Judith Godrèche a présenté à Cannes son court-métrage, "Moi aussi", au Festival de Cannes. Elle a recueilli plus de 1.000 témoignages d'hommes et de femmes victimes de violences sexuelles. Mais ce week-end, notre journaliste psychologie explique ce qu'est l'amnésie traumatique, qui rend le souvenir des violences sexuelles inaccessible.
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00:00 -Ca a été un moment fort cette semaine au Festival de Cannes,
00:03 la diffusion du court-métrage de Judith Godrech.
00:06 Moi aussi, dans ce film, les victimes de violences sexuelles
00:09 apparaissent plaquant leur main sur la bouche,
00:11 geste qui a été reproduit par toute l'équipe du film.
00:14 -Pourquoi faut-il des dizaines d'années aux victimes
00:17 pour parler, même parfois, ce souvenir ?
00:19 C'est une question qu'on entend beaucoup.
00:22 Ca porte un nom, ça s'appelle l'amnésie traumatique.
00:25 -Exactement. C'est la question qui revient
00:27 quand une victime se met à parler, 20 ans, 30 ans après,
00:30 on lui demande pourquoi elle ne parle que maintenant,
00:33 comme si elle avait eu quelque chose à cacher.
00:36 L'amnésie traumatique, c'est un mécanisme de défense
00:39 qui permet de se protéger de l'horreur, de l'indicible.
00:42 Chez les personnes victimes de violences sexuelles,
00:45 40 % des victimes peuvent avoir une amnésie traumatique
00:48 qui peut durer quelques mois, quelques années, parfois des décennies.
00:52 Qu'est-ce qui se passe dans le cerveau ?
00:54 Au centre du cerveau, dans le cerveau limbique,
00:57 il y a une zone qu'on appelle l'amidale.
00:59 C'est l'amidale qui décharge les émotions.
01:02 Lorsqu'on est exposé à une violence extrême,
01:06 on décharge de l'adrénaline et de la cortisol à très haute dose.
01:09 La cortisol, c'est l'hormone du stress.
01:12 Cette dose de cortisol et d'adrénaline
01:14 est si massive, si extrême face à l'horreur
01:17 qu'elle met réellement en danger l'intégrité physique de la personne.
01:21 On peut faire des crises d'épilepsie, des attaques,
01:24 quelque chose de très dangereux pour le corps.
01:27 Pour se protéger, le cerveau va disjoncter.
01:30 La partie du cerveau qui conscientise la souffrance,
01:33 le cortex préfrontal, va se couper de ses émotions
01:37 et donc disjoncter du cerveau limbique de l'amidale.
01:41 On ne ressent plus les émotions, la mémoire est congelée.
01:44 C'est ce qui crée l'amnésie traumatique.
01:47 On parle aussi de dissociation.
01:48 Le cortex, c'est dissocier des émotions.
01:51 Oui, la personne supporte l'horreur,
01:53 mais elle ne se souvient plus un temps.
01:55 -C'est-à-dire que la mémoire de ce souvenir est présente.
02:00 Qu'est-ce qui fait qu'elle peut ressurgir ?
02:03 -La mémoire est toujours présente, dans l'inconscient,
02:07 congelée pour se protéger.
02:08 C'est un mécanisme de protection
02:10 car la victime ne peut pas supporter l'horreur qu'elle subit.
02:14 Parfois, la mémoire revient progressivement
02:17 parce qu'on a lu un livre, écouté un témoignage,
02:20 on revit une scène, on a des flashbacks,
02:23 ou on fait un travail avec un psychologue.
02:25 L'amnésie traumatique revient,
02:27 fait remonter à la surface qui a été refoulée,
02:30 la mémoire qui n'a pas pu être supportée à l'époque des faits.
02:34 C'est pour ça que les personnes reparlent 10 ou 20 ans après
02:37 quand leur mémoire leur permet de supporter le souvenir
02:40 du traumatisme qu'elles ont vécu.
02:43 -Ce qui est intéressant,
02:44 c'est qu'il y a des mécanismes psychologiques,
02:47 mais il y a aussi un processus physiologique.
02:49 Je découvre que ça se passe dans le corps,
02:52 c'est une histoire de chimie.
02:54 -C'est un mécanisme de défense qui permet de se couper
02:57 de cette adrénaline et de cette cortisole
02:59 qui devient dangereuse pour le corps
03:01 et qui est sécrétée parce qu'on ne peut pas se défendre.
03:05 Ces symptômes-là, physiologiques,
03:07 continuent à s'exprimer malgré l'amnésie traumatique.
03:10 Certaines victimes ne se souviennent pas
03:12 de leur traumatisme et des violences qu'elles ont subies,
03:16 notamment sexuelles.
03:17 En revanche, elles vont souffrir de maux de ventre,
03:20 de douleurs somatiques, de cauchemars,
03:23 de troubles d'asexualité, sans comprendre d'où ça vient.
03:26 Quand la mémoire remonte, les symptômes se réassocient
03:29 avec le souvenir et on peut travailler en psychothérapie.
03:32 -Comment on prend en charge cette amnésie traumatique ?
03:36 -Le plus important, c'est d'être accompagné.
03:38 À mesure que le souvenir remonte, les souvenirs, les symptômes,
03:42 les émotions et même les odeurs peuvent être violentes à vivre.
03:46 Il faut être suivi par un psychologue spécialisé
03:49 dans le syndrome de stress post-traumatique.
03:51 Il faut témoigner, sortir de la honte,
03:53 sortir de cette culpabilité de ne pas avoir parlé avant
03:57 ou d'avoir cru être responsable de ce qu'on a vécu.
04:00 Traiter les comorbidités,
04:01 les troubles du comportement alimentaire,
04:04 les troubles de l'asexualité,
04:06 les troubles qu'on peut avoir, les souffrances somatiques,
04:09 il faut les traiter avec un médecin
04:11 et faire le tri dans son entourage,
04:13 accepter de ne plus avoir à être confronté
04:16 à des personnes qui ne nous ont pas cru,
04:18 qui ne nous ont pas entendu ou qui nous ont mis en danger.
04:21 C'est très important. Protéger les victimes.
04:24 -Merci, Joana. Voilà pour mieux comprendre
04:27 ce qui peut se passer dans la tête dans ce cadre-là.