactement.
09:06Et donc, c'est aussi l'idée qu'on a au sein du programme 13 novembre.
09:10On a eu l'idée d'en faire quelque chose de cette mémoire individuelle
09:13et donc de cette mémoire collective
09:15en créant un guide sur le trouble de stress post-traumatique
09:17qu'on crée en collaboration avec les victimes du 13 novembre 2015.
09:21Merci Laura Chartier.
09:22Je rappelle que vous êtes doctorante en neuropsychologie
09:24dans le cadre du programme 13 novembre.
09:26Vous êtes exactement co-autrice de ce guide d'information
09:29à destination des victimes d'événements traumatiques et de leurs proches.
09:32Et on me dit que vous n'êtes pas doctorante, vous êtes docteur.
09:34Enfin, qu'est-ce qu'elle dit !