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00:00 Bonjour, on s'arrête avec vous sur la situation haïtienne et sur ses très nombreuses répercussions sur la région et surtout sur les États-Unis,
00:06 parce que vous êtes à Washington, bien sûr. Haïti a toujours été un sujet préoccupant pour l'administration américaine.
00:11 On pense bien sûr à l'immigration. Pourquoi son sort intéresse-t-il autant Washington ?
00:16 (Propos inaudibles)
00:18 Alors, effectivement, on pourrait se demander pourquoi Haïti et les États-Unis sont ainsi liés ou, en tout cas,
00:25 pourquoi les États-Unis jouent systématiquement un rôle dans les crises successives qui frappent Haïti. Et il y en a eu.
00:32 La principale raison remonte en réalité à la guerre froide, quand Moscou installait, on s'en souvient, sa tête de pont à Cuba,
00:40 à quelques encablures seulement des côtes de Miami et donc des côtes américaines.
00:45 Par un jeu de pure stratégie, disons-le, relativement emblématique de cette époque,
00:50 il fallait contrebalancer l'influence soviétique dans le secteur, évidemment. Et pour cela, tous les moyens étaient bons.
00:57 Soutenir les gouvernements haïtiens successifs, et bien qu'ils ne soient pas toujours fréquentables,
01:02 nous n'évoquerons que les Duvaliers et leur fameux tonton Macout dans les années 80.
01:08 Au gré des régimes et des crises, l'influence française, par exemple, s'est peu à peu effacée pour laisser place
01:15 à des gouvernements bien souvent fantoches et pilotés directement par Washington, quand ils étaient pilotés.
01:22 L'ambassadeur des États-Unis à Port-au-Prince a toujours été plus influent que le président haïtien lui-même.
01:28 Fut-il élu ? Et bien sûr, ce lien étroit, dans une certaine mesure, s'est traduit bien souvent,
01:35 en tout cas pour les trois dernières générations, par une immigration massive de jeunes haïtiens
01:40 vers les grandes agglomérations de la côte est américaine. Et comment ne pas le comprendre,
01:46 au regard des images que l'on vient de voir. On l'a dit, c'est particulièrement vrai à Miami,
01:51 mais également à New York, où la diaspora haïtienne rivalise avec la diaspora cubaine.
01:57 Cette immigration a longtemps été légale, parfois même encouragée par l'administration américaine,
02:03 qui a multiplié les programmes d'échange universitaire, par exemple, ou de coopération.
02:09 Aujourd'hui, les haïtiens qui veulent vivre le rêve américain de leurs aînés ne bénéficient plus du tout
02:15 de la même mensuétude, évidemment, et sont bien souvent condamnés à l'immigration clandestine.
02:21 Aujourd'hui, près des trois quarts des haïtiens ne conçoivent leur avenir qu'à travers l'immigration.
02:28 70% précisément, selon les dernières enquêtes réalisées par les organisations internationales.
02:36 20% des porteurs de passeport haïtien sont d'ailleurs déjà résidents aux États-Unis.
02:42 Le seul pays du monde qui repose sur une diaspora comparable, c'est le Liban.
02:47 Mais aujourd'hui, la pression migratoire qui s'exerce sur la frontière sud-américaine, cette fois,
02:53 a convaincu le département d'État de fermer purement et simplement le robinet des entrées légales pour les haïtiens.
03:00 Ce qui, ces dernières années, a donné lieu à quelques mesures drastiques de la part du Homeland Security Department
03:07 et, globalement, passé sous silence par l'administration de Joe Biden.
03:12 L'un des exemples les plus choquants s'est déroulé en 2021, à une époque où la situation était moins dégradée qu'aujourd'hui, mais pas tant que ça.
03:21 Quand Joe Biden a validé la proposition du département d'État de procéder à la déportation massive
03:27 de milliers d'haïtiens qui s'entassaient à la frontière sud du pays en attente de rentrer sur le territoire américain.
03:34 Certains d'entre eux n'étaient même pas nés en Haïti.
03:38 Cela n'a pas empêché l'administration américaine d'organiser une succession de vols à l'aise simple pour cette population
03:45 qui s'est donc retrouvée débarquée sur le tarmac de Port-au-Prince,
03:49 au beau milieu d'une situation sécuritaire à peu près aussi désastreuse qu'aujourd'hui.
03:53 Imaginez le contexte.
03:55 Le spectacle de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants errant sur le tarmac,
04:00 puis dans les rues de Port-au-Prince, dans les rues d'une ville où ils n'avaient jamais mis les pieds et sans nulle part où aller,
04:06 avait convaincu jusqu'à l'émissaire américain en Haïti, Daniel Foote, de démissionner purement et simplement.
04:13 Il avait alors qualifié cette opération de déportation d'absolument inhumaine.
04:18 Depuis, Washington n'a pas vraiment changé de politique, puisqu'une mesure à peu près identique a encore été prise ces derniers mois.
04:27 Certains des avions qui étaient dépêchés par le département d'État ces dernières semaines pour évacuer les ressortissants américains d'Haïti
04:35 ont débarqué des migrants illégaux par la même occasion.
04:39 Des pratiques que les ONG qui défendent les droits humains dans la région ont largement dénoncées, mais vous l'imaginez bien, en vain.
04:46 On ne peut pas s'empêcher de constater ici que le sort d'Haïti n'émeut plus grand monde en réalité.
04:53 Et on le voit d'ailleurs à travers les médias américains qui traitent assez peu la question.
04:58 Un peu comme si les observateurs s'étaient habitués au chaos et résignés au pire dans le fond.
05:03 Le meilleur exemple étant probablement Karine Jean-Pierre, porte-parole de la Maison-Blanche et d'origine haïtienne pourtant.
05:10 Elle est régulièrement utilisée ici comme une sorte d'alibi, disons le mot, par la Maison-Blanche pour redire les éléments de langage de l'administration américaine sur le dossier haïtien.
05:20 Un dossier dans lequel il est à peu près clair que Joe Biden est tout à fait disposé à passer la main, tout simplement.
05:27 Et c'est peut-être pour ça que Washington, Mathieu, ne s'implique pas directement, mais agit en coulisses,
05:34 notamment avec cette force internationale qui sera dirigée par les Kényans, mais financée par les États-Unis.
05:43 Oui, tout à fait. On l'a dit, les États-Unis passeraient volontiers la main sur ce dossier.
05:47 Et c'est précisément ce que la Maison-Blanche est en train de faire en réalité.
05:50 C'est d'ailleurs, vous l'avez dit, le principal sujet de la visite d'État du président kényan William Ruto ces derniers jours à Washington.
05:58 On se souvient du déploiement absolument colossal qui avait suivi le tremblement de terre en Haïti en 2010.
06:05 Vous vous en souvenez, France 24 était sur le terrain à l'époque et avait livré des reportages marquants.
06:10 En dehors du Kosovo en 1999-2000, jamais une telle densité d'aides n'avait été observée sur la planète.
06:17 C'est tout simplement historique. Pourtant, un peu moins de 15 ans après, on vient de le voir,
06:23 Haïti n'en finit pas d'achever sa descente aux enfers, son effondrement politique, économique et donc évidemment social et sécuritaire.
06:31 À tel point qu'on peut largement mesurer le découragement des puissances occidentales qui étaient engagées ces dernières décennies.
06:38 Et on peut y inclure la France d'ailleurs, qui soit dit en passant, bat là-bas des records d'impopularité.
06:45 Cette fois encore, les États-Unis se préparent à compenser leur absence par du financement.
06:52 C'est effectivement au Kenya que va incomber désormais la tâche, la lourde tâche de créer cette force multinationale de police,
07:01 prioritairement pour lutter contre les gangs qui incarnent désormais, on l'a vu, l'une des seules autorités, sinon la seule autorité réelle dans le pays.
07:11 Et puis hypothétiquement de rétablir l'indispensable ordre constitutionnel.
07:16 Le mot est lourd dans le contexte que l'on vient de voir, cet ordre constitutionnel préalable à la relance d'une économie dans le pays.
07:25 Attention, le Kenya a néanmoins bien l'intention d'y trouver son compte, évidemment, puisque ce partenaire stratégique des Américains en Afrique,
07:33 qui abrite notamment une base militaire américaine dont la vocation est de lutter contre les guerriers Chebabs de Somalie.
07:39 Le gouvernement kenyan n'a accepté de s'engager en Haïti qu'à la stricte condition de disposer de fonds internationals majoritairement constitués et récoltés par les Nations Unies.
07:51 On ne peut donc pas s'empêcher de voir ici, vous l'avez dit, l'action du Kenya comme celle d'un supplétif de Washington, encore une fois,
07:58 puisque d'une part on s'attend à ce que cette administration internationale de transition soit assez peu regardante,
08:05 avec les opérations de remigration dont on a parlé, ces opérations massives,
08:11 et surtout Washington ne sera désormais plus comptable des prochains échecs dans ce dossier, en tout cas pas techniquement.